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Loubnan
ya Loubnan
Les
faux-amis libanais de Ségolène Royal
Nidal
La visite de François Hollande au Liban était passée
totalement inaperçue. La visite de Ségolène Royal, elle, a été
très suivie. Suivie en France, puisqu'il s'agit du premier voyage
à l'étranger d'une candidate à la présidentielle réputée
inexpérimentée en matière de politique étrangère, et suivie
au Liban puisqu'elle souhaitait rencontrer «tout le monde» au
moment où, justement, il est important pour le gouvernement
libanais d'affimer que lui seul bénéficie du soutien sans faille
de la communauté internationale (et que personne n'aime le
Hezbollah).
Reçue en grandes pompes par Walid Joumblatt à l'aéroport de
Beyrouth, qui lui a conseillé de remonter fissa dans son avion,
Royal a tout de même tenu à rester au Liban et à rencontrer «tous
les partis». Al-Akhbar
racontait vendredi que, auteur de l'invitation, Joumblatt s'est
illico empressé d'essayer de remettre Ségolène Royal dans
l'avion. Dès lors, ses «amis» libanais allaient s'atteler à
une tâche particulièrement noble: la piéger.
1. L'a-t-il dit ?
Rencontre vendredi avec la commission des affaires étrangères du
parlement libanais. Elle écoute un député du Hezbollah, Ali
Ammar. D'après le
Monde du 2 décembre:
Au cours de cette réunion, un député du Hezbollah, Ali Ammar,
a déclaré en arabe : «Le nazisme qui a versé notre sang et
qui a usurpé notre indépendance et notre souveraineté n'est
pas moins mauvais que le nazisme qui a occupé la France».
Cependant, il me semble important de noter que ces propos ne sont
cités par la presse qu'à partir du lendemain de la réunion (le
2 décembre). Les journaux qui évoquent la rencontre, le premier
décembre, ne citent absolument pas cette phrase.
Pour Anne-Marie El-Hage, dans L'Orient-Le
Jour (dont on peut légitimement penser que si le député
du Hezbollah avait dérivé vers l'antisémitisme face à Royal,
ce quotidien pro-gouvernemental l'aurait soigneusement mis en
avant):
Ce dernier [Ali Ammar] a d’ailleurs tendu la main à la
France, indiquant qu’«elle a un grand rôle à jouer au Liban
si elle se démarque de la folie de la politique américaine».
Il a observé que «les Libanais sont fiers de leur amitié avec
la France et que la résistance du Hezbollah s’inspire de la résistance
française contre le nazisme». Il a surtout insisté sur le
fait que «la solution aux problèmes du Liban devait nécessairement
passer par le règlement du conflit régional israélo-palestinien
et israélo-arabe». Mais il a affirmé que son parti «ne
refusait pas le dialogue avec d’autres parties libanaises pour
sortir de la crise», malgré «l’existence d’obstacles».
Ali Ammar a enfin déploré l’image «injuste» de son parti
en Occident, se défendant d’être l’allié d’un prétendu
axe syro-iranien et insistant sur le fait que son «parti est
totalement libanais».
La citation est donc, selon L'Orient-Le
Jour: «les Libanais sont fiers de leur amitié avec la
France et [...] la résistance du Hezbollah s’inspire de la résistance
française contre le nazisme». Voilà qui n'est tout de même pas
bien scandaleux...
On peut penser que cette citation est exacte, puisque le quotidien
précise que l'éditorialiste de L'Orient-Le
Jour Issa Goraieb, particulièrement hostile au Hezbollah,
était présent.
Toujours le 1er décembre, l'envoyée spéciale du Figaro,
Myriam Lévy, ne semble pas
terriblement choquée par les propos tenus par l'élu du
Hezbollah. Certes, elle qualifie ainsi ses propos:
Parmi eux figurait un député du Hezbollah, Ali Ammar, qui lui
a infligé pendant vingt minutes une diatribe antiaméricaine et
anti-israélienne.
Le député chiite n’a fait référence aux Etats-Unis que
sous le vocable de «la démence politique». Il a comparé
l’intervention israélienne au Liban à l’occupation de la
France par les nazis, et le combat du Hezbollah à la Résistance
française. Reprenant la parole, Royal se fit pourtant aimable.
«Il y a beaucoup de choses que je partage dans ce que vous avez
dit», dit-elle. Et d’ajouter : «notamment votre analyse du rôle
des États-Unis.»
Pas de citation exacte, donc, juste l'évocation d'une «comparaison»,
qui pourrait très bien être celle rapportée par L'Orient-Le
Jour. Il faut noter qu'à ce moment, le véritable scandale
pour la journaliste du Figaro, c'est l'«assaut d'antiaméricanisme»
que Ségolène Royal fait en acceptant le propos du Hezbollah. À
aucun moment elle ne revient sur les propos sur le nazisme:
La France, certes, n’est pas sur la ligne diplomatique de
Washington au Proche-Orient, mais de là à se trouver en phase
avec le Hezbollah! Il y a une marge que Royal n’a pas semblé
mesurer sur le moment. À la fin de la réunion cependant, elle
voulut rectifier : «Je ne voudrais pas que ce que j’ai dit
soit confondu avec l’action globale des États-Unis.»
Le lendemain, le site du Figaro
a changé de thème. Travaillant désormais sur dépêche
(notamment une dépêche Reuters titrée «Royal condamne les
propos “abominables” d'un élu du Hezbollah»; cette dépêche
est publiée
sur le site de L'Express),
le Figaro indique que la
déclaration est devenue la suivante:
Lors d'une rencontre vendredi entre Ségolène Royal et 17 députés
de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée
nationale libanaise, le député du parti chiite pro-syrien, Ali
Ammar, a déclaré en langue arabe : «Le nazisme qui a versé
notre sang et qui a usurpé notre indépendance et notre
souveraineté n'est pas moins mauvais que le nazisme qui a occupé
la France».
Toutes les brèves, dès lors, insistent sur le fait suivant: ce
sont les journalistes qui ont entendu le mot «nazya» en arabe:
Ses propos, nichés dans un long exposé, étaient traduits en
langue française par deux traductrices, une pour la candidate
socialiste et ses conseillers, et une autre pour les
journalistes français. Le mot «nazya», prononcé deux fois en
langue arabe, a été clairement entendu par les journalistes.
Il faut bien noter que L'Orient-Le
Jour avait bien entendu le mot «nazya», mais simplement
dans la phrase suivante: «la résistance du Hezbollah s’inspire
de la résistance française contre le nazisme». Il est assez
risible d'apprendre que la «preuve» (on a entendu «nazya» dans
une phrase) repose sur le témoignage des journalistes français,
selon le Monde (qui
reprend ici le texte de la dépêche Reuters):
Le mot «nazya», prononcé deux fois en arabe, a été entendu
clairement par de nombreux journalistes français présents dans
la salle.
Pour être clair: la phrase selon laquelle le député du
Hezbollah aurait prétendu que ses nazis à lui étaient pires que
nos nazis à nous n'est pas sourcée. Le soir de la rencontre, les
médias n'en parlent pas, et L'Orient-Le
Jour (présent et très hostile au Hezbollah) fait une
citation très différente et totalement anodine. Vendredi, le
seul «scandale» relevé par la presse était la complaisance
anti-américaine de la candidate. La «preuve» que reprennent
tous les médias est, depuis samedi, le fait que les journalistes
français ont entendu deux fois le mot «nazya» dans un discours
de vingt minute en arabe. Évidemment, pour LCI, c'est une «polémique».
2. A-t-elle condamné ?
Pour tout de même prouver qu'il l'a bien dit, les articles
insistent sur la «condamnation» qu'aurait faite Ségolène Royal
des propos d'Ali Ammar. Évidemment, s'il y a condamnation, c'est
qu'il y a faute.
Le Figaro titre: «Royal
condamne les propos “abominables” d'un élu du Hezbollah»;
même titre dans L'Express
qui reprend une dépêche Reuters. Pour Le
Nouvel Obs, qui reprend une dépêche de l'Associated Press,
c'est carrément «Nazisme:
Ségolène Royal “condamne” les propos “inadmissibles’ du
député du Hezbollah». Diantre, que d'originalité...
La dépêche de l'AP est très caractéristique de la tournure
alambiquée adoptée par les médias:
Ségolène Royal a «condamné» samedi les propos «inadmissibles,
abominables, odieux» tenus la veille devant elle par un député
du Hezbollah comparant implicitement l'occupation passée du
Liban par Israël au «nazisme qui a occupé la France», propos
qu'elle a affirmé ne pas avoir «entendus».
Lorsqu'on lit attentivement ce paragraphe, on ne peut que le
trouver particulièrement tiré par les cheveux. Et pour cause,
puisque la citation complète serait, selon
Le Monde:
«Que les choses soient bien claires: ces propos qui auraient été
inadmisissibles, abominables, odieux, auraient entraîné de
notre part un départ de la salle. Nous n'avons pas entendu ces
propos», a-t-elle insisté. La candidate socialiste a expliqué
qu'elle n'avait pas réagi tout de suite car elle n'avait pas
entendu ce qualificatif prononcé en arabe.
Autant de conditionnels, ça finit par piquer les yeux. «Ces
propos qui auraient été inadmissibles», si je sais encore lire,
ça n'est pas du tout une condamnation des propos du député Ali
Ammar, c'est la condamnation de propos hypothétiques, au cas où
ils auraient été tenus.
Car, non seulement samedi Ségolène Royal continuait-elle
d'affirmer:
«Je n'ai pas entendu cette comparaison et si cette comparaison
avait été faite, que ce soit moi ou que ce soit l'ambassadeur
de France qui était à mes côtés et qui n'a pas non plus
entendu ces propos, nous aurions quitté la salle.»
mais aussi:
«Nous n'avons pas entendu ces propos.»
Le Monde précisant même
«qu'elle n'avait pas réagi tout de suite car elle n'avait pas
entendu ce qualificatif prononcé en arabe».
À ce stade, l'excuse est qu'elle n'a pas «entendu», et encore
moins «en arabe»!
Surtout, ses premières déclarations sont claires: non seulement
elle ne l'a pas entendu (pas plus que L'Orient-Le
Jour ne l'avait entendu), mais en plus elle soutient que
ces mots n'ont pas été prononcés (elle a donc entendu
qu'ils n'avaient pas été dits):
La candidate socialiste a tenu à préciser : «je continuerai
à dialoguer, n'en déplaise à certains, avec tous les
parlementaires ou toutes les autorités démocratiquement représentatives
et je ne laisserai pas déformer
le contenu d'une réunion ou les propos pour m'empêcher de
continuer à parler», a-t-elle poursuivi, sans préciser
si elle rencontrerait des élus du parti palestinien Hamas lors
de son déplacement à Gaza.
D'autres dépêches citent Ségolène Royale affirmant qu'il
s'agit d'une déformation du contenu de la réunion. Et on peut
constater que, dans sa «condamnation tardive» du samedi matin,
elle persiste à ne pas admettre que ces propos ont été réellement
tenus (elle utilise le conditionnel).
3. Et s'il l'avait dit ?
Cette histoire grotesque me semble fabriquée de toutes pièces,
le scandale ne reposant que sur trois dépêches (AFP, Reuters et
AP) aux formulations peu claires et des mots «en arabe» entendus
par des reporters français.
Cependant, il n'est pas inimaginable non plus qu'un député du
Hezbollah compare l'armée israélienne aux nazis. Ces gens étant
généralement très subtiles, je doute qu'il se soit livré à
cet exercice dans de telles circonstances. Mais d'un autre côté,
qu'un membre du Hezbollah fasse cette comparaison ne serait pas
totalement impossible, cette comparaison étant fréquente au
Liban, et pas seulement parmi les membres du Hezbollah.
Il faudrait alors m'expliquer en quoi ces propos mériteraient les
qualificatifs de «inadmissibles, abominables, odieux». Déplacés,
exagérés, faux, certainement. Mais «abominables»?
Reprocher au membre d'un parti qui lutte depuis des années contre
une armée d'occupation dont les exactions dans le sud du Liban
ont été abominables, odieuses, inadmissibles, qui se livre à la
ségrégation ethno-religieuse, qui soutenait des milices
fascistes au Liban (Armée du Liban Sud, Forces libanaises), qui a
encouragé la torture à grande échelle (Khiam), appliqué systématiquement
la punition collective sur les populations civiles, qui laisse
sciemment derrière elle des mines et des sous-munitions qui
tueront des civiles pendant des années après la guerre... lui
reprocher de comparer cette armée à l'armée nazie en utilisant
les termes d'«odieux» et «abominable» me semble relever d'une
indignation quelque peu forcée.
Encore une fois: la comparaison avec le nazisme est à mon avis
exagérée, fausse, pas pertinente... Point sur lequel je suis
souvent en désaccord avec mes amis libanais et palestiniens. Elle
revient cependant très habituellement: en premier lieu pour
essayer d'expliquer aux Français leur propre notion de la Résistance
(l'analogie avec la Résistance française étant utile pour faire
comprendre qu'il s'agit pour eux de nationalisme, de stratégie et
de politique, et non d'un désir atavique des musulmans à se
faire exploser pour retrouver des vierges au paradis), en second
lieu pour qualifier la politique israélienne (qu'ils considèrent
raciste, autoritaire et guerrière) et les exactions de l'armée
israélienne (en un mot comme en cent: «fasciste»). Mais
l'analogie stricte avec le nazisme ne me semble ni utile ni
pertinente.
Cependant je ne vois pas en quoi elle serait «inadmissible,
abominable, odieuse».
D'autant que, pour ne pas changer, une condamnation aussi forte
renvoie à nouveau au «deux poids deux mesures» habituel.
Lorsque Georges Bush se livre à d'innombrables analogies entre Saddam
Hussein et Adolf Hitler, est-ce seulement idiot et non
pertinent, ou carrément «inadmissible, abominable, odieux»?
Lorsque Bill Clinton fait des analogies entre Milosevic
et Adolf Hitler, est-ce encore «inadmissible, abominable,
odieux», ou seulement un peu crétin?
Plus proche de notre affaire: lorsque Walid Joumblatt, l'ami «socialiste»
se répand depuis des mois en comparaisons entre Bachar Assad et
Hilter, entre le régime syrien et le régime nazi, Ségolène
Royale trouve-t-elle cela «inadmissible, abominable, odieux»?
Pourquoi, lorsqu'il fait ces analogies (qui, de fait, reviennent
à minorer les crimes nazis...) à chaque fois qu'il passe sur
LCI, à aucun moment Vincent Hervouët ne le reprend-il?
Faut-il rappeler qu'en décembre 2004, le même n'était apprécié
ni des néo-conservateurs ni du Memri?
Déclarations fracassantes sur le fait que, lorsqu'un sioniste
meurt, le monde se porte mieux; ses regrets que l'attentat contre
Wolfowitz à Bagdad ait échoué; etc. L'homme s'était alors vu
retirer son
visa diplomatique pour les États-Unis. Ses déclarations étaient-elles
alors plus, ou moins, «inadmissibles, abominables, odieuses»
qu'une comparaison entre l'armée nazie et l'armée israélienne?
La condamnation «hypothétique» par Ségolène Royal d'une telle
comparaison est évidemment comprise ainsi par les Libanais et les
Palestiniens: on a le droit de traiter n'importe qui d'Adolf
Hitler et de nazis... sauf les Israéliens. Rien de nouveau sous
le soleil.
4. Qui veut empêcher quoi?
Très clairement visibles dans les sujets télévisés consacrés
aux déclarations de Ségolène Royal, également signalés dans
les brèves citées ici, mais jamais commentés: son air très
agacé, son énervement lorsqu'elle porte des accusations très
claires et graves.
Selon Le Nouvels Obs (dépêche
Reuters):
«Personne ne m'empêchera de discuter avec des personnalités démocratiquement
élues», a-t-elle ajouté, alors qu'elle avait affiché son
intention de discuter avec toutes les composantes politiques au
Liban, y compris les représentants du Hezbollah.
Selon Le Monde:
La candidate socialiste a tenu à préciser: «je continuerai à
dialoguer, n'en déplaise à certains, avec tous les
parlementaires ou toutes les autorités démocratiquement représentatives
et je ne laisserai pas déformer le contenu d'une réunion ou
les propos pour m'empêcher de continuer à parler», a-t-elle
poursuivi, sans préciser si elle rencontrerait des élus du
parti palestinien Hamas lors de son déplacement à Gaza.
Sur LCI, elle accusait «ceux qui veulent l'empêcher de
rencontrer tout le monde».
Qui sont ces «certains», qui veut l'«empêcher de continuer à
parler», qui veut l'«empêcher de discuter avec des personnalités
démocratiquement élues»? Mais de qui parle donc Ségolène?
Est-ce Walid Joumblatt, comme le suggérait Al-Akhbar dès
vendredi matin? Est-ce l'ambassade de France, en mission de
torpillage commandée par Chirac? Est-ce que ce sont d'autres
personnalités du 14 Mars?
5. Nos bons amis
Ségolène Royal a annoncé, comme François Hollande avant elle,
qu'elle maintiendrait les lignes générales de la politique française
au Liban.
C'est ça.
En n'oubliant pas que, dès qu'on n'obéit pas aux recommandations
de «nos amis» du 14 Mars, qu'on rencontre le Hezbollah, qu'on
annonce qu'on rencontrera le Hamas, alors la machine à propagande
Hariri-Chirac se met en branle, et on se retrouve embringuée dans
un scandale antisémite. En n'oubliant pas que, pour la défense
de cette «politique française au Liban», elle vient de se faire
lyncher.
Espérons que Ségolène Royal n'oubliera pas ce qu'elle doit à
ses «bons amis» libanais.
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