Témoignage
Mgr Philippe
Tournyol Clos : Décembre syrien
Samedi 26 janvier
2013 À l’heure où je
prends la plume, la fausse bataille de
Damas touche à sa fin et la route de
l’aéroport international est sécurisée.
Les rebelles ont vu leur tentative
d’investir la capitale – entre autre par
les collecteurs d’égout – échouer et ont
repris le harcèlement ininterrompu des
banlieues, ainsi que du camp palestinien
de Yarmouk, au sud de la ville.
L’avant-veille de Noël, le silence
des canons confirmait la bonne
nouvelle : matés autour de la
capitale, les rebelles se
retiraient. Deux nouveaux essais ont
été repoussés le premier de l’an et
le 4 janvier.
Mon sentiment premier confirme ce
que j’écrivais au mois de mai [1]
: le problème en Syrie n’est pas le
régime mais la terreur, les
enlèvements, les attentats. L’on ne
peut parler ni de guerre classique
ni de guerre civile ; et il ne
s’agit nullement de réconcilier les
Syriens avec les Syriens. Les
islamistes ne livrent pas de
véritable offensive, mais mènent une
guérilla de rue, cruelle et
incessante, dont la population est
la première victime. Le mal, c’est
ce terrorisme par procuration dont
le recrutement, le financement et
l’armement sont assurés par
l’étranger. Aujourd’hui, nul ne peut
plus ignorer ou faire sans vergogne
semblant d’ignorer que la situation
locale résulte pour l’essentiel de
cette agression extérieure.
Combien de temps durera cet état de
guerre et le malheur d’un peuple
tout entier ? Quelques semaines
seraient suffisantes au Président
Bachar el-Assad pour mater la
rébellion dès le moment où l’on
arrêterait d’infiltrer des
terroristes et de les approvisionner
en armes et en logistique. Comment
voulez-vous contrôler 4 000 km de
frontière ?
La marine américaine croise au large
du Liban, la Russie envoie une
nouvelle flottille de navires de
guerre sur les côtes de Syrie, des
missiles sol-air Patriot vont être
déployés à la frontière
turco-syrienne, l’Iran marque sa
réprobation, une invasion étrangère
serait-elle imminente ? En dépit de
toutes les rodomontades, il ne le
semble pas, car à y voir de près, la
Syrie est le dernier bastion de la
laïcité et de la stabilité dans la
région.
Le régime
syrien n’est pas près de s’effondrer
Lorsque je suis arrivé, au début du
mois de décembre, les médias
étrangers disaient le régime aux
abois et l’ « Armée Syrienne Libre »
aux portes de Damas, sur le point
d’investir l’aéroport international
et menaçant le palais présidentiel.
Rien n’était plus faux comme j’ai pu
le constater une fois de plus. La
contre-offensive loyaliste avait
facilement déjoué les plans
d’invasion de la capitale et
repoussé les attaques des rebelles.
Elle s’emploie pour l’heure à les
chasser hors de leurs zones de repli
dans les villages avoisinants.
L’opposition armée, plus
particulièrement le Front al-Nosra,
a subi de sérieuses pertes et les
passages à basse altitude d’avions
sur la ville, les bombardements
ciblés et les salves de canons –
devenus sporadiques depuis – me
semblent bien plus rassurants que
les bombes artisanales dans les
autobus, les explosions de voitures
aux carrefours fréquentés ou les
tirs de mortiers qui peuvent
surprendre les civils n’importe où,
à n’importe quelle heure de la nuit
ou du jour, sans parler des
exactions de tous genres, des
enlèvements contre rançon et de la
recrudescence des égorgements.
Il ne s’agit en aucune façon d’une
guerre qui opposerait deux
belligérants, mais d’une guérilla
terroriste menée par des fanatiques
et des mercenaires qui ne
connaissent ni règle, ni limite.
Comme ceux-ci proviennent d’une
trentaine de pays différents et
comptent plusieurs centaines de
groupuscules, on imagine la
difficulté d’aboutir à un accord
global basé sur une réconciliation
que le régime est le premier à
vouloir favoriser. Il faut souligner
pour être véridique, qu’il existe –
parmi les Syriens – des rebelles que
l’on pourrait qualifier de « modérés
» ; des milliers d’entre eux ont
rendu les armes et ont été amnistiés
par Bachar el-Assad ; et bon nombre
de sunnites ont rallié son
gouvernement à la vue du
comportement des mercenaires.
Malgré un lourd tribut de
destruction Alep, la ville ancienne,
est devenue une ville fantôme ; le
quartier des souks est dévasté, les
voyous ont même tenté de s’attaquer
à la citadelle. Comme toujours, avec
les complicités étrangères, les
rebelles s’y sont infiltrés, ont
momentanément contrôlé certains
quartiers, mais n’ont pas pu s’en
emparer dans son ensemble.
C’est aussi le cas d’Homs dont la
vieille ville est toujours infestée
par des bandes armées, ses plus
vénérables églises incendiées où ces
bandes entreposent leur armement,
des centaines d’icônes réduites en
cendre. Les forces loyalistes
progressent néanmoins et regagnent
chaque jour du terrain. Quant aux
rebelles, ils préfèrent achever et
brûler leurs propres blessés plutôt
que les laisser identifier par
l’armée régulière.
La basilique Saint-Siméon conservant
la colonne du célèbre stylite, est
désormais un tas de ruines. Églises,
mosquées, usines, écoles,
universités sont la cible des tirs,
sans parler des trésors
archéologiques volés et dispersés
pour apporter… la démocratie.
Idleb et Deir Ezzor ont subi des
destructions considérables, perdu
une partie importante de leur
population, réfugiée parfois à
l’étranger, mais le plus souvent
dans des zones calmes du pays,
c’est-à-dire sous contrôle
gouvernemental.
Il est évident qu’avec l’insécurité,
le pillage des denrées de base, du
sucre et de la farine, le saccage
d’usines de forage pétrolier
(démontées en direction de la
Turquie), auxquels s’ajoutent les
représailles économiques étrangères
et les destructions intérieures, la
pauvreté et le chômage sont devenus
endémiques : le coût de la vie a
quadruplé, le pain manque,
l’électricité, le mazout. Dans le
but évident mais sans succès de
retourner le peuple contre le
gouvernement en place.
Les rebelles ne
pourront venir à bout militairement
de l’État syrien
La question est de savoir si le
gouvernement et son armée pourront
venir à bout des bandes
militarisées. Nous pensons que oui,
même si la mobilité et la capacité
de celles-ci à recevoir des renforts
depuis la Turquie, l’Irak ou la
Jordanie, prolongent leur capacité
de nuisance.
Après vingt-deux mois d’un conflit
de plus en plus âpre et sanglant,
Bachar el-Assad et les institutions
gouvernementales ne sont pas prêts
d’être anéantis. Peu tenté par le
projet de califat proclamé par les
islamistes soutenus par la France,
le président syrien peut, en effet,
compter sur la loyauté de troupes
qu’il est loin d’avoir toutes
déployées ; il dispose aussi d’une
frappe aérienne et d’un armement
lourd dont il n’aurait engagé
jusqu’ici qu’une faible partie.
Enfin l’armée syrienne porte chaque
jour ou presque des coups sévères à
ce magma de bandes armées qui sont
souvent la lie de pays comme la
Tunisie ou l’Arabie Saoudite,
laquelle envoie « des détenus
accusés de trafic de drogue, de
meurtre, de viol, méritant le
châtiment de la charia islamique et
l’exécution par l’épée, mais qui
sont graciés en échange d’aller
combattre pour le Djihad en Syrie
après entraînement et équipement » (
Note du Ministère de l’Intérieur
d’Arabie saoudite).
L’armée
syrienne a toujours le soutien de la
population
Faut-il rappeler que l’armée
syrienne est une institution
légitime d’un État souverain qui
défend son pays contre une agression
étrangère dont les mercenaires sont
payés et entraînés par les forces de
l’OTAN et les royaumes du Golfe ?
Aucun média occidental n’ose parler
de ses quelques 12 000 victimes
qu’on appelle ici des martyrs et de
son combat patriotique. Tout est
dénaturé pour nous faire croire que
l’armée syrienne est impopulaire et
honnie, alors qu’elle est acclamée
par les populations, comme on l’a vu
récemment encore dans la région
d’Alep. Il y a malheureusement trop
de régions où les victimes de la
rébellion se plaignent de son
absence. Parce que non seulement
elle les protège, mais leur permet
souvent de rentrer chez eux.
Malgré les apparences, l’armée
syrienne tente d’épargner la
population locale. L’aviation
syrienne mène des frappes mais ne
pilonne pas comme nos médias le
disent et, dans la plupart des cas,
elle tente d’évacuer les habitants
avant d’entrer en action ou au moins
de les en prévenir. Les avions
larguent, en effet, des tracts en
arabe où il est écrit à l’attention
des rebelles :
« Réveillez-vous !
Vous, qui êtes venus chez nous en
Syrie nous combattre au nom de
l’islam, rentrez chez vous avant
qu’il ne soit trop tard. Personne
dans le monde ne viendra à votre
secours. Vos amis brûlent même votre
corps après votre mort. Nous sommes
sur nos terres et nous la défendrons
jusqu’à la dernière goutte de notre
sang… Les Américains et les
sionistes se moquent de vous, de
l’islam, des Arabes et de votre
prophète. Ils veulent que vous vous
entretuiez. Votre place naturelle se
trouve chez vous pour défendre votre
pays s’il venait à être attaqué. »
Ce type d’avertissements pousse les
civils à évacuer les zones de combat
et diminue de manière significative
le nombre de victimes innocentes.
La guerre
antiterroriste risque d’être longue
Face au gouvernement qui a le
soutien de la majorité de la
population, on ne peut nier qu’une
autre partie de la population ait
pris les armes. Mais le combat
sanguinaire qui se déroule sous nos
yeux n’est pas leur fait. Et la
bataille sera longue parce que
l’opposition armée et ceux qui sont
derrière elle, comme forces
régionales et internationales,
refusent tout dialogue avec le
régime. Ce qui laisse penser que le
sang va continuer de couler et qu’il
continuerait de couler même si
Bachar el-Assad était assassiné.
Le Chef du Hesbollah libanais Hassan
Nasrallah stigmatise les soutiens
extérieurs de ces terroristes :
« Franchement,
dit-il, il y a des États qui ont
beaucoup d’argent et qui n’ont cure
que les Syriens s’entretuent. Ils
peuvent leur envoyer de l’argent
sans discontinuer. Certaines forces
régionales et internationales ont
intérêt à ce que ce conflit perdure.
Les Américains ne sont pas du tout
pressés que les choses se terminent
en Syrie. Au contraire, ils
voudraient que la situation
s’éternise. Car plus il y aura de
tueries dans les rangs de
l’opposition armée, de l’armée
régulière et des catégories
populaires, plus cela signifiera
l’affaiblissement de la Syrie, son
impuissance, sa destruction, et donc
son évincement du conflit contre
Israël ».
Il faut convenir que l’analyse
d’Hassan Nasrallah cerne d’assez
près la réalité : la Syrie ne voit
pas encore le bout du tunnel, mais
elle ne pourra le voir que si elle
ne baisse pas la garde contre ceux
qui veulent la détruire. Une
victoire militaire, ou un début de
victoire militaire permettrait-il le
dialogue, le camp d’en face ne
faisant parler que la terreur et ne
comprenant que les rapports de force
? Il semble que Bachar el-Assad ne
veuille pas d’une victoire militaire
parce que le temps travaille en sa
faveur.
La position de
la France de reconnaissance de
l’opposition syrienne, est immorale
Membre de l’Organisation des Nations
Unies, la Syrie est un État qui n’a
manifesté aucune attitude hostile
contre la France ou son peuple.
Comment alors ne pas considérer
comme immorale l’ingérence agressive
et hostile de notre gouvernement
dans les affaires intérieures d’un
pays souverain ? Toutes les
interventions étrangères, les
sanctions et les agressions
militaires ne font qu’affaiblir les
droits de la personne et les droits
démocratiques du peuple syrien,
outre qu’ils diminuent sa capacité à
se développer et à améliorer ses
problèmes de société. On l’a vu en
Lybie, et en Irak, avec plus d’un
million de morts, que la principale
victime de ces guerres soutenues par
l’extérieure est toujours la
population civile.
Nécessairement reposée par la
reconnaissance de la légitimité de
l’opposition syrienne, la question
de l’armement des rebelles rendra la
France responsable de la mort de
milliers de Syriens en apportant un
soutien financier et technique aux
terroristes. Sans parler du sort des
minorités alaouite et chrétienne
menacées. Personne n’ignore plus
aujourd’hui que le service action de
la DGSE mène depuis longtemps des
opérations de formation et de
soutien à l’ASL et à d’autres
groupes armés.
Pourtant les
chrétiens se tournent encore vers
nous
« Peuple de France,
ce texte est un appel pressant à
nous soutenir. Nous sommes les
chrétiens de Syrie et nous
souhaitons continuer à vivre la
convivialité avec l’Islam de
laquelle cette guerre et ses
initiateurs cherchent à nous
éloigner. Chrétiens de France,
dites-nous pourquoi le réveil de la
solidarité est-il si lent ? Pourquoi
l’expression de votre charité
n’est-elle pas plus manifeste ?
Savez-vous que notre sort
ressemblera bientôt à celui des
chrétiens d’Irak et de Terre-Sainte
?
Des raisons d’État vous poussent
peut-être à prendre position en
faveur de l’ « Armée Syrienne Libre
» mais ne clamez surtout pas que
c’est pour libérer le peuple syrien
de la dictature. Le régime syrien
actuel et son appareil politique
n’est pas tendre, nous le savons
depuis longtemps, mais le mouvement
des « bandes » de l’ASL porte en lui
les germes d’une nouvelle dictature
qui nous fera certainement regretter
la précédente. Vos prédécesseurs ont
toujours apporté soutien et
protection aux minorités chrétiennes
de Syrie et d’Orient. Aujourd’hui
vos prises de position ont un effet
contraire et aboutissent à leur
éradication. Croyez-vous en
éradiquant les chrétiens apporter la
civilisation ?
On nous dit que le Christianisme n’a
plus cours dans votre pays… En
quelques mois, vous êtes parvenus
avec vos alliés à transformer la
fraternité islamo-chrétienne
syrienne, que l’on doit à ces deux
religions, en une guerre presque
confessionnelle… Votre politique
n’est rien d’autre qu’un
encouragement à l’installation d’un
État confessionnel avec adoption de
la loi coranique. Le Président Mursi,
membre des frères musulmans, à
l’instar de ceux qui sont promis en
Syrie, n’a-t-il pas exprimé son
intention d’imposer la « Charia »
même aux Chrétiens d’Égypte ?
Lorsque nous l’aurons chez nous,
grâce à vous, il n’y aura plus qu’à
vous la souhaiter et la souhaiter à
vos femmes. C’est pourquoi je vous
supplie, avec des milliers de
proches, d’arrêter de soutenir et de
financer ces bandes armées ... »
Une solution à
la crise syrienne ?
Imaginer un seul instant que dans
chaque pays l’opposition fasse usage
d’armes en provenance de l’étranger,
ne serait-il pas naturel que le
régime prenne les moyens de se
défendre ? Le premier moyen de
résoudre la crise syrienne
consisterait donc à empêcher l’envoi
d’armes dans ce pays. Le second
serait la levée des sanctions et le
rétablissement de la diplomatie en
matière de relations internationales
appuyant les initiatives de paix,
les tentatives de règlement interne,
soit : le désamorçage politique de
la crise.
La Syrie
aurait-elle bousculé les plans des
grandes puissances ?
Vingt-deux mois de résistance
syrienne au plan du printemps arabe
auraient-ils contraint les forces en
présence à s’entendre pour trouver
un accord durable, mais qui peut
changer la perspective géopolitique
? Si un accord économique était
trouvé, en effet, la guerre que se
font en Syrie les grands de ce monde
serait bien vite terminée, et
éloignés les spectres d’une
conflagration mondiale.
Pas très loin d’ici, sur l’Oronte,
les diadoques d’Alexandre-le-Grand,
Antigone, Séleucos et Ptolémée
s’étaient bien réunis – non sans se
départir de leur garde rapprochée –
pour se partager pacifiquement son
immense empire.
Mgr Philippe
Tournyol Clos
URL :
http://www.silviacattori.net/rubrique159.html
Le texte ci-dessus
est le témoignage de Mgr Philippe
Tournyol Clos sur le mois de
décembre 2012 qu’il a passé en Syrie
Source : Mgr Philippe Tournyol Clos
[1]
http://www.silviacattori.net/article4171.html
Le
dossier Syrie
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