Tendances de
l'Orient
La Syrie à la
veille du dialogue national
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Orient News
Bachar al-Assad
- Photo: Sana
Mardi 5 juillet 2011
Près de deux cents
opposants syriens se sont réunis le 27
juin dans l'hôtel Samiramis au centre de
Damas. L'objectif annoncé
des participants à la conférence
consistait à unifier les rangs de
l'opposition laïque interne, à élaborer
un programme politique cohérant,
en prévision de leur participation au
dialogue national.
Dans son discours du 20 juin, le chef de
l'Etat syrien s'en était violemment pris
aux Frères musulmans, qu'il a qualifiés
de «saboteurs», et d'«islamistes
fanatiques». Il avait réitéré son
intention de réformer le système
politique et d'entamer un dialogue
national, qui vient d'être fixé au 10
juillet prochain.
Cette démarche traduit la volonté du
président d'absorber le mécontentement
populaire et
de couper l'herbe sous les pieds des
Frères musulman en les excluant du
dialogue national. Par conséquent, Damas
inflige un camouflet au gouvernement
turc de Recep Tayyep Erdogan, qui
s'ingère avec arrogance dans les
affaires internes de la Syrie en
promouvant un mouvement confessionnel
sélectif, à savoir les Frères musulmans,
qu'il espère imposer à Damas, au risque
d'exacerber les tensions religieuses et
ethniques.
Outre la marginalisation d'Ankara, de
Riyad et des Frères musulmans, ce
dialogue lancé par le président Assad
paverait la voie à une transition
pacifique et graduelle, susceptible de
garantir la laïcité et les droits des
minorités
religieuses. Il renforcerait le front
interne, seul capable de prémunir le
pays contre le spectre des ingérences
étrangères. A cet effet, une minorité
d'opposants inconnus, soutenus et
financés
par Washington et ses alliés
arabes, s'activent dans les pays
Occidentaux, rappelant l'image des
opposants irakiens réunis à Washington
avant l'invasion américaine de l'Irak. Financés
et promus dans les milieux académiques,
médiatiques et politiques à Washington,
ils se
présentent
comme l'alternative démocratique à la
dictature. Il existe aussi une série
d'opposants encore moins connus du
public, dont plusieurs ont participé en
mai à la conférence d'Antalia en
Turquie.
Les participants à cette réunion,
supposée donner naissance à un
Conseil transitoire calqué
sur le modèle libyen, ont
élu un
corps représentatif
qui n'a pas survécu
la clôture de l'évènement.
Ce corps qui accordait
étrangement
cinq sièges aux «chefs des tribus»
syriennes, a
élu cinq membres
des Frères musulmans, qui ont torpillé
le communiqué final en refusant la
nation d'«Etat laïc» et la séparation
entre
l'Etat et la religion.
La réunion du Samiramis est une première
qui n'aurait jamais eu lieu sans
l'accord tacite des autorités. Le régime
semble soucieux d'accorder une marge de
manœuvre à l'opposition interne afin de
court-circuiter les islamistes et les
opposants soutenus par
l'Arabie saoudite, la Turquie et les
Etats-Unis. Cette démarche subtile
constitue la seule voie du salut pour
une transition graduelle et pacifique
vers la démocratie.
Après avoir prôné la doctrine du «zéro
problème» avec les voisins, Ankara a
adopté une attitude clairement
agressive, balayant des années d’efforts
qui avaient conduit à un rapprochement
spectaculaire avec Damas. Les réactions
turques aux événements en Syrie ne se
limitent pas seulement aux propos
extrêmement durs du Premier ministre à
l’encontre du président Assad. La
Turquie a accueilli sur son territoire
trois conférences de l’opposition
syrienne. Les dirigeants des Frères
musulmans disposent en Turquie de
facilités allant de la tenue de réunions
et de conférences de presse au lancement
d’une radio adressée au peuple syrien.
Enfin, Ankara a exploité à fond
l’affaire de l’exode des habitants de
Jisr al-Choughour, installant près de la
frontière un camp de réfugiés très
médiatisé. Les dirigeants turcs pensent
qu’une occasion en or se présente pour
étendre leur influence sur le monde
arabe via la porte syrienne.
La Turquie semble avoir convaincu
Washington et l’Europe que le modèle de
l’islam modéré qu’elle représente serait
la formule idéale pour le monde arabe.
Un modèle que véhiculeraient les Frères
musulmans, avec lesquels l’AKP –la
branche turque de la confrérie –
entretient d’excellents rapports.
Ces nouvelles orientations turques sont
confortées par des signaux révélateurs.
Ainsi, le célèbre navire Marmara ne
participera pas à la Flottille de la
Liberté 2. Ensuite, des négociations
secrètes ont lieu entre Ankara et
Tel-Aviv, comme le révèle Barak Ravid
dans le Ha’aretz, le 23 juin. Le
lendemain, le vice-ministre israélien
des Affaires étrangères, Dany Ayalon,
affirmait que son pays était disposé à
«coopérer avec la Turquie pour tourner
la page du navire Marmara».
La Turquie a aussi déployé d’intenses
efforts pour convaincre Washington que
l’arrivée des Frères musulmans au
pouvoir dans les pays arabes ne
constituait pas un danger pour Israël. A
cet égard, les propos de l’ancien guide
suprême de la Confrérie en Syrie, Ali
Sadreddine el-Bayanouni, à la deuxième
chaîne de télévision israélienne, sont
éloquents. «Israël existe, mais il y a
des résolutions internationales exigeant
son retrait jusqu’aux lignes de 1967.
Nous pensons que s’il met en œuvre ces
résolutions, la région pourra vivre en
paix», a-t-il dit.
Selon des informations concordantes, les
émissaires turcs envoyés à Bachar el-Assad
lui auraient proposé de partager le
pouvoir avec les Frères musulmans en
leur permettant d’accéder au Parlement
et au gouvernement, en contrepartie du
retour au calme. De la sorte, Ankara
disposera d’une grande influence au sein
du système politique syrien.
La Syrie et l’Iran ne vont pas rester
les bras croisés pendant que leurs
adversaires avancent leurs pions. En
déployant son armée à la frontière
turque, Bachar el-Assad adresse un
message musclé à son voisin, tout en
gardant ouverts les canaux de
communication. Et en ouvrant grande la
porte des réformes politiques, il
renforce l’immunité interne de la Syrie
pour mieux faire face aux dangers
externes.
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