Palestine - Israël
Comment relancer le processus de
paix ?
Sergio Yahni

Abbas - Olmert - Photo CPI
12 septembre 2007 Le
temps des négociations bilatérales est passé et avec lui a
disparu l’idée d’une solution à « deux Etats »...
La conférence convoquée par les Etats-Unis ne pourra pas sortir
de cette impasse.
Les sondages d’opinion montrent qu’Israéliens
et Palestiniens n’ont plus confiance dans une résolution de
paix basée sur la formule à « deux Etats ».
Nous sommes au milieu d’une nouvelle reprise du
processus de paix au Moyen-Orient. Sept ans après la faillite du
processus de paix d’Oslo, les conditions politiques en Israël
et pour l’Autorité palestinienne, de même qu’en Europe et
aux Etats-Unis, semblent remplies.
Depuis l’échec du gouvernement d’union
nationale palestinien en juin de cette année, la révocation d’Ismail
Haniyeh, du Hamas, en tant que Premier ministre et la constitution
par décret d’un gouvernement palestinien dirigé par Salam
Fayyad, les Etats-Unis et l’Europe ont entrepris d’amener Israël
et l’Autorité palestinienne à la table de négociations. Des
émissaires internationaux se sont déplacés régulièrement dans
la région, essayant de rapprocher les parties. De plus, l’Union
européenne a organisé différentes rencontres dans les sociétés
civiles locales pour promouvoir la « paix par le bas ».
C’est sur cette toile de fond que
l’administration US a voulu une conférence régionale pour la
paix afin de conclure. La presse israélienne prétend que la conférence
aura lieu à Washington DC courant novembre. Nous devons nous
demander cependant, étant donné le contexte politique existant,
si cette conférence régionale pour la paix parrainée par les
USA aura quelque capacité réelle à sortir de l’impasse
politique.
Il est essentiel que nous mesurions bien l’écart
important qui existe toujours entre la proposition probable de résolution
par Israël et les exigences minimales palestiniennes. Israël et
les Etats-Unis exigent la reconnaissance palestinienne des
« réalités sur le terrain » et le droit de
contourner le droit international et les résolutions concernées
des Nations unies. Autrement dit, ils insistent pour que l’Autorité
palestinienne accepte la création d’un Etat palestinien dont
les frontières seront définies par le tracé alambiqué et
usurpateur du mur de séparation. De l’autre côté, un
consensus politique palestinien exige un Etat palestinien sur tous
les territoires occupés par Israël en 1967 ainsi que le respect
du droit international et des résolutions des Nations unies.
D’une façon générale, les analystes européens
et américains divisent l’arène politique palestinienne en
radicaux et en modérés ; ils considèrent que Mahmoud Abbas
et le gouvernement qu’il a désigné en juin de cette année
sont des modérés en se fondant sur l’hypothèse qu’ils vont
finir par accepter les exigences américaines et israéliennes.
Mais la façon de voir de Mahmoud Abbas est loin
de celle de l’opinion publique palestinienne dominante. Selon un
sondage réalisé par le centre de média et de communication de Jérusalem
(JMCC), la plupart des Palestiniens sont opposés à un accord qui
maintiendrait les blocs de colonies sur les territoires occupés
par Israël en 1967 et à des concessions sur Jérusalem, de plus
ils soutiennent le droit au retour du peuple palestinien. (1)
Dans le même temps, aussi longtemps que le président
Abbas sera le chef légitime de l’Etat avec un gouvernement
inconstitutionnel, il ne pourra signer aucun accord cédant sur
des concessions substantielles en opposition avec le consensus
national palestinien.
Selon l’article 110 (1) de la Loi fondamentale
palestinienne (2), le président « a le pouvoir de former un
gouvernement par décret » quand il y a menace contre la sécurité
nationale en raison d’une guerre, d’une invasion, d’une
insurrection armée, ou lors d’une catastrophe naturelle, pour
une durée n’excédant pas trente (30) jours. » Cet état
d’urgence ne peut être prolongé de 30 jours supplémentaires
qu’avec l’approbation des deux tiers du parlement.
Du fait qu’un tiers des députés palestiniens
sont dans les prisons israéliennes et qu’Israël impose des
restrictions aux déplacements des députés restants, le Conseil
législatif palestinien (CLP) ne pouvait qu’en théorie se réunir
pour débattre d’une prolongation de l’état d’urgence pour
une seconde période en août ou voter la confiance au
gouvernement désigné de Salam Fayyad (3). Cependant, il est peu
probable que le CLP actuel, qui a une majorité Hamas, approuve
l’état d’urgence du gouvernement de Salam Fayyad.
L’Autorité palestinienne peut revenir à la
constitutionnalité soit par la libération des députés
emprisonnés soit par de nouvelles élections. Seul, un
gouvernement autorisé et légitimé par la constitution
palestinienne aura le pouvoir de négocier avec Israël. Dans le
cas contraire, les accords signés par l’Autorité palestinienne
risquent d’être jugés illégitimes.
Ce ne sera pas la première fois qu’Israël
signera un accord de paix avec un gouvernement dépourvu de légitimité.
Le 17 mai 1983, Israël a signé un accord de paix avec le Liban
après trois mois de négociations avec les Etats-Unis comme médiateur.
L’accord n’a jamais été ratifié par le gouvernement
libanais et n’a jamais été mis en application.
En Israël, Olmert est à la tête d’un
gouvernement faible. La coalition au gouvernement s’appuie sur
Israel Betinu, un parti d’extrême droite, et sur le Shas, un
parti ultra orthodoxe. Ces deux partis sont favorables à
l’extension des colonies et s’opposent actuellement même au démantèlement
des avant-postes non autorisés construits après mars 2002, comme
stipulé par la Feuille de route.
Olmert a aussi des problèmes à l’intérieur de
son propre parti, le Kadima, où il est confronté à une forte
opposition à droite qui voit un risque inutile dans toute
concession substantielle faite à l’Autorité palestinienne (4).
La droite du Kadima exige qu’Olmert ne fasse aucune concession
politique à l’Autorité palestinienne sans qu’il y ait
d’abord concertation au sein du parti.
Selon une enquête d’opinion périodique réalisée
par le centre Tami Steinmetz pour la recherche de la paix (TSC)
sur l’attitude des Israéliens à l’égard de la paix, il
ressort que la majorité d’entre eux ne croient pas possible la
paix avec l’Autorité palestinienne. Par conséquent, « bien
qu’une minorité importante de juifs israéliens soutiennent un
large retrait israélien de Cisjordanie (sauf des grands blocs de
colonies), une majorité n’approuve pas un tel désengagement même
s’il s’inscrit dans le cadre d’un accord de paix avec les
Palestiniens. » (5)
Des analystes israéliens, tel qu’Akiva Eldar,
pensent que la proposition la plus favorable qu’Olmert peut
faire au président Abbas est un Etat palestinien dont les frontières
seront le mur de séparation, avec quelques quartiers de Jérusalem-Est,
quelques échanges de territoires, et un compromis compliqué sur
la Vieille Ville de Jérusalem. Akiva Eldar prétend qu’afin
d’apaiser Israel Bitenu, Olmert pourrait proposer que le
Triangle arabe, une région densément peuplée de citoyens
palestiniens en Israël, à l’ouest de la Ligne verte entre
Tulkarem et Qalqilya, soit inclus dans le futur Etat palestinien.
Les Palestiniens devront alors abandonner le droit au retour,
accepter la réinsertion des réfugiés à l’extérieur de la
Palestine ou en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Les résultats
de l’enquête de TSC montrent que même ces concessions sont
trop éloignées de l’opinion publique israélienne. (6)
Cette proposition sera rejetée par l’opinion
publique et les forces politiques palestiniennes, y compris le
Fatah, et ne pourrait être imposée à la société palestinienne
que par la force.
Les sondages d’opinion montrent qu’Israéliens
et Palestiniens n’ont plus confiance dans une résolution de
paix basée sur la formule à « deux Etats ». De plus,
cette formule, dans ses différentes interprétations, est au cœur
de l’impasse actuelle. Qui plus est, la conférence convoquée
par les Etats-Unis ne pourra pas sortir de cette impasse car cette
conférence va essayer de dicter une interprétation spécifique
de la signification de deux Etats.
Le temps des négociations bilatérales est passé
et avec lui a disparu l’idée d’une solution à « deux
Etats ». La seule possibilité est de remplacer les négociations
basées sur cette formule par des accords multilatéraux.
Aujourd’hui, le seul cadre multilatéral est
celui proposé par la Ligue arabe, lequel comprend des négociations
multilatérales entre Israël et les membres de la Ligue où, une
fois achevées, Israël signerait des accords de paix et serait
reconnu par tous les Etats de la Ligue, en échange d’un retour
complet à ses frontières du 4 juin 1967 et d’une solution à
la question des réfugiés palestiniens. Autrement, des
discussions multilatérales peuvent aussi se tenir dans le cadre
des Nations unies en vertu des stipulations du droit international
et des résolutions concernées des Nations unies.
Toutefois, il nous faut aussi considérer que
peut-être l’idée des deux Etats s’est perdue dans une réalité
créée par plus de 40 ans d’occupation israélienne. Si c’est
le cas, alors la seule issue démocratique est l’instauration
d’un Etat unique partagé. Toute autre alternative
n’aboutirait simplement qu’à un Etat d’apartheid.
Notes
1 - JMCC, sondage n° 62, août
2007. (pdf)
2 - Projet d’amendement à la loi
fondamentale pour l’Autorité nationale palestinienne, 2003.
3 - Cependant, selon la
constitution palestinienne, le gouvernement Haniyeh est aussi
inconstitutionnel. Selon l’article 81 (6) de la loi fondamentale
palestinienne, le président de l’Autorité palestinienne a le
pouvoir de révoquer le Premier ministre et de contraindre le
gouvernement à démissionner.
4 - Voir Mazal Mualem, Haaretz, 4
septembre 2007.
5 - Le centre Tami Steinmetz pour
la recherche de la paix (TSC) à l’université de Tel Aviv,
index Paix, juillet 2007.
6 - Akiva Eldar, Haaretz, 23 août
* Sergio Yahni travaille avec l’Alternative
Information Center (AIC) à Jérusalem
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