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Opinion
Au crible des
informations tendancieuses, la situation en Syrie
Mère Agnès-Mariam de la Croix
Mère
Agnès-Mariam de la Croix
© Micheline Albert Tawil
Tramp
Dimanche 1er mai 2011
On m’a demandé mon avis sur ce qui se passe chez nous. Vous le
savez je travaille en Syrie à la réhabilitation d’un monastère
du VIème siècle tombé en ruine. Notre communauté monastique est
dévouée au témoignage et à l’unité de l’Eglise d’Antioche et
chargée de servir les pèlerins et les personnes en recherche
spirituelle. Nous recevons près de 20000 visiteurs par an. Cette
affluence, avec le réseau local et régional d’amitiés de la
communauté, nous permet d’avoir une idée assez objective de la
situation qui nous préoccupe.
J’aimerai d’abord souligner que la politique n’est pas un
domaine où je m’aventure, ce qui m’intéresse c’est le salut
final de l’homme qui est son bien suprême. Cet angle de vue aide
à juger de la politique. Aussi, pour ne pas me fier uniquement à
ma propre vision je me suis documentée sur le web. Je suis
tombée sur des analyses que j’ai trouvées pertinentes et qui
m’ont confirmée dans mes intuitions. Ces sites sont en « marge »
des réseaux d’informations officiels qui, nous nous le
concédons, pratiquent la langue de bois, ou pire, le lissage
sémantique pour parvenir à des fins occultes quand ils ne font
que puiser, sans vérification, à des sources douteuses.
Il va sans dire que le Moyen-Orient vit des moments de
bouleversements majeurs. Il nous est demandé en tant que
chrétiens de lire les signes des temps, ce que le Seigneur,
Maître de l’histoire, est en train de travailler –au sens
johannique (cf. Jean 5,17). Il est important aussi de juger de
la situation avec un œil spirituel pour pouvoir s’engager dans
la réalité des faits d’après notre responsabilité de témoins du
Christ.
Un nouveau-né très médiatisé
Les manifestations qui ont commencé en Egypte pour atteindre le
Yémen, le Bahrain, la Jordanie, la Libye et la Syrie, sans
oublier l’ Arabie Séoudite, sont acclamées et favorisées dans
les médias mondiaux comme des mouvements légitimes et spontanés
et mêmes charismatiques et inspirés . Quoi de plus louable et
digne de sympathie que des foules qui réclament la liberté, la
démocratie et le changement constructif au sein de leurs pays
respectifs dont les monarchies vétustes et les régimes désuets
au pouvoir désormais héréditaire sont tous tyranniques et
corrompus?
On nous annonce avec fracas qu’un enfant vient de naître des
cendres de l’arabisme moribond, il s’appelle révolution. Avec
l’Amérique pour parturiente, et pour marraines la Ligue Arabe et
les Nations-Unies, présidées par la France et l’Angleterre,
le nouveau-né a été déclaré enfant légitime de la
communauté internationale alignée. Son père est
l’antinationalisme arabe
et sa mère la liberté. Pour asseoir sa légitimité il a eu
pour témoins les cousins princiers du Golfe, Qatari en tête.
Attendrie par sa naissance la communauté internationale s’engage
à le protéger contre tout mal, même au prix d’une ingérence qui
sera, toujours dans son cas, strictement humanitaire.
Vraie sosie du Christ coranique l’arabisme mondialisé est un
enfant-prodige qui parle dès son berceau la nouvelle langue
planétaire. Il est le signe de la toute-puissante providence du
sacro-saint monde virtuel qui brasse les idées des hommes comme
le chef de cuisine mélange sa sauce au goût du jour. Nourrices
consciencieuses du nouveau-né, encore aux tétines dans les
aréopages du net, les chaînes satellitaires, viennent, à
grand renfort de câlins, en aide à son isolement affectif. Elles
le bercent de nouvelles cantilènes où il apprend qu’en vertu de
la nouvelle paternité internationale il n’est pas orphelin mais
seulement libéré de sa mère-vampire. Voilà qu’autour de son
berceau une nouvelle arabophonie voit le jour en un phénomène
médiatique nouveau qu’on n’a pas eu le temps de voir venir et
qui s’impose. On zappe à longueur de journée et c’est le même
discours, habilement basé sur les dogmes de la nouvelle religion
mondiale.
En fait, ce qui nous pose problème n’est pas le phénomène des
manifestations contre les régimes de notre région mais le
timing, et l’accompagnement tendancieux qui est réservé à
ces dernières de la part des chaînes satellitaires, en
coordination parfaite avec certains gouvernements.
Elles étaient préparées pour l’année, le jour et l’heure. Al
Jazzirah, huée cependant par les forces de la coalition en Iraq
mais transformée aujourd’hui en porte-parole international –oh
combien ambigu- des valeurs du nouveau Moyen-Orient ; Al
Arabiyah, qui s’exprime, oh paradoxe, au nom de la liberté à
partir du fief de la plus grande théocratie arabe en Arabie
Saoudite ; Al Hurra,
née des cendres du régime de Saddam Hussein par insufflation
washingtonienne ; CNN, le vétéran de la guerre du Golfe, le très
royal BBC New, France 24, à peine adoubé, dans leurs versions
internationale et arabe. Ces mastodontes évoluent en parfaite
harmonie idéologique avec les aréopages du net : les leurs
propres ainsi que Facebook, Tweeter, Utube ou autre et sont
relayés par la presse écrite en ligne.
Notre expérience en Syrie
Tant que l’information ne nous concernait pas nous ingurgitions
passivement les nouvelles savamment orchestrées des autres pays
en souffrance. Mais lorsque il s’est agi des évènements éclatés
en Syrie, nous avons commencé petit à petit à nous rendre compte
que ces chaînes n’informent pas elles cherchent à infléchir le
cours des évènements par des moyens virtuels perfectionnés. Ce
faisant elles représentent un totalitarisme d’un type nouveau
qui manipule l’opinion publique. Il nous a été aisé de découvrir
que les données médiatiques sont soumises à un subtil filtrage
qui fausse leur sens. On les traite d’une manière sélective pour
aboutir à une image donnée de la situation et, ce qui est pire,
l’orienter insidieusement dans un sens voulu. Une nouvelle
« source » de renseignements pour ces chaines est qu’elles
quémandent les messages MMS, multimédia, envoyés clandestinement
à partir de téléphones portables. Ces messages téléphoniques
sont souvent l’unique source d’information visuelle ou sonore
pour retransmettre ce qui se passe dans tel ou tel pays. Nos
jeunes ont été sollicités, par des SMS ou par des mails, à
envoyer ces documents aux chaînes satellitaires avec, en
contrepartie, la promesse d’une rémunération financière.
Par appât du gain et parce qu’il y a preneur, tout et n’importe
quoi est offert sur ce marché dérisoire de l’information. Un de
nos contremaîtres m’a montré un vidéo-clip local réalisé par des
jeunes syriens pour illustrer une chanson arabe. On y voit une
bande de jeunes habillés de noir circulant armés dans des
voitures décapotables comme des gardes de sécurité. A notre
grande stupéfaction cette même vidéo a été montrée sur la chaîne
Al Jazira comme étant la preuve de l’arrogance des services
secrets syriens !
On s’allongerait beaucoup s’il fallait revenir sur tous les
montages et fictions des chaînes satellitaires qui ne traitent
qu’une partie de l’information
et cherchent à imposer leurs propres vues de la réalité.
Comme cela a été attesté sur l’excellent Blog
Syria Comment de
Joshuah Landis
[1], on arrive à transmettre le
contraire de ce qu’attestent les personnes interviewées. Le
Colonel ‘Uday Ahmad témoigne qu’il roulait avec son
beau-frère le Colonel Yasir Qash’ur
sur l’autoroute près de Banyas le 10 avril 2011, lorsque
des tirs les ont pris en chassé croisé et ont tué sur le coup
Qash’ur et huit autres soldats dans leur camionnette. A qui
voulait l’entendre le Colonel ‘Uday a affirmé qu’ils n’avaient
pas été tués par l’armée mais dans un guet-apens d’inconnus, on
lui a fait dire le contraire.
De même sur ce blog on fait état du journal anglais en ligne
the Guardian
[2] qui assure que des soldats
syriens avaient été fusillés parce qu’ils refusaient de tirer
sur la foule et se réfère à une vidéo sur YouTube où, en
réalité, l’interviewer harcèle un soldat blessé pour lui
arracher l’aveu qu’il avait refusé de tirer sur les gens.
Question : quand vous n’avez pas tiré que s’est-il passé ? Mais
le soldat ne comprend pas la question parce qu’il venait de dire
qu’il n’avait pas reçu des ordres pour tirer sur les gens, aussi
répond-t-il « rien, les tirs ont commencé de toutes les
directions ». L’interviewer répète sa question d’une autre
manière en demandant « pourquoi tiriez-vous sur nous, des
musulmans ? » Le soldat lui répond : « je suis aussi un
musulman ». Alors l’interviewer lui demande : « pourquoi alors
alliez-vous tirer sur nous ? et le soldat de
répondre : « nous n’avons pas tiré sur les gens ont nous a tiré
dessus sur le pont ».
Non seulement ces pauvres soldats sont abattus cyniquement par
des mercenaires mais les médias s’évertuent à en faire des
bourreaux !
Des ingérences étrangères dans les évènements
Il faudrait vraiment se désintoxiquer de la désinformation
concertée des ces mega medias. Quel zèle haineux a soudainement
envahi leurs comités de rédaction pour qu’ils puissent à ce
point mentir dans l’agencement de l’image et du son ? En
campagne au nom de la liberté les voici qui commencent par nous
imposer un totalitarisme de l’opinion qui surpasse en efficacité
celle des pires régimes d’antan. Il est décrété que les peuples
arabes doivent se révolter et changer de régime à l’aveuglette
et à n’importe quel prix pour exorbitant qu’il soit.
Il est clair qu’on cherche à créer un vide sécuritaire et à
affoler l’habitant. Parallèlement les médias soufflent sur le
feu pour l’amener au paroxysme. Ces agissements sont loin de la
déontologie journalistique, ils sont manipulateurs, ils
devraient être stigmatisés.
Alix Van Burren, reporter vétéran de la Repubblica, le
journal italien bien connu est à Damas et il a envoyé un rapport
sur le rôle possible d’agitateurs à la solde de Khaddam à Banyas.
Le dimanche deux personnes de l’entourage de l’ex-vice président
ont été arrêtées. Des activistes des droits de l’homme ont
confirmé qu’ils étaient en train de semer le trouble en
distribuant de l’argent et des armes.
Haytham al Maleh, un membre de l’opposition, a été le
plus explicite à montrer du doigt l’interférence des gens de
Khaddam qui « joue avec le sang des innocents » dans et autour
de Banyas. Il a aussi mentionné les chiens galeux, loyaux de
Rifa’t al Assad, oncle mafieux et déchu de Bashar El Assad. Ces
gens, d’après la Repubblica, sont actifs sur la côte
entre Tartous et Lattaquieh.
Depuis l’assassinat de Rafic Hariri au Liban, son fils Saad qui
accuse la Syrie d’avoir commandité le meurtre cherche à
affaiblir le régime, voire à l’éradiquer par tous les moyens.
La semaine passée nous avons lu dans Wikileaks que ce même Saad
Hariri avait demandé aux USA de mettre fin au régime de Assad
stipulant que Khaddam et les Frères Musulmans, aidés de Hikmat
Al Shebahi pourraient remplir le vide occasionné. Depuis
quelques années nous savons que souvent des armes passent par
les montagnes qui nous entourent, limitrophes avec le Liban qui
sont difficilement contrôlables par la douane en provenance du
village pro-haririen de ‘Arzâl. Pas plus tard qu’hier un
tracteur a été intercepté contenant des armes, il est passé par
devant notre monastère sis sur le chemin de contrebande à l’orée
du village. Depuis les années 60 le fondamentalisme sunnite
cherche à émerger au sein des régimes arabes. Réprimés par ces
régimes, les Frères musulmans et les djihadistes salafistes ont
constitué des réseaux occultes qui ces dernières années ont
infiltré des jeunes désoeuvrés. Certains, dans notre village,
ont été enrôlés pour se battre à côté de Al Qaeda en Iraq et ont
été tués. Nous avons su que ce qu’on croyait être de simples
ouvriers égyptiens, des résidents jordaniens ou libanais ou des
réfugiés irakiens faisaient partie en réalité des cellules
dormantes qui s’équipaient petit à petit pour un scénario de
renversement du régime savamment élaboré entre diverses
capitales et patronné par certaines grandes puissances et
quelques pays arabes. Cependant,
et c’est le comble, ces médias et leurs invités tournent en
dérision toute nouvelle concernant l’implication de tierces
personnes dans les évènements en Syrie et se hâtent de démentir
les preuves apportées de l’implication active de régimes et de
factions à l’arrière-fond des évènements en Syrie, avec la
présence de mercenaires professionnels armés et équipés.
Des informations dignes de foi assurent le contraire. Des
mercenaires circulent un peu partout. Le cousin de notre
tailleur de pierre allait au restaurant depuis une semaine. Une
voiture sans immatriculation passe près de lui et l’abat à bout
portant. Hier à Deir Atiyeh, village cossu à quatre kilomètres
du nôtres, un groupe armé a tiré sur le restaurant le plus
sélect et a endommagé plusieurs magasins. La présence de ces
mercenaires a fait
que nos jeunes des quartiers chrétiens de Homs, Rableh, Qusayr,
Dmaineh, Jousseh, ont formé des comités populaires pour fermer
l’entrée des ruelles et villages et s’assurer de l’identité de
tout arrivant. Ils témoignent que les forces de sécurité
elles-mêmes acceptent d’être fouillées. Nos jeunes de Homs ont
poursuivi et attrapé des fauteurs de troubles, qui étaient des
étrangers de nationalités irakienne, libanaise ou égyptienne,
armés et arborant des téléphones portables type Thuraya
(connectés par satellites).
Mais ce qui donne le frisson est le récit que m’a fait ce matin
un témoin oculaire. G.B.A.N qui est institutrice Cette personne
est digne de foi, elle est membre de notre paroisse et très
proche de notre monastère depuis des années: Voici ce qu’elle
m’a raconté :
Témoignage d’une institutrice
« Les manifestants que nous avons vu déferler le jour des
Rameaux ne sont pas de Homs. Ils
nous demandaient comment se diriger dans les rues.
Beaucoup sont des gamins qui portent des sortes de pantoufles
qu’ils égarent dans la rue. Ces adolescents se sont targués
devant nous de « gagner de l’argent ». Ils ont fait état de
sommes d’argent qui leur ont été distribuées pour participer à
la manifestation. Pour quelques-uns c’était 500 livres syriennes
la journée, pour d’autres c’était 1000 livres syriennes.
Nous avons entendu nos voisins se répéter les uns les autres :
« d’où viennent ceux-là et pourquoi doivent-ils s’exprimer chez
nous à notre place ? ». Les gens de Homs avaient peur et se
barricadaient chez eux. Les manifestants étaient mal élevés, des
Hardabasht. A 18h30 ils se sont arrêtés à l’église Saint Antoine
des grecs-orthodoxes à Bab El Sbah et ont parlé insolemment avec
les Pères Wahib Bitar et Tohmeh Tohmeh qui faisaient les prières
des Rameaux. Ils les ont interrompu et leur ont intimé l’ordre
de se dépêcher pour terminer. Du jamais vu en Syrie où la
coexistence islamo-chrétienne est idéale.
Nos jeunes étaient à leur poste à l’entrée des quartiers sous le
contrôle des comités populaires : A Adawiya, Al Nuzhat, Bab El
Sbah, Al Zahra’ et Khaldiyé. Ils ont réussi à empêcher l’accès
de nos quartiers aux manifestants.
Les manifestants ont continué leur chemin, cassant des magasins,
brûlant des pneus et molestant les passants. Ils
proféraient des paroles vulgaires et insultantes. On a fait état
de personnes assassinées, comme un général qui allait
dans sa voiture faire des achats. On leur a tiré à bout
portant puis on les a coupé en morceaux pour causer la plus
grande frayeur au public. Le même procédé a été utilisé par les
salafistes à Nahr El Bared avec l’armée libanaise, où les
soldats eurent les yeux crevés et les membres coupés. Durant
leurs obsèques tout Homs était bouleversé et acclamait le
Président. Mais les médias étrangers n’ont donné aucune
importance à cet incident. Ils attribuent tout à des « coups
montés » du régime.
Le lendemain après-midi les manifestants sont revenus. Les
services d’ordre ont remarqué qu’un immeuble en réfection était
infiltré par des snipers. Ils ont entouré l’immeuble pour se
saisir des snipers et ont demandé aux forains d’éteindre toute
lumière. Quelques-uns des snipers qui cherchaient à fuir ont été
touchés par les balles de nos soldats. Ils ont été transportés à
l’hôpital militaire. Je connais le médecin en chef de cet
hôpital, Dr. Kasser Finar. Le soir il était bouleversé en nous
racontant que ces snipers étaient des syriens venus des villages
reculés aux confins du désert. Ils étaient drogués au point de
ricaner tout le temps et de n’avoir aucune sensation de
souffrance.
Hier l’armée a mis la main sur une cache d’arme importante à
Homs, dans la mosquée de Mreij à Bab El Sbah.
Ce soir les manifestants se sont rassemblés autour de la place
de l’horloge qu’ils ont nommée « place de la libération ». Nous
les avons entendus vociférer sans arrêt durant la nuit des
slogans effrayants : « Le front de Homs proclame le Jihad,
habitants de Homs, au Jihad ! ». Mais personne de la ville n’a
bougé. Vers 4 heures du matin nous avons entendu des salves
d’armes à feu et le matin quel fut notre soulagement de voir que
toute cette foule hirsute avait été dispersée. Aujourd’hui Homs
est comme en état de siège. Les forces de sécurité ont interdit
les motocyclettes. Personne ne peut rentrer à Homs mais on peut
en sortir. Nous avons tous vu que ces manifestants étaient des
occupants à la solde d’une entité extérieure à la Syrie.
On nous dit que ce sont des salafistes. Nous n’avons
aucune hésitation à le croire, nous avons vu de nos yeux leurs
agissements. Ils ne sont pas des nôtres, ils viennent pour un
complot occulte, pas pour une réforme constructive. Que Dieu
nous assiste. »
Témoignage de M.S. étudiant de Qâra, résidant à Homs,
« Le mercredi 19 avril j’étais à Homs. J’habite près de
l’université Baath, à côté du rond-point du président. En marge
des manifestants j’ai vu des voitures 4x4 équipées avec de
grosses mitraillettes bien fixées sur l’arrière. Un milicien se
tenait derrière la mitraillette et tenait la gâchette appuyée
pour cribler de balle tous les magasins de la rue commerçante
qui va du rond-point au centre-ville. Les gens qui circulaient
s’aplatirent sur le sol, il y eu quelques blessés. Les jeunes du
comité populaire avec les forces de l’ordre finirent par tirer
sur le véhicule qui dérapa. Nous accourûmes pour maîtriser ses
occupants. Ils étaient trois. Quel ne fut notre étonnement de
voir qu’ils étaient dans un état inexplicable, comme drogués.
Celui qui actionnait la mitraillette avait été blessé par une
balle qui avait laminé son bras en profondeur, mais il riait aux
éclats, insensible à la souffrance. Ces gens ont été arrêtés et
transportés ailleurs par les forces de l’ordre. »
En recueillant les témoignages de nos amis à Damas (
Zamalka, Jobar, Abbasiyyin -tijara, koussour, kassa-Dweila,
Zablatani, Souk El Hâl,
Saaba-Gotta,
reliée aux camps palestiniens qui font un juteux commerce
d’armes) ou Daraa, Suwaida, Lattaquieh et littoral ou Jezzirah,
nous relevons plus ou moins le même scénario. Les gens, jeunes
et adultes confondus se rassemblent au sortir des mosquées ou à
une autre occasion. Ils s’avancent dans une manifestation
pacifique. A l’intérieur de la foule il y a des groupuscules qui
commencent à faire monter la tension. Les slogans deviennent
plus violents et fanatiques. A un moment donné ces intrus
commencent à commettre des actes violents : casser des magasins,
brûler des
voitures, s’en prendre aux passants ou aux forces de l’ordre.
L’ensemble des manifestants n’est pas forcément au courant de
ces agressions qui se
déroulent à un bout de la file de la manifestation. A un moment
donné des snipers embusqués sur les toits ou des gens armés de
l’intérieur de la foule, tirent tant sur les forces de l’ordre
que sur les manifestants. C’est la débandade. Les séquences de
vidéo sont prises à ce moment-là pour prouver que les forces de
l’ordre ont tiré gratuitement sur une foule pacifique.
C’est une évidence pour des observateurs impartiaux qu’il s’agit
d’un scénario habilement
monté et orchestré par les médias mondiaux à partir de
concepts-clés. Ce scénario se répète un peu partout en Syrie
pour infléchir la situation de sorte à pouvoir renverser le
régime. Chez nous, dans nos petits villages du Qalamun, cela se
reproduit à une moindre échelle. Nous ne cherchons pas à
protéger le régime. Nous voulons des réformes, mais pas de cette
manière manipulatoire qui est loin d’être innocente.
Pour essayer de comprendre les enjeux de la situation présente
en Syrie ou au Moyen-Orient
essayons de situer les évènements dans le fil du temps.
Les évènements au passé et au présent
D’abord le passé :
Il est inévitable de faire mémoire pour comprendre à quel point
nous nous trouvons de notre long calvaire au Moyen-Orient. Par
quels labyrinthes mortifères nos peuples ont été obligés de
s’engager à cause des alliances et contre-alliances ayant trait
au conflit israélo-arabe qui à notre grand détriment n’a pas
encore été résolu mais s’est compliqué en une nécrose purulente.
[3] Depuis la création de l’Etat
d’Israël, nous nous trouvons dans une situation de continuelle
réélaboration géopolitique sur l’échiquier de la diplomatie et
de la politique mondiale à coup d’actions et de réactions.
D’abord le panarabisme de Naguib et de Nasser, puis la politique
des petits pas de Mr. Kissinger autorisant la partition de
Chypre, le dépeçage confessionnel du Liban avec, en arrière-fond
la chute du Shah et l’émergence de la République Islamique.
Ensuite l’invention du fondamentalisme sunnite avec les Ousamma
Ben Laden et les Talibans explosant dans le World Trade Centre
puis la guerre du
Golfe, celle d’Iraq et d’Afghanistan. On nous prédisait le
nouveau Moyen-Orient à partir d’une anarchie créatrice suite au
limogeage du méchant Saddam Hussein. Nous y voilà ! Piètre
réalisation en vérité. Combien de sang, de morts, de
destructions ? Quelle instabilité, quelle misère, combien de
voitures piégées jusqu’à aujourd’hui ! Sans oublier la subtile
et occulte redistribution démographique qui, comme au Liban, à
Chypre, dans les Balkans ou en Iraq, cherche à morceler la
géographie en des entités faibles à prédominance
confessionnelle, où souvent les chrétiens n’ont pas de place.
Afin que se réalise dans toute sa puissance l’hypothèse du choc
des civilisations de Samuel Hungtinton.
Ensuite le présent :
Derrière le brouhaha des manifestations et le fracas des armes
et des slogans pseudo-humanitaires, on assiste à l’émergence
réelle d’un front shiite qui s’oppose à un front sunnite. Pour
mettre en place cet ultime scénario on a favorisé d’une manière
occulte les mouvements « religieux », Frères musulmans ou
ayatollah. Soudainement les grandes puissances sont très
soucieuses des Droits de l’Homme dans nos pays. N’avaient-elles
pas pactisé, mieux collaboré, au grès de leurs intérêts avoués
ou occultes, pendant des décennies avec les régimes décriés
aujourd’hui ? Mais voilà que, soudain, les dirigeants mondiaux
deviennent attentifs aux principes de la démocratie chez nous,
au point que Messieurs Obama, Cameron et Sarkozy écrivent une
lettre conjointe, apparue le 14 avril dans le Herald Tribune
pour consacrer dans des termes pathétiques le principe de leur
ingérence « humanitaire » en Libye. Cette ingérence à caractère
humanitaire ( ?) a déjà fait des dizaines de morts dans la
population civile. Elle crée un précédent effrayant.
Elle élimine l’Etat de droit et sape les fondements de
l’indépendance des nations, mieux la notion elle-même de nation.
La rapidité avec laquelle la communauté internationale, Ligue
Arabe et ONU, a
réagi contre le régime libyen est déconcertante. Alors qu’il
s’agissait de « protéger » la population civile contre les
tyrannies de Gaddafi voilà que les frappes de l’OTAN sont en
fait pour favoriser et accompagner une rébellion armée qui
change la donne. Il ne s’agit plus d’un peuple pacifique qui
réclame le changement à ses dirigeants mais d’une guerre civile
où la communauté internationale prend parti effective avec l’une
des factions contre l’autre.
L’objection humanitaire est bien la motivation de ce droit à
l’ingérence. Mais alors pourquoi ne pas en faire bénéficier tous
les spoliés de la terre. Pourquoi deux poids, deux mesures ?
Pourquoi intervient-on en Libye en « faveur » des manifestants
tandis qu’au Bahreïn on intervient à leur détriment ?
Et que dire du calvaire quotidien de la population civile à Gaza
qui sert de perpétuelle chair à canons à Tsahal avec un usage
immodéré de la force contre la population civile ?
Aussi, pour notre part, sommes-nous loin de reconnaître dans les
manifestations qui envahissent le monde arabe en général et la
Syrie en particulier, les prodromes d’un quelconque printemps,
au contraire nous préconisons le maximum de retenue et de
prudence. Nous n’y voyons qu’un acte hivernal impitoyable pour
nous enrôler dans un nouveau façonnement qui plaise aux maîtres
du monde. Et la preuve est à bout portant, nous lisons dans
le Figaro du 18 avril que
les USA ont financé
l’opposition en Syrie : « Selon le Washington
Post, la chaîne Barada TV est proche du Mouvement pour la
justice et le développement, un réseau d’opposants syriens
exilés. Le Département d’Etat américain a financé ce mouvement à
hauteur de 6 millions de dollars depuis 2006.
L’administration américaine a commencé à financer des figures de
l’opposition sous la présidence de George W. Bush quand ce
dernier a rompu ses relations avec Damas en 2005. Les
financements ont perduré avec le président Barack Obama…. »
Nous lisons aussi à propos des évènements en Egypte, jugés si
spontanés que la plupart des commentateurs disent que les USA et
leurs alliés ont été pris de vitesse et qu’ils cherchaient à se
rattraper en Libye :
« Cependant, bien que Moubarak ne soit certainement pas un ange,
l’opposition qui lui fit face apparaît avoir été cooptée par des
forces qui sont encore plus questionnables »[4].
Quelles sont-elles ? L’article les analyse avec
précision : « Freedom House, une fondation US majeure prépare
des activistes pour la révolution[5].
La stratégie s’inscrit dans celle de l’administration américaine
divisée en néoconservateurs et néolibéraux. Pour l’organisation
et le soutien des manifestions a été appliqué le principe de
Joseph Nye, un membre de la commission Trilatérale, qui écrit
dans son livre Soft Power : The Means to Success in World
Politics : « Quand tu obtiens que les autres admirent tes idéaux
et veulent ce que tu veux tu n’as pas besoin de te dépenser à
droite et à gauche pour les attirer dans ta direction. La
séduction est toujours plus effective que la coercition ». Nyse
parle de l’importance des ONG comme possible collaborateurs dans
l’administration de la puissance douce. L’alliance entre l’ONG
Freedom House et le gouvernement américain a entraîné la mise en
marche de forces privées qui exercent des influences malsaines
dans la politique étrangère et nationale. De plus Freedom House
et ses ONG alliés emploient la puissance douce pour faciliter ce
que le néoconservateur Michael Ledeen appelle : « la destruction
créatrice ». Un concept révolutionnaire et subversif qui cherche
à abattre et à reconstruire chaque aspect de la société pour le
rendre inoffensif. Pour finir nous dirons que Freedom House
n’est qu’une entité dans un réseau d’organisations
gouvernementales et non gouvernementales que des élites déviante
utilisent pour conduire des campagnes de déstabilisation, pour
remodeler le paysage politique, social, économique des pays et
punir les dirigeants nationaux récalcitrants et les dictateurs.
C’est bien de destruction créatrice qu’il s’agit. Les
architectes de nos nouvelles révolutions peuvent se vanter qu’à
un prix dérisoire ils ont pu allumer des incendies qui tiennent
à la fois du virtuel, du sentimental, de la boule de neige,
bref, de la suggestion médiatique. Mais pour mettre le feu aux
poudres il n’en faut pas plus et la puissance douce peut se
changer en volcan qui charrie tout. Car il s’agit bien d’en
arriver là ?
Quelles voies pour une vraie réforme
Par-delà le factice,
il y a des facteurs composés qu’il faut détecter pour
être en mesure d’analyser la situation et lui trouver des
solutions adéquates en évitant d’idéaliser l’information qui
nous parvient de ces mouvements de masse sous forme de
désinformation manipulatrice.
Pour ce faire il faut comprendre la spécificité socioculturelle
syrienne qui tient sur des équilibres non pas seulement
politiques mais humains. Bien que le parti Baas soit idéologique
et essentiellement laïc, il n’en a pas moins gardé, comme tous
les autres régimes monarchiques,
républicains ou parlementaires de la région, des
profondes ramifications dans le tissu tribal et clanique,
spécifique du Moyen-Orient. Il tient grâce à ces accointances,
grâce à un continuel réajustement des relations cordiales à
travers les représentants des grandes et des petites familles.
C’est cela qui fait sa force ou sa faiblesse, comme celle des
autres régimes de la région. Les médias n’ont pas retransmis la
réunion du Président Bachar El Assad avec les notables de Daraa
par exemple et le témoignage d’un des participants. Accueillis
sans aucun protocole, ils ont été touchés par l’intérêt réel du
Président et ce contact a réussi à apaiser les esprits et à
créer un espace de dialogue et de concorde. Cependant cette
atmosphère n’a pas perduré. Entre-temps les évènements de Homs,
de Banias, de Jableh et autres sont venus verser de l’huile sur
le feu avec les nouvelles de plus en plus impartiales de
l’existence d’un véritable réseau sunnite de soutien aux
manifestants. Ceci aboutit à des mesures préventives qui sont
forcément répressives comme nous le voyons aujourd’hui à Daraa,
Douma, Jableh avec, en contrepartie, la démission de plusieurs
officiers de l’armée, de deux députés, du vice-président de la
chambre de Commerce et du mufti de Daraa.
Un dialogue serein entre les diverses composantes de la Syrie
peut commencer.
Jamais une ingérence étrangère ne pourra remplacer le dialogue
intérieur et serein dans une famille, une région ou une nation.
Je rapporte ici le point de vue d’une blogueuse du nom de Nour
qui écrit le 14 Avril : «Je crois qu’il serait naïf de croire
que ces « révolutionnaires » avec les médias Arabes postent
simplement des vidéos pour disséminer une information qu’ils
sont incapables de vérifier. Ils ne sont pas de simples amateurs
qui font des erreurs tout le temps. Ceci fait partie d’une
campagne organisée et concertée pour inciter les gens à la
violence et à la haine. C’est pourquoi je la rejette totalement
ainsi que ceux qui organisent cette charade. Quand aux vrais
protestataires j’ai déjà accepté quelques-unes de leurs requêtes
car elles sont légitimes et j’ai assuré qu’ils avaient le droit
absolu de manifester pacifiquement. Mais je condamne avec les
termes les plus sévères l’usage de la violence (TOUTE VIOLENCE)
par les officiers de sécurité contre les pacifiques
protestataires. Cependant je ne cois pas que je devrais soutenir
toute personne qui s’oppose au régime pour le simple fait d’être
opposition avec le régime. Je ne soutiens pas l’usage de moyens
déshonnêtes et dégénérés pour combattre le régime parce que les
gens qui utilisent de tels moyens ne sont pas meilleurs que le
régime »[6].
Un changement réalisé par la force coûtera cher laissant
présager le pire des scénarios à l’avenir.
C’est l’inconnu et
l’horreur du vide, même si les médias
et leurs distingués invités semblent confiants dans
l’avenir et pressent vers la déstabilisation du régime. Sous
cette angle les protestations violentes (admettons-le, il y a
des intrus qui sont chargés de faire monter la tension) nuisent
à la cause de la vraie
réforme.
Déjà au XVIIIème siècle l’Orientaliste Sir William Jones,
écrivant des Indes coloniales britanniques, argumentait « qu’un
système de liberté imposé à une peuple invinciblement attaché à
des habitudes opposées serait en vérité un système de
tyrannie. »
Ce que nous craignons est bien prédit par le président russe Mr.
Dimitry Medveïev parlant de la situation présente : « Ces
pays sont difficiles et il est très probable que des temps durs
nous attendent y inclus l’arrivée au pouvoir de fanatiques. Ceci
veut dire du feu pour des décades et l’extension de
l’extrémisme ».
[7]. Aussi notre désir est que l’on
cesse de mettre de l’huile sur le feu et
nous opposer aux formes dévoyées de toute ingérence tendancieuse
qui ne peut qu’être intéressée, et ce faisant aveugle et
insensible au vrai bien de la patrie.
Mère Agnès-Mariam de la Croix
Et Communauté du Monastère Saint Jacques l’Intercis
[1]
http://www.joshualandis.com/blog/?p=9115
[2]
http://www.guardian.co.uk/world/2011/apr/12/syrian-soldiers-shot-protest
[3]
Je peux en dire quelque chose pour l’avoir vécu dans ma
chair. Fille d’un palestinien, réfugié au Liban en 1948,
j’ai vécu le drame atroce de la guerre du Liban qui
était une guerre commanditée et non point civile.
[4]
Destabilization: Directed Discontent in Egypt and Beyond,
par Paul et Phillip D. Collins, 11 mars 2011,
www.conspiracyarchive.com/Blog/?p=4270
[5] Ce
qui est corroboré par un autre article sur le même site
qui réfère que des jeunes Egyptiens sont soutenus par
Freedom House pour acquérir de nouveaux outils et
savoir-faire sur Facebook YouTube et par messagerie,
qu’ils pourraient utiliser pour faciliter la
révolution. Freedom House a pourvu les activistes
l’accès aux ressources nécessaires pour mener une
révolution, y inclus l’interaction avec des donneurs,
des réseaux, des organisations internationales et des
médias ».
[6]
http://www.joshualandis.com/blog/?p=9115
[7]
Article
de Collins précité
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Syrie
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