Témoignage -
Syrie
Kossayr : c'est
ainsi que tout a commencé
Suha Mustafa
Dimanche 27 mai 2012
Que se passe t-il
en Syrie ? En un an, des milliers de
personnes ont été tuées, mais qui les a
tuées ? Les témoignages que nous
publions sont représentatifs du drame
actuel. Souha Moustafa est partie à la
rencontre des survivants des
affrontements. Pas de ceux qui sont
employés et mis en scène par les agences
de communication occidentales en Turquie
et en Jordanie, mais des gens simples
qui fuient les combats.
La balle a pénétré le
corps de mon frère avant d’exploser dans
ses poumons, dit un jeune chrétien qui a
pu s’évader de Kossayr (ou Qusayr) et
s’installer à Damas. Mon frère,
ajoute-il, était ingénieur civil. Il
s’est rendu ce 18 février 2012 à Kossayr
pour nous dire au revoir avant de
regagner l’Allemagne, où il poursuivait
ses études. Arrivé ce jour-là en ville,
il s’est retrouvé au milieu d’un
accrochage entre les forces de l’ordre
et des milices terroristes. Pas loin de
la maison familiale, un policier
gravement blessé avait besoin de l’aide.
Mon frère s’est dirigé vers lui pour le
secourir. Mais il ne savait pas que la
mort l’attendait. Une balle a été tirée
par un franc-tireur.
Kossayr est désormais une ville
fantôme. Nous avons rencontré à Damas ce
jeune homme chrétien, qui a souhaité
préserver son anonymat. Il nous a
proposé de l’accompagner dans la
capitale, là où se sont réfugiés ses
amis et voisins, environ 150 familles
chrétiennes.
La vie n’est plus supportable à
Kossayr après la montée de la violence ;
les milices scandent des slogans
confessionnels, appellent à bannir
toutes les minorités ethniques ou
religieuses de la ville, conclut-il.
Notre interlocuteur demande à un
journaliste français : j’ai visité
plusieurs fois la France. J’ai pu
constater que les Français sont aimables
en général. Alors pourquoi Sarkozy est
comme ça ? Pourquoi soutient-il des
extrémistes sanguinaires qui cherchent à
nous massacrer ?
N’ayant pas reçu de réponse
immédiate, il a reprit : vous ne saviez
peut-être pas comment nous vivions
ensemble dans cette petite ville
frontalière avec le Liban ?
La ” révolte” a détruit des siècles
de bonne entente entre musulmans et
chrétiens dans la ville.
Au début, les manifestations se
déroulaient sans violence, jusqu’au
moment où des intrus, barbus, armés et
violents, sont apparus dans les rues.
C’était en mai 2011.
Ces miliciens, très excités,
commencèrent à dévaster la ville, à
enlever des hommes pour réclamer des
rançons, à piller, à incendier les
maisons et les commerces appartenant à
tous ceux qui refusaient de se ranger
dans leur camps, notamment les
chrétiens.
Les alaouites furent leurs premières
victimes [1],
puis les chrétiens [2],
poursuit une dame qui partageait un
appartement avec deux autres familles,
tout comme les 150 autres familles
chrétiennes réfugiées dans les banlieues
de Damas.
Elle ajoute : Quand ces fous d’Allah
se mirent à scander leur trop fameux
slogan, au su et au vu de tout le monde,
« Les alaouites dans les cercueils et
les chrétiens à Beyrouth ! », nous avons
eu peur. Leurs dignitaires religieux
—tout particulièrement le cheikh Arrour
[3]
qui pousse au crime ces jeunes
fanatiques à travers la chaine
saoudienne Wesal [4]—,
leur ont promis qu’ils accéderaient au
paradis céleste s’ils tuaient tous les «
infidèles ».
Dès lors, nos vies étaient
sérieusement menacées. Les familles
alaouites survivantes ont du quitter la
ville bien avant nous. Ce fut une
épuration confessionnelle. Ils ne
veulent plus de nous dans la région. Et
il fallait s’attendre au pire.
L’Armée «
syrienne » libre
Plus les jours passaient, plus la
situation sur le terrain se dégradait.
Avant, la plupart des miliciens qui
semaient la terreur étaient des jeunes,
de 15-25 ans, armés de kalachnikov.
Maintenant, il y en a de plus âgés. Ils
patrouillent la ville à bord des
camionnettes armées de mitrailleuses. Ce
sont eux qui font la loi.
Et l’armée, où elle est dans tout
cela ?, demandons-nous à ces familles
nous entourant.
Un des hommes présents répond. Selon
lui, l’intervention de l’armée était
nécessaire, et les gens l’ont réclamée.
Mais les soldats ne peuvent pas faire
face et des milliers d’entre eux ont
péris depuis le début des événements.
Les miliciens sont mieux armés qu’eux,
ils disposent non seulement d’armes
lourdes, mais aussi de systèmes de
communication ultra-sophistiqués, dont
l’État ne dispose pas.
Récemment, quelques jours avant que
nous quittions Kossayr, raconte une
jeune femme, j’ai vu deux hommes du
quartier attachés à deux grosses roues
d’un tracteur. C’étaient des sunnites,
comme les miliciens. Nous les
connaissions tous.
Ils étaient accusés à tort d’être des
indics des Renseignements généraux. Ce
n’étaient en fait que deux paisibles
pères de famille. Les miliciens les ont
brûlés vifs, attachés sur ces grosses
roues. Nous savons tous qu’ils ne
travaillaient pas pour la police. Ce
n’était qu’un prétexte. Ils les ont tués
parce qu’ils refusaient de payer «
l’impôt révolutionnaire ».
L’Armée «
syrienne » libre
À vrai dire, réplique un homme
d’une cinquantaine d’années : ces
miliciens que nous voyons depuis
bientôt un an, ne sont pas tous des
Syriens. Leur accent et leur manière
de s’habiller les trahissent.
Certains sont des Libanais de Wadi
Khaled et Arsal, des bourgs
limitrophes. D’autres sont des
arabes de diverses nationalités. Ils
sont tous venus en Syrie pour y
créer un émirat islamique. C’est
pourquoi ils veulent expulser du
pays tous ceux qui ne leur
ressemblent pas.
Nous ne sommes pas allés chercher
refuge à l’étranger, comme les
salafistes le veulent. Nous sommes
montés à Damas en attendant des
jours meilleurs où nous pourrons
retourner chez nous, dans nos
maisons, à Kossayr, car, nous sommes
chrétiens, nés ici, dans ce pays qui
est aussi le nôtre.
[1]
Les Alaouites sont des musulmans qui
rejettent la charia et les
obligations rituelles. Ils célèbrent
les principales fêtes chrétiennes,
sunnites et chiites. Ils sont
présents en Turquie, en Syrie et au
Liban. Les Takfiristes, soutenus par
les monarchies wahhabites (Arabie
saoudite, Qatar, émirat de Sharjah)
les considèrent comme des hérétiques
à massacrer en priorité. Pour
appeler au renversement de Bachar
el-Assad, les monarchies wahhabites
soulignent qu’il est alaouite, et
que les alouites sont
sur-représentés au sommet de l’État
syrien. La presse occidentale
assimile même les Alaouites au
régime baasiste, ce qui ne résiste
pas un instant à l’analyse.
[2]
C’est à Damas que Paul de Tarse eut
sa vision du Christ. La Syrie,
berceau historique du Christianisme,
abrite la plus vaste communauté
d’arabes chrétiens. Ils représentent
16 % de population (source :
CIA World Fact
Book 2012).
La majorité d’entre eux sont
orthodoxes.
[3]
Le cheikh Adnan Arrour est un
ex-sous-officier syrien réfugié en
Arabe saoudite pour des motifs
sordides de droit commun, n’ayant
aucune connotation politique ou
religieuse. Il est devenu le chef
spirituel de l’opposition armée.
[4]
Wesal TV
est un des principaux médias de la
haine au Proche-Orient. Ses
émissions visent à dénigrer les
différentes dénominations musulmanes
non-sunnites, et le christianisme.
Les imams de la chaîne lancent
fréquemment des fatwas proclamant
que l’assassinat de telle ou telle
personnalité syrienne est licite et
souhaitable.
Suha Mustafa,
journaliste syrienne
Traduction
Said Hilal Alcharifi
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