Dans l’espoir de ne pas soulever la controverse, certaines voix
officielles du Vatican ont tenté d’expliquer que la visite du
Pape au Moyen-Orient n’a rien de politique. On devrait plutôt la
voir comme un « pèlerinage » ayant pour but de répandre un
« message religieux » de paix. Toutes ces contorsions
terminologiques ne changeront rien à la réalité des faits : le
chef de l’Église catholique, le chef d’État du Vatican, se rend
dans une région déchirée par le plus grave conflit politique de
notre époque.
Le monde serait en droit d’attendre de sa part, aussi bien à un
discours essentiellement religieux, qu’une prise de position
politique claire sur le conflit israélo-palestinien. Au mois de
mars 2000, le pape Jean-Paul II avait ouvert la voie à une
réconciliation et avait visité Israël. Il avait présenté des
excuses pour les siècles de persécution et de massacres
perpétrés par l’Église et par les chrétiens (ou avec leur
complicité active ou passive). Cette étape était à la fois
importante et nécessaire. Toutefois, il serait surprenant que
Benoît XVI s’en tienne à faire la même chose : ce dont la
communauté internationale et le Moyen-Orient ont le plus
pressant besoin, c’est d’un pape qui fait plus que formuler des
excuses et accepte d’assumer quelques responsabilités.
De façon concrète, cela signifie de travailler concomitamment
sur deux tableaux. Il devient impératif d’ouvrir les archives du
Vatican et d’exiger davantage de transparence en ce qui a trait
au passé. Au-delà des excuses, un point de vue autocritique et
une responsabilisation à partir des faits vérifiés seront d’une
aide précieuse pour tous les chrétiens et favoriseront les
relations avec les juifs. Nous avons besoin d’une telle
ouverture pour nourrir l’espoir que le pape actuel suive les pas
de son prédécesseur en faisant la promotion d’un dialogue
interreligieux, d’une meilleure compréhension et d’un engagement
envers le pluralisme religieux, le respect mutuel et les valeurs
communes.
La clarté de son message religieux donnera plus de poids à son
message politique. Bien que le conflit israélo-palestinien soit
politique, rien n’empêche un chef religieux de faire entendre sa
voix. Depuis trop longtemps, on nous répète que ce conflit
concerne les juifs et les arabes, ou les musulmans. Le pape doit
expliquer clairement que les droits de tous les croyants doivent
être également respectés ; que les juifs, les chrétiens et les
musulmans doivent bénéficier de droits égaux quant à la pratique
de leur religion et à l’accès aux sites sacrés. Par son silence
sur la question, le pape, ainsi que de nombreux chrétiens
partout dans le monde, corrobore l’idée qu’il s’agit d’une
opposition des juifs contre les musulmans. Paradoxalement, moins
il est de voix religieuses défendant le principe d’égalité plus
le conflit est perçu comme une opposition religieuse (juifs
contre musulmans).
De plus, le pape se doit d’agir en accord avec les valeurs
chrétiennes et donc, de dire la vérité ; en tant que chef de
l’Église catholique, il a le devoir moral de prendre la défense
des pauvres et des opprimés. Les Palestiniens sont les
opprimés ; ils continuent de souffrir du blocus intolérable de
Gaza. Autant les papes successifs ont présenté des excuses pour
le passé, autant Benoît XVI a la responsabilité de rappeler aux
dirigeants des puissances qu’ils sont responsables et devront
répondre de leurs actions. La visite du pape après les
événements de Gaza ne peut en aucun cas être considérée comme un
pèlerinage ; peu importe les pressions qu’on exerce sur lui pour
offrir des excuses répétées, ce que les gens veulent entendre de
la part de l’Église, c’est un message clair et réaliste sur le
conflit au Moyen-Orient.
Espérons que le pape rappellera au premier ministre israélien
Netanyahu (dont le parti ne reconnaît pas l’État palestinien) et
à son ministre des affaires étrangères, Lieberman, qu’il n’y
aura pas de paix s’il n’y a pas de justice, et que le sang des
Palestiniens vaut celui des Israéliens. Un silence sur la
question équivaudrait à un appui à Israël : en temps de
répression, pas de politique relève de la politique. Est-ce que
le pape aura le courage politique nécessaire pour être la voix
religieuse contemporaine qui rappellera à l’humanité la
responsabilité éthique qui incombe aux puissants ainsi que
l’égale dignité et la résistance légitime auxquelles ont droit
les opprimés ? Tel était le message de Jésus et il devrait
rester le même, en Israël et partout dans le monde.
Traduit par
Suzanne Touchette, texte paru dans
The Guardian le 9 mai 2009