Venezuela
Le Monde encense un journaliste de RCTV employé par le
gouvernement des Etats-Unis
MIGUS Romain
Dimanche 27 mai 2007
Paolo A. Paranagua se trouverait donc à Caracas
si l’on en croit la mention "envoyé spécial" qui
accompagne ses récents articles de propagande contre le
gouvernement bolivarien.
Cette fois, c’est le portrait d’une
"grande vedette de la télévision vénézuélienne",
qu’il nous dresse dans Le Monde du 25 mai 2007 (1). Il s’agit
de Miguel Angel Rodriguez, présentateur de l’émission "La
entrevista" diffusée tous les matins sur RCTV, le TF1 vénézuélien.
Cette émission n’est pas critique par rapport
à l’action du gouvernement, elle est carrément hostile. Tous
les moyens sont bons pour discréditer le gouvernement. Du trucage
médiatique aux plus grosses calomnies.
Le 5 mai au matin, les Vénézuéliens qui se réveillent
avec Miguel Angel Rodriguez ont été témoins d’une
manipulation de la sorte. Le présentateur commente un extrait de
la conférence de presse du directeur du Corps d’Investigation
Scientifique, Pénale et Criminelle (CICPC, l’équivalent vénézuélien
du FBI). Lors de sa déclaration, le directeur du CICPC, Marcos
Chavez, énumère les 219.000 DELITS (delitos en espagnol) commis
au Venezuela depuis 2004. Une légère baisse, mais le chiffre
reste élevé.
Mais Miguel Angel s’emballe, il a déjà son scénario
tout prêt : "Chers téléspectateurs, nous allons
repasser en image cette déclaration." On peut alors réécouter
Marcos Chavez parler de 219.000 délits commis. Miguel Angel
regarde alors la caméra fixement et, avec une rage quasi-hystérique,
il hurle au téléspectateur : "Rendez-vous compte !
219.000 homicides depuis 2004, mais dans quel pays vivons-nous ?"
Peut-il se tromper alors qu’il vient lui-même
de diffuser deux fois l’extrait de la conférence de presse,
qu’il vient d’écouter, par deux fois, le directeur du CICPC
parler de "délits" et non d’homicides ? Jusqu’à
preuve du contraire, le vol d’un téléphone portable, même si
cela reste un acte punissable, n’est en rien comparable à un
assassinat.
Autre exemple des pratiques de notre présentateur
– star… Peu avant les élections présidentielles de décembre
2006, le Conseil National Electoral (CNE) interdit aux médias
nationaux de publier des sondages à la sortie des urnes. Cette
pratique a été une tactique essentielle des diverses "révolutions
oranges" en Europe de l’Est et au Caucase, où
l’entreprise étatsunienne Penn, Schoen & Burland, diffusait
des sondages trompeurs présentant toujours le camp pro-étatsunien
comme largement vainqueur. (2)
Au Venezuela, la même tactique avait déjà été
utilisée durant le référendum révocatoire en aout 2004. Penn,
Schoen & Burland donnait l’opposition gagnante avec 60%. En
réalité, ce fut Chavez qui obtint ce chiffre, les résultats
officiels étant confirmés par tous les observateurs
internationaux.
Devant cette interdiction de diffuser des sondages
sortie des urnes, Miguel Angel Rodriguez s’insurge. Il y a de
quoi, le pouvoir électoral vient de couper l’herbe sous le pied
de l’opposition putchiste : "Mais enfin, la
publications des sondages à la sortie des urnes est une pratique
UNIVERSELLE !", prétend-il.
Chers lecteurs français, il ne sert à rien que
vous écriviez à ce "grand journaliste" pour
l’informer qu’en France aussi, c’est interdit. Miguel Angel
- qu’on ne peut qualifier d’idiot - le sait très bien. Mais
il a ainsi injecté à ses téléspectateurs un sentiment
d’injustice flagrante. Les amenant à soupçonner la préparation
d’une fraude généralisée.
De tels exemples, nous pourrions les
multiplier.Nous pourrions rajouter que les partisans du
gouvernement sont régulièrement qualifiés de
"milices", de "guérilleros urbains", et
"d’envahisseurs" dans le cas des paysans sans terre.
En fait, Miguel Angel Rodriguez, bien loin d’exercer la noble
profession de journaliste, est un acteur politique sans scrupules
à qui RCTV a offert deux heures de grande audience.
Visiblement, l’envoyé spécial du Monde, Paolo
A. Paranagua n’a pas pris le temps de visionner l’émission de
RCTV avant de faire l’éloge de son présentateur. Ou alors
partagerait-il les mêmes valeurs d’information partiale et réactionnaire
de son homologue vénézuélien ? Cette partialité serait
alors inquiétante pour le droit à être informé dont tous les
citoyens français devraient jouir.
Comment expliquer cette partialité de Rodriguez ?
L’avocate Eva Golinger (3) s’y est attachée. Elle vient de dévoiler
des documents déclassifiés des Affaires étrangères étasuniennes.
Ces documents établissent que le héros de Monsieur Paraguana a
reçu, comme une quinzaine de journalistes de l’opposition, une
bourse de ce ministère.
Miguel Angel Rodriguez a recu un financement de
6.085 US$. L’intéressé ne démentira pas. Comment le
pourrait-il ? Il se contentera de souligner que 6.085 US$, ce
n’est pas une grosse somme (juste vingt fois le salaire minimum
vénézuélien). Il ajoutera que cette somme à laquelle se
rajoutent ses nombreuses notes de frais lui a été allouée pour
participer à un programme du Département d’Etat nommé "The
Role of Media in US Society" (le rôle des médias dans la
société étasunienne).
Certes, il ne s’agit que d’une bourse émanant
du gouvernement des Etats-Unis. Mais sur ce point la loi étasunienne
est formelle : "Les personnes ou organisations qui reçoivent
des financements, des bourses ou des dons d’une agence des
Etats-Unis sont considérés comme du personnel et protégés par
la loi comme employés ou contractés du gouvernement des
Etats-Unis." (5 U.S.C. § 552 (b)(6), Norwood v. FAA, 580
F.Supp. 994 (WD Tenn. 1983).
Pourquoi donc Paolo A. Paranagua, quand il fait
l’éloge de Miguel Angel Rodriguez, omet-il de préciser qu’il
défend un employé du gouvernement des USA, lequel est impliqué
dans un coup d’Etat contre le gouvernement bolivarien ?
Pourquoi donc le Monde ne publie-t-il pas un rectificatif ou une
modération de l’article de Paranagua ? Pourquoi donc les
citoyens français doivent-ils être manipulés de la même manière
que les Vénézuéliens le sont par leurs médias commerciaux ?
Les révélations d’Eva Golinger ne s’arrêtent
pas là. En effet, un autre document déclassifié du département
d’Etat, datant de mars 2001, indique : "Comme dans
presque tous les programmes du "journalisme IV" [le
programme mis en place par le département d’Etat qui concerne
ces journalistes vénézuéliens], notre objectif est d’informer
le participant sur les pratiques et règles du journalisme aux
Etats-Unis, particulièrement dans le domaine du journalisme
civique, pour pouvoir influer sur la manière, et plus tard, sur
la couverture donnée sur des sujets importants de la politique
extérieure étasunienne, et pour consolider le processus démocratique
aux Venezuela."
Les objectifs de ce type de programme d’échange
sont donc limpides. Il s’agit ni plus ni moins que de
s’installer confortablement au cœur des médias commerciaux vénézuéliens
pour orienter l’opinion vénézuélienne en faveur des intérêts
du gouvernement US. Ainsi, Paolo A. Paraguana nous indique que
Miguel Angel Rodriguez "verrait bien le chef de l’Etat
comparaître devant des tribunaux ou devant une cour
internationale pour "violation des droits de l’homme".
Rien que ça ! Cette Cour sera-t-elle financée par les
Etats-Unis comme le Tribunal Pénal International pour la
Yougoslavie ? Chavez pourrait-il alors mourir en prison avant
d’être jugé, comme Milosevic ? En tout cas, cette
remarque de l’employé du Département d’Etat n’a pas choqué
l’envoyé spécial du Monde. Quant à la "consolidation du
processus démocratique au Venezuela", ce sont précisément
les Etats-Unis et leurs employés qui l’ont à maintes reprises
bafouée, notamment en organisant le coup d’Etat de 2002.
Encore plus éclairant, et permettant de dissiper
les derniers doutes : le rapport émis par le Département
d’Etat sur Enrique Reynaldo Trombetta, un autre participant au
programme "journalisme IV" : "Nous espérons
que la participation de Mr. Trombetta comme boursier de type
IV sera directement reflétée dans ses reportages sur des thèmes
politiques et internationaux. Au cours de son ascension dans sa
carrière, nos liens profonds avec lui signifieront un ami
potentiel important en position d’influence éditoriale. (…)
Ceci veut dire qu’il aura une influence significative sur les
autres journaux en ce qui concerne les sujets importants pour
l’ambassade, comme l’ALCA et la politique anti-terroriste.
Cela pourra se traduire par une compréhension meilleure et une
sympathie pour les positions des Etats-Unis, et ça se reflétera
dans ses reportages." (Document déclassifié du Département
d’Etat datant d’août 2002, soit quatre mois après le Coup
d’Etat).
L’objectif est clair et la technique n’est pas
neuve, elle a déjà fait ses preuves dans d’autres pays avec
d’autres "journalistes indépendants". Nous imaginons
certainement que Paolo A. Paraguana - qui ne débute pas dans le métier
- a déjà entendu parlé de ce type de pratique du gouvernement
des Etats-Unis. Alors pourquoi avoir dressé une telle
hagiographie d’un employé du gouvernement des Etats-Unis ?
Le rôle du Monde ne devrait-il pas être d’informer les
lecteurs français sur ce qui se passe vraiment au Venezuela ?
Le journaliste du Monde, dont l’objectif de la
présence à Caracas nous échappe, n’a donc pas assisté à la
conférence de presse où l’avocate Eva Golinger a dévoilé ces
documents du Département d’Etat que nous mentionnons.
Certainement trop occupé à se faire le porte-parole de
l’opposition vénézuélienne radicale, Paranagua n’a même
pas lu tous les journaux qui se font l’écho de cette conférence
de presse. Le lecteur du Monde n’en saura donc rien.
Pourquoi ?
Romain Migus
Notes :
(1) Paolo A. Paranagua, "Miguel Angel
Rodriguez, une voix de trop pour Hugo Chavez", Le Monde,
25/05/07. http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-914730@51-897252,0.html
(2) Voir Romain Migus, "Derrière le masque démocratique
de l’opposition vénézuélienne", Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3 ?id_article=1965
(3) Auteur en français de l’ouvrage
incontournable : Code Chavez : CIA contre Venezuela, éd.
Oser Dire, 2006. Ouvrage disponible en écrivant à nessa.kovic@skynet.be
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