Opinion
Turquie:
Vers un leadership régional à base d'un
Islam moderniste (part 2)
René Naba
René Naba
Mardi 26 juillet
2011 I – Le
partenariat turco américain, un garde
fou contre d’éventuelles déconvenues
saoudiennes.
Le redéploiement turc intervient à
l’arrière plan d’informations faisant
état de contact entre les Frères
Musulmans (FM) et l’administration
américaine visant à la réhabilitation
politique de la l’organisation pan
islamique, particulièrement active
désormais en Egypte, en Syrie, dans une
moindre mesure en Tunisie, et dont la
branche palestinienne n’est autre que le
Hamas.
La levée de l’ostracisme qui frappait
jusqu’à présent la confrérie serait
destinée à s’assurer sa coopération dans
la stratégie américaine et compenser
quelque peu l’impéritie des Etats-Unis
dans la zone, du fait de son impuissance
face à Israël en ce qui concerne le gel
de la colonisation et la relance des
négociations israélo-palestiniennes.
La rencontre, en Mai 2011, au Caire du
ministre français des affaires
étrangères, M. Alain Juppé, avec des
représentants de la confrérie, de même
que l’interview à la télévision
israélienne du renégat bassiste, Abdel
Halim Khaddam, ancien vice président
syrien et ancienne caution sunnite du
régime, ainsi que l’intention prêtée aux
Frères Musulmans de se lancer dans la
vie politique égyptienne sur la base
d’un parti politique rénové, témoignent
de cette nouvelle orientation, dont le
terme ultime devrait être, selon le
schéma américain, la mise en parenthèse
de l’hostilité de l’organisation pan
islamique à l’Etat hébreu.
La réactivation du partenariat
turco-américain devrait mettre à l’abri
la diplomatie américaine face
d’éventuelles déconvenues saoudiennes,
par l’instauration un axe néo sunnite au
Moyen orient sous l’égide de la Turquie
(1).
La CIA et les services saoudiens
coopèrent en effet sur le plan
sécuritaire, notamment dans la lutte
contre Al Qaïda au Yémen, fruit de leur
copulation, connu sous le sigle d’AQPA
(Al Qaïda au sein de la Péninsule
Arabique), mais Ryad et Washington
s’opposent sur la gestion de la
révolution arabe. Mécontente du lâchage
de son vieil ami l’égyptien Hosni
Moubarak, la dynastie wahhabite se
montre réticente à des réformes
accélérées du Monde arabe, dont elle
craindrait un effet de boule sur son
système politique.
Freinant les réformes jordaniennes,
l’Arabie saoudite a inclut d’office le
Royaume hachémite, de même que le Maroc,
dans le Conseil de Coopération du Golfe,
signifiant par là même publiquement son
souci d’assurer la survie des dynasties
à la pérennité des monarchies.
II- La Syrie
et La guerre des détroits pour l’accès
de la flotte russe aux bases syriennes
de Tartous et de Lattaquié.
L’activisme déployé par la Turquie
envers la Syrie, en pleine phase de
déstabilisation du régime baasiste, dans
la continuité de la politique néo
islamiste de M. Erdogan, a quelque peu
distendu les relations entre Damas et
Ankara, conduisant la Russie a affiché
sa solidarité à l’égard de l’unique pays
arabe à lui être demeuré
inconditionnellement loyal,
contrairement à l’Egypte sadatienne ou à
la Somalie de Zyad Barré, voire même
l’Irak de Saddam Hussein.
Par effet d’aubaine, le veto opposé par
Moscou à toute intervention de l’ONU en
Syrie, sans nul doute facilité par les
déboires de l’Otan en Libye, paraît
constituer la réplique aux manœuvres
navales menées conjointement en Mer
Noire par les Etats-Unis et l’Ukraine.
Le croiseur USS Monterrey équipé du
système de défense anti-aérien AEGIS a
pris part en juin à des exercices
conjoint Ukraine-USA dénommé Sea Breeze
2011 (Brise de mer 2011). L’exercice
relève d’un exercice de routine mais la
participation de croiseurs lance
missiles a incité Moscou à adresser un
message dissuadant les participants
contre toute menace contre la sécurité
de la navigation de sa flotte,
particulièrement son accès vers les eaux
chaudes de la Méditerranée, spécialement
le littoral syrien où la Russie dispose
des deux seules bases en Méditerranée,
Tartous et Lattaquié.
La base navale permanente russe en Syrie
lui offrirait un avant-poste stratégique
en Méditerranée en remplacement des
installations louées à l’Ukraine, dont
le contrat prendra fin en 2017. Des
travaux d’approfondissement du port
syrien de Tartous et d’élargissement de
celui de Lattaquié ont déjà entrepris.
La base de Tartous serait protégée par
un système de défense antiaérien S-300
PMU-2.
L’acte d’accusation du tribunal spécial
sur le Liban en désignant du doigt le
Hezbollah libanais, le 30 juin 2011, le
jour même de l’adoption de la
déclaration de politique générale du
nouveau gouvernement libanais de Najib
Mikati, en pleine révolte syrienne,
parait destiné à maintenir sous pression
le binôme Syrie-Liban, dans une guerre
de substitution à l’Iran, alors que le
débat sur une éventuelle attaque des
installations nucléaires iraniennes
paraît avoir été mis en sourdine et que
l’offensive diplomatique des
Palestiniens à la prochaine session de
l’Assemblée générale de L’ONU, en
septembre 2011, en vue de proclamer un
état palestinien indépendant, se
développe en dépit de l‘opposition
conjointe des Etats-Unis et d’Israël
(2).
L’internationalisation d’un crime
interne, s’agissant de l’assassinat
d’une personnalité n’exerçant aucune
responsabilité internationale, et d’un
crime commis sur le territoire d’un état
souverain dont la victime en est le
ressortissant, de même que
l’instrumentalisation de cette justice à
des fins politiques, placent le Liban
sous un mandat de facto des puissances
occidentales, à la merci d’un chantage
permanent, occultant le débat sur le
passif de l’ère Hariri, qui hypothèque,
lui l’avenir du Liban:
-Une dette publique de cinquante
milliards de dollars
-Trente millions de m2 de superficie
du territoire libanais vendus à des
inconnus, vraisemblablement à des
investisseurs originaires des
pétromonarchies du Golfe
-Près de deux cent mille naturalisés
sunnites entrainant un bouleversement de
l’équilibre démographique du pays dont
le système politique repose sur une
répartition confessionnelle du pouvoir.
Sur le plan régional, son effet
second est la subversion de la Syrie par
son flanc Est, un objectif permanent de
la diplomatie occidentale depuis
quarante ans. De par son alliance avec
l’Iran, le Hezbollah et le Hamas,
l’implosion de la Syrie, l’obstacle
majeur à l’hégémonie absolue
israélo-américaine sur la zone,
justifierait a posteriori toutes les
menées occidentales dans la zone et en
compenserait largement les déboires (3).
L’alliance turco américaine devrait
être analysée aussi dans ce contexte en
ce que ce partenariat avec un nouveau
chef de sunnite non arabe se révélerait
comme une opération de ravalement
cosmétique à la précédente alliance
entre les Etats-Unis et la frange
rigoriste de l’Islam sunnite
matérialisée par l’Arabie saoudite,
au-delà Al Qaida et les Talibans, si
calamiteuse et préjudiciable à l’image
de l’Occident
III- Une
masse critique agrégeant la Ligue arabe
aux anciens maîtres de l’axe continental
de la route des Indes, (Turquie, Iran)
Certes, l’émergence d’un pouvoir
chiite en Irak dans la continuité
territoriale de l’Iran chiite constitue
un scénario cauchemardesque pour la
Turquie, qui voit son leadership
régional mis à mal et sa position
géostratégique dévalorisée. Mais, outre
la solidarité sur la question kurde, la
Turquie, un des pays les plus peuplés
d’Europe et le plus pauvre, serait
inéluctablement un fardeau financier
pour l’Union européenne, fardeau plus
important que les 10 nouveaux membres
admis le 1er mai 2004 au sein de
l’Union.
Dans cette perspective, la
constitution d’un ensemble homogène
agrégeant la Ligue arabe aux anciens
maîtres de l’axe continental de la route
des Indes, (Turquie, Iran) créerait une
instance géopolitique intermédiaire de
450 millions de personnes, à l’effet de
faire la jonction entre l’ensemble
européen, la Russie et l’immensité
asiatique représentée par l’Inde et la
Chine.
Disposant d’une main d’œuvre et de
ressources énergétiques bon marché, cet
ensemble serait en mesure d’instaurer
d’un partenariat global entre les deux
rives de la Méditerranée, et,
sous-tendre, face à l’hégémonie
occidentale, un objectif plus politique:
l’affirmation d’un monde méditerranéen,
à dominante néo islamiste, dans des
républiques pluralistes, ayant vocation
à servir de passerelle entre l’Islam et
l’Occident et de module stabilisateur au
sein du voisinage immédiat.
Zone de transition entre l’Asie et
l’Europe, dont il constitue
l’arrière-plan stratégique, au point de
confluence des grandes voies de
communication internationales, sur la
route du pétrole, le monde arabe, cœur
historique du monde musulman, borde le
flanc méridional de l’Union européenne
sur une façade maritime de 12 000 km de
la Mauritanie, via Gibraltar (Maroc) à
Lattaquié (Syrie).
Vaste réservoir humain, il demeure
malgré sa fragmentation actuelle et la
multiplication des bases américaines sur
son sol, une zone stratégique de
première importance. Par les combats en
Irak et en Palestine, ainsi qu’au Liban
et l’éviction lors du printemps arabe de
l’hiver 2010-2011 de certains des
principaux relais de la diplomatie
occidentale, Hosni Moubarak (Egypte) et
Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie), le
principal point de confrontation à
l’hégémonie américaine.
Plaident en faveur de ce partenariat
turco-irano-arabe, les bouleversements
majeurs qui vont modifier les données
stratégiques de la zone :
Démographiquement: dans un renversement
de tendances sans précédent de
l’histoire, la rive sud de la
Méditerranée est en passe d’enregistrer
un surplus démographique par rapport au
nord européen. Dans moins d’une
génération, vers l’an 2025, la
population de quatre États européens
membres de l’Union européenne (France,
Italie, Espagne, Portugal) aura à peine
augmenté- 170 millions alors que celle
des autres pays du pourtour se sera
accrue de 70 pour cent et avoisinera les
400 millions, induisant une nouvelle
pesanteur sur l’écologie politique et
économique du Bassin méditerranéen
Religieusement, l’Islam, fait aussi sans
précédent dans l’histoire, s’est hissé
au premier rang des religions par le
nombre de ses fidèles (1,5 milliards de
croyants en l’an 2000 contre 1,2
milliards de catholiques). Une promotion
qui se double d’une implantation durable
et permanente de l’Islam dans l’espace
occidental et par une montée en
puissance en Europe de la 3ème
génération issue de l’immigration.
Quant aux Arabes, les déboires
européens de la Turquie et des alliés
arabes de l’Occident le prouvent : la
quête permanente d’une protection
occidentale ne saurait tenir lieu de
politique. Le Koweït, Bahreïn, la
Jordanie et l’Egypte, titulaires d’un
label «allié majeur hors Otan», et
au-delà, l’ensemble des dirigeants
arabes doivent y prendre garde: une
caution américaine ou un satisfecit
européen ne sauraient suffire. Ils ne
valent jamais en tout cas quitus de
leurs peuples.
Hosni Moubarak, Zine el Abidine Ben Ali,
Ali Abdallah Saleh, Rafic Hariri en sont
les moins muets de cette règle non
écrite de la vie politique arabe, dont
il importe qu’elle connaisse son
prolongement dans le Golfe pétro
monarchique pour que le Monde arabe se
dégage de la trop lourde tutelle de ses
parrains occidentaux et atteigne la
masse critique qui lui fait cruellement
défaut pour un partenariat avec les
autres zones géostratégiques de la
planète.
Tel est l’enjeu de la vaste
recomposition géostratégique en cours,
alors que les Etats-Unis s’apprêtent à
se retirer tant de l’Afghanistan que de
l’Irak, les deux guerres budgétivores
qui ont si pesé sur son leadership
planétaire, dans un contexte bouleversé
par la dynamique révolutionnaire arabe,
l’impasse persistance sur la question
palestinienne et l’aspiration turque à
un leadership régional.
Références:
1 -A propos des rapports
saoudo-américains: From the Los Angeles
Times: U.S.-Saudi rivalry intensifies.
Senior U.S. diplomats have been dropping
by the royal palace in Amman almost
every week this spring to convince
Jordanian King Abdullah II that
democratic reform is the best way to
quell the protests against his rule. The
full story can be viewed at:
http://www.latimes.com/la-fg-us-saudis-20110619,0,3128032.story?track=latiphoneapp
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2-CF. Hariri de père en fils, Hommes
d’affaires et premiers ministres par
René Naba Editions l’Harmattan Février
2011.
3 – A propos de la Syrie cf. à ce
propos
Syrie-Algérie : raison d’état ou
déraison d’Etat ?
http://www.renenaba.com/syrie-algerie-raison-d%E2%80%99etat-ou-deraison-d%E2%80%99etat/
Le contournement du dernier
récalcitrant arabe
http://www.renenaba.com/le-contournement-du-dernier-recalcitrant-arabe/
© René Naba
Publié le 31 juillet 2011 avec
l'aimable autorisation de René Naba.
Publié sur René Naba.com
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