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Analyse
L'Egypte ou le symptôme de l'éléphantiasis
diplomatique
René Naba
Paris, le 5 février 2009
L’escadre de l’Otan dépêchée en renfort de l’Egypte pour lutter
contre le trafic des armes au large de Gaza, de même que
l’activisme diplomatique tardif déployé par le Caire avec
l’hébergement des pourparlers inter palestiniens et la
conférence des pays donateurs pour la reconstruction de
l’enclave palestinienne détruite par Israël, ne modifieront en
rien la cruauté du constat: Misr Oum ad Dounia, l’Egypte, Mère
du Monde, l’Egypte, dont l’histoire s’est longtemps confondue
avec l’épopée, n’est plus que l’ombre d’elle-même, un pays qui a
intériorisé sa défaite, voué au rôle peu glorieux de sous
traitant de la diplomatie américaine sur le plan régional, de
factotum des impératifs de sécurité d’Israël, le ventre mou du
Monde arabe, son grand corps malade.
Placé au centre géographique du Monde arabe, à l’articulation de
sa rive asiatique et de sa rive africaine, abritant la plus
forte concentration industrielle dans une zone allant du sud de
la Méditerranée aux confins de l’Inde, contrôlant de surcroît,
de manière exclusive, les deux principaux axes de communication
du Monde arabe, le Nil vers le continent africain, le Canal de
Suez vers le Golfe pétrolier, l’Egypte a longtemps été le fer de
lance du combat nationaliste arabe. Plaque tournante de la
diplomatie arabe, elle a assumé sans relâche le rôle du grand
frère protecteur, le régulateur de ses turbulences, le parrain
de ses arrangements, comme ce fut le cas de l’accord libano
palestinien du Caire, le 3 Novembre 1969, qui mit fin à la
première guerre civile libano palestinienne, ou de l’accord
jordano-palestinien, le 27 septembre 1970, dans la foulée du
Septembre Noir jordanien.
Mais l’artisan de la première nationalisation victorieuse du
tiers monde, la nationalisation du Canal de Suez, en 1956, qui
sonna le glas de la présence coloniale franco-britannique en
terre arabe, la base arrière des principaux mouvements de
Libération du Monde arabe, de l’Algérie au Sud Yémen, le
destructeur de la ligne Bar Lev, en 1973, qui exorcisa le
complexe d’infériorité militaire arabe vis à vis d’Israël,
parait comme atteint d’éléphantiasis diplomatique, à en juger
par son comportement honteusement frileux durant les deux
dernières confrontations israélo-arabes, la guerre de
destruction israélienne du Liban, en juin 2006, et la guerre de
destruction israélienne de Gaza, deux ans plus tard, en décembre
2008.
Même dans le domaine privilégié de sa suprématie qui capta
l’imaginaire et l’adhésion des foules pendant un demi siècle, le
domaine culturel, sa supériorité parait battue en brèche.
Premier exportateur de vidéocassettes, de films et de téléfilms
dans le Monde arabe, l’Egypte disposait d’un magistère culturel
sans égal, s’articulant sur trois piliers: Le charisme de son
chef, Nasser, sa brochette prestigieuse de vedettes de grand
talent, Oum Kalsoum et Abdel Wahab, ses grands écrivains Taha
Hussein, Naguib Mahfouz et le poète contestataire Cheikh Imam,
Tahia Karioka et Nadia Gamal, sur le plan de l’industrie du
divertissement et du spectacle, le tandem formé, enfin, sur le
plan de la communication, par le journal Al-Ahram, le plus
important quotidien arabe, et Radio le Caire, la doyenne des
stations arabes. Septième diffuseur international par
l’importance de sa programmation radiophonique hebdomadaire,
Radio le Caire émet en 32 langues couvrant un large spectre
linguistique (Afar, Bambara, pachtoune, albanais). Il
constituait un puissant vecteur de promotion des vues
égyptiennes aux confins du quart monde. Mais son primat culturel
pâtit désormais de la renaissance de Beyrouth, le point de
fixation traumatique d’Israël, capitale culturelle frondeuse du
Monde arabe, et de la fulgurante percée des chaînes
transfrontières arabes, en particulier Al-Jazira, désormais
indétrônable par son professionnalisme.
Son primat diplomatique, aussi, est remis en question par
l’émergence des deux puissances musulmanes régionales non
arabes, l’Iran et la Turquie, dans la suppléance de la
défaillance diplomatique arabe, principalement de l’Egypte et
surtout de l’Arabie saoudite, mutique pendant les trois semaines
de la destruction israélienne de Gaza. De même que son primat
militaire est relégué aux oubliettes par la relève rebelle des
artisans victorieux de la nouvelle guerre asymétrique contre
Israël, le chiite Hezbollah libanais et le sunnite Hamas
palestinien, rendant obsolète la fausse querelle que tentent
d’impulser l’Arabie Saoudite et l’Egypte entre les deux branches
de l’Islam dans l’espace arabe.
Le plus grand et le plus peuplé pays du monde arabe avec 80
millions d’habitants, est au bord de l’implosion sociale avec 34
% d’Egyptiens vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec moins
de deux dollars par jour. Depuis le revirement proaméricain du
président Anouar el Sadate, en 1978, et son traité de paix avec
Israël, il y a trente ans, l’Egypte fonctionnait sur un mode
binôme, par une répartition des tâches entre le pouvoir
politique géré par la bureaucratie militaire, alors que la
gestion culturelle de la sphère civile était confiée au zèle de
l’organisation des Frères Musulmans, dont le prosélytisme s’est
matérialisé par le rétablissement du crime d’apostasie. Sous la
menace islamiste, l’Egypte navigue ainsi entre corruption,
régression économique et répression, avec 1,3 million de flics
employés par le ministère de l’Intérieur et plusieurs milliers
de prisonniers politiques.
La passivité égyptienne devant le bain de sang israélien à Gaza,
sa léthargie diplomatique face à l’activisme des pays
latino-américains, le Venezuela et la Bolivie qui ont expulsé
l’ambassadeur israélien à Caracas et La Paz, a suscité une levée
de boucliers des Frères Musulmans conduisant la confrérie à
cesser toute opposition à la Syrie, rendant caduque sa
collaboration avec l’ancien vice-président syrien Abdel Halim
Khaddam, le transfuge baasiste réfugié à Paris. Par un
invraisemblable renversement d’alliance qui témoigne du
strabisme stratégique de l’Egypte, c’est la Syrie, son ancien
partenaire arabe dans la guerre d’indépendance, et non Israël,
qui constitue désormais sa bête noire.
C’est Gaza, à bord de l’apoplexie, qui est maintenu sous blocus
et non Israël, ravitaillé en énergie à des prix avantageux,
défiants toute concurrence, sans doute pour galvaniser la
machine de guerre israélienne contre un pays sous occupation et
sous perfusion, la Palestine.
Indice de sa servitude à l’égard des Etats-Unis, la moindre
initiative de l’Egypte est tributaire du contreseing américain,
que cela soit dans le domaine de la technologie nucléaire
obtenu, en 2005, après que l’Iran se soit engagé dans la course
atomique et afin d’y faire contrepoint, ou que cela soit dans le
domaine diplomatique. La dernière initiative franco-égyptienne
sur Gaza n’échappe pas à la règle. Elle répond davantage au
souci de MM. Hosni Moubarak et Nicolas Sarkozy de sauver du
naufrage à sa première épreuve l’Union Pour la Méditerranée,
dont ils assument la co-présidence, que de mettre un terme au
bain de sang israélien.
L’Egypte bénéficie, il est vrai, d’une rente stratégique
matérialisée par une aide américaine de trois milliards de
dollars par an. Mais cette obole apparaît à bon nombre
d’observateurs comme une sorte de denier de Judas, ne pouvant
compenser aux yeux de l’opinion publique du tiers monde, le
socle de la puissance diplomatique égyptienne, les effets
dévastateurs de ce lymphatisme tant sur le plan du prestige
international de l’Egypte qu’au plan de la sécurisation de
l’espace national arabe.
L’Egypte est frappée du symptôme d’éléphantiasis, à l’image de
son vieux Président (80 ans), un personnage au teint cireux, un
personnage de cire, en voie de momification par près de trente
ans d’un pouvoir autocratique schizophrénique, ultra répressif
sur le plan interne, léthargique sur le plan international,
cramponné à son siège dans l’attente d’une succession filiale.
Nasser a nationalisé le Canal de Suez et résisté à l’agression
tripartite franco anglo-israélienne, en 1956. Vaincu en 1967, il
a aussitôt déclenché une «guerre d’usure» de 18 mois le long du
front de Suez, dans une démonstration de son refus de la
résignation et de la capitulation, avant de mettre fin à la
guerre civile jordano-palestinienne, la veille de sa mort en
septembre 1970.
Sadate a récupéré le Sinaï mais marginalisé son pays par sa
signature d’un traité de paix solitaire avec Israël. Moubarak,
lui, la vache qui rit, selon le sobriquet qui lui colle à la
peau depuis le début de son règne pour souligner son cynisme
faussement niais, passera dans l’histoire pour avoir été le
dirigeant égyptien sans la moindre action d’exploit à son actif,
sinon de réintégrer son pays au sein Ligue arabe pour en faire
une rente de situation à l’effet de cautionner toutes les
interventions militaires américaines contre les pays arabes que
cela soit lors de la première guerre du Golfe contre l’Irak, en
1990, ou encore treize ans plus tard, lors de l’invasion
américaine de l’Irak, en 2003.
Le cessez le feu unilatéral israélien dans la bande de Gaza
conclu à la suite d’un arrangement entre deux gouvernements
moribonds, le revanchard israélien Ehud Olmert mal remis de
défaite face au Hezbollah libanais, en 2006, et le pantin
américain George Bush, a retenti comme un cinglant camouflet
tant pour le nouveau président américain Barack Obama que pour
le médiateur égyptien Hosni Moubarak que pour son alter ego
français, Nicolas Sarkozy, le vibrionnant et inopérant
co-président de l’Union pour la Méditerranée.
Le contournement de l’Egypte par ses deux partenaires du Traité
de Paix de Camp David dans des arrangements de sécurité
concernant l’enclave palestinienne qui lui est frontalière a
cruellement mis à jour le rôle de servant -et non de partenaire-
des états arabes au sein de la diplomatie occidentale,
conduisant l’Egypte et l’Arabie saoudite à afficher une unité de
façade avec leurs contestataires, principalement la Syrie, au
sommet économique du Koweït, le 19 janvier, la veille de la
prestation de serment du président Obama.
Que l’on ne s’y trompe donc pas: L’hébergement de la conférence
des pays donateurs pour la reconstruction de Gaza, de même que
l’escadre de l’Otan dépêchée en renfort de l’Egypte pour lutter
contre le trafic des armes au large de l’enclave palestinienne
sont principalement destinés à renflouer le président Hosni
Moubarak, en plein naufrage diplomatique, de même que son
compère palestinien discrédité Mahmoud Abbas. Ils visent en
outre à maintenir un rôle européen même ténu au Moyen orient,
dans la nouvelle configuration diplomatique de l’ère Obama.
L’avènement du premier président afro-américain de l’histoire
frappe de relégation Nicolas Sarkozy d’autant plus
inexorablement que le dernier chef de file européen du
néo-conservatisme américain, le pivot européen de l’axe israélo
américain, discrédité par une ostentation tapageuse et les
rebuffades successives d’Israël, est affligé de surcroît de
collaborateurs décriés pour leur flexibilité morale avec un chef
de la diplomatie sous perfusion financière d’un satrape africain
(1) et la compagne de cet ancien humanitariste, la risée
universelle de l’opinion pour son maniement frénétique de la
sulfateuse dans l’éradication du pluralisme politique au sein du
dispositif audiovisuel extérieur français (2).
Le Pharaon d’Egypte est nu, dénudé par ses nouveaux alliés: le
Primus inter pares (3) des Arabes est désormais «le passeur des
plats» officiel de la diplomatie israélo américaine. Triste
destin pour Le Caire, Al-Kahira, la victorieuse dans sa
signification arabe, ravalée désormais au rang de chef de file
de «l’axe de la modération arabe». L’ancien chef de file du
combat indépendantiste arabe, amorphe et atone, assume désormais
sans vergogne le rôle de chef de file de l’axe de la soumission
et de la corruption….l’axe de la résignation et de la
capitulation…l’axe de la trahison des idéaux du sursaut
nassérien. Notes:
1- cf. à ce propos le site «Bakchich»
Bernard Kouchner, ministre des factures étrangères
(15 janvier 2009) -
http://www.bakchich.info/article6462.html
dans laquelle le site fait état d’un versement de 817.000 euro
du président gabonais Omar Bongo à une société de consultants en
rapport d’affaires avec le ministre de français des Affaires
étrangères, à titre de rétribution d’une consultation sur le
système de santé gabonais, et un article du même site, trois
jours plus tard, Bernard Kouchner et Christine Ockrent sont
devenus fous, mais personne ne les soigne pas», bakchich (18
janvier 2009), ainsi que Kouchner: du sac de riz au sac de blé»
in Le Canard enchaîné du mercredi 21 janvier 2009 dans lequel le
journal satirique relate comment le ministre français des
Affaires étrangères «est passé en quelques années de Médecins
sans frontières à Médecins sans scrupules», de même que le livre
de Pierre Péan Le monde selon K » paru le 4 février 2009 aux
Editions Fayard.
2- Depuis sa prise de fonction à la direction
de l’audiovisuel extérieur, en 2007, Christine Ockrent a
procédé, sous de prétextes fallacieux, au licenciement des
journalistes réputés pour leur connaissance du Monde arabe,
notamment le journaliste et écrivain Richard Labèvière, grand
spécialiste de la zone et auteur d’un interview du président
syrien Bachar al-Assad, ainsi que Wahib Abou Wassel,
représentant syndical et unique journaliste palestinien de
l’audiovisuel extérieur français.
3- Primus inter pares : le premier parmi ses
pairs.
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Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
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Publié le 5 février 2009 avec l'aimable autorisation de René
Naba.
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