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Ha'aretz

Hébétement à Tira
Sayed Kashua


Sayed Kashua - Photo Gezett.de

Comment introduire une chronique de Sayed Kashua ? En disant qu¹il brise les schémas convenus ? Ce serait un peu court. Ici, il y a un peu de tout, dont la parano (probablement la denrée la plus abondante dans la région), la position inconfortable d¹un écrivain arabe israélien tenté par un retour aux sources dans son village natal mais attiré par Tel Aviv, et une très jolie confusion langagière. Ceux qui y chercheront une signification politique, dans un sens ou dans un autre, la trouveront à coup sûr.
 
Ha'aretz, 25 août 2007
 
http://www.haaretz.com/hasen/spages/896789.html
 
Je ne sais pas ce que j¹ai ces derniers temps. Encore une période pleine de pression, de confusion, d¹instabilité, d¹hyperactivité, de nuits écourtées, de mauvais rêves, de cauchemars en plein jour, d¹accès d¹hypocondrie, de sentiments de suffocation, de suées, de vomissements, de boisson inconsidérée, de cigarettes non-stop, de perte d¹appétit, d¹impuissance, d¹envies sexuelles, de mal à l¹estomac et aux muscles, de picotements des yeux, d¹oreilles qui bourdonnent. Il fallait que je parte de là. Peu importait où. Je me suis dit qu¹aller chez mes parents me changerait certainement les idées. A Tira, je serais entouré par la famille qui me protégerait et m¹envelopperait de son amour. C¹était la période des vacances, alors où était le problème ? Au contraire, les enfants seraient ravis. Sur la route, la radio annonça que c¹était un type du village de Manda qui avait subtilisé le pistolet du vigile dans la Vielle Ville de Jérusalem et qui s¹était fait tuer.
 
Ma femme rompit le silence : « Pourquoi a-t-il fait ça ? Maintenant, ils vont nous haïr ».
 
­ « De toute façon, ils ne nous aiment pas », dis-je. J¹étais content de la conversation. En général, et cela est plus évident encore pendant les voyages, ma femme et moi n¹échangeons pas un mot. Aller à Tira ou à Eilat ne change rien : le silence total.
 
­ « Oui, mais maintenant, ils vont nous haïr encore plus ».
 
Penser à ce qui s¹était passé dans la Vieille Ville, aux Arabes et aux Juifs, me calma et me fit penser à autre chose qu¹à mes sentiments dépressifs. Vous savez, parfois, je suis reconnaissant à Dieu de vivre ici. La politique, les guerres, les check points, les avions, me distraient des vrais problèmes douloureux, auxquels je ne comprends rien.
 
­ « Tu sais », dis-je à ma femme, et pour la première fois de la semaine, j¹ai souri, « si nous habitions un endroit calme, la Nouvelle-Zélande par exemple, nous aurions divorcé depuis longtemps, c¹est sûr. Je veux que tu saches qu¹à cause de ce conflit, je t¹aime beaucoup plus ». Nous avions passé Ben Shemen. Ma femme n¹avait pas répondu. Elle s¹était endormie.
 
Tira eut sur moi un effet Prozac. Je le savais, d¹ailleurs, et c¹était le but, non ? Les parents, les frères et s¦urs, les neveux et nièces, la nourriture, les gâteaux, la télé grand écran, la climatisation, le réfrigérateur plein à craquer, et par-dessus tout, l¹horloge murale qui prouve qu¹ici, le temps passe beaucoup plus lentement.
 
On mangeait de la pastèque en regardant les infos. Tiens, encore une vedette arabe : un chauffeur de camion qui avait broyé une voiture et tué la moitié d¹une famille. Ca ressemblait à la pub contre les accidents de la route qui dit quelque chose comme « vous pouvez être un terroriste sans commettre un attentat ». Et voilà le chauffeur à la télé, insultant les photographes, crachant, sans remords, menaçant. Un monstre, un assassin. Un terroriste.
 
­ « S¹il avait été juif, est-ce qu¹on l¹aurait filmé comme ça ? » demanda mon père, en crachant des cosses de graines de tournesol. « On manque de Juifs qui ont tué des gens dans des accidents ? »
 
Je suis heureux. J¹ai retrouvé mon appétit. La sensation de dépression s¹est envolée. Mes enfants qui courent partout dans la maison avec mes neveux et nièces me ramènent 30 ans en arrière, le bon vieux temps, l¹époque de Tira. Qu¹est-ce qui m¹a pris de quitter cet endroit ? Durkheim, que j¹avais lu pour un cours d¹introduction à la sociologie, avait raison : les urbains se donnent la mort plus facilement que les ruraux. Je parle de suicide en solo, pas pour des motifs nationalistes.
 
Le type de la Vieille Ville apparut de nouveau à l¹écran. Ici, tout le monde pense qu¹il s¹agit d¹un complot. Le vigile a attaqué le premier, c¹est un fait. Le film a été monté. Où sont les rushes ? Où est la soi-disant preuve de l¹assassinat ? L¹Arabe israélien n¹est pas coupable, impossible. Ce sont eux qui ont commencé, pas lui. Et moi, avec un sentiment de soulagement, faisant suivre la pastèque fraîche d¹une tasse de café bouillante à la cardamome, je me renversai sur le canapé et demandai, très très tranquillement : « Pourquoi vous sentez-vous attaqués à cause d¹un type isolé de Manda ? »
 
­ « Parce que c¹est comme ça que ça marche dans ce pays. Un Arabe commet un attentat terroriste et tous les autres sont coupables », dit ma femme.
 
­ « Terrorisme ? Dis donc, la propagande marche bien sur toi », dis-je calmement. « Réfléchis une minute. Il s¹agit de vigiles armés d¹Ateret Cohanim (1) qui violent brutalement la Vieille Ville. »
 
­ « Attends », dit mon père. « Depuis quand es-tu devenu nationaliste ? »
 
­ « Je ne suis pas nationaliste », dis-je, mais mon père n¹avait pas entendu.
 
­ « Si c¹est ce que tu penses, pourquoi y a-t-il des Arabes qui écrivent que tu es un collabo ? »
 
­ « Qui a écrit ça ? »
 
­ « Quoi, tu ne lis pas les journaux ? », dit mon père, et il en sortit un immédiatement
 
Je lus, ressentis des douleurs d¹estomac et une envie de vomir. Mes oreilles commencèrent à bourdonner. Picotement des yeux. Hyperactivité, sentiment de suffocation, et par-dessus tout, envie de me tirer de là.
 
­ « Où ça ? » cria ma femme alors que je me ruais hors de la maison.
 
Il fallait que j¹aille voir Tewfik, mon copain. Un Arabe, d¹accord, mais totalement tel-avivien. Et, comme tout tel-avivien qui se respecte, il me méprise parce que j¹habite Jérusalem.
 
­ « Il est clair que tu es déprimé », dit-il après notre accolade. « Comment peux-tu vivre dans une ville aussi lourde ? Toute la politique et la merde de ce pays. »
 
­ « C¹est vrai, tu as raison », dis-je. Je me sentais déjà mieux sur son canapé. « A Jérusalem, tu ne trouveras pas de rue avec un nom aussi cool et aussi joli que la tienne. Là-bas, tous les noms de rue évoquent des guerres et des catastrophes. »
 
­ « De quelle rue parles-tu ? »
 
­ « Ben, de la tienne, Sderot Hen, l¹avenue de la grâce. Quel beau nom. Il annoncerait presque la paix. »
 
­ « Tu déconnes ou quoi ? Hen, ce sont les initiales de Haïm Nakhman. »
 
­ « Quoi, ce type-là ? »
 
­ « Bialik. » (2)
 
(1) Ateret Cohanim : groupe religieux qui s¹est fixé pour objectif de « racheter » le plus possible de maisons arabes à Jérusalem-Est.
 
(2) Bialik (1873-1934) est LE « poète national » d¹Israël. Pour comprendre la confusion de Sayed Kashua (et il n¹est pas le seul à la faire, loin de là), il faut savoir qu¹en hébreu, l¹utilisation des acronymes est très
fréquente.

Trad. : Gérard pour 



Source : Liste de diffusion La Paix Maintenant
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