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Egypte Palestine :
Le mur de la honte
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Jeudi 7 janvier 2010
On savait que les Palestiniens étaient depuis longtemps les
victimes directes des politiques arabes chaotiques, veules et
hypocrites. On savait que l’Etat d’Israël n’avait au fond pas de
grands efforts à faire pour imposer sa vision, ses méthodes et
ses objectifs : avec les Etats-Unis, le silence complice de
l’Europe, et la complicité passive des Etats arabes, la cause
était entendue. D’aucuns ont même parlé, avec quelque raison, de
la « politique pro-sioniste » des Etats arabes. Nous savions les
lâchetés et les trahisons : rien de nouveau à l’horizon.
On avait pu croire que le pire fut atteint avec l’offensive
meurtrière et criminelle des forces israéliennes sur Gaza il y a
un an. C’était sans compter sur la capacité créatrice du « pire
encore » qu’allait nous offrir l’Etat égyptien et la délégation
des « autorités religieuses » d’al-Azhar. Au nom de « la
sécurité nationale », contre « le terrorisme », et, enfin, pour
lutter contre « la corruption », la « contrebande » et « le
trafic de drogue » des « indisciplinés » de Gaza, le
gouvernement égyptien a décidé de construire un mur souterrain
de plus de vingt mètres de profondeur afin d’empêcher que les « Gazaouis »
continuent leurs actes « illégaux » de construction des
« tunnels de la contrebande ». Le gouvernement égyptien n’a bien
sûr aucune intention de cloîtrer les habitants dans leur enfer ;
il s’agit, à l’évidence, d’une question de sécurité nationale !
Cela est tellement vrai que le comité des savants d’al-Azhar a
cautionné ladite décision en affirmant qu’il était « islamiquement
légitime » (« conforme à la sharî’a ») de protéger ses
frontières (ceux ci répondaient à une fatwa de l’Union mondiale
des savant musulmans qui disait exactement le contraire, à
savoir que cette décision était « islamiquement inacceptable »).
Quelle honte ! Comment ose-t-on jouer avec la justice,
instrumentaliser ainsi le pouvoir et la religion. Le peuple
palestinien, et au premier rang duquel les habitants de Gaza,
vivent un déni de dignité et de droit, ils n’ont plus accès à la
nourriture, à l’eau et aux soins, et voilà que le gouvernement
égyptien se fait l’allié de la pire politique israélienne :
isoler, étrangler, affamer, étouffer les civils palestiniens
après les avoir décimés par centaines. Il est question de faire
plier la résistance et d’acculer les leaders. Le gouvernement
égyptien a bloqué les différents convois qui cherchaient à
secourir le peuple palestinien avec l’espoir de lever le blocus
sur Gaza. La mobilisation qui a permis à des centaines de femmes
et d’hommes du monde entier de se réunir à Rafa a essuyé refus
sur refus de la part du pouvoir du Caire, le tout agrémenté de
quelques humiliations ciblées.
Quelle honte vraiment ! Le gouvernement israélien peut sourire.
Au même moment, on nous annonce un lancement nouveau et
« prometteur » du « processus de paix » !! Toutes les parties y
trouveraient leur compte, nous dit-on, et les Etats-Unis,
soutenus par l’Arabie Saoudite et … l’Egypte, ont grandement
participé à l’élaboration de ce « programme complet ». Beau
« processus de paix » au nom duquel il aura fallu soumettre des
civils à des mois de boycott avant d’inviter leurs leaders à des
tables de négociations « très libres » et « très
respectueuses ». Le gouvernement israélien peut sourire, à
l’évidence : il gagne encore du temps et ne perd sur aucun
dossier. Sa politique de peuplement sera temporairement
gelée…sauf les constructions déjà engagées. Belle négociation en
vérité !
Il faut le dire et le répéter : le
« mur-égyptien-de-sécurité-nationale » est une honte. Les
autorités religieuses qui l’ont, de surcroît, légitimé ont agi
comme ces fameux « ulamâ » (savants musulmans) ou « conseils
islamiques » soumis qui aux pouvoirs, qui aux dictatures, qui
aux forces coloniales ou qui encore aux quelconques Républiques
peu cohérentes et manipulatrices des religieux. Que peut-il
rester de leur crédibilité avec l’émission d’une telle « fatwa
politique » qui ajoute à la dictature du pouvoir la caution
islamique de la lâcheté des savants (ulamâ) ? Le silence eut été
préférable.
Il faut dénoncer l’inacceptable et demeurer aux côtés de celles
et de ceux qui résistent dans la dignité. S’il est une chose que
les gouvernements israéliens successifs savent, et avec laquelle
nous sommes d’accord, c’est que le peuple palestinien ne cédera
pas. Et pour ceux qui auraient quelques doutes, ajoutons à cette
certitude, une seconde vérité du temps : l’Histoire est du côté
des Palestiniens et ce sont eux qui représentent pour
aujourd’hui et pour demain l’espoir des valeurs humaines les
plus nobles. Résister à l’oppresseur, défendre ses droits
légitimes et sa terre, et ne jamais céder à l’arrogance et aux
mensonges des puissants. Quant aux pouvoirs israéliens,
égyptiens ou autres, ou encore les fatâwâ (plur. de fatwa) des
ulamâ appointés, ils passeront, ils passeront très certainement
et seront heureusement oubliés. Heureusement. Le devoir
de mémoire se meut en invitation à l’oubli quand il s’agit des
noms et des agissements des dictateurs, des traitres et des
lâches.
© Tariq Ramadan 2008
Les
textes de Tariq Ramadan
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