Opinion
Chine-Afrique: Le
lièvre américain et la tortue chinoise,
une fable à l'échelle planétaire 1/4
René Naba
Samedi 6 avril 2013
Paris-Le nouveau président chinois Xi
Jinping chinois a réservé à l’Afrique
son premier déplacement officiel, dans
une démarche symbolique qui illustre la
vivacité de la rivalité sino occidentale
sur le continent noir et la
prépondérance que la Chine y a prise au
détriment de ses deux anciens maitres,
le Royaume Uni et la France, qu’elle a
supplantée en deux décennies.
Autre message codé, à valeur
hautement significative, le dirigeant
chinois s’est rendu le 26 Mars en
Afrique du Sud pour une visite d’Etat au
pays vainqueur de l’apartheid, avant le
sommet des pays émergents des BRICS tenu
le lendemain à Durban.
Pretoria a constitué la première
étape d‘une tournée en Afrique
comprenant notamment le
Congo-Brazzaville, fief français de
l’Afrique centrale ou il s’est rendu les
29 et 30 mars pour des entretiens avec
son homologue Denis Sassou Nguesso
Les paramètres de
départ: La «théorie de anneaux
maritimes» des Etats-Unis et la
«stratégie du collier de perles» de la
Chine
-
«La théorie des anneaux
maritimes»
Les grands
bouleversements de l’histoire ont
rarement une date d’anniversaire exacte.
Ce n’est qu’arbitrairement que l’on peut
fixer à la fin de la deuxième Guerre
mondiale (1939-1945) le début du
déploiement planétaire de l’empire
américain et de sa compétition feutrée
avec la Chine, dont le point de
percussion majeur aura pour théâtre
l’Afrique à l’entame du XXI me siècle,
particulièrement le Maghreb, le Ponant
du Monde arabe, le flanc méridional de
l’Europe et son point de jonction vers
l’Afrique et, au-delà, l’Amérique
latine.
Premier continent
au Monde pendant cinq siècles, l’Europe
de la seconde moitié du XXe siècle, a
subi, sanction de son bellicisme, la
division en deux blocs, hermétiquement
verrouillés par un rideau de fer.
Saignée et ruinée par deux guerres
mondiales, son volet occidental placé
sous perfusion financière américaine du
Plan Marshall, menant un combat
d’arrière-garde face à la révolte des
peuples coloniaux d’Asie, du Monde arabe
et d’Afrique. Ce combat d’arière garde
face à l’Inde et le Pakistan, les
futures puissances nucléaires, le Monde
arabe, le principal réservoir
énergétique de la planète, le continent
africain, vaste gisement minier, ont
signé sa relégation de la magistrature
suprême de gestion des affaires du
Monde.
Une conjoncture
idéale pour les Etats Unis, qui
s’engouffreront dans la brèche, sur les
débris du colonialisme anglais et
français en Asie occidentale et en
Afrique, à la faveur de l’ostracisation
de la Chine continentale communiste de
Mao Tsé Toung au bénéfice de la Chine
insulaire capitaliste de Taiwan de
Tchang Kai Check, le vaincu du
Kominterm.
En application de
la «théorie des anneaux maritimes», ils
vont procéder, dès la fin de la 2me
Guerre mondiale, à leur déploiement
géostratégique selon la configuration de
la carte de l’Amiral William Harrison,
conçue en 1942 par la marine américaine,
en vue de prendre en tenaille la
totalité du monde eurasiatique,
articulant leur présence sur un axe
reposant sur trois positions charnières:
Le détroit de Behring, le Golfe
arabo-persique et le détroit de
Gibraltar,
Avec pour objectif
de provoquer une marginalisation totale
de l’Afrique, une marginalisation
relative de l’Europe et à confiner dans
un cordon de sécurité un «périmètre
insalubre» constitué par
Moscou-Pékin-Delhi-Islamabad, contenant
la moitié de l’humanité, trois milliards
de personnes, mais aussi la plus forte
densité de misère humaine et la plus
forte concentration de drogue de la
planète.
Héritiers de
l’Europe et témoins privilégiés de ses
déboires, les Etats-Unis se sont certes
portés à deux reprises au XX me siècle
au cours des deux guerres mondiales
(1914-1918/1939-1945), au secours des
grandes démocraties européennes avant de
les supplanter en tant que puissance
planétaire, sans toutefois- là réside le
Hic- tirer profit des égarements
coloniaux de leurs ancêtres européens.
Sur les débris du
colonialisme français et anglais,
l’Amérique, soutenant les indépendances
du Maroc et de l’Algérie dans la foulée
de la folle équipée tripartite (anglo-franco-israélienne)
de Suez, en 1956, a été accueillie en
héros par les peuples arabes. Mais, au
mépris des enseignements de l’Histoire,
elle va fonder son hégémonie sur une
collusion avec les forces arabes les
plus conservatrices et des alliances
contre nature avec les principaux
ennemis du monde arabe, dilapidant ainsi
son capital de sympathie par une
politique erratique illustrée par le
combat implacable qu’elle a menée contre
le nationalisme arabe renaissant.
Deuxième erreur fatale qui permettra à
la Chine, dans la décennie 1960, d’en
tirer profit en y prenant pied, en Asie
occidentale et en Afrique du Nord,
notamment l’Algérie, son plus ancien et
plus loyal allié dans la zone.
-
la stratégie du collier de
perles
Pris en tenaille
entre l’Inde, sa grande rivale en Asie,
les Etats-Unis, maitre d’œuvre du blocus
de la chine maoïste et le Japon, le
géant économique de l’Asie, et les
Etats-Unis, maitre d’œuvre du blocus de
la chine maoïste, la Chine va chercher à
se dégager de ce nœud coulant en
développant «la stratégie dite du
collier de perles». Le terme
a été utilisé pour la première fois au
début de 2005 dans un rapport interne du
Département d’Etat titré «Energy
Futures in Asia».
Cette stratégie,
mise au point dans le but de garantir la
sécurité de ses voies
d’approvisionnement maritimes jusqu’au
Moyen-Orient, ainsi que sa liberté
d’action commerciale et militaire,
consistait dans le rachat ou la location
pour une durée limitée d’installations
portuaires et aériennes échelonnées des
ports de Gwadar (Pakistan), Hambantoa
(Sri Lanka), Chittagong (Bangladesh),
jusqu’à Port Soudan, via l’Iran et le
périmètre du golfe d’Aden pour escorter
ses navires à travers cette zone
infestée de pirates, ainsi que dans la
zone sahélo-saharienne, l’Algérie et la
Libye, à tout le moins sous le régime du
Colonel Mouammar Kadhafi (1969-2012),
soit pendant 43 ans.
Les enjeux de
puissance: Pétrole et surpopulation sur
fond de militarisation des voies
maritimes.
-
Du bon usage des principes
universels. Le principe de la
Liberté de navigation où les océans
nouveau monde du XXIème siècle. (1)
Les grands
principes universalistes répondent
rarement à des considérations altruistes
et obéissent plutôt à des impératifs
matériels. Il a en a été ainsi du
principe de la liberté de la navigation
brandie par l’Angleterre au XVII me et
XVIIIe siècles pour assurer sa
suprématie maritime et partant son
hégémonie commerciale à l’ensemble de la
planète. Il en a été de même du mot
d’ordre du principe de la Liberté du
commerce et du libre-échange décrété par
les pays occidentaux au XIXe et XXe
siècles pour contraindre la Chine à
écouler les marchandises occidentales
sur son marché intérieur au nom de la
«politique de la porte ouverte». Il en
sera de même du «principe de la liberté
d’information» fermement défendu par les
États-Unis, au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale pour asseoir leur
suprématie idéologique dans les quatre
domaines qui conditionnent la puissance:
politique, militaire, économique et
culturel.
Le principe de la
liberté de navigation, principe en
apparence anodin, masque de redoutables
enjeux géostratégique, résumé il y a
deux siècles par le contre-amiral Alfred
Thayus Mahan (1840-1914): «Quiconque
atteindra la suprématie maritime dans
l’océan Indien serait un joueur
important sur la scène internationale”,
soutenait-il déjà au siècle dernier ce
géo stratège de la Marine des
Etats-Unis.
Le surpeuplement
prévisible de la terre, dont la
population va pratiquement doubler en un
siècle passant de six milliards
d’humains, en l’an 2000, à onze
milliards en l’an 2100 c’est-à-dire
davantage qu’au cours de toute
l’histoire de l’humanité, va faire de la
quête de nouveaux espaces, un nouvel
enjeu de la compétition mondial, l’enjeu
de survie de l’espèce humaine.
La conquête de
l’espace en est une illustration
spectaculaire. La mer est plus familière
à l’Homme que l’espace, plus intimement
liée à l’histoire de l’humanité. La
conquête des espaces maritimes, moins
spectaculaire, n’en est pas moins
méthodique. Omniprésents à la surface du
globe, les Océans représentent 71 pour
cent de la surface de la planète, avec
une mention spéciale pour le Pacifique
qui occupe, à lui seul, 50 pour cent de
la superficie océanique mondiale. Si,
depuis la haute antiquité, la mer a
constitué un espace de jonction et de
rapprochement entre les peuples, elle a
aussi servi de théâtre à de
retentissants combats navals (Trafalgar,
Sawari), surtout appréciée par les
stratèges en tant que lieu idéal de
projection des forces à distance.
Le développement de
prospection pétrolière off-shore, du
câblage sous-marin et de la
surexploitation de la pêche ont fait des
océans un gigantesque gisement de
ressources naturelles et animales.
Cinquante pour cent
de la population mondiale vit sur une
mince bande côtière de 50 kms le long
des rivages et 75 pour cent du commerce
mondial en poids, et 66 pour cent en
valeur est assuré par le transit
maritime, près de dix milliards de
tonnes par an.
L’exploitation des
ressources maritimes à, elle, quadruplé
en 40 ans, passant de 20 millions de
tonnes en 1950 à 80 millions de tonnes
en 1990. La FAO estime, quant à elle, à
quarante millions le nombre de personnes
dans le monde vivant de l’économie du
poisson, la filière pêche remployant, à
elle seule, douze millions de personnes
réparties entre pêcheurs, techniciens,
artisans et commerçants.
La militarisation
des voies maritimes figure d’ailleurs
parmi les objectifs de Washington dans
cette zone de non droit absolu qui relie
la Méditerranée à l’Asie du Sud-est et à
l’Extrême-Orient par le canal de Suez,
la mer Rouge et le golfe d’Aden. Dans ce
périmètre hautement stratégique, les
Etats Unis ont procédé au plus important
déploiement militaire hors du territoire
national, en temps de paix.
Le Monde arabe
regroupe trois des principales voies de
navigation transocéaniques, mais n’en
contrôle aucune. Le détroit de
Gibraltar, qui assure la jonction entre
l’Océan Atlantique et la Mer
Méditerranée, est sous observation de la
base anglaise située sur le promontoire
de Gibraltar, une enclave située sur le
territoire de l’Espagne. La jonction
Méditerranée-Mer Rouge est sous le
contrôle des bases anglaises situées aux
deux extrémités du Canal de Suez, les
bases de Dekhélia et d’Akrotiri à
Chypre, à l’entrée du canal par la
Méditerranée et la base de Massirah au
Sultanat d’Oman, à sa sortie.
Enfin, le passage
golfe arabo persique Océan indien est
sous l’étroit contrôle du chapelet de
bases de l’Otan: le camp
franco-américain de Djibouti, la base
aéronavale française d’Abou Dhabi, le QG
du Centcom du Qatar, et la base
aéronavale américaine de Diego Garcia.
En vertu du
principe de la liberté de navigation, la
totalité des voies de passage
transocéaniques, à l’exception du
Détroit de Behring, sont sous contrôle
de l’Occident. Du Détroit de Gibraltar
au Détroit du Bosphore, au Détroit des
Dardanelles, au Détroit de Malacca, au
détroit d’Ormuz. La Chine a d’ailleurs
réussira à contourner ce goulot
d’étranglement en ce que sa «stratégie
du collier de perles» lui a permis
d’aménage d’un chapelet de ports amis le
long de ses voies de ravitaillement,
atteignant le cœur de l’Europe, avec la
zone franche du Pirée.
«Usine du monde»,
la Chine importe aujourd’hui environ 30%
de son pétrole. Selon les estimations de
l’Agence pour l’Energie, elle importera
85% de son pétrole en 2025. L’équation
énergétique chinoise place la Chine en
situation «d’état d’urgence»
d’approvisionnement énergétique qui
explique son offensive à triple nouveau.
La recherche de
bases-relais et de fournisseurs s’est
accompagnée, parallèlement, de la
modernisation significative de sa marine
afin de contrôler les routes maritimes
assurant son approvisionnement
(sécuriser la route maritime vitale
reliant les champs pétrolifères du Golfe
persique à Shanghai en passant par le
détroit d’Ormuz, le détroit de Malacca
et le détroit de Formose, zone
caractérisée par une forte présence des
marines américaines et britanniques).
Référence
1- Du Bon usage des
principes universels, notamment du
principe de la liberté de navigation,
Cf. «Golfe: les enjeux sous-jacents du
détroit d’Ormuz :
http://www.renenaba.com/golfe-arabo-persique-les-enjeux-sous-jacents-du-detroit-d-ormuz/
«Justice
internationale: Posture ou imposture» :
http://www.renenaba.com/justice-penale-internationale-posture-ou-imposture/
Tous droits réservés
© René Naba • 2013
Reçu pour publication
Le sommaire de René Naba
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|