Les événements en Syrie. Quel camp avez-vous
choisi ?
La Syrie et
l'impérialisme étasunien
Sara Flounders
Bachar el-Assad - Photo: Sana
Dimanche 22 mai 2011
Quand l’impérialisme américain s’engage dans une agression
contre l’un ou l’autre gouvernement ou mouvement, il est
essentiel que les mouvements ouvriers et les mouvements
politiques progressistes en faveur du changement puissent
collecter le maximum d’informations disponibles et prendre
position.
Il est lâche de rester neutre et c’est une trahison à l’égard de
sa classe que de se ranger dans le même camp que celui de la
pieuvre impérialiste qui cherche à dominer le monde.
C’est le b a ba des mouvements ouvriers depuis un siècle et demi
de lutte des classes. C’est la base même du marxisme. Cela se
retrouve dans les chants syndicaux qui posent la question : «
Which side are you on ? » (De quel côté êtes-vous ?) et chez les
organisateurs ouvriers qui ne cessent de répéter « En blesser
un, c’est les blesser tous. »
Une explosion sociale ébranle le monde arabe. L’impérialisme
américain et tous les anciens régimes qui lui sont liés dans la
région tentent désespérément de gérer et de contenir ce
soulèvement de masse incessant dans des voies qui ne mettent pas
en péril la domination impérialiste sur le Proche et
Moyen-Orient.
Les États-Unis et leurs collaborateurs essaient également de
diviser et de saper les deux ailes de la résistance – les forces
islamiques et les forces nationalistes laïques – qui, ensemble,
ont renversé les dictatures soutenues par les États-Unis en
Égypte et en Tunisie. On assiste actuellement à un effort
américain concerté en vue de dresser ces mêmes forces politiques
contre deux régimes de la région qui, dans le passé, se sont
opposés à la domination américaine : en Libye et en Syrie.
Ces derniers pays ont tous deux leurs propres problèmes de
développement, lesquels sont exacerbés par la crise capitaliste
mondiale en général et par des décennies de compromis qu’on leur
a imposés du fait qu’ils tentaient de survivre dans un
environnement hostile d’attaques incessantes – politiques et
parfois militaires, le tout comprenant également des sanctions
économiques.
Les bombardements de la Libye des œuvres des États-Unis et de
l’Otan ont clairement montré où en est l’impérialisme vis-à-vis
de ce pays. Les exploiteurs transnationaux sont bien décidés à
s’emparer totalement des réserves pétrolières les plus riches de
l’Afrique et de mettre un terme au flux de milliards de dollars
par lequel la Libye contribuait au développement de pays
africains beaucoup plus pauvres.
La Syrie est également visée par l’impérialisme – en raison de
sa défense héroïque de la résistance palestinienne des décennies
durant et de son refus de reconnaître l’occupation sioniste.
L’aide de la Syrie au Hezbollah dans sa lutte pour mettre un
terme à l’occupation israélienne du Liban et dans son alliance
stratégique avec l’Iran ne peut être oubliée non plus.
Même si une grande partie de la situation interne de la Syrie
est malaisée à comprendre, il convient de faire remarquer que,
dans la lutte qui se déroule actuellement, des déclarations
claires de soutien au gouvernement syrien et d’hostilité aux
efforts américains de stabilisation ont été prononcées par Hugo
Chávez au Venezuela, par le secrétaire général du Hezbollah,
Seyyed Hassan Nasrallah, au Liban et par plusieurs dirigeants en
exil du Hamas, l’organisation palestinienne élue par les
habitants de Gaza. Ces dirigeants politiques ont vécu aux
premières loges les campagnes américaines de déstabilisation,
qui recouraient à l’invention de mythes par les médias
traditionnels, à des groupes d’opposition financés de
l’extérieur, à des assassinats bien ciblés, à des opérations
spéciales de sabotage et se servaient d’agents bien entraînés
travaillant sur Internet.
Du côté de ce qui est censé être « l’opposition démocratique »,
on trouve des réactionnaires comme le sénateur Joseph Lieberman,
président de la puissante Commission sénatoriale pour la
sécurité intérieure, qui a lancé un appel pour que les
États-Unis bombardent la Syrie, après la Libye. Parmi les
partisans déclarés de l’opposition en Syrie, on trouve également
James Woolsey, ancien directeur de la CIA et conseiller de la
campagne électorale du sénateur John McCain.
Wikileaks dénonce le
rôle des États-Unis
Un article intitulé « Les États-Unis ont soutenu secrètement les
groupes d’opposition syriens » et rédigé par Craig Whitlock
(Washington Post, 18 avril) décrivait par le menu les
informations contenues dans les câbles diplomatiques américains
que Wikileaks avait adressés aux agences d’information du monde
entier et publiés sur son site Internet. L’article résume ce que
ces câbles du ministère américain des Affaires étrangères
révèlent à propos du financement secret des groupes syriens
d’opposition politique, y compris la transmission dans le pays
d’émissions antigouvernementales et ce, via la télévision par
satellite.
L’article décrit les efforts financés par les États-Unis comme
faisant partie d’une « campagne de longue haleine visant à
renverser le dirigeant autocratique du pays, Bashar al-Assad »,
qui a fait ses débuts sous le président George W. Bush et a
poursuivi sa carrière sous le président Barack Obama, même si ce
dernier a prétendu qu’il reconstruisait les relations avec la
Syrie et qu’il a installé un ambassadeur en Syrie pour la
première fois depuis six ans.
Selon un câble d’avril 2009 signé par le diplomate le plus élevé
en grade à Damas à l’époque, les autorités syriennes «
considéraient sans aucun doute tout financement de groupes
politiques illégaux comme équivalant à appuyer un changement de
régime ». L’article du Washington Post décrit plus ou moins en
détail les liens entre la chaîne de TV de l’opposition Barada,
financée par les États-Unis, et le rôle de Malik al-Abdeh, qui
fait partie de son conseil d’administration et diffuse des
vidéos de protestation. Al-Abdeh fait également partie de la
direction du Mouvement pour la justice et la démocratie, présidé
par son propre frère, Anas Al-Abdeh. Les câbles secrets « font
état de craintes persistantes, parmi les diplomates américains,
que les agents de la sécurité d’État syrienne n’aient découvert
que la piste de l’argent remontait jusqu’à Washington ».
Le rôle d’Al Jazeera
Peut-être le défi de la campagne de déstabilisation en Syrie,
ainsi que sa dénonciation, sont-ils venus avec la démission de
Ghassan Ben Jeddo, le journaliste bien connu des nouvelles
émissions de télévision d’Al Jazeera et le responsable de
l’agence d’Al Jazeera à Beyrouth. Ben Jeddo a démissionné pour
protester contre la partialité d’Al Jazeera, mettant tout
spécialement en exergue une « campagne de diffamation contre le
gouvernement syrien » qui a transformé la chaîne de TV en «
vulgaire organe de propagande ».
Al Jazeera a couvert favorablement l’incontrôlable soulèvement
de masse de millions de personnes en Égypte et en Tunisie.
Cependant, cette chaîne d’information par satellite a également
fait état par le détail de toute revendication et accusation
politique, sans égard pour la façon dont elles pouvaient n’être
pas fondées, qui ont été exprimées par l’opposition politique,
tant en Syrie qu’en Libye. Al Jazeera est devenue la voix la
plus forte de la région – elle est captée par des millions de
spectateurs – pour réclamer l’intervention « humanitaire » des
États-Unis, des zones d’exclusion de vol et le bombardement de
la Libye. Ainsi donc, il est important de bien comprendre la
position d’Al Jazeera en tant que société d’information, et tout
particulièrement lorsqu’elle prétend s’exprimer en faveur des
opprimés.
Al Jazeera, dont le siège est au Qatar, ne fait jamais état du
fait que 94 pour 100 du travail au Qatar est effectué par des
immigrés qui n’ont absolument aucun droit et qui survivent dans
des conditions proches de l’esclavage. La répression brutale du
mouvement de masse dans le royaume à monarchie absolutiste de
Bahrein, voisin immédiat du Qatar et actuellement occupé par les
troupes saoudiennes, ne reçoit que peu de couverture non plus de
la part d’Al Jazeera.
Cette censure est-elle due au fait qu’Al Jazeera TV News a été
fondé par le monarque absolu du Qatar, l’émir Sheikh Hamad bin
Khalifa Al Thani ?
Il est particulièrement important de faire remarquer qu’Al
Jazeera ne mentionne jamais l’énorme base aérienne militaire du
Commandement central américain, installé au Qatar précisément.
Des drones en mission secrète dans la région décollent
régulièrement de cette base. Le Qatar a également envoyé des
avions pour participer aux bombardements en Libye des États-Unis
et de l’Otan.
Le Qatar travaille en étroite collaboration avec le ministère
américain des Affaires étrangères pour appuyer à fond
l’intervention des États-Unis dans la région. Le Qatar a été
l’un des premiers États arabes, et le premier des États du
Golfe, à établir des relations avec israël. Lors des
bombardements de Gaza par Israël, en 2009, il a suspendu ces
relations mais, depuis, a proposé de les renouer.
Facebook et la
contre-révolution
La CIA et le NED (National Endowment for Democracy – Fondation
nationale en faveur de la démocratie) sont devenus des experts
dans l’utilisation des barrages des médias sociaux tels que
Facebook, Twitter et Youtube pour submerger les gouvernements
visés de millions de messages fabriqués, de rumeurs et d’images
incontrôlées.
Les alertes fabriquées sur les luttes et les scissions entre les
factions rivales de l’armée syrienne, lesquelles auraient abouti
à des démissions, étaient fausses. Par exemple, le général de
division al-Rifai (retraité) a nié comme dénuées de fondements
les informations par TV satellite prétendant qu’il dirigeait une
scission au sein de l’armée. Il a ajouté qu’il était retraité
depuis dix ans.
Izzat al-Rashek, du Bureau politique du Hamas, et Ali Baraka,
représentant du Hamas au Liban, ont infirmé publiquement des
allégations prétendant que la direction de cette organisation
palestinienne de résistance quittait Damas pour se réinstaller
au Qatar. Ali Baraka a expliqué que c’était un bobard monté par
les États-Unis pour exercer des pressions sur Mahmoud Abbas, du
Fatah, et entraver la réconciliation palestinienne tout en
attisant le conflit entre les mouvements de résistance et la
Syrie.
Le gouvernement syrien a accusé des snipers d’avoir tiré sur des
manifestations, sur l’armée et sur la police dans l’intention de
voir la police ouvrir à son tour le feu sur les manifestants.
Les rumeurs, les messages anonymes sur Internet et les rapports
émis par TV satellite dans l’intention d’exacerber les
divergences sectaires font partie de la campagne de
déstabilisation.
Le caractère dual de la
Syrie
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’impérialisme
américain et ses pions dans la région, y compris Israël et les
monarchies corrompues et dépendantes que sont la Jordanie, le
Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, aimeraient
voir un « changement de régime » en Syrie.
La Syrie est l’un des rares pays arabes à n’entretenir aucune
relation avec Israël. Plusieurs organisations de résistance
palestinienne ont des « bureaux en exil » en Syrie, y compris le
Hamas. La Syrie est alliée de façon étroite à l’Iran et au
Liban.
La Syrie aujourd’hui n’est ni un pays socialiste, ni un pays
révolutionnaire. Le capitalisme - et l’inégalité qui en résulte
- n’y a pas été renversé. Il existe une classe capitaliste, en
Syrie : nombreux sont ceux qui, en sont sein, ont bénéficié des
« réformes » au cours desquelles des industries anciennement aux
mains de l’État ont été vendues à des capitaux privés.
Toutefois, l’État syrien représente des forces contradictoires.
Le pays a été un bastion de protection des gains obtenus lors
des luttes et soulèvements anticoloniaux des masses arabes dans
les années 60 et 70. Au cours de cette période, de nombreux
gains sociaux importants ont été réalisés, des industries et
ressources majeures ayant appartenu au capital étranger ont été
nationalisées et d’importants progrès ont été enregistrés dans
la garantie des soins de santé, dans le niveau de vie et
l’enseignement.
La Syrie sous le parti socialiste arabe Ba’ath est résolument
laïque. Elle a maintenu la liberté religieuse pour tous tout en
n’autorisant aucun groupement religieux à dominer l’État ou à
être promu par ce dernier.
Mais le régime syrien a également réprimé sévèrement les efforts
des mouvements de masse basés au Liban et en Syrie et qui
voulaient poursuivre la lutte. Il a justifié sa répression des
mouvements passés en insistant sur sa position précaire à
proximité d’Israël, sur l’impact des deux guerres contre Israël,
en 1967 et 1973, et sur l’occupation et l’annexion par Israël de
l’importante région syrienne que sont les hauteurs du Golan, et
ce, depuis 44 ans.
Les années de sanctions de la part des États-Unis et les efforts
de déstabilisation du passé ont également eu un effet cumulatif.
L’appareil d’État, craignant depuis longtemps les perpétuelles
interventions de l’extérieur, craint désormais le changement.
Il est essentiel de reconnaître ce caractère dual et de ne pas
excuser ni d’ignorer tous les problèmes qui en découlent.
La Syrie a assumé le fardeau supplémentaire de nourrir et
d’héberger plus de 500.000 réfugiés palestiniens et leurs
descendants ces 63 dernières années. Les conditions sont
meilleures que dans n’importe quel pays avoisinant parce que,
contrairement à ce qui se passe au Liban et en Jordanie, les
soins de santé, l’éducation et le logement sont accessibles aux
Palestiniens vivant en Syrie.
L’impact de la guerre en
Irak
L’invasion et la destruction massive par les États-Unis du pays
voisin, l’Irak, la discussion entre Bush et Blair d’une
semblable agression contre la Syrie en 2003 et les nouvelles
sanctions très dures contre la Syrie ont encore accru
l’intensité des pressions.
Mais le facteur le plus destructeur n’a jamais été discuté dans
les médias traditionnels : plus de 1.500.000 Irakiens ont afflué
en Syrie afin d’échapper à l’occupation américaine de ces huit
dernières années.
Ceci a eu une importante influence sur un pays dont la
population était de 18 millions d’habitants en 2006. Selon un
rapport sorti en 2007 par le bureau du haut commissaire
américain pour les Réfugiés, l’arrivée quotidienne de 2000
Irakiens désespérés a eu un impact extrême sur toutes les
facettes de la vie en Syrie, particulièrement sur les services
proposés par l’État à tous ses citoyens et à tous les réfugiés.
La Syrie a le plus haut niveau de droits civiques et sociaux
pour les réfugiés, dans toute la région. D’autres pays des
alentours exigent un minimum de solvabilité bancaire et
expulsent les réfugiés nécessiteux.
L’arrivée inattendue de ces réfugiés irakiens a eu un impact
dramatique sur les infrastructures, sur les écoles primaires et
supérieures à la gratuité garantie, sur les soins de santé
gratuits, sur la disponibilité des logements et sur les autres
domaines de l’économie. Elle a provoqué une hausse des prix dans
toute l’alimentation. Les prix des denrées alimentaires et des
biens de première nécessité ont augmenté de 30 pour 100, les
prix des propriétés de 40 pour 100 et les prix des loyers de 150
pour 100.
Les réfugiés irakiens ont également bénéficié de la part de
l’État syrien de subsides pour le carburant, la nourriture,
l’eau et autres produits essentiels pour tout le monde. Une
telle masse de personnes sans emploi a amené une baisse des
salaires et a augmenté la concurrence autour des emplois.
L’impact du ralentissement économique mondial durant cette
période difficile a encore aggravé les problèmes. (Middle East
Institute, 10 décembre 2010, rapport sur la Coopération au
profit des réfugiés).
Les États-Unis ont créé la crise des réfugiés, qui a amené le
déplacement de plus de 25 pour 100 de la population irakienne en
raison des violences sectaires. Pourtant, ils acceptent le
nombre le plus bas de réfugiés et ils ont contribué aux frais
des secours des Nations unies pour une somme moindre que le coût
d’un seul jour de guerre en Irak. Les sanctions américaines
contre la Syrie ont encore accru la désorganisation économique
du pays.
Tout cela a accru la conscience du gouvernement et du peuple de
Syrie à propos des dangers de l’occupation américaine et de la
déstabilisation interne et du bain de sang qui pourraient venir
de la violence sectaire attisée par les États-Unis.
Washington prétend être ennuyé à propos de l’instabilité qui
règne en Syrie. Mais l’impérialisme américain en tant que
système est amené à créer l’instabilité. La domination et le
pouvoir débordants de l’armée et des sociétés pétrolières sur
l’économique américaine et les énormes profits résultant des
contrats militaires renforcent cette motivation à rechercher des
solutions militaires.
Chaque déclaration faite par le gouvernement syrien a reconnu
l’importance de réaliser des réformes internes tout en
maintenant en place l’unité nationale dans un pays extrêmement
diversifié présentant des différences historiques sur le plan de
la religion, des tribus et des régions, et qui héberge
actuellement près de deux millions de réfugiés.
Les diverses nationalités, religions et groupes culturels en
Syrie ont absolument le droit de faire partie de ce processus.
Mais ce dont ils ont le plus besoin, c’est que soit mis un terme
à l’intervention constante et sans relâche des États-Unis.
USA, bas les pattes !
Article original en anglais : «
Syria and US Imperialisme », publié le 6 mai 2011.
Traduction : JMF pour Investig'Action,
publié le 12 mai 2011.
Le dossier
Syrie
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