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Les vendredis de la
Liberté
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Vendredi 25 février 2011
Aujourd’hui avec plus de force encore, il faut saluer le
soulèvement historique du peuple tunisien. Des millions de
femmes et d’hommes ont dépassé la peur et bravé la terreur. Le
peuple égyptien a suivi cet exemple et a fait plier le despote.
Les régimes restent en place mais un mouvement irréversible et
incontrôlable s’est mis en branle. L’Afrique du Nord et le
Moyen-Orient ne seront plus jamais tout à fait les mêmes et
quelles que soient les potentialités et les velléités de
contrôle politique, géostratégique et économique des militaires
et des puissances occidentales, il faudra compter avec cette
nouvelle donne. Les mouvements de masse, non violents,
déterminés et courageux, ont montré que tout est possible et que
l’Histoire est en marche pour le monde arabo-musulman : il
faudra tenir compte désormais de cette espérance de liberté et
de la force de ces libérations et ce même si elles pouvaient
être circonstanciellement récupérées ou avortées.
Le peuple de Libye est descendu dans la rue et, ville après
ville, il libère son pays de la main mise de l’excentrique
dictateur de Tripoli. La folie, intelligente et imprévisible, de
ce dernier n’a pas dit son dernier mot mais il est désormais
assez évident qu’il va tomber et que la Libye va être libérée
des horreurs de son règne. Il aura volé, torturé, sommairement
éliminé et tellement menti : il aura su se jouer des pouvoirs
occidentaux, les provoquer, les humilier et rester en place
pendant plus de quarante ans. C’est son peuple aujourd’hui qui,
avec courage, a décidé de l’affronter en nombre et à main nue :
il importe de les saluer, de les encourager, de les accompagner
et de les soutenir. On ne pourra certes pas faire grand’ chose
de l’extérieur, mais le mouvement s’élargit et il est nécessaire
que nous poussions nos autorités à prendre des positions claires
et courageuses. Enfin ! Car enfin comme est triste la révélation
confirmée de tant de silence, de tant d’hypocrisies, de tant de
mensonges : l’Orient est le miroir révélateur et déformant de
tant de politiques coupables des États-Unis, du Canada, de
l’Europe et de l’Australie. Les peuples aujourd’hui ne scandent
et ne reprochent rien à l’Occident : le minimum serait que ce
dernier se réveille enfin à l’image de ce réveil du monde arabe.
Le courage et l’autocritique valent mieux que les silences
lâches des coupables. Il est temps.
Au Yémen, à Bahreïn, en Irak, au Maroc, en Algérie, en Iran,
en Jordanie, les peuples expriment leur désir de liberté et de
dignité. En ces rassemblements de vendredi, la puissance
populaire est phénoménale et le symbole est fort, irrésistible.
Des musulmanes et des musulmans réunis en ces jours de prière,
font entendre la voix de l’aspiration humaine et universelle à
la liberté, à la justice, à la dignité et aux pouvoirs
indéfectibles des peuples souverains. A toutes celles et à tous
ceux qui ont décrit et peint les musulmans comme impénétrables
aux idées de liberté et de démocratie, et forcément enclin à la
violence, – à cause de l’essence même de l’islam - ; la réponse
est cinglante et imparable : des dizaines de millions de
musulmans, en ces vendredis, ont choisi la voie de la
résistance, du sacrifice et de la libération dans la non
violence, le respect de la vie, et sans jamais critiquer
l’Occident, ses valeurs ou ses trahisons. Ils l’ont fait avec
des chrétiens, des coptes, des athées, des communistes et des
concitoyens de toutes croyances, obédiences et idéologies.
Quelle plus belle réponse aux analyses simplistes, réductrices
voire racistes que propagent les milieux populistes en
Occident ? Les vendredis de la liberté, avec ces foules qui se
réunissent pour la prière comme pour la résistance et la
liberté, c’est le mariage, en direct, de l’islam - des musulmans
- et de la liberté, de la justice et des principes
démocratiques. Que le premier dirigeant européen à avoir salué
les peuples résistants, et demandé aux dictateurs de partir,
soit le premier ministre turc devrait être un autre indicateur,
assez caustique, pour les analyses tendancieuses rabâchées sur
le « monde musulman » depuis tant d’années dans les couloirs de
la diplomatie et des l’intelligentsia occidentales.
Il faut espérer que le mouvement ne s’arrêtera point là. Que
les peuples poursuivront leur marche en avant et qu’ils
parviendront à se libérer complètement du joug des tyrans pour
accomplir une totale révolution démocratique. Rien n’est gagné
ni en Tunisie, ni en Égypte, ni en Libye, ni ailleurs, mais le
mouvement peut être plus fort que ceux qui essaient de le
contrôler. Cette force est sa force. Il importe que les
mouvements d’opposition plurielles saisissent cette occasion
historique de dialoguer entre eux et établissent des fronts
ouverts représentant la société civile afin que les
commandements armés ne détournent pas les révolutions à leur
avantage ou à l’avantage de puissances étrangères politiques
ou/et économiques. Il faut espérer que les gouvernements
entendent, se réforment entièrement ou s’en aillent
définitivement, pour laisser place à des systèmes de
gouvernement respectueux de la volonté des peuples qui
appliquent sans compromission les cinq principes inaliénables :
état de droit, citoyenneté égalitaire, suffrage universel,
mandat électif limité et séparation des pouvoirs. C’est
impératif, c’est le minimum requis et ce sans corruption, sans
clientélisme et dans l’indépendance. Il faut espérer que le
mouvement se répande dans toute l’Afrique du Nord et au
Moyen-Orient… jusqu’en Israël d’ailleurs afin que le premier
ministre Benjamin Netanyahu et son ministre des affaires
étrangères raciste, Avigdor Lieberman, soient aussi renversés et
que cesse cette interminable politique de colonisation indigne
et de non respect caractérisé de la dignité des Palestiniens
comme des Arabes israéliens.
En ces vendredis de la liberté, tout est possible. Avec
espoir, et sans naïveté, il faut saluer la marche des peuples et
rappeler aux gouvernants – quels qu’ils soient, tyrans ou amis
indignes des tyrans – que rien n’est jamais acquis et que les
despotes et les traitres ne sont jamais définitivement à l’abri
ne de leur peuple ni du jugement de l’Histoire.
© Tariq Ramadan 2008
Publié le 25 février 2011
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