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LE RECUL DU DROIT
La crise mondiale est totale
Mustapha Cherif
Photo: CPI
Jeudi 22 juillet 2010
Les grandes puissances imposent leur point de vue sans
tenir compte des autres, les régimes despotiques de même, les
groupes dominants qui monopolisent les pouvoirs, refusent le
partage et l’alternance.
Toutes les sociétés, par-delà leur hétérogénéité, sont
confrontées à la crise profonde et multiforme des valeurs, du
comportement et de l’éducation. Nous sommes entrés dans une
nouvelle ère de l’angoisse et des incertitudes. Violence,
corruption et aggravation des pratiques injustes des deux poids,
deux mesures sont les reflets de la crise déshumanisante. La
question est d’abord politique. Actuellement, il n’y a pas de
projet de société clair et convaincant, ni de modèle
satisfaisant. Pourtant, il n’y a pas d’alternative au savoir
objectif et moderne et à l’idée d’une humanité qui allie
authenticité et progrès. Le savoir scientifique et la pensée
sage pour y parvenir sont la voie. Ce n’est pas la solution
parfaite, garantie d’avance, mais le chemin de la
démocratisation, de la société de la connaissance et du débat
est incontournable. La compétence scientifique et intellectuelle
et l’engagement ne garantissent pas le bonheur, mais ils sont
irremplaçables pour évaluer, analyser et contribuer à mobiliser
et décider, en somme sortir des archaïsmes; des illusions et du
sous-développement.
Le droit, l’éthique,
les fins sont à réinventer
Le problème aujourd’hui se complique, du fait que le droit qui
était à la base des sociétés civilisées est en recul au profit
d’intérêts économiques et financiers. Il est réduit à des
techniques, alors que ce que demandent les peuples c’est du
droit avant tout, dans la transparence afin de faire reculer les
injustices et les iniquités. C’est à une réflexion sur les
fondements juridiques de l’humanité, la manière civilisée de
faire société et de reconstruire les relations internationales
et sociales que devraient s’atteler les sociétés et leurs
élites. Des chercheurs modernes tentent ce travail de critique
de l’homo economicus soumis à la seule course au profit,
dominante aujourd’hui.
Il est urgent de critiquer la jungle, à la fois, celle des
dogmes des traditions fermées qui oppriment et ne mettent pas
l’accent sur le respect du droit à la différence et celle des
dogmes occidentaux marchands à outrance, qui se mondialisent,
paupérisent et dénaturent. Les USA, aussi puissants soient-ils,
ne sont pas en mesure de faire respecter un ordre mondial et
d’imposer les indispensables régulations globales. Au contraire,
il préserve un statut où aucun enseignement n’est tiré. On
constate les signes de la persistance d’une vision du monde
consumériste, économie ultra-spéculative, aveugle à l’humain et
au droit des peuples, fléau destructeur des équilibres sociaux,
facteur de misère sociale et de souffrance humaine. Il faut
informer les citoyens du monde, à commencer par les Américains,
dialoguer avec eux, pour travailler sur des modèles
d’organisation alternatifs et montrer que les musulmans peuvent
être des partenaires décisifs et non des obstacles.
L’indispensable réforme des Nations unies se heurte aux égoïsmes
de la scène internationale. L’incapacité à prendre en compte
l’aspect systémique des problèmes et à faire évoluer le Conseil
de sécurité, est lourdement pénalisante.
Notre monde est en panne de droit raisonnable, reconnu et
accepté par tous. La loi des plus forts ou des ignorants domine.
Il ne s’agit pas de revenir au juridisme, qui est un excès, d’où
que certains, en Orient comme en Occident, ne conçoivent la
politique, la religion ou la culture qu’en termes de règles
coercitives à appliquer sans en saisir l’esprit et les
conditions du contexte. C’est cela aussi l’intégrisme. La
société lie les hommes entre eux par la parole donnée et le
respect de la loi au-dessus de tous. Pour garantir le
vivre-ensemble, les accords, les règles et les promesses, le
droit est indispensable. Le Coran recommande de tout mettre par
écrit et de respecter la volonté de chacun. C’est la base de la
civilisation que les courants de la régression contredisent. Le
droit garantit à l’humain la sociabilité.
Résultat d’un système de croyances et de nécessité, acquises
suite aux réflexions, conflits et litiges multiples, le droit,
dans la perception abrahamique en particulier, reconnaît en
effet en autrui une personne de valeur semblable et universelle.
Le concept de personne juridique participe du schème abrahamique
d’inviolabilité de la dignité humaine. En religion comme en
philosophie, le droit est fondamental: il pose la logique de
l’équilibre des droits et des devoirs humains. Le respect
d’autrui et de la chose publique devrait être fondamental.
Le rationalisme et l’individualisme liés à la marginalisation
des croyances religieuses à l’époque moderne, reposent la
question des systèmes de représentation de l’humain et de la vie
commune: «Qu’est-ce que l’humain et la société?» restent
des questions ouvertes. La religion donne un éclairage, et les
doctrines humaines doivent proposer leurs lectures. Le progrès
scientifique et technique influe sur les conceptions
contemporaines à ce sujet. Science sans conscience, comme disait
Rabelais, ruine l’âme humaine. Le droit, l’éthique, les fins
sont à réinventer.
Refuser de régir la vie sociale et internationale par le droit
négocié voue l’avenir à des impasses. Les grandes puissances
imposent leur point de vue sans tenir compte des autres, les
régimes despotiques de même, les groupes dominants, qui
monopolisent les pouvoirs, refusent le partage et l’alternance.
La mondialisation rend complexes les possibilités de ripostes,
mais les opportunités de s’organiser pour résister aux
injustices et iniquités existent. Les sociétés civiles ne sont
pas dupes et aspirent au partage et à la coexistence. La
fonction du droit et l’anthropologie juridique sont au coeur de
l’actualité qui met aux prises le droit et la violence injuste
et illégale, le droit et sa réduction à une simple technique
comme instrument de domination. Le droit appartient à la
civilisation et au domaine de la légitimité et de la légalité.
Des théoriciens du droit reconnaissent qu’il y a danger du
discours relativiste selon lequel le droit ne serait qu’une
technique. Le libéralisme sauvage présente l’humain dans
l’univers indifférencié où la personne est définie comme simple
objet et nie le droit des peuples. De ce fait, le sionisme par
exemple, qui agit dans l’impunité totale, le non-droit,
exploitant à outrance l’histoire de l’Holocauste, a produit des
zones de non -droit, Ghaza et Cisjordanie, et réduit le
Palestinien à des infrahumains. L’Occident complice à ce sujet
parle de simple allégement au blocus et ne se rend pas compte
que dans cette logique arrogante et fascisante toute la planète
sera de plus en plus réduite à une zone de non-droit, où seuls
des intérêts étroits, des régimes rapaces et des groupes
prédateurs influent sur la marche du temps. Les discours de
puissants sur la paix et la tolérance sont des leurres. Jamais,
comme disait Derrida, le monde n’a été aussi inégalitaire. Tout
en comprenant que les attentats du 11 septembre et des
comportements irrationnels manipulés, amplifiés et exploités, de
ceux qui usurpent le nom de l’Islam, ont produit un choc au sein
de l’opinion occidentale, on constate que la guerre contre le
terrorisme prend des allures de guerre contre les musulmans. Le
système politique américain n’est pas monolithique, mais ses
composantes néoconservatrices et droite chrétienne sont
islamophobes. Une seule version de l’humain veut s’imposer.Les
nouvelles colonisations sont celles du sens unique, de la
volonté d’hégémonie, du culte du veau d’or, des chiffres:
production, consommation, jouissance à tout prix, caractères
génétiques, racisme, sans que le droit et l’éthique puissent
intervenir comme valeurs garantes de la dignité humaine et du
pluralisme. Il en va ainsi de la déréglementation du commerce,
liée à la dictature du Marché et aux technologies de
l’information et de la communication entre les mains de firmes
monopolistiques. Des critiques avertis savent que des pouvoirs
politiques chargés de la souveraineté étatique et du bien
commun, cèdent, au nom de logiques économiques et d’intérêts
étroits, à une privatisation des institutions, brisent les liens
sociaux et produisent de la violence sociale. Le cynisme de ceux
qui instrumentalisent le droit, l’économie et la religion ne
peut perdurer. Rien ne tient. L’invention d’un nouvel ennemi,
l’exploitation de la peur à des fins politiciennes et le retour
de la politique de la canonnière auront le plus marqué ce début
du XXIe siècle, alors que chacun escomptait un nouvel ordre
international moins injuste. Tout est prêt à s’abîmer dans la
contradiction et l’échec.
Des scientifiques parlent des traumatismes de l’être humain en
souffrance d’une «vérité» qui lui est imposée. Pour les
psychologues et psychanalystes, cela produit de la castration,
dont Lacan a montré qu’elle était le nom de l’impossibilité à
s’humaniser et à pouvoir tout dire et tenter de changer le
monde. Malgré leurs promesses, les discours politiques du monde
dominant et arabe se révèlent, chacun à sa manière, trompeurs.
Les éléments d’un affrontement au sein du monde musulman entre
occidentalisés et obscurantistes retardent le processus de
changement vers une société ouverte sur le monde, fière de ses
racines.
Ni opprimés, ni
oppresseurs
Il est urgent de revenir à la compétence intègre, tout en tenant
compte de valeurs propres. Sur le plan international, malgré les
«bonnes paroles» du président Obama, la loi du plus fort
est en train de mener au désastre. Sur le plan interne aux pays
arabes, malgré des acquis et potentialités, la fuite en avant,
la démagogie et la faiblesse en matière de bonne gouvernance ont
atteint leurs limites. Avec des conséquences: violence aveugle,
dérives, extrémismes, précarité, fuite des cerveaux, ce qui
aboutit à une recolonisation sous d’autres formes et à des
schizophrénies. Pourtant, la civilisation arabo-berbère a été
lumineuse durant près de mille ans et des luttes de libération
comme celle du 1er Novembre furent des épopées. Sans nostalgie,
on peut participer à un monde moins inhumain et contribuer à la
recherche d’une civilisation universelle juste qui manque.
A défaut de résoudre tous les problèmes, ici et maintenant de
manière concrète, de répondre au malaise dans la civilisation,
l’intellectuel, le cadre, le citoyen, notamment les jeunes, ne
doivent pas s’abandonner à la lassitude, mais être attentifs à
quelques pensées dignes et patriotes, de partout dans le monde,
qui, loin de démissionner face aux défis de l’homme égaré dans
un amas de mensonges, ouvrent une voie pour trouver
l’inspiration en vue d’assumer les devoirs et exiger les droits.
Inverser le cours des choses exige de la réflexion et de
l’action. La gravité de la crise qui affecte tous les aspects de
la vie, exige une nouvelle alliance entre les peuples pour jeter
les bases d’un contrat civilisationnel. Ni opprimés, ni
oppresseurs, telle devrait être la devise de notre temps.
Mustapha Cherif, Philosophe
www.mustapha-cherif.net
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Publié le 22 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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