Opinion
Syrie - Mensonges et manipulations
Pierre Piccinin
Hama - 500.000 manifestants, selon l'AFP [1]
©
photo Pierre PICCININ- HAMA (15
juillet 2011)
Centre de Recherche sur la
Mondialisation,
1er août 2011
Durant ce mois de juillet 2011, je me
suis rendu en Syrie, dans le but d’y
vérifier
une hypothèse
relative aux origines de la contestation.
J’ai pu circuler en toute liberté et
indépendance dans tout le pays, de Deraa
à Damas et de Damas à Alep, en croisant
tout le Djebel druze, au sud, en passant
par Homs, Hama, Maarat-an-Nouman, Jisr-al-Shugur,
en longeant la frontière turque et en
inspectant les points de passage vers la
Turquie, par lesquels, comme on sait,
les réfugiés ont quitté la Syrie, puis
de Alep à Deir-ez-Zor, tout à l’est du
pays, en traversant le désert syrien
suivant plusieurs itinéraires…
J’ai ainsi pu vérifier que, d’une part,
le mouvement issu de la société civile
aspirant à la démocratisation du régime
s’essouffle et que, d’autre part, il
existe d’autres mouvances d’opposition,
parfois violentes et dont les objectifs
ne sont pas identiques à ceux des
démocrates pacifiques.
C’est notamment le cas de la fraction
islamiste de la communauté sunnite,
organisée autour des Frères musulmans,
qui ambitionnent l’instauration d’une
république islamique en Syrie, ce qui
terrifie les Chrétiens et la plupart des
autres minorités, dès lors favorables au
statu quo actuel et au parti Baath,
garant de la laïcité de l’État.
Mais, outre cette vérification dans
le cadre de mes recherches sur le
Printemps arabe, j’ai aussi été
confronté, de facto, à une constatation
qui m’a stupéfait, alors que je
m’attendais à trouver un pays en
révolution : l’image de la Syrie qui est
proposée dans les médias occidentaux,
image d’un pays en plein chaos
régulièrement ébranlé par des
manifestations gigantesques rassemblant
plusieurs centaines de milliers de
personnes, ne correspond en aucun cas à
la réalité observable sur le terrain.
En effet, déjà minoritaire à l’origine,
la contestation démocratique des débuts
s’est progressivement étiolée, notamment
du fait de la répression exercée par le
gouvernement, et se limite aujourd’hui à
quelques quartiers périphériques des
grandes villes, où se rassemblent
épisodiquement quelques centaines de
personnes seulement, quelques milliers
parfois, le plus souvent le vendredi, à
la sortie des mosquées, non sans une
certaine influence islamiste, très
présente dans ces quartiers défavorisés.
Ces manifestations n’ont que peu de
conséquence sur le régime.
A côté de ce mouvement démocratique, la
contestation se traduit aussi dans
l’action de bandes armées,
principalement à Homs, en une forme de
guérilla urbaine, dont il est bien
difficile de déterminer l’origine et les
objectifs. Ces jeunes, cagoulés et
violents, peu nombreux, ne constituent
pas non plus une réelle menace pour le
gouvernement.
Par contre, une contestation plus ample
se poursuit à Hama, fief des Frères
musulmans, la seule ville de Syrie,
quasiment en état de siège, où ont
encore lieu de grandes manifestations.
Hama avait été le centre d’une violente
révolte, en 1982, qui avait été écrasée
par Hafez al-Assad, le père de l’actuel
président, Bashar al-Assad. Le bilan de
la répression avait été estimé entre dix
et quarante mille morts.
Lorsque la contestation a commencé, en
février dernier, les Frères ont relancé
leur mouvement à Hama et le régime,
craignant une insurrection similaire à
celle de 1982, a directement ouvert le
feu contre un mouvement qui, cette fois,
s’est révélé, à ce stade, non-violent (à
Hama du moins).
Les habitants de Hama ont dès lors
fortifié les entrées de la ville, dont
l’armée s’est aujourd’hui retirée et
qu’elle a encerclée de blindés prêts à
intervenir en cas de débordement. Le
gouvernement, de toute évidence, a
choisi d’éviter le bain de sang, par
crainte des réactions de la communauté
internationale, et, la contestation
s’essoufflant partout ailleurs, en dépit
de tentatives d'incursion régulières,
semble avoir opté pour le pourrissement.
©
photo Pierre PICCININ- HAMA (15
juillet 2011)
Le vendredi 15 juillet, je suis entré
dans Hama, sans être arrêté aux barrages
routiers. Dans la ville, déserte, c’est
le chaos : voitures et autocars
calcinés, gravats, rues fermées par des
barricades de fortunes, immondices qui
ne sont plus enlevés… L’ordre y est
maintenu par des groupes de jeunes en
moto qui sillonnent les boulevards.
Très vite, j’ai été entouré par ces
jeunes, inquiets de me voir prendre des
photographies. Quand j’ai montré mon
passeport belge, la situation s’est
détendue : « Belgîcaa !, Belgîcaa ! » ;
seul observateur étranger sur place ce
jour-là (le régime refuse l’entrée dans
le pays aux journalistes), j’ai été
encadré par ces jeunes qui m’ont fait
toute une fête ; j’ai pu me déplacer
parmi les manifestants, puis accéder à
un haut immeuble, d’où j’ai pris une
série de clichés d’ensemble.
Sur la place Asidi, au bas de la grande
avenue al-Alhamein, la prière terminée,
des milliers de personnes sont sorties
des mosquées et ont déboulé de tous les
quartiers de la ville. Au cri de « Allah
akbar ! », elles ont invectivé le
régime. « Voulez-vous de Bashar ? » ;
« Non ! ». Un long cortège a ensuite
fait le tour de la place, déployant un
drapeau syrien de plusieurs dizaines de
mètres. L’armée n’est pas intervenue ;
il n’y a pas eu de violence. J’ai
ensuite eu l’occasion de m’entretenir
avec ces jeunes, qui m’ont demandé de
témoigner de leur mouvement.
Le soir même, rentré dans ma chambre
d’hôtel, quelle ne fut pas ma surprise
de lire la dépêche de l’AFP, qui
annonçait un million de manifestants à
travers la Syrie, ce 15 juillet,
considéré comme la journée ayant connu
la plus forte mobilisation depuis le
début de la contestation, dont 500.000 à
Hama.
A Hama, ils n’étaient, en réalité, pas
10.000.
Hama et Deir
ez-Zor - 1,2 million de
manifestants, selon
Le
Monde [2]
Cette
« information » est d’autant plus
absurde que la ville de Hama ne compte
que 370.000 habitants (environ 500.000
si l'on comptabilise les villages du
gouvernorat, tous sous contrôle de
l'armée). D’autres dépêches ont suivi,
tout aussi absurdes : 450.000, puis
650.000 manifestants à Deir ez-Zor, une
ville de 240.000 habitants. Je m’y suis
rendu ; la ville est l’une des plus
calmes du pays.
Certes, les chiffres sont toujours
différents, d’une source à l’autre ; ils
varient parfois très sensiblement ; et
les estimations ne sont pas toujours
aisées.
Mais, dans ce cas-ci, il ne s’agit plus
d’estimations difficiles ou de
variantes ; dans ce cas, il s’agit
« d’intox », de désinformation, de
propagande.
500.000 manifestants peuvent ébranler le
régime ; 10.000 n’ont que peu de
conséquence.
Et toutes les « informations » qui sont
diffusées sur la Syrie depuis des mois
sont du même ordre; le nombre des
manifestants, la mobilisation en faveur
de l'opposition, le détail des victimes
de la répression, des morts, tout est
exagéré, tout vient du même tonneau.
Comment ces 10.000 manifestants ont-ils
pu ainsi miraculeusement se multiplier
en 500.000 dans les dépêches de l’AFP ?
La source de l’AFP ?
Celle qui revient et revient,
systématiquement, depuis des mois, dans
tous les médias, dans tous les
communiqués concernant la Syrie, dans
tous les quotidiens et sur toutes les
chaînes de radio et de télévision. Celle
qui est devenue, peu à peu, quasiment la
seule source sur les événements qui
touchent la Syrie. C’est l’Observatoire
syrien des droits de l’homme (l’OSDH).
Je me suis immédiatement intéressé à cet
OSDH. Il ne m’a pas fallu bien longtemps
pour découvrir que, derrière cette
étiquette aux apparences honorables,
comme peuvent l’être des associations
telles qu’Amnesty International ou la
Ligue des droits de l’homme, se cache
une organisation politique, basée à
Londres, dont le président, Rami Abdel
Ramane, opposant de longue date au
régime baathiste, est très connu en
Syrie où l’on sait les rapports étroits
qu’il entretient avec les Frères
musulmans, dont il serait lui-même
membre.
C’est cette même organisation, l’OSDH,
qui multiplie les vidéos sur Youtube,
montrant, soi-disant, des « dizaines de
milliers de manifestants », dans toutes
les grandes ville de Syrie, alors que,
si l’on examine ces vidéos, on ne peut
compter que quelques dizaines de
personnes, filmées en plans rapprochés,
qui, certes, donnent une impression de
masse, mais ne trompent pas l’œil un
tant soit peu critique.
Ainsi, depuis plusieurs mois, c’est une
« réalité imaginaire » que les médias
diffusent à propos de la Syrie, une
réalité revue et corrigée par une source
unique sur laquelle personne,
semble-t-il, n’a jugé utile de
s’interroger.
Cette image d’une Syrie en pleine
révolution et d’un parti Baath au bord
du gouffre ne correspond en aucun cas à
la réalité du terrain, où le pouvoir
contrôle la situation et où la
contestation s’est considérablement
réduite.
Mais, au-delà de cette désinformation
relative au cas syrien, il y a plus
grave : de manière générale, les leçons
de Timisoara, de la Guerre du Golfe ou
des événements de Yougoslavie n’ont
toujours pas porté. Et les médias, même
les plus fiables, continuent de se
laisser prendre au piège des dépêches
hâtives, sans prendre davantage le temps
d’en vérifier ni le contenu, ni
l’origine, au risque de servir à leurs
lecteurs une « réalité virtuelle », de
leur construire un monde de conte de
fées...
[1]
Syrie : un million de manifestants
contre le régime, 28 morts (Agence
France-Presse, 15 juillet 2011).
[2] Syrie
: 1,2 million de manifestants à Hama et
Deir Ezzor,
Le Monde,
22 juillet 2011.
Lien(s) utile(s) :
Centre de
Recherche sur la Mondialisation.
(1) Euronews - vendredi 29 juillet 2011
"Ils étaient encore des centaines de
milliers à manifester ce vendredi, jour
de prière, un peu partout en Syrie. Ici,
dans les rues de Hama, environ 500.000
personnes ont bravé le régime, selon
l'Observatoire syrien des droits de
l'homme..." (extrait du commentaire
du reportage d'Euronews, sur des images
offrant une vue panoramique de la
manifestation de Hama, place Asidi, où,
une nouvelle fois, on ne compte pas même
10.000 personnes, lors de ce
rassemblement qui est de loin le plus
important de tout le pays).
(2) Euronews - dimanche 31 juillet 2011
"C'est une offensive de vaste
ampleur que l’armée syrienne a lancée
contre la ville de Hama : des chars ont
pénétré à l’aube dans cette localité du
centre de la Syrie ; les militaires et
les forces de sécurité ont ouvert le feu
sur les civils, selon l'Observatoire
syrien des droits de l'homme..."
© Cet
article peut être librement reproduit,
sous condition d'en mentionner la
source.
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