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Al-Ahram Hebdo
L'actualité de la
prophétie d'Oded Yinon
Richard labévière
Richard Labévière
Mercredi 16 décembre 2009 La proclamation de
Mahmoud Abbass de ne pas se présenter à l’élection
présidentielle palestinienne, annoncée pour le 24 janvier 2010,
prend la valeur d’un symptôme à trois dimensions. Premièrement,
elle dévoile l’incapacité du nouvel exécutif américain à faire
pression sur Israël pour qu’il arrête sa colonisation.
Deuxièmement, elle démontre - une fois de plus et s’il en était
encore besoin - que toute concession sans contrepartie à l’axe
américano-israélien est organiquement vouée à l’échec : en se
déjugeant sur le rapport Goldstone consacré à la dernière guerre
de Gaza pourtant accablant pour Tel-Aviv, Mahmoud Abbass a
définitivement tué Abou-Mazen. Enfin, elle entérine durablement
la cassure du mouvement national palestinien, une cassure
fabriquée de longue date ..., suivant une prophétie rédigée par
Oded Yinon (analyste du ministère israélien des Affaires
étrangères) en 1982.
Il faut commencer par rappeler comment, dès
le début des années 70, les services israéliens ont favorisé les
factions islamistes contre l’OLP de Yasser Arafat. « Nous
offrions un peu d’aide financière à certains groupes islamiques.
Nous soutenions des mosquées et des écoles dans l’intention de
développer une force de réaction contre les forces de gauche qui
soutenaient l’OLP », expliquait en 1973 le général Segev,
gouverneur de Gaza. Le dernier livre de notre confrère Charles
Enderlin revient abondamment sur cette diagonale du fou sans
pour autant remonter à toutes les causes. En effet, davantage
que d’une série d’erreurs et de dysfonctionnements, cette
stratégie du pire relève d’une fabrication délibérée et
méthodique consistant à jouer la radicalisation contre celle de
la négociation politique. Ainsi, les cabinets israéliens
successifs travaillistes et Likoud se sont plus attachés à
fragmenter, sinon à détruire l’Autorité palestinienne qu’à
lutter contre les organisations radicales. C’est ainsi que la
revendication palestinienne a progressivement été vidée de toute
substance politique pour être transformée en une simple question
sécuritaire de maintien de l’ordre régional et de lutte
anti-terroriste globale.
Ensuite, il s’agit d’analyser comment les
services israéliens de sécurité ont vendu cette méthode de
fabrication aux troupes américaines en Iraq, en Afghanistan et
au Pakistan ; mais aussi comment cette politique dite
d’« instabilité constructive » a été scrupuleusement appliquée à
l’encontre des Etats arabes de la région, conformément à la
prophétie d’Oded Yinon et à l’agenda géopolitique
américano-israélien : retribaliser les Proche et Moyen-Orient.
Cette retribalisation passe par une
fragmentation territoriale de l’ensemble proche et
moyen-oriental en des unités les plus petites possibles,
préconisant autrement dit le démantèlement pur et simple des
Etats arabes. En guise de préambule, Yinon écrit : « Le monde
arabe islamique n’est qu’un château de cartes construit par des
puissances étrangères - la France et la Grande-Bretagne dans les
années 1920 - au mépris des aspirations des autochtones. Cette
région a été arbitrairement divisée en dix-neuf Etats, tous
composés de groupes ethniques différents, de minorités hostiles
les unes aux autres, si bien que chacun des Etats arabes
islamiques d’aujourd’hui se trouve menacé de l’intérieur en
raison de dissensions ethniques et sociales, et que dans
certains d’entre eux, la guerre civile est déjà à l’œuvre ».
S’appuyant principalement sur une bibliographie américaine,
citant abondamment Bernard Lewis et Samuel Huntington, la note
passe en revue ces dix-neuf Etats arabes en répertoriant leurs
principaux facteurs centrifuges, annonciateurs de
désintégration : « telle est la triste situation de fait, la
situation troublée des pays qui entourent Israël ». La
recommandation d’Yinon est parfaitement claire : « C’est une
situation lourde de menaces, de dangers, mais aussi riche de
possibilités, pour la première fois depuis 1967 ».
L’analyse politique mérite, elle aussi, toute
notre attention : la politique de « paix » et la restitution des
territoires, sous la pression des Etats-Unis, excluent cette
chance nouvelle qui s’offre à nous. Depuis 1967, les
gouvernements successifs d’Israël ont subordonné nos objectifs
nationaux à d’étroites urgences politiques, à une politique
intérieure stérilisante qui nous liait les mains aussi bien chez
nous qu’à l’étranger.
Après une ultime recommandation qui invite
Israël à « agir directement ou indirectement pour reprendre le
Sinaï en tant que réserve stratégique, économique et
énergétique », Yinon conclut : « La décomposition du Liban en
cinq provinces préfigure le sort qui attend le monde arabe tout
entier, y compris l’Egypte, la Syrie, l’Iraq et toute la
péninsule arabe. Au Liban, c’est déjà un fait accompli. La
désintégration de la Syrie et de l’Iraq en provinces
ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est
l’objectif prioritaire d’Israël, à long terme, sur son front
Est. A court terme, l’objectif est la dissolution militaire de
ces Etats. La Syrie va se diviser en plusieurs Etats, suivant
les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra
un Etat alaouite chiite ; la région d’Alep, un Etat sunnite ; à
Damas, un autre Etat sunnite hostile à son voisin du nord verra
le jour ; les Druzes constitueront leur propre Etat, qui
s’étendra sur notre Golan peut-être et en tout cas dans le
Haurân et en Jordanie du Nord ».
Conclusion de la prophétie : « L’objectif
prioritaire d’Israël à long terme » consiste donc à favoriser
tous les facteurs de désintégration des Etats arabes,
démantèlement devant déboucher sur la balkanisation de la
région. Dix ans avant les massacres, les charniers et autres
« terribles cortèges » de Bosnie, cet encouragement prémonitoire
à la purification ethnique et religieuse fait littéralement
froid dans le dos.
Droits de reproduction et de diffusion
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 16 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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