Opinion
De la Révolution
du jasmin à l'onde de choc mondiale
Pascal Boniface
Pascal
Boniface - Photo IRIS
Vendredi 13 janvier
2012
Au début des années
80, une grande partie de
l’intelligentsia occidentale s'alarmait
du danger pesant sur les démocraties.
Jean-François Revel, l'un des
intellectuels français les plus
influents prédisait que les démocraties,
entravées par leurs principes allaient
être dominées par les dictatures
communistes (La tentation
totalitaire, 1983). Alain Minc (Le
syndrome finlandais, 1985) estimait
que les pays d'Europe occidentale
allaient, à l'instar de la Finlande,
conserver un système démocratique mais
voir leurs diplomaties tomber sous
l'influence soviétique. Aux États-Unis,
Jane Kirkpatrick faisait une distinction
entre les régimes communistes
totalitaires et supposés être éternels,
et les régimes dictatoriaux du type
Amérique latine destinés à être
provisoires.
L'Histoire n'a pas tout à fait tourné en
ce sens. Les atlantistes, qui
dénonçaient le piège que Gorbatchev
tendait aux Occidentaux naïfs n'ont pas
vu leurs sombres prédictions se
réaliser.
Pour certains, par la suite, la menace
sud allait remplacer la menace venue de
l’Est. Avant le 11 septembre 2001 puis
plus encore après ces attentats, les
occidentalistes décrivaient un monde
démocratique occidental menacé par
l'islam, les dictatures du sud (dont ils
soutenaient pourtant certaines au nom de
la lutte contre l'islamisme), la Russie,
Chine etc.
Au début de l’année 2011, je fus invité
à la matinale de France Culture pour
faire un tour d’horizon des problèmes
stratégiques mondiaux (*) . Je
soulignais qu’il y avait une progression
générale des revendications
démocratiques dans le monde, les
chroniqueurs de France Culture me
disaient que j’étais bien naïf et que je
sous-estimais la puissance des
dictatures.
Ce qui s'est passé dans le printemps
arabe illustre la formule de Brzezinski
selon lequel « À l'âge de la
globalisation, l'ensemble de l'humanité
est politiquement active ». Les régimes
répressifs des pays arabes ont longtemps
compté sur le monopole de l'information
et le soutien occidental, en se
présentant comme des remparts contre
l'islamisme. Leur monopole de
l'information est tombé, concurrencé par
le haut avec les chaînes satellitaires
dont Al-Jazeera et par le bas avec
Internet et les réseaux sociaux. Médusés
au départ, les pays occidentaux ont
compris qu'ils ne pouvaient pas
s'opposer à la vague de changements et
que la contradiction entre leurs
proclamations de principes démocratiques
et le soutien à des régimes répressifs
devenait de plus en plus gênante.
J’ai dit et écrit qu’il n’y aurait pas
d’effet domino dans le monde arabe. Tous
les régimes n’allaient pas tomber, mais
qu’il allait y avoir une onde de choc
mondiale. Il n'y a plus aujourd'hui
qu'un seul pays totalitaire, la Corée du
Nord. Partout ailleurs, les populations
font de plus en plus entendre leurs
voix, même en Birmanie. Il y a 500
millions d'internautes en Chine et les
autorités chinoises ne peuvent pas ne
pas tenir compte de ce facteur,
l'opinion publique chinoise ne s'exprime
pas dans les mêmes formes que les
Occidentaux mais elle existe. On a vu en
Russie que la restauration de l'autorité
de l'État par Poutine, longtemps très
populaire, ne suffisait pas à faire
taire la contestation. L’Afrique choisit
de plus en plus ses dirigeants par le
vote. Il y a encore des dictatures.
Elles sont globalement en recul. Et même
dans les pays autoritaires, les opinions
se font plus entendre qu’avant.
La puissance de l’expression politique
des populations, les aspirations à la
démocratie dépendent de trois facteurs.
Le premier est l'histoire particulière
de chaque pays. C’est ce qui explique
les parcours différents sur fond de
printemps arabe de la Tunise, de
l’Algérie et du Maroc. Le second facteur
est le degré de développement
économique. Lorsque l'on a moins de un
dollar par jour et par personne, les
revendications politiques sont faibles.
Le troisième est le taux
d’alphabétisation. Lorsque l'on ne sait
ni lire ni écrire on a du mal à
s’informer et donc à revendiquer. On
constate qu'à partir d'un certain stade
économique, les consommateurs veulent
devenir des citoyens. Selon la
conjugaison de ces trois facteurs, les
peuples du monde entier se feront
entendre de plus en plus.
(*) Exercice qui n’est plus prêt de se
reproduire depuis la publication de mon
livre Les intellectuels faussaires.
Tous les
droits des auteurs des Œuvres protégées
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sont réservés.
Publié le 14 janvier 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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