Opinion
Syrie: le patriarche des Maronites vole
au secours du régime syrien
Philippe Tourel
Mgr
Béchara Raï
Vendredi 16 septembre
2011
(Afrique Asie (11/9/11)
Nicolas Sarkozy, en recevant le 5
septembre à l’Elysée le nouveau
patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, ne
s’attendait certainement pas à entendre
le chef de l’Eglise maronite lui
administrer sans ménagement une leçon de
géopolitique qui démolit radicalement la
nouvelle doctrine française que le
locataire de l’Elysée met désormais en
œuvre en direction du monde arabe en
général, et au Proche-Orient en
particulier. A savoir, la promotion d’un
islam politique dit « modéré ».
La France ne serait plus, selon cette
doctrine, la garante des droits des
minorités en Orient, notamment les
Chrétiens d’Orient, mais les droits
individuels de l’Homme. Cette doctrine a
servi d’alibi pour intervenir en Libye
au nom de « la protection des
civils », et actuellement en Syrie,
mais ne s’applique pas en Palestine où
la sécurité de l’Etat d’Israël,
considéré comme un Etat juif, prime sur
toutes les autres considérations, dont
la défense des droits nationaux et
individuels des Palestiniens sous
occupation.
Lors de sa rencontre avec le président
français Nicolas Sarkozy le 5 septembre
et le lendemain avec son ministre des
Affaires étrangères Alain Juppé, les
deux hommes ont informé le Patriarche
libanais que le « régime de Bachar
al-Assad est fini » et que
les Chrétiens libanais doivent désormais
se préparer à traiter avec un nouveau
régime contrôlé officiellement par
l’islam politique majoritairement
sunnite à Damas, un islam présenté par
les deux interlocuteurs français comme
« modéré » et
« démocratique ».
Renverser le régime syrien
Le patriarche Raï, selon des sources
proches de la délégation maronite qui
l’accompagnait dans sa visite, a rejeté
en bloc cette nouvelle doctrine
française. Non seulement il l’a exprimé
en des termes peu diplomatiques à
l’Elysée et au Quai d’Orsay, mais lors
de ses multiples déclarations publiques
tout au long de cette visite.
Fin analyste de l’évolution de la
diplomatie française, Mgr Raï a compris
que la France cherche en fait non pas à
défendre les droits de l’homme en Syrie,
mais à renverser un régime allié de
l’Iran et du Hezbollah libanais au nom
d’une nouvelle donne dans la région
après la chute du régime des régimes
tunisien et égyptien. Pour lui, il ne
s’agit pas d’un « printemps arabe » mais
plutôt d’un « hiver arabe. »
Évoquant ainsi la situation en Syrie
devant la Conférence des évêques en
France, le patriarche Raï a défendu le
président Assad et exprimé sa
« crainte d’une transition en Syrie »
qui pourrait représenter une menace pour
les chrétiens d’Orient. « J’aurais
aimé qu’on donne plus de chances à M.
Assad pour faire les réformes politiques
qu’il a commencées » en Syrie,
a-t-il déclaré devant les prélats de
France.
« En Syrie, le président n’est pas comme
quelqu’un qui, à lui seul, peut décider
des choses », a affirmé Mgr Raï.
« Il a un grand parti Baas qui gouverne.
(Assad) lui, en tant que personne, est
ouvert. Il a étudié en Europe. Il est
formé à la manière occidentale. Mais il
ne peut pas faire des miracles, lui, le
pauvre », a dit le patriarche
maronite.
« Nous, nous avons enduré de la Syrie et
de son régime, a ajouté Mgr Raï. Je
n’oublie pas cela, mais je voudrais être
objectif. Il (Bachar al-Assad) a lancé
une série de réformes politiques. Il
fallait donner plus de chance au
dialogue interne. Plus de chance à
soutenir les réformes nécessaires.»
« Nous ne sommes pas avec le régime,
mais nous craignons la transition, a
reconnu Mgr Raï. Nous devons défendre la
communauté chrétienne. Nous aussi, nous
devons résister. »
Aider les palestiniens à libérer leur
terre
Exposant la politique du Patriarcat
maronite dans une interview à la chaîne
satellitaire saoudienne al-Arabiya,
Mgr Raï, en rupture totale avec son
prédécesseur le cardinal Sfeir, a rejeté
les revendications de la droite
libanaise, représentée par la coalition
du «14 mars » composée
essentiellement par une minorité de
parlementaires, exigeant le désarmement
de la résistance libanaise représentée
par le Hezbollah, allié de la Syrie et
de l’Iran. Pour lui, le Hezbollah ne
doit désarmer « qu’après le retour
des Palestiniens à leurs foyers et la
libération de la terre ».
Mgr Raï a demandé dans ce cadre à la
communauté internationale d’« aider
à libérer la terre et à faciliter le
retour des Palestiniens à leur terre ».
« C’est alors que nous dirons au
Hezbollah de livrer ses armes car elles
deviendront inutiles du fait que les
armes du Hezbollah sont liées à de
nombreuses questions », a déclaré
Mgr Raï.
Évoquant par ailleurs les soulèvements
populaires dans les pays arabes, il a
déclaré : « Nous ne voulons pas que
pour des réformes, que nous appuyions,
que des peuples soient sacrifiés. »
Après avoir pressé la communauté
internationale à obtenir l’application
par Israël des résolutions
internationales « afin d’ôter au
Hezbollah le prétexte de maintenir son
arsenal », Mgr Raï a déclaré, au
sujet de l’avenir de la Syrie et des
retombées du soulèvement populaire
syrien sur le Liban : « Il est vrai
que la Syrie est sortie militairement du
Liban, mais elle maintient des relations
avec certains Libanais. Nous commençons
au Liban à payer le prix des problèmes
qui se posent en Syrie, du fait de la
fermeture des frontières entre la Syrie
et certains pays. Si la situation empire
en Syrie et qu’un régime plus dur que le
régime actuel émerge, tel que le régime
des Frères musulmans, les chrétiens dans
ce pays paieront le prix, par des
tueries ou l’exode. L’exemple de l’Irak
est devant nous. »
Et d’ajouter : « Si le régime change
en Syrie et que les sunnites prennent le
pouvoir, ils s’allieront avec leurs
frères sunnites au Liban, ce qui
aggravera encore plus la situation entre
chiites et sunnites. Ce qui nous importe
en tant qu’Église est qu’il n’y ait pas
de violence. En Orient, on ne peut pas
changer les dictatures en démocraties
aussi facilement. Les problèmes de
l’Orient doivent être résolus ave la
mentalité de l’Orient. »
Vendre la peau de l’ours avant de
l’avoir tué
En conclusion, Mgr Raï a dénoncé
l’attitude des pays occidentaux
concernant la situation des minorités
dans la région. « De quelle
démocratie parlent-ils ? » a-t-il
déclaré.
Ces déclarations faites sur le sol
français ont irrité l’Elysée et le Quai
d’Orsay. De l’autre côté, les alliés
libanais et régionaux du régime syrien
ont pavoisé. C’est le cas, entre autres,
du secrétaire général de la branche
libanaise du parti Baas prosyrien, Fayez
Chokr, qui, après avoir rencontré
l’ancien président maronite Emile Lahoud,
allié de Damas, a rendu un vibrant
hommage au patriarche Béchara Raï pour
« l’importante prise de position du
à partir du palais de l’Élysée ».
« Tout nationaliste et tout
arabisant ne peut que s’incliner avec
déférence face à une telle prise de
position », a-t-il souligné.
Abondant dans le même sens, l’ancien
député Élie Ferzli, proche de Damas, a
également rendu hommage aux dernières
prises de position de Mgr Raï qui n’a
pas mâché ses mots en affirmant que
« la communauté internationale
s'intéresse exclusivement aux intérêts
d'Israël », et que « la
fragmentation des pays arabes est
profitable à Israël ».
Parallèlement à ces prises de position
du chef de l’Eglise maronite en faveur
du régime syrien, une autre surprise
attendait les alliés de la France au
Liban. Le Mufti sunnite du Liban, Rachid
Kabbani lâche le clan Hariri, se
rapproche du nouveau chef du
gouvernement Najib Mikati et du
Hezbollah prosyrien.
Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas vendu la
peau de l’ours (syrien) avant
de l’avoir abattu ? Nombreux à Beyrouth
le pensent et le disent désormais
ouvertement allant jusqu’à pronostiquer
le départ de Sarkozy de l’Elysée bien
avant la chute annoncée de Bachar al-Assad.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 16 septembre 2011 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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