Opinion
Du bon côté de
l'Histoire
Sergueï Lavrov
Dimanche 17 juin
2012
La propagande
occidentale ne cesse de caricaturer la
position de la Russie face à la crise
syrienne. Elle reproche à Moscou de
soutenir Damas pour des motifs
mercantiles, voire par solidarité
criminelle. Sergey Lavrov ne traite pas
ici des choix stratégiques russe, mais
des principes auxquels s’astreint sa
diplomatie. Il répond patiemment aux
inepties des médias occidentaux,
rappelant l’attachement de Moscou au
droit international et sa préoccupation
de soutenir les peuples. M. Lavrov
oppose d’une part le soutien populaire
massif dont dispose le président el-Assad
et, d’autre part, l’illégitimité d’une
opposition armée à caractère sectaire,
soutenue de l’étranger.
Au cours de l’année
ou de l’année et demie passée, les
événements qui se sont enchaînés en
Afrique du Nord et au Proche-Orient ont
pris une place prépondérante parmi les
questions politiques à l’ordre du jour
au niveau mondial. Ils sont fréquemment
qualifiés d’épisode le plus saillant
dans la vie internationale de ce jeune
21è siècle. Des experts évoquent depuis
longtemps déjà la fragilité des régimes
autoritaires des pays arabes, ainsi que
les confrontations sociales et
politiques potentielles.
Il était cependant difficile de
prédire l’ampleur et la vitesse de la
vague de changement qui a déferlé sur la
région. En corollaire de la crise qui se
fait sentir dans l’économie mondiale,
ces événements ont clairement démontré
que le processus menant à l’émergence
d’un nouveau système international est
entré dans une période de turbulences.
À mesure que d’importants mouvements
sociaux apparaissaient dans les pays de
la région, il devenait plus urgent de
savoir, pour les acteurs extérieurs et
l’ensemble de la communauté
internationale, quelle politique
poursuivre. De nombreuses discussions
d’experts sur cette question, puis les
actions concrètes mises en œuvre par les
États et les organisations
internationales, ont fait ressortir deux
approches principales : soit aider les
peuples arabes à déterminer leur avenir
par eux-mêmes, ou alors tenter de
façonner une nouvelle réalité politique
en fonction de ce que l’on souhaite,
tout en tirant parti de
l’affaiblissement des structures
étatiques qui s’avéraient depuis
longtemps trop rigides. La situation
continue d’évoluer rapidement, ce qui
impose à ceux qui jouent un rôle de
premier plan dans les affaires
régionales de consolider enfin leurs
efforts, plutôt que de les disperser
dans des directions différentes comme le
feraient les personnages d’une fable
d’Ivan Krylov.
Permettez-moi de récapituler les
arguments que je développe régulièrement
en ce qui concerne l’évolution de la
situation au Proche-Orient. Tout
d’abord, la Russie, conjointement avec
la majorité des pays dans le monde,
encourage les aspirations des peuples
arabes à une vie meilleure, à la
démocratie et à la prospérité, et elle
est disposée à soutenir ces efforts.
C’est pour cela que nous avons bien
accueilli l’initiative du Partenariat de
Deauville lors du sommet du G8 en
France. Nous nous opposons fermement au
recours à la violence dans le cadre des
bouleversements en cours dans les États
arabes, en particulier contre les
civils. Nous savons pertinemment que la
transformation d’une société est un
processus complexe et généralement long,
qui s’opère rarement en douceur.
La Russie connaît probablement mieux
le véritable prix des révolutions que la
plupart des autres pays. Nous sommes
parfaitement conscients du fait que les
changements révolutionnaires
s’accompagnent toujours de revers
sociaux et économiques, de pertes de
vies humaines et de souffrances. C’est
exactement pour cela que nous défendons
une optique évolutive et pacifique pour
la mise en œuvre des changements
attendus de longue date au Proche-Orient
et en Afrique du Nord.
Cela étant dit, quelle doit être la
réponse dans l’éventualité que l’épreuve
de force entre les autorités et
l’opposition prenne la forme d’une
confrontation violente et armée ? La
réponse semble évidente : les acteurs
extérieurs doivent faire tout leur
possible pour d’une part mettre fin à
l’effusion de sang, et d’autre part
soutenir un compromis impliquant toutes
les parties du conflit. En décidant de
soutenir la résolution 1970 du Conseil
de Sécurité de l’ONU et en ne faisant
aucune objection à la résolution 1973
sur la Libye, nous estimions que ces
décisions contribueraient à limiter
l’usage excessif de la force et
poseraient les fondations d’un règlement
politique du conflit.
Malheureusement, les actions
entreprises par les pays membres de
l’OTAN dans le cadre de ces résolutions
ont conduit à une grave violation de ces
dernières, et au soutien à l’un des
belligérants de la guerre civile, avec
comme objectif de renverser le régime
existant, en écornant au passage
l’autorité du Conseil de Sécurité.
Il est inutile d’expliquer aux gens
accoutumés à la politique que le diable
est dans les détails, et que les
solutions drastiques impliquant l’usage
de la force ne peuvent aboutir à un
règlement viable à long terme. Et dans
les circonstances actuelles, alors que
la complexité des relations
internationales s’est considérablement
accrue, il devient évident que le
recours à la force pour résoudre les
conflits n’a aucune chance d’aboutir.
Les exemples abondent. On citera
notamment la situation compliquée en
Irak et la crise en Afghanistan, loin
d’être terminée. De nombreux éléments
tendent par ailleurs à indiquer que la
Libye, après le renversement de Mouammar
el-Kadhafi, est loin de bien se porter.
L’instabilité s’est propagée au-delà,
vers le Sahara et la région du Sahel,
engendrant une dramatique aggravation de
la situation au Mali.
L’Égypte constitue un autre exemple :
ce pays est loin d’être arrivé à bon
port, bien que le changement de régime
ne se soit pas accompagné d’importantes
flambées de violence et qu’Hosni
Moubarak, qui avait gouverné le pays
pendant plus de trente ans, ait quitté
le palais présidentiel de son plein gré
peu de temps après le début des
mouvements de protestation. Comment ne
pas s’inquiéter, entre autres problèmes,
des informations faisant état d’une
augmentation des affrontements
confessionnels et de violation des
droits de la minorité chrétienne.
Ainsi, les raisons poussant à adopter
l’approche la plus équilibrée vis-à-vis
de la crise syrienne, qui est la plus
aigüe de la région aujourd’hui, sont
plus que suffisantes. Il était clair que
suite aux événements en Libye, il était
impossible de suivre le Conseil de
Sécurité de l’ONU pour prendre des
décisions qui ne soient pas assez
explicites et qui permettraient aux
responsables de leur mise en œuvre
d’agir selon leur propre jugement. Tout
mandat confié au nom de l’ensemble de la
communauté internationale doit être
aussi clair et précis que possible afin
d’éviter l’ambigüité. Aussi est-il
important de comprendre ce qui se passe
réellement en Syrie, et comment aider ce
pays à franchir cette douloureuse étape
de son histoire.
Malheureusement, les analyses
qualifiées et honnêtes des
développements en Syrie et de leurs
conséquences potentielles manquent
cruellement. Bien souvent, s’y
substituent des images primitives et des
clichés de propagande en noir et blanc.
Depuis plusieurs mois, les principales
sources d’informations internationales
reproduisent des articles sur un régime
dictatorial corrompu matant brutalement
l’aspiration de son propre peuple à la
liberté et la démocratie.
Il semble néanmoins que les auteurs
de ces articles n’aient pas pris la
peine de se demander comment le
gouvernement pouvait parvenir à se
maintenir en place sans soutien
populaire depuis plus d’un an, en dépit
des sanctions étendues qui sont imposées
par les principaux partenaires
économiques du pays. Pourquoi une
majorité du peuple a-t-elle approuvé par
vote le projet de constitution proposé
par les autorités ? Pourquoi, après
tout, la plupart des soldats sont-ils
demeurés fidèles à leurs supérieurs ? Si
la seule explication est la peur, alors
pourquoi cette dernière n’a-t-elle pas
bénéficié à d’autres régimes
autoritaires ?
Nous avons déclaré à de nombreuses
reprises que la Russie ne défendait pas
le régime actuellement en place à Damas
et qu’elle n’avait aucune raison
politique, économique ou autre de le
faire. Nous n’avons jamais été un
partenaire commercial ou économique
important pour ce pays, dont le
gouvernement a communiqué principalement
avec les capitales des pays
ouest-européens.
Il n’en demeure pas moins clair, tant
à nos yeux qu’à ceux des autres, que la
principale responsabilité pour la crise
qui secoue le pays repose sur le
gouvernement syrien, qui a échoué à
emprunter le chemin de la réforme en
temps voulu ou à tirer les conclusions
des bouleversements profonds que
connaissent les relations
internationales. Tout cela est vrai. Il
existe néanmoins d’autres faits. La
Syrie est un État multiconfessionnel : y
vivent, en plus des musulmans sunnites
et chiites, des alaouites, des
orthodoxes et chrétiens d’autres
confessions, des druzes et des kurdes.
Durant les quelques dernières décennies
de gouvernance laïque du parti Ba’as, la
liberté de conscience a été respectée en
Syrie, et les minorités religieuses
craignent que, si le régime était
détruit, cette tradition pourrait
prendre fin.
Lorsque nous affirmons que ces
inquiétudes doivent être entendues et
prises en compte, nous sommes parfois
accusés de prendre des positions
équivalant à de l’anti-sunnisme et, plus
généralement, à de l’anti-islamisme.
Rien ne pourrait être plus éloigné de la
vérité. En Russie, des gens de diverses
confessions, la plupart d’entre eux des
chrétiens orthodoxes et des musulmans,
vivent côte à côte depuis des siècles.
Notre pays n’a jamais mené de guerre
coloniale dans le monde arabe, mais à
l’inverse a continuellement soutenu
l’indépendance des nations arabes et
leur droit à un développement
indépendant. Et la Russie n’a pas de
responsabilité à assumer pour les
conséquences de la domination coloniale,
marquée par les bouleversements des
structures sociales qui ont amené les
tensions persistant encore à ce jour.
Mon propos est différent. Si certains
membres de la société s’inquiètent de
potentielles discriminations sur la base
de la religion et de la nationalité
d’origine, alors les garanties
nécessaires devraient être fournies à
ces personnes, conformément aux
standards humanitaires internationaux
généralement acceptés.
Le respect des droits de l’homme et
des libertés fondamentales a
historiquement constitué, et continue de
constituer, un problème majeur pour les
États du Proche-Orient ; il est en outre
l’une des principales causes des «
révolutions arabes ».
Or la Syrie n’a jamais fait figure de
mauvais élève dans cette région, avec
son niveau de libertés civiques
incommensurablement plus élevé que celui
de certains autres pays qui entendent
aujourd’hui donner des leçons de
démocratie à Damas. Dans l’un de ses
derniers numéros, le magazine français
Le Monde Diplomatique a présenté
une chronologie des violations des
droits de l’homme commises par un grand
État du Proche-Orient, qui comprenait,
entre autres, l’application de 76
condamnations à mort pour l’année 2011
uniquement, et notamment pour des
accusations de sorcellerie. Si nous
souhaitons réellement promouvoir le
respect des droits de l’homme au
Proche-Orient, nous devons ouvertement
affirmer cet objectif. Si nous
proclamons que le fait de mettre un
terme à l’effusion de sang est notre
principal souci, alors nous devrions
nous concentrer précisément là-dessus ;
en d’autres termes, nous devons faire
pression pour obtenir un cessez-le-feu
dans un premier temps, puis promouvoir
l’initiation d’un dialogue inter-syrien
impliquant toutes les parties et avec
pour objectif la négociation d’une
formule de règlement pacifique de la
crise par les Syriens eux-mêmes.
La Russie exprime ces messages depuis
les premiers jours des troubles en
Syrie. Il apparaissait assez clairement
à nos yeux et, je suppose, aux yeux de
toute personne qui dispose de
suffisamment d’informations sur ce pays,
qu’exercer des pressions pour que Bachar
al-Assad soit immédiatement évincé, à
l’encontre du souhait d’un segment
considérable de la société syrienne qui
s’appuie sur ce régime pour sa sécurité
et son bien-être, reviendrait à plonger
la Syrie dans une guerre civile
sanglante et prolongée. Les acteurs
extérieurs responsables devraient aider
les Syriens à éviter ce scénario et à
instiguer des réformes évolutives plutôt
que révolutionnaires au sein du système
politique syrien, par le biais d’un
dialogue national plutôt que d’une
coercition exercée depuis l’extérieur.
Si l’on tient compte des réalités
actuelles de la Syrie, force est
d’admettre que le soutien unilatéral à
l’opposition, en particulier à sa
composante la plus belliqueuse, ne
conduira pas à la paix dans ce pays dans
un avenir proche, entrant donc en
opposition avec l’objectif de protection
des populations civiles. Ce qui semble
ainsi prévaloir dans ce choix, ce sont
les efforts visant à susciter un
changement de régime à Damas dans le
cadre d’une stratégie géopolitique
régionale plus large. Il ne fait aucun
doute que ces projets ciblent l’Iran,
sachant qu’un regroupement important de
pays comprenant les États-Unis, d’autres
pays membres de l’OTAN, Israël, la
Turquie et certains États de la région
semblent enclins à affaiblir le
positionnement régional de ce pays.
L’éventualité d’une frappe militaire
contre l’Iran est un thème sujet à
beaucoup de débats aujourd’hui.
J’insiste régulièrement sur le fait
qu’une telle option aurait des
conséquences graves, et même
catastrophiques. La tentative de
trancher le nœud gordien de problèmes
anciens est vouée à l’échec.
Rappelons-nous à cet égard que
l’invasion militaire de l’Irak par les
États-Unis fut par le passé considérée
comme une « occasion unique » pour
transformer les réalités politique et
économique du « Proche-Orient élargi »
de manière rapide et décisive, en
faisant ainsi une région alignée sur le
« modèle européen » de développement.
En faisant abstraction des questions
relatives à l’Iran, il reste que, de
toute évidence, le fait d’attiser les
troubles intra-syriens est susceptible
de déclencher des processus qui auraient
un impact sur la situation d’un vaste
territoire entourant la Syrie, et ce de
manière négative, avec des conséquences
dévastatrices tant pour la sécurité
régionale que pour la sécurité
internationale. Parmi les facteurs de
risques figurent la perte de contrôle de
la frontière israélo-syrienne,
l’envenimement de la situation au Liban
et dans d’autres pays de la région, des
armes tombant dans de « mauvaises mains
», notamment dans celles d’organisations
terroristes et, peut-être le plus
dangereux, une aggravation des tensions
et contradictions interconfessionnelles
au sein du monde islamique.
***
Si l’on remonte aux années 90, Samuel
Huntington soulignait dans son essai
Le choc des civilisations la
tendance qu’avait la notion d’identité
basée sur la civilisation et la religion
à gagner en importance dans l’ère de la
mondialisation ; il démontrait en outre
de façon convaincante la relative
diminution de la capacité de l’Ouest
historique à étendre son influence. Il
serait certainement exagéré de tenter
d’élaborer un modèle des relations
internationales modernes en se basant
uniquement sur de tels postulats. Il est
pourtant aujourd’hui impossible
d’ignorer cette tendance. Elle est
soutenue par un éventail de facteurs
distincts, notamment des frontières
nationales moins hermétiques, la
révolution de l’information qui a mis en
lumière l’inégalité socio-économique
manifeste, et le désir croissant des
peuples d’une part de préserver leur
identité dans de telles circonstances,
et d’autre part d’éviter de se voir
inscrits dans la liste historique des
espèces menacées d’extinction.
Les révolutions arabes démontrent
sans conteste une volonté de retour aux
racines de la civilisation, volonté qui
se manifeste par une large adhésion
populaire aux partis et mouvements
agissant sous l’étendard de l’Islam.
Cette tendance n’est pas apparente que
dans le monde arabe. On pourrait citer
la Turquie, qui se positionne plus
activement comme acteur majeur de la
sphère islamique et de la région
environnante. Des pays asiatiques, dont
le Japon, affirment plus haut leur
identité.
Une telle situation atteste encore
davantage du fait qu’à un schéma binaire
simple (sinon simpliste) datant de la
Guerre froide, décrit en termes de
paradigmes Est-Ouest,
capitalisme-socialisme, Nord-Sud, vient
se substituer une réalité géopolitique
multidimensionnelle qui ne laisse pas de
place à l’identification d’un facteur
dominant unique. La crise financière et
économique mondiale a mis en valeur les
discussions sur le fait qu’un quelconque
système puisse occuper une position
dominante dans un quelconque domaine que
ce soit, qu’il s’agisse de l’économie,
de la politique ou de l’idéologie.
Il ne fait plus aucun doute que dans
le cadre élargi qui définit le
développement de la plupart des États et
qui se caractérise par la gouvernance
démocratique et une économie de marché,
chaque pays choisira indépendamment son
propre modèle politique et économique,
en accordant la place qui leur est due
aux traditions, à la culture et à
l’histoire qui sont les siennes. En
conséquence de cela, le facteur de
l’identité basée sur la civilisation
exercera vraisemblablement une influence
plus importante sur les relations
internationales.
Sur le plan pratique de la politique,
ces conclusions ne peuvent suggérer
qu’une chose : les tentatives d’imposer
son propre ensemble de valeurs sont
totalement futiles et ne risquent de
conduire qu’à une dangereuse aggravation
des tensions entre les civilisations.
Cela ne sous-entend aucunement que nous
devons renoncer complètement à nous
influencer les uns les autres et à
promouvoir une bonne image de notre pays
sur la scène internationale.
Néanmoins, cela devrait être fait en
employant des méthodes honnêtes et
transparentes qui stimuleront la
diffusion de la culture, de l’éducation
et de la science nationales tout en
faisant preuve d’un respect total
vis-à-vis des civilisations des autres
peuples, en guise de mesures de
protection de la diversité mondiale et
d’estime de la pluralité dans les
affaires internationales.
Il apparaît clairement que les
espoirs visant à appliquer des
technologies de pointe pour la
dissémination des informations et la
communication, notamment les réseaux
sociaux, afin de changer la mentalité
d’autres peuples, créant de fait une
nouvelle réalité, sont à long terme
condamnés à l’échec. L’offre, sur le
marché des idées d’aujourd’hui, est bien
trop diversifiée, et des méthodes
virtuelles ne sauraient engendrer qu’une
réalité virtuelle, à moins bien entendu
que nous nous en remettions à une
mentalité du type Big Brother de
George Orwell, et dans ce cas nous
pouvons renoncer d’emblée à la notion de
démocratie dans son intégralité, non
seulement dans les pays qui sont soumis
à une telle influence, mais également
dans ceux qui l’exercent.
Le développement d’une échelle
universelle de valeurs et de préceptes
moraux devient une question politique de
premier plan. Une telle échelle pourrait
constituer les fondations d’un dialogue
respectueux et fructueux entre les
civilisations, basé sur l’intérêt commun
qu’est la réduction de l’instabilité
accompagnant la création d’un nouveau
système international, et visant à
finalement établir un ordre mondial
solide, efficace et polycentrique. Dans
cette perspective, nous ne pouvons
garantir la réussite qu’en excluant les
approches en noir-et-blanc, ce qui
implique de traiter autant la question
des préoccupations exagérées au sujet
des droits des minorités sexuelles,
qu’au contraire les efforts visant à
faire remonter au niveau politique
d’étroits préceptes moraux qui
satisferaient un groupe et violeraient
les droits naturels d’autres citoyens,
en particulier ceux d’autres
confessions.
***
Les crises, dans les relations
internationales, atteignent une certaine
limite qui ne peut être franchie sans
porter atteinte à la stabilité mondiale.
C’est pourquoi le travail visant à
éteindre les incendies régionaux, y
compris les conflits intérieurs aux
États, devrait être réalisé de façon
aussi considérée que possible, sans
qu’un quelconque double standard soit
appliqué. L’emploi du « bâton des
sanctions » mène toujours dans
l’impasse. Toutes les parties prenantes
dans les conflits intérieurs doivent
être assurées du fait que la communauté
internationale formera un front uni et
agira conformément à des principes
stricts afin de mettre fin à la violence
aussi rapidement que possible et
d’aboutir à une solution mutuellement
acceptable par le biais d’un dialogue
impliquant toutes les parties.
À l’égard des crises intérieures, la
Russie n’obéit qu’à de tels principes,
ce qui explique nos positions sur la
situation en Syrie. C’est pourquoi nous
avons apporté notre soutien total et
sincère à la mission de l’envoyé spécial
pour l’ONU et la Ligue Arabe, Kofi
Annan, visant à trouver un compromis
mutuellement acceptable aussi rapidement
que possible. Les déclarations de la
présidence et les résolutions du Conseil
de sécurité de l’ONU à ce sujet
reflètent les approches que nous avons
défendues depuis le début des troubles
en Syrie ; ces idées sont en outre
reflétées dans notre déclaration
conjointe avec la Ligue des État Arabes
adoptée le 10 mars 2012.
Si nous parvenions à mettre en
application ces approches en Syrie,
elles pourraient devenir un modèle
d’assistance internationale pour la
résolution des futures crises.
Le fondement des « six principes » de
Kofi Annan est de garantir la fin des
violences, peu importe d’où elles
émanent, et d’initier un dialogue
politique conduit par la Syrie et dont
la mission serait de répondre aux
préoccupations et aux aspirations du
peuple syrien. Ce dialogue aurait pour
but d’aboutir à une nouvelle
configuration politique en Syrie qui
tiendrait compte des intérêts de tous
les groupes qui constituent sa société
multiconfessionnelle.
Il est nécessaire d’encourager la
préparation et la mise en application
d’accords destinés à résoudre le conflit
sans prendre partie, de récompenser ceux
qui les respectent et de nommer
clairement ceux qui s’opposent au
processus de paix. Pour y parvenir, un
mécanisme d’observation impartial est
impératif, et un tel mécanisme a été mis
en place conformément aux résolutions
2042 et 2043 du Conseil de Sécurité de
l’ONU. Des observateurs militaires
russes sont présents au sein de l’équipe
internationale d’observation.
Malheureusement, le processus de mise
en œuvre du plan de Kofi Annan pour la
Syrie progresse avec de grandes
difficultés. Le monde s’est ému de
massacres de civils désarmés, dont la
tragédie qui s’est déroulée dans le
village de Houla le 25 mai 2012 et les
terribles violences ultérieures dans les
environs de Hama. Il est important de
clarifier les responsabilités dans ces
événements, et d’en punir les
responsables. Personne n’a le droit
d’usurper le rôle de juge et d’utiliser
ces événements tragiques pour atteindre
ses propres objectifs politiques. Le
fait de renoncer à de telles tentatives
permettra de mettre un terme à la
spirale de violence en Syrie.
Ceux qui affirment que la Russie «
est en train de sauver » Bachar al-Assad
ont tort. Je souhaite insister sur le
fait que c’est le peuple syrien lui-même
qui choisit le système politique et les
dirigeants de son pays. Nous n’essayons
d’aucune façon de blanchir les
nombreuses erreurs et mauvais calculs de
Damas, notamment l’usage de la force
contre des manifestations pacifiques aux
prémices de la crise.
À nos yeux, la question de savoir qui
est au pouvoir en Syrie n’est pas
primordiale ; il est impératif de mettre
fin aux morts de civils et d’initier un
dialogue politique dans des conditions
où la souveraineté, l’indépendance et
l’intégrité du pays seront respectées
par tous les acteurs extérieurs. Aucune
violence ne saurait être justifiée. Le
bombardement de zones résidentielles par
les troupes gouvernementales est
inacceptable, mais cette condamnation ne
doit pas valoir indulgence vis-à-vis des
actes terroristes perpétrés dans les
villes syriennes, des meurtres commis
par les insurgés qui s’opposent au
régime, y compris ceux d’Al-Qaïda.
La logique dictant la nécessité de
rompre le cercle vicieux de la violence
s’est manifestée par le soutien unanime
des membres du Conseil de sécurité de
l’ONU au plan Annan. Nous nous
offusquons des déclarations et actions
de certains acteurs impliqués dans la
crise syrienne, qui font preuve de leur
intérêt à voir les efforts de l’Envoyé
spécial échouer. Parmi elles figurent
les appels de la direction du Conseil
national syrien (CNS) pour une
intervention étrangère. Comment de
telles déclarations seraient
susceptibles d’aider les soutiens du CNS
à réunir l’opposition syrienne sous leur
égide, rien n’est moins clair. Nous
cautionnons l’intégration de
l’opposition syrienne uniquement sur la
base d’un dialogue politique avec le
gouvernement, en totale conformité avec
le plan Annan.
La Russie continue, de façon
quasi-quotidienne, à travailler
conjointement avec les autorités
syriennes, les pressant de se conformer
intégralement aux six points proposés
par Kofi Annan et de renoncer
définitivement à leur illusion selon
laquelle la crise politique syrienne
s’éteindra par elle-même d’une façon ou
d’une autre. Nous travaillons également
aux côtés de représentants de
pratiquement toutes les branches de
l’opposition syrienne. Nous sommes
convaincus que si nos partenaires
s’activent dans le même état d’esprit,
sans mobiles cachés ni doubles
standards, un règlement pacifique de la
crise syrienne est possible. Nous devons
peser de tout notre poids sur le régime
et sur l’opposition pour les amener à
interrompre les hostilités et à se
réunir à la table des négociations. Nous
considérons qu’il est important de
mettre collectivement en œuvre des
initiatives en ce sens, et de réunir une
conférence internationale des États
directement impliqués dans la crise
syrienne. C’est avec à l’esprit le même
objectif que nous entretenons des
contacts rapprochés avec Kofi Annan et
d’autres partenaires.
Ce n’est qu’en agissant de la sorte
que nous pourrons éviter que le
Proche-Orient ne sombre dans l’abysse
des guerres et de l’anarchie et, comme
il est de bon ton de l’affirmer, que
nous pourrons rester du bon côté de
l’Histoire. Nous avons la certitude que
les autres formules impliquant une
intervention extérieure en Syrie, qui
vont du blocage des chaînes de
télévision déplaisantes aux yeux de
certains, à l’accroissement des
livraisons d’armes aux groupes
d’opposition, voire à des frappes
aériennes, n’apporteront la paix ni à ce
pays, ni à la région dans son ensemble.
Ce qui signifie que ces solutions ne
seront pas justifiées par l’Histoire.
Sergueï Lavrov,
Ministre des Affaires étrangères de la
Fédération de Russie.
Traduction non-officielle du
Réseau Voltaire.
Le ministère russe des Affaires
étrangères devrait publier une
version française officielle dans
les prochaines semaines.
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commons
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