Le double veto pour interdire la guerre
impériale contre la Syrie
Le CCG et l'OTAN perdent leur leadership
Thierry Meyssan
Son
Excellence M Bashar Ja’afari,
représentant permanent de la Syrie à
l’ONU
durant le la 6710ème réunion du Conseil
de Sécurité sur la situation au
Moyen-Orient
Damas, dimanche 5 février
2012
Contrairement à ce
qui s’était passé lors de l’attaque de
l’Irak, la France n’a pas défendu les
principes du droit international dans
l’affaire syrienne, mais s’est ralliée
au camp impérial et à ses mensonges.
Avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis,
elle a essuyé une défaite diplomatique
historique, tandis que la Russie et la
Chine sont devenues les champions de la
souveraineté des peuples et de la paix.
Le nouveau rapport de force
international n’est pas seulement la
conséquence de la décadence militaire
des Etats-Unis, il sanctionne aussi le
déclin de leur prestige. En définitive,
les Occidentaux viennent de perdre le
leadership qu’ils se sont partagé durant
tout le XXe siècle parce qu’ils ont
abandonné toute légitimité en trahissant
leurs propres valeurs.
Par deux fois, le 4
octobre 2011 et le 4 février 2012, des
membres permanents du Conseil de
sécurité des Nations Unies ont rejeté
des projets de résolution sur la
situation en Syrie. Cet affrontement a
opposé les membres du Conseil de
Coopération du Golfe (CCG) et de
l’Organisation du Traité de
l’Atlantique-Nord (OTAN) à ceux de
l’Organisation de Coopération de
Shanghai (OCS).
La fin du monde
unipolaire
Ce quadruple veto scelle la fin d’une
période des relations internationales
qui a débuté avec l’effondrement de
l’Union soviétique et a été marquée par
une domination sans partage des
États-Unis sur le reste du monde. Il ne
signifie pas un retour au système
bipolaire précédent, mais l’émergence
d’un nouveau modèle dont les contours
restent à définir. Aucun des projets de
Nouvel Ordre Mondial ne s’est
concrétisé. Washington et Tel-Aviv ne
sont pas parvenus à institutionnaliser
le fonctionnement unipolaire qu’ils
voulaient ériger en paradigme
intangible, tandis que le BRICS n’a pas
réussi à créer le système multipolaire
qui aurait permis à ses membres de se
hisser au plus haut niveau.
Comme l’avait anticipé à juste titre
le stratège syrien Imad Fawzi Shueibi,
c’est la crise syrienne qui a
cristallisé un nouveau rapport de
forces, et partant de là une
redistribution de la puissance que
personne n’a pensé, ni voulu, mais qui
s’impose désormais à tous [1].
Rétrospectivement la doctrine
d’Hillary Clinton de « leadership par
l’arrière » apparaît comme une
tentative des États-Unis de tester les
limites qu’ils ne peuvent plus dépasser,
tout en faisant porter la responsabilité
et les conséquences de leur test à leurs
alliés britannique et surtout français.
Ce sont ces derniers qui sont se sont
mis en scène en leaders politiques et
militaires lors du renversement de la
Jamahiriya arabe libyenne et qui
ambitionnaient de l’être à nouveau pour
renverser la République arabe syrienne,
même s’ils n’agissaient qu’en vassaux et
sous-traitants de l’Empire états-unien.
Ce sont donc Londres et Paris, plus
encore que Washington, qui ont essuyé
une défaite diplomatique et en
supporteront les conséquences en termes
de perte d’influence.
Les États du tiers-monde ne
manqueront pas de tirer leurs
conclusions des derniers événements :
ceux qui cherchent à servir les
États-Unis, comme Saddam Hussein, ou à
négocier avec eux, comme Mouammar
el-Kadhafi, pourront être exécutés par
les troupes impériales et leur pays
pourra être détruit. Au contraire, ceux
qui résisteront comme Bachar el-Assad et
sauront nouer des alliances avec la
Russie et la Chine survivront
Son
Excellence M Li Baodong, représentant
permanent de la Chine aux Nations Unies.
Triomphe dans le monde
virtuel, défaite dans le monde réel
L’échec du CCG et de l’OTAN fait
apparaître un rapport de force que
beaucoup soupçonnaient, mais que
personne ne pouvait vérifier : les
Occidentaux ont gagné la guerre
médiatique et ont du renoncer à la
guerre militaire. Pour paraphraser Mao
Zedong : ils sont devenus des tigres
virtuels.
Durant cette crise, et encore
aujourd’hui, les dirigeants occidentaux
et les monarques arabes ont réussi à
intoxiquer non seulement leurs propres
peuples, mais une large partie de
l’opinion publique internationale. Ils
sont parvenus à faire accroire que la
population syrienne s’était soulevée
contre son gouvernement et que celui-ci
réprimait cette contestation politique
dans le sang. Leurs chaînes
sattelitaires ont non seulement réalisé
des montages fallacieux pour induire le
public en erreur, mais elles ont aussi
tourné des images de fiction en studio
pour les besoins de leur propagande. En
définitive, le CCG et l’OTAN ont inventé
et fait vivre médiatiquement durant dix
mois une révolution qui n’existait qu’en
images, tandis que sur le terrain la
Syrie devait affronter seule une guerre
de basse intensité menée par la Légion
wahhabite appuyée par l’OTAN.
Cependant, la Russie et la Chine
ayant fait une première fois usage de
leur veto et l’Iran ayant annoncé son
intention de se battre aux côtés de la
Syrie si de besoin, les États-Unis et
leurs vassaux ont dû admettre que
poursuivre leur projet les absorberaient
dans une guerre mondiale. Après des mois
de tension extrême, les États-Unis ont
admis qu’ils bluffaient et qu’ils ne
disposaient pas des bonnes cartes dans
leur jeu.
Malgré un budget militaire de plus de
800 milliards de dollars, les USA ne
sont qu’un colosse aux pieds d’argile.
En effet, si leurs forces armées sont
capables de détruire des États en voie
de développement, épuisés par des
guerres précédentes ou par de longs
embargos, comme la Serbie, l’Irak ou la
Libye, elles ne peuvent ni occuper des
territoires, ni se mesurer à des États
capables de leur répondre et de porter
la guerre en Amérique.
Malgré les certitudes du passé, les
USA n’ont jamais été une puissance
militaire significative. Ils ne sont
intervenus que quelques semaines à la
fin de la Seconde Guerre mondiale face à
une ennemi déjà épuisé par l’Armée rouge
; ils ont été défaits en Corée du Nord
et au Vietnam ; ils ne sont pas parvenus
à contrôler quoi que ce soit en
Afghanistan ; et ils ont été contraints
de fuir l’Irak de crainte d’y être
écrasés.
Durant les deux dernières décennies,
l’Empire états-unien a effacé la réalité
humaine de ses guerres et a communiqué
en assimilant guerre et jeux vidéos.
C’est sur cette base qu’il a conduit ses
campagnes de recrutement, et toujours
sur cette base qu’il a formé ses
soldats. Aujourd’hui, il dispose de
centaines de milliers de joueurs vidéos
en guise de soldats. Par conséquent, au
moindre contact avec la réalité, leurs
forces armées sont démoralisées. Selon
leurs propres statistiques, la majorité
de leurs morts ne tombe pas au champ
d’honneur, mais se suicide, tandis qu’un
tiers de leur personnel sous les
drapeaux souffre de troubles
psychiatriques rendant inapte au combat.
La démesure du budget militaire du
Pentagone est incapable de compenser son
effondrement humain.
Son
Excellence M Vitaly I. Churkin,
représentant permanent de la Fédération
de Russie auprès des Nations Unies.
De nouvelles
valeurs : la sincérité et la
souveraineté L’échec des États du CCG et de
l’OTAN est aussi celui de leurs
valeurs. Ils se sont présentés en
défenseurs des droits humains et de
la démocratie, alors qu’ils ont
établi la torture en système de
gouvernement et que la plupart
d’entre eux sont opposés au principe
de souveraineté populaire. Même si l’opinion publique en
Occident et dans le Golfe est
sous-informée sur ce sujet, les
États-Unis et leurs vassaux ont mis
en place depuis 2001 un vaste réseau
de prisons secrètes et de centre de
tortures, y compris sur le
territoire de l’Union européenne.
Sous prétexte de guerre contre le
terrorisme, ils ont semé la terreur,
enlevant et torturant plus de 80 000
personnes. Durant la même période,
ils ont créé des unités d’opérations
spéciales dotées d’un budget de près
de 10 milliards de dollars annuel
qui revendiquent des assassinats
politiques dans au moins 75 pays,
selon leurs propres rapports.
En ce qui concerne la démocratie,
les États-Unis actuels ne font pas
mystère de ce qu’elle ne signifie
pas à leurs yeux « le
gouvernement du peuple, par le
peuple, pour le peuple » selon
l’expression d’Abraham Lincoln, mais
uniquement la soumission des peuples
à leur volonté comme l’ont montré
les propos et les guerres du
président Bush. Au demeurant, leur
constitution récuse le principe de
souveraineté populaire et ils ont
suspendu leurs libertés
constitutionnelles fondamentales en
instituant un état d’urgence
permanent avec le Patriot Act.
Quand à leurs vassaux du Golfe, il
n’est pas nécessaire de rappeler que
ce sont des monarchies absolues.
C’est ce modèle, qui associe sans
honte crimes à grande échelle et
discours humanitaire, qui a été
défait par la Russie et la Chine ;
des États, dont le bilan en matière
de droits de l’homme et de
démocratie pour autant qu’il soit
très critiquable n’en est pas moins
infiniment supérieur à celui du CCG
et de l’OTAN.
En faisant usage de leur veto,
Moscou et Beijing ont défendu deux
principes : le respect de la vérité,
sans laquelle la justice et la paix
sont impossibles; et le respect de
la souveraineté des peuples et des
États, sans lequel aucune démocratie
n’est possible.
Le moment est venu de se
battre pour reconstruire la société
humaine après une période de
barbarie.
[1]
"Russia
and China in the Balance of the Middle
East : Syria and other countries",
par Imad Fawzi Shueibi,
Voltaire Network,
27 janvier 2012.
Article sous licence creative
commons
Vous pouvez reproduire librement les
articles du Réseau Voltaire à condition
de citer la source et de ne pas les
modifier ni les utiliser à des fins
commerciales (licence
CC BY-NC-ND).
Le sommaire du Réseau Voltaire
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|