L'Émirat islamique indépendant de Baba
Amr (1ère partie)
Les
journalistes-combattants de Baba Amr
Thierry Meyssan
Photo
satellite de l’Émirat islamique
indépendant de Baba Amr.
La presse atlantiste interprète la fumée
qui s’élève au-dessus du quartier comme
la preuve de bombardements
Samedi 3 mars
2012
La répression de
Baba Amr est-elle la plus grande fiction
politique depuis le 11-Septembre ? C’est
ce qu’entend démontrer Thierry Meyssan
dans un récit exclusif que le Réseau
Voltaire publie en épisodes. Dans ce
premier volet, il revient sur la
prétendue évasion des journalistes
occidentaux et montre que certains
d’entre eux faisaient partie de l’Armée
« syrienne » libre.
Les États membres de
l’OTAN et du CCG ne sont pas parvenus à
lancer une attaque conventionnelle
contre la Syrie. Cependant ils l’ont
préparée, dix mois durant, en conduisant
une guerre de basse intensité doublée
d’une guerre économique et médiatique.
La ville de Homs est devenue le symbole
de cet affrontement. L’armée « syrienne
» libre a investi les quartiers de Baba
Amr et d’Inchaat et y a proclamé un
Émirat islamique qui donne un aperçu de
son projet politique.
Avec le soutien de la Russie
–toujours traumatisée par l’expérience
de l’Émirat islamique d’Itchkérie– et de
la Chine, soucieuses de voir le
gouvernement de Damas protéger ses
citoyens, l’Armée nationale syrienne a
donné l’assaut le 9 février après
épuisement de toutes les tentatives de
médiation. L’Armée « syrienne » libre,
défaite, se retranchait bientôt dans une
zone d’environ 40 hectares, qui était
immédiatement bouclée par les Forces
loyalistes, qui ne cessa de rétrécir et
finit par tomber le 1er mars. Pour se
venger, les derniers éléments armés de
l’Émirat massacrèrent les chrétiens de
deux villages qu’ils traversèrent avant
de trouver refuge au Liban.
Durant toute cette période, de grands
médias ont été utilisés pour masquer la
réalité sordide et cruelle de cet Émirat
et pour lui substituer une fiction de
révolution et de répression. Un soin
particulier a été apporté pour faire
accroire que des milliers de civils
étaient pilonnés par l’artillerie, voire
l’aviation, syrienne. Au cœur de ce
système de propagande, un Centre de
presse utilisé par les chaînes
satellitaires de la Coalition : Al-Jazeera
(Qatar), Al-Arabiya (Arabie saoudite),
France24 (France), BBC (Royaume-Uni) et
CNN (États-Unis) et coordonné par des
journalistes israéliens.
L’opinion publique en Occident et
dans le Golfe peut légitimement se
demander qui dit vrai entre la version
de l’Organisation du Traité de
l’Atlantique-Nord et du Conseil de
coopération du Golfe d’un côté, et celle
de l’Organisation de Coopération de
Shanghai de l’autre. Nous allons tenter
de lui apporter des éléments décisifs
pour trancher et pour établir la vérité.
Nous nous appuierons sur les vidéos
diffusées par les chaînes occidentales
et du Golfe, les témoignages des
survivants recueillis par le bureau du
Réseau Voltaire en Syrie, et les
documents découverts dans le Centre de
presse de l’Émirat.
Le double visage des
reporters occidentaux
Des journalistes occidentaux bloqués
dans l’Émirat ont lancé des appels de
détresse sur le Net. Deux d’entre eux y
apparaissent blessés, le troisième
semble en bonne santé. Leurs
gouvernements firent de leur extraction
une affaire de principe. La France
délégua un fonctionnaire pour négocier
avec les rebelles. Plusieurs autres
États –notamment la Russie–, soucieux de
faire descendre la tension au Levant,
offrirent leurs bons offices.
J’ai participé à cet effort
collectif. En effet, une journaliste
française avait refusé une première
occasion de fuir avec la Croix-Rouge
internationale et le Croissant-Rouge
syrien. Craignant un piège, elle n’avait
pas saisi la main qui lui était tendue.
Ma mission avait deux aspects. D’abord,
établir un contact avec mes
compatriotes, les informer sur le
contexte politique et militaire, et
faciliter leur remise à un fonctionnaire
français qui les place sous protection
diplomatique. Ensuite, je devais
rapporter à ceux qui œuvrent pour la
paix dans cette région le déroulement
exact des événements et évaluer la bonne
volonté des protagonistes.
Comme on le sait, les négociations
ont échoué. Les délégués des services de
renseignement des différents États
impliqués ont pu constater que les
autorités syriennes et les organisations
humanitaires ont fait tout leur possible
et que le blocage est exclusivement
imputable à l’Armée « syrienne » libre.
Quelle n’a donc pas été la surprise,
réelle ou feinte, des différents
négociateurs d’apprendre soudainement
que les trois journalistes que nous
avons tenté d’extraire d’Homs, plus un
quatrième qui n’avait pas souhaité notre
aide, ont franchi les lignes de l’Armée
syrienne libre et celles de l’Armée
nationale syrienne pour se rendre par
leurs propres moyens au Liban.
Après un instant de confusion et la
vérification que les initiatives
parallèles de la Russie n’avaient pas
plus abouti que les nôtres, nous avons
dû constater qu’un commando armé d’une
grande nation occidentale a exfiltré les
quatre journalistes, et peut-être
d’autres personnes, pendant que nous
mettions inutilement notre vie en
danger. Dans ces conditions je n’ai
aucune raison de me taire sur les
dessous de cette affaire. J’exclurai
uniquement de cet article les références
aux fonctionnaires et personnalités
impliquées, afin de préserver leurs
capacités à agir pour la paix, bien que
mentionner certains détails auraient eu
une utile valeur pédagogique pour nos
lecteurs.
Je ne doute pas que les rescapés de
Baba Amr publieront leur version des
événements pour consolider la propagande
atlantiste. Ils continueront à mentir
comme ils n’ont cessé de mentir. C’est
pourquoi, je tiens d’abord à témoigner
de ce que j’ai vu pour prévenir le tissu
de désinformation que l’on est en train
de nous tisser.
Selon la version médiatique actuelle,
une révolution aurait été sauvagement
réprimée. Des journalistes occidentaux,
mus par leur seul désir d’informer,
seraient venus voir et témoigner. Les
insurgés se seraient progressivement
retranchés dans le quartier de Baba Amr
où ils auraient survécu trois semaines
sous un déluge de feu. Leur Centre de
presse aurait été bombardé avec des
GRAD, des « orgues de Staline »,
mercredi 22 février 2012. Au cours de ce
bombardement, Marie Colvin (Sunday
Times) et Rémi Ochlik (IP3 Presse)
auraient été tués, tandis qu’Édith
Bouvier (Le Figaro Magazine) et
Paul Conroy (Sunday Times)
auraient été blessés. William Daniels
(ex-Figaro Magazine et Time
Magazine) serait resté avec eux,
tandis que Javier Espinosa (El Mundo)
se serait séparé du groupe.
Les survivants ont posté quatre
vidéos sur le Net qui nous racontent une
bien étrange histoire.
La mort de Marie Colvin
et de Rémi Ochlik
La mort de Marie Colvin et de Rémi
Ochlik nous est connue par une vidéo
fournie par l’Armée « syrienne » libre.
Leurs corps ont été retrouvés après la
chute de l’Émirat et ont été identifiés
par les ambassadeurs de France et de
Pologne (représentant son homologue
états-unien).
Marie Colvin était connue pour le
chic de ses tenues et le contraste dont
elle jouait entre la finesse de ses
atours féminins et la dureté du bandeau
qui cachait son œil perdu. La vidéo, sur
laquelle on voit uniquement de dos deux
corps gisants au sol, est authentique et
a été validée par divers médias qui
l’ont diffusée. Les deux journalistes
apparaissent en tenue de combat. Il
conviendrait de se demander pourquoi ce
détail, qui contrevient sur un champ de
bataille au statut de non-combattant des
journalistes, n’a pas soulevé
d’interrogations du public, ni de
commentaires indignés de la profession.
Les blessés Édith
Bouvier et Paul Conroy au dispensaire
Sur la seconde vidéo, le représentant
du Croissant-Rouge syrien dans l’Émirat,
le docteur Ali, un dentiste du quartier
qui s’est dévoué avec courage aux
blessés, présente Édith Bouvier et Paul
Conroy allongés sur des lits dans dans
ce qui semble être une sorte de
dispensaire hospitalier. Puis, un soldat
de l’Armée « syrienne » libre qui se
fait appeler « Docteur Mohammed »,
portant blouse bleue et stéthoscope,
livre un commentaire révolutionnaire.
Trois éléments doivent être relevés :
Édith Bouvier refuse de décliner son
identité, qui est cependant révélée aux
spectateurs, et tente de cacher son
visage.
Paul Conroy roule des yeux à la fois
inquiets et réprobateurs.
« Docteur Mohammed » est une star des
vidéos de l’opposition syrienne. Il joue
le rôle d’un médecin révolutionnaire. Il
s’exprime dans un langage approximatif,
sans aucun vocabulaire médical, mais
avec des références salafistes.
Tout laisse à penser que « Docteur
Mohammed » a profité de la situation
pour faire participer le médecin du
Croissant-Rouge et les deux journalistes
à une petite mise en scène dramatisant
outrageusement la situation.
Nouveau message de Paul
Conroy depuis sa chambre
Dans une troisième vidéo, le
photographe britannique Paul Conroy est
à l’écart, allongé sur un canapé, après
avoir reçu des soins. Il demande de
l’aide. Il s’applique à préciser qu’il
est invité et pas prisonnier.
Il semble aussi mal à l’aise que la
première fois et glisse des indications
aux spectateurs. Il appelle des «
agences globales » à intervenir car «
elles travaillent pour les mêmes
objectifs sur le terrain ». Quelles sont
donc ces « agences globales » qui
auraient le pouvoir de l’extraire de
l’Émirat ? Il ne peut s’agir que
d’agences publiques, qu’elles soient
intergouvernementales comme celles de
l’ONU, ou nationales comme des agences
de renseignement. Que signifie : «
travailler pour les mêmes objectifs sur
le terrain » ? Il ne peut faire
référence à une activité des Nations
Unies, puisqu’elles n’ont pas vocation à
faire du journalisme. La seule
interprétation possible est qu’il
appelle des agences de renseignement
alliées en évoquant son appartenance à
une agence de renseignement britannique.
À la différence de Marie Colvin qu’il
accompagnait comme photographe pour ses
reportages dans le Sunday Times
Paul Conroy ne porte pas d’uniforme sur
le champ de bataille, mais il n’en a pas
besoin pour se faire identifier.
« Docteur Mohammed » intervient alors
pour nous faire part de son diagnostic.
Paul Conroy aurait été blessé la veille
à la jambe par un missile GRAD. Il nous
montre une jambe au bandage immaculé.
Malgré l’extrême gravité de la blessure
et sa fraîcheur, la jambe n’est
aucunement tuméfiée. « Docteur Mohammed
» n’a pas usurpé son surnom : sans avoir
de formation médicale, il réalise des
prodiges médicaux.
À la fin de son intervention, Paul
Conroy ajoute un message pour rassurer «
sa famille et ses amis en Angleterre » :
« Je vais parfaitement bien ». Si le
sens caché a échappé à « Docteur
Mohammed », ceux qui savent que Paul
Conroy est Irlandais du Nord, pas
Anglais, n’ont pas de mal à décrypter.
Le « photographe » s’adresse à la
hiérarchie de l’agence militaire
britannique pour laquelle il travaille
et signale que cette comédie ne doit pas
induire en erreur, il est en bonne
santé.
Cette fois, c’est Paul Conroy qui
semble utiliser la mise en scène de «
Docteur Mohammed » pour faire passer son
message, alors qu’il est immobilisé par
sa blessure.
Nouveau message d’Édith
Bouvier et de son compagnon
Dans une quatrième vidéo, tournée et
diffusée la même journée, Édith Bouvier,
allongée sur son lit d’infortune appelle
à l’aide. Elle demande (1) « la mise en
place d’un cessez-le-feu » et (2) « une
voiture médicalisée qui la conduise
jusqu’au Liban », afin qu’elle puisse y
être rapidement traitée.
Vu que les besoins exprimés sont
ceux d’une trêve pour laisser
circuler une ambulance et d’un
transport dans un hôpital pour y
être soignée, ces revendications
sont absolument incongrues.
(1) Un cessez-le-feu est un accord
qui suspend la totalité des
hostilités entre les parties durant
une négociation politique, tandis
qu’une trêve est une interruption
des combats, dans une zone
déterminée et durant une période
déterminée, pour laisser passer des
personnes ou du matériel
humanitaire.
(2) De plus, être conduite au Liban
implique une amnistie pour le délit
d’immigration illégale, Édith
Bouvier étant entrée clandestinement
en Syrie aux côtés des rebelles.
Force est de constater que ces
deux exigences ne sont pas
argumentées, mais correspondent à la
création d’un « couloir humanitaire
» au sens où l’entend le ministre
français des Affaires étrangères,
Alain Juppé.
Alain Juppé est malheureusement
connu pour sa facilité à inverser
les rôles et son usage des «
couloirs humanitaires ». En 1994, il
avait obtenu du Conseil de sécurité
des Nations Unies une résolution
autorisant l’opération Turquoise,
c’est-à-dire la création d’un «
couloir humanitaire » pour permettre
à la population hutu du Rwanda de ne
pas être massacrée à son tour en
vengeance des crimes commis par le
Hutu Power principalement contre la
population tutsie. On sait
aujourd’hui que ce couloir n’était
pas qu’humanitaire. Il permit à la
France d’exfiltrer les génocidaires
mêlés aux civils, afin de leur
éviter d’avoir à répondre de leurs
crimes. Alain Juppé cherche cette
fois à exfiltrer les groupes armés
responsables des tueries en Syrie.
Il convient donc de constater
qu’Édith Bouvier n’exprime pas des
besoins personnels, mais que ses
exigences correspondent aux intérêts
de l’Armée « syrienne » libre tels
que la France les défend.
Il n’est pas surprenant que la
journaliste se fasse la porte-parole
d’Alain Juppé. Elle a été engagée au
groupe Le Figaro par Georges
Malbrunot. Selon les autorités
syriennes, ce dernier était dans les
années 80 l’agent de liaison de la
DGSE avec les Frères musulmans. Il
fut arrêté à Hama, puis restitué aux
autorités françaises à la demande
expresse du président François
Mitterrand.
Dans la séquence suivante, «
Docteur Mohammed » explique la
situation, tandis que son compagnon
le photographe William Daniels
(pigiste au Figaro-Magazine,
puis à Time Magazine) insiste
sur l’urgence de la situation. Les
déclarations en arabe sont traduites
en anglais par un quatrième
personnage que l’on ne voit pas à
l’écran. Enfin un cinquième
intervenant, le jeune Khaled Abou
Saleh, apporte une conclusion
révolutionnaire au petit film.
Alors que dans les premières
vidéos Édith comme Paul refusaient
manifestement de coopérer avec «
Docteur Mohammed », elle joue cette
fois le jeu de bonne grâce.
Le jeune Khaled Abou Saleh est le
chef de Centre de presse de l’Armée
« syrienne » libre. D’après les
journalistes qui ont utilisé cette
installation, le Centre, placé dans
un immeuble vétuste, était équipé de
tout le matériel hi-tech nécessaire.
Les journalistes pouvaient y faire
leurs montages, et disposaient du
matériel satellitaire pour des
diffusions en direct. Certains
ironisaient en comparant le niveau
informatique du Centre à celui de
l’Armée nationale syrienne, qui
persiste à utiliser des systèmes de
transmission archaïques.
On ne dispose d’aucune
information sur les généreux
sponsors qui ont offert cette
installation dernier cri. Mais on
dispose d’une indication lorsque
l’on s’intéresse aux activités
professionnelles de Khaled Abou
Saleh. Le jeune révolutionnaire est
lui-même journaliste. Il est
correspondant permanent à Al-Jazeera,
qui en outre publie son blog son
site internet, et pigiste à
France24, où il apparaît comme
collaborateur de la rubrique « Les
Observateurs ». Or, ces deux
télévisions satellitaires forment
l’avant-garde de la propagande de
l’OTAN et du CCG pour justifier un
changement de régime en Syrie, comme
elles le firent pour en justifier un
en Libye.
À titre d’exemple sur la
déontologie de la chaîne publique
française, le 7 juin 2011, France24
avait diffusé en direct une
intervention téléphonique émouvante
de l’ambassadrice de Syrie en
France, Lamia Shakkour, annonçant sa
démission pour protester contre les
massacres dans son pays.
Immédiatement la machine
diplomatique française exerçait des
pressions sur l’ensemble des
ambassadeurs de Syrie dans le monde
pour qu’ils suivent ce bel exemple.
Las ! Bien que Renée Kaplan, la
directrice-adjointe de la rédaction
de France24, ait juré que la voix
diffusée était celle de
l’ambassadrice qu’elle connaissait
bien, il s’agissait en fait de celle
de l’épouse du journaliste, Fahd
Alargha-Almasri. L’intoxication fit
long feu [1].
Sous l’impulsion d’Alain de
Pouzilhac et de Christine
Ockrent-Kouchner, France24 et RFI
ont cessé d’être des organes
d’information pour devenir des
instruments du dispositif
militaro-diplomatique français.
Ainsi, le 5 juillet 2011, Alain de
Pouzilhac, en qualité de PDG de
l’Audiovisuel extérieur de la France
(AEF) signait un protocole d’accord
avec Mahmoud Shammam, ministre de
l’Information des rebelles libyens.
Il s’engageait à créer des médias
anti-Kadhafi et à former le
personnel nécessaire pour faciliter
le renversement du « Guide » libyen.
Cette annonce avait soulevé la
colère des journalistes de France24
et de RFI, furieux d’être
instrumentés dans cette entreprise
de propagande. Tout laisse à penser
que des dispositions de même nature
ont été prises pour encourager « le
journalisme citoyen » des «
révolutionnaires syriens ». Si c’est
le cas, le rôle de Khaled Abou Saleh
ne se limite pas à des
correspondances et à des piges, il
est un acteur clé de la fabrication
de fausses informations pour le
compte du dispositif
militaro-diplomatique de la France.
Précédemment, Édith Bouvier était
rétive à la mise en scène. Au
contraire, cette fois, elle
collabore avec son collègue de
France24 et enregistre un appel à
l’aide qui vise à manipuler la
compassion des spectateurs pour
justifier la mise en place d’un «
couloir humanitaire », tel que celui
dont Alain Juppé a besoin pour
évacuer les mercenaires de l’Armée «
syrienne » libre et leurs
instructeurs occidentaux.
Premières
conclusions
À ce stade de l’étude des vidéos,
j’ai émis plusieurs hypothèses de
travail.
L’équipe du Sunday Times
(Marie Colvin et Paul Conroy)
travaillait pour le MI6, tandis que
l’envoyée du Figaro Magazine
(Édith Bouvier) travaillait pour la
DGSE.
« Docteur Mohammed » a profité de ce
que les journalistes soient alités
pour enregistrer deux vidéos de
plus, mais Paul Conroy en a profité
pour adresser un message de détresse
aux alliés.
En définitive le pigiste de
France24, Khaled Abou Saleh, a
mis en scène la revendication
d’Alain Juppé.
Échec des
négociations ou changement de
négociation ?
Tout au long des négociations,
j’ai pu apporter divers éclairages
qui ont été pris en considération.
Mais chaque fois que j’ai évoqué les
remarques ci-dessus, il m’a été
répondu que ce n’était pas le
moment. Il apparaissait que l’Armée
« syrienne » libre refusait de
laisser sortir les journalistes.
L’urgence était de les sauver. On
s’occuperait plus tard du statut
réel de chacun.
Samedi 25 au soir, les
négociations avaient échoué. Pour
rétablir le contact avec les
takfiristes, les Syriens cherchaient
un cheikh modéré avec qui ils
acceptent de parler, mais tous les
religieux contactés se désistaient
les uns après les autres de peur des
conséquences. Fallait-il camper sur
place pour pouvoir reprendre la
discussion dès qu’un cheikh se
présenterait ? Ou fallait-il rentrer
se reposer en sécurité à Damas ?
C’est en définitive des autorités
militaires syriennes que vint la
réponse. Nous étions invités à
rentrer et nous serions informés
lorsqu’une nouvelle occasion de
négociation se ferait jour. De
retour dans la capitale, un SMS nous
informa que les négociations étaient
suspendues pour 48 heures.
Suspendues ne signifiait pas que
nous pouvions nous divertir dimanche
et lundi pendant que des confrères
et des compatriotes étaient en
danger de mort, mais que durant 48
heures une autre négociation était
en cours. Sur le moment, j’ai cru
que le relai avait été pris par nos
amis russes.
Mardi matin, j’étais réveillé par
une amie, reporter de guerre pour un
grand média français, qui me
téléphonait en m’apprenant l’arrivée
de Paul Conroy et probablement des
autres journalistes à Beyrouth.
J’étais interloqué. Je réveillais à
mon tour un haut responsable syrien
qui manifesta sa perplexité. De coup
de fil en coup de fil, personne à
Damas ne savait quoi que ce soit, ou
ne voulait parler.
En définitive, je découvris qu’un
accord avait été négocié par le
général Assef Chawkat avec une haute
personnalité française de ses amis
pour trouver une solution politique
à cet imbroglio. Les Forces
loyalistes ont ouvert leurs lignes
pour laisser passer nuitamment les
conseillers militaires français et
les journalistes vers le Liban. Au
petit matin, l’Armée « syrienne »
libre a découvert leur fuite.
Comprenant qu’ils étaient
abandonnés, les mercenaires
décidèrent de se rendre, abandonnant
leur propre arsenal, tandis que les
islamistes refusèrent les dernières
sommations. Le général Assef Chawkat
donna l’assaut final et prit
l’Émirat en quelques heures,
délivrant de la tyrannie islamiste
les civils qui y étaient enfermés.
Depuis son quartier général à
l’étranger, l’Armée « syrienne »
libre –désormais réduite à pas
grand-chose– annonça son « repli
stratégique ». La nature ayant
horreur du vide, le Conseil national
syrien basé lui aussi à l’étranger
annonça la création d’un Comité
militaire composé d’experts syriens
et surtout étrangers. En quatre
jours, la question militaire s’est
déplacée du champ de bataille syrien
aux confortables salons des grands
hôtels parisiens.
À suivre…
Thierry Meyssan
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