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The Independent
«Abou Henry» et le silence mystérieux
Robert Fisk
The Independent, le 30 juin 2007
article original : "Robert
Fisk: 'Abu Henry' and the mysterious silence"
Je suppose que c'est cela la diplomatie : persuader ici,
plaider là-bas
"Abou Henry" dit que nous devrons peut-être
rester en Afghanistan pendant des décennies pour protéger les
Afghans des Taliban. L'ambassadeur [de Grande-Bretagne] à Kaboul
— Sir Sherard Cowper-Coles, KCMG,
LVO, pour
être précis — ne voit visiblement pas de contradiction dans
cette prédiction extraordinaire.
Les Taliban sont eux-mêmes essentiellement afghans et l'idée
que l'armée britannique soit en Afghanistan pour protéger les
gens du pays les uns des autres est vraiment une proposition
coloniale. C'est ce que nous avons dit à propos de l'Irlande du
Nord en 1969. En tous cas, je croyais que nous avions détruit les
Taliban en 2001. N'était-ce pas l'idée alors ? N'était-ce pas
ce que Lord Blair de Kout al-Amara, notre nouveau représentant au
Proche-Orient — qui nous honorera de sa première visite le mois
prochain — disait à l'époque ?
Abou Henry — et je suis redevable à l'un des bulletins internes
du gouvernement saoudien de m'avoir appris que c'est ainsi qu'il
"est affectueusement appelé par ses amis saoudiens" —
a quitté Riyad avec quelque précipitation, une
"surprise" comme il dit, puisqu'il s'attendait à y
passer encore une année. Et, il n'a sans doute pas pu emmener
avec lui à Kaboul les faucons dressés de la famille Cowper-Coles
— Nour et Alwaleed. Mais, avant de partir, Abou Henry a chanté
chaleureusement les louanges des médiocres services de
renseignements du royaume. "J'ai été immensément
impressionné par la manière avec laquelle les autorités
saoudiennes ont maîtrisé et contenu ce qui était une menace
terroriste sérieuse (sic)", a-t-il annoncé. "Ils ont réduit
le réservoir de soutien au terrorisme…"
Aucun mot, évidemment, sur l'habitude saoudienne de couper les têtes
des "criminels" à la suite de procès ridiculement déloyaux.
En une année record d'exécutions, les porteurs de sabres du
royaume — le boulot se transmet parfois de père en fils, comme
ce fut le cas autrefois en Grande-Bretagne — ont réussi à
trancher 100 têtes avant la mi-juin. Mais, là encore, on devrait
éviter toute référence de cette sorte lorsque les
investissements britanniques en Arabie Saoudite s'élèvent à au
moins 6 milliards de livres [9 milliards d'euros]. C'est sans
aucun doute l'une des raisons pour laquelle — selon ce même
bulletin du gouvernement[saoudien] — Abou Henry a fait l'éloge
de ses amis saoudiens à Riyad : "nous avons été fiers de
notre politique en matière de visas, où 95% des Saoudiens
postulant pour un visa à 9 heures les jours ouvrables obtiennent
leur visa avant 14heures le même jour". Pff ! Alors là,
c'est quelque chose ! Les Saoudiens, vous vous en souvenez peut-être,
ont fourni 14 des 19 tueurs du 11 septembre 2001. C'est plutôt un
record pour un petit royaume et l'un qu'en d'autres circonstances
— si les meurtriers avaient été tchadiens ou, disons, maliens
— n'aurait pas été récompensé par une politique de visas
aussi généreuse.
Et aucun mot de la part d'Abou Henry, bien sûr, sur cet autre
petit problème au sujet de la corruption présumée de
fonctionnaires saoudiens par le groupe d'armement britannique BAE
Systems. Ici, toutefois, il y a beaucoup plus à dire — grâce
à un article délicieusement écrit par Michael Peel dans le Financial
Times en février dernier. Dans cet article, Peel décrit
comment Robert Wardle, le directeur du Serious Fraud Office
(SFO) [le bureau des fraudes sérieuses], a dû "beaucoup réfléchir"
après trois réunions à Londres avec Cowper-Coles,
"l'ambassadeur raffiné de Grande-Bretagne en Arabie-Saoudite".
M. Wardle, semble-t-il, s'était "fait au point de vue"
selon lequel il devrait peut-être abandonner son enquête,
puisque cela nuirait à la "sécurité nationale". Voici
ce que Wardle a dit à Peel : "Ce problème était délicat
et j'ai vraiment trouvé que ce fut une aide que l'ambassadeur étaye
cette position. Cela m'a aidé à comprendre les risques et a été
une aide précieuse pour me décider à interrompre cette enquête."
Abou Henry, semble-t-il, "a dit comment cette pourrait entraîner
Riyad à annuler sa coopération en matière de renseignements et
de sécurité, privant potentiellement Londres d'accès à une
surveillance vitale de suspects terroristes durant le pèlerinage
du Hadj à la Mecque… L'ambassadeur a même suggéré (que)
persister avec l'enquête du SFO pourrait mettre des vies en
danger en Grande-Bretagne". Selon une personne "étroitement
impliquée dans ces événements", écrivait Peel — et je
soupçonne cette "personne" d'être probablement Wardle
— Cowper-Coles "n'est pas trop entré dans les détails,
mais il a expliqué en termes très clairs ce qu'il pensait des éventuelles
conséquences… y compris que des personnes y trouveraient la
mort". Deux jours plus tard, l'enquête de corruption fut
abandonnée.
Il ne faut donc pas s'étonner que les Saoudiens l'appellent
affectueusement "Abou Henry".
Cependant, vu certaines de ses remarques durant une récente
visite à Oxford, Abou Henry doit avoir été lui-même surpris de
pouvoir persuader Lord Blair de la sagesse de laisser tomber toute
cette enquête essentielle de corruption. Devant les
universitaires, il n'a pas caché son cynisme vis-à-vis de notre
ancien Premier ministre, se plaignant qu'en dépit de notes
d'information détaillées du Ministère des Affaires Etrangères
et de propositions de discours, Blair a semblé rarement les lire
et parfois n'a utilisé qu'une seule ligne de leurs contenus.
Mais, là encore, je suppose que c'est ce qui fait la diplomatie,
persuader ici, plaider là-bas, essayer d'obtenir ce que vous
voulez par quelques commentaires en privé à des fonctionnaires
du Bureau des Fraudes Sérieuses, voire à des journalistes. Je
n'ai aucun doute là-dessus.
Il y a vraiment longtemps, à la fin des années 70, lorsque j'étais
le correspondant au Proche-Orient pour The Times, je me
rappelle comment un diplomate britannique au Caire essaya de me
persuader de virer mon "correspondant" local, une
Egyptienne copte qui travaillait aussi comme correspondante pour Associated
Press et qui fournissait une couverture compétente du pays
lorsque j'étais à Beyrouth. "Elle n'est pas très
bonne," avait-il dit, et il suggéra que j'engage une jeune
Anglaise qu'il connaissait et qui — comme je l'ai su plus tard
— avait des contacts étroits avec le Foreign Office.
J'ai refusé cette sinistre proposition. En vérité, j'ai dit au Times
que je pensais qu'il était scandaleux qu'un diplomate britannique
ait essayé de manigancer le licenciement de notre employée à
temps partiel au Caire. Le rédacteur en chef de la rubrique étrangère
du Times était d'accord avec moi.
Mais cela ne fait que montrer jusqu'où peuvent aller les
diplomates.
Et quel était le nom de ce jeune diplomate britannique au Caire,
dans les années 70 ? Mais c'était bien sûr Sherard Cowper-Coles.
traduction : JFG-QuestionsCritiques
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