Le projet de la Ve République d'inaugurer en grande pompe une "Maison
de l'histoire de la France" laquelle ramènera, de toutes
façons, l'aventure et le destin d'une antique nation à une
exposition rétrospective de fétiches ou à un défilé de prises de
vues à mi-chemin entre le livre d'images et la bande dessinée,
ce miroir du grandiose aux yeux des uns et du ridicule aux yeux
des autres, ce projet d'un vieillard de récapituler son parcours
dans un rétroviseur hâtivement construit et dont la sélection
des portraits de sa jeunesse et de son âge mûr deviendra une
pièce de musée avant vingt ans, ce projet déchiré entre la
fresque convenue et l'anecdotique haut en couleurs présente
néanmoins un mérite paradoxal, celui de servir, dans un premier
temps, d'électrochoc d'une charge de plusieurs milliers de
volts, puis, à plus long terme, de chaise électrique sur
laquelle la science historique traditionnelle sera purement et
simplement électrocutée. Car demain, le véritable historien
regardera les bariolages du genre humain de l'extérieur; et il
abaissera les anciens récitants de la tribu au rang de simples
informateurs des anthropologues des nations, tellement les
narrateurs candides des travaux et des jours de notre espèce
seront mis aux arrêts dans la cage des greffiers.
Dès aujourd'hui,
un effarement des mémorialistes cadenassés, des chroniqueurs au
petit pied, des historiographes sarcleurs et des huissiers à
giberne se propage. Les uns feignent de monter sur leurs chevaux
de manège au spectacle honteux et humiliant, à les entendre,
d'une infantilisation soudaine, impérieuse et sotte de leur
discipline si riche de feux et de flambeaux, les autres
dénoncent sur le ton des lamentations de Jérémie une caricature
outrageante de leur science des ultimes secrets de la mémoire
pointilleuse de la France. Mais, en réalité, tous commencent de
se demander, in petto, s'ils ne seraient pas demeurés des
enfants de chœur et si leurs récitations bien apprises ne
seraient pas d'une inquiétante fragilité, tellement la
plateforme ou le piédestal ébranlé de la démagogie savante
cautionne des compétences de confection ; et tous se demandent
si ce soudain tohu-bohu ou ce remue-ménage intempestif dans le
magasin de porcelaine de l'éducation nationale ne rendra pas
insoluble une difficulté pédagogique fort nouvelle pour les
apprentis, celle de tracer enfin en connaissance de cause une
ligne de démarcation crédible entre les farces et attrapes qui
jalonnent le fleuve du temps des nations et l'interprétation
savantissime des moments cruciaux de la tragédie.
Quelques
puériculteurs dérangés dans leur promenade se demandent déjà,
dans l'angoisse, si l'histoire est un drame ou un vaudeville,
une épopée sanglante ou un livre d'heures agréablement colorié,
une eschatologie solennellement pilotée par le mythe de la
Liberté ou la bousculade pleine " de bruit et de fureur" de
William Shakespeare. Pas de doute, une tempête se prépare dans
le paradis des bréviaires et des notaires.
Comment va-t-on débattre à l'écoute des chantres de la
rédemption démocratique du tracé des frontières qui délimiteront
le territoire d'une Clio catéchisé, d'un côté, par les floralies
des Etats et inspiré, de l'autre, par les étendues que survolent
les plus hauts magistrats du passé. Car les considérants des
seconds cassent de siècle en siècle les jugements opportunistes
et les arrêts commandés des tribunaux de première instance et
des cours d'appel. En vérité, la "Maison de l'histoire de la
France" est un tonneau de poudre caché sous un tablier
d'écolier, une batterie pointée sur les séminaires de la mémoire
officielle, une artillerie prête à canonner la forteresse des
séminaristes de l'instruction publique. A l'heure où deux cent
cinquante mille dépêches diplomatiques débarquent
tumultueusement sur les places publiques de tous les villages de
France, comment ramener une Histoire affolée dans son enceinte
scolaire?
Non point qu'une
panique sans remède ait d'ores et déjà éclairci les rangs des
paysagistes de Chronos; mais comment une exposition sous vitrine
des pieuses défroques de la nation ne se changerait-elle pas en
un étalage des billots à décapiter les dévots des Etats,
tellement il suffira d'un violent repoussoir pour arracher à
leur sommeil ou à leur torpeur des régiments de catéchètes de la
mémoire du monde. Déjà les échafauds de l'intelligence tressent
les cordes des pendus, déjà les guillotines aiguisent leurs
couperets, déjà les bourreaux aiguisent leur hache, tellement on
se demande si la science historique "proprement dite" est une
discipline constructible sur ses prières ou si ses plus
sanglantes livrées seront brûlées sous nos yeux. Comment
associer le récit minutieux des évènements avec leur explication
sans tomber dans les dévotions publiques? Et si la narration
superficielle est censée enfanter une compréhension abyssale des
évènements exposés dans le musée d'une "raison nationale"
balisée, dans quelle mesure sera-t-il encore permis à la science
historique qualifiée de traditionnelle de conjuguer le vieux
verbe comprendre aux yeux des spéléologues audacieux de la
condition simiohumaine ? Que va-t-il advenir des simples
promeneurs de la mémoire dans les parcs d'attraction du "sens
commun"?
2 - Dans
les parages du verbe comprendre
Les historiens latins faisaient précéder la pièce dont ils
allaient dérouler les péripéties d'un bref rappel récapitulatif
des étapes précédentes que l'espèce humaine avec franchies sous
le soleil. Salluste commence par nous signaler que, parmi tous
les "autres animaux", nous nous distinguons des troupeaux
que "le souci de leur ventre courbe vers la terre" en ce
que nous sommes seuls à courir vers la gloire de laisser une
trace impérissable dans la mémoire de nos congénères . Tite-Live
prend soin, lui aussi, de résumer l'évolution stressante qui a
doté notre malheureuse cervelle de dieux puissants et de
prodiges mémorables. Tacite ne demeure pas en reste: à chaque
instant, un puissant coup de projecteur de son génie place les
événements qu'il raconte dans un paysage où les secrets les
mieux gardés de la nature humaine se démasquent.
Mais la science
historique de l'époque n'avait pas encore de connaissance
expérimentale des guerres civiles. Sous la République, la menace
de refuser de porter les armes que proférait une plèbe affamée
avait toujours fait plier un Sénat indifférent au sort des
miséreux, mais non à celui de la patrie. Aussi Tacite suit-il
quelques pistes d'une réflexion nouvelle, afin de tenter de
mieux comprendre la guerre civile entre Jules César et Pompée,
puis entre les Flaviens et les légions de Germanie. Pourquoi les
troupes victorieuses de Vitellius, qui étaient entrées dans Rome
à la suite du suicide d'Othon et du sac de Crémone,
s'attaquaient-elles maintenant à leurs propres généraux après
chaque revers face aux légions de Vespasien qui avaient débarqué
en Italie sans coup férir, alors que la Syrie et la Judée
paraissaient lointaines et amollissantes? Et voilà que Vitellius
ne parvient plus à protéger son propre Etat-major: les Valens et
les Caecina seront exécutés sur l'heure et sans jugement sous
l'inculpation confuse de trahison.
Visiblement, Tacite tente de combler les lacunes de la science
historique de son temps dans un domaine demeuré insolite à ses
yeux; mais il tâtonne dans une arène de la mémoire qu'aucun de
ses prédécesseurs n'avait eu à décoder. De plus, l'historien
romain n'a pas filmé Tibère, Caligula, Claude ou Néron en
cinéaste du déclin de l'empire. Pourquoi cette caméra pourtant
omniprésente demeure-t-elle cachée sous les décors, donc
étrangère à l'arsenal intellectuel des mémorialistes et des
chroniqueurs du premier siècle du christianisme? Sans cesse le
metteur en scène des Annales s'indigne seulement
de l'effondrement moral du peuple des Quirites; et il ne se
lasse pas de rappeler que s'il raconte avec force détails des
évènements atroces, mais anecdotiques, c'est afin que les
générations futures se souviennent qu'à chaque assassinat
ordonné par Néron, les sénateurs remerciaient les dieux d'avoir
sauvé l'empereur du danger de mort que sa propre mère, son
propre frère âgé de dix-huit ans, sa propre épouse Octavie, âgée
de vingt ans étaient censés lui avoir fait courir.
Pourquoi les
sénateurs pliaient-ils l'échine devant les Tibère, les Caligula
et les Néron ? Il aurait fallu un Fellini pour comprendre par
l'image les mécanismes universels de la peur et de la piété
civique confondues que les tyrannies mettent en mouvement, puis
porter le scénario jusqu'à la spectrographie des réflexes
psychobiologiques des corps constitués.
3 - La
vassalisation de l'Italie
Ce blocage intellectuel du récit se reproduit très exactement de
nos jours. La diète des vassaux de l'OTAN, qui a tenu séance à
Lisbonne les 20 et 21 novembre 2010 a couru à toute allure dans
les fers; et il lui a suffi d'une course de deux jours pour
placer l'Europe sous le protectorat d'un bouclier mécanique dont
Washington sera le seul artificier international, mais nullement
le seul payeur. Un arrière-plan politique aussi omniprésent,
omnipotent et titanesque des chaînes de la domestication
accélérée d'une civilisation va-t-il élargir le champ de vision,
encore si étroit, des l'historiens contemporains ou bien en
resteront-ils à l'horizon immobile des Tite-Live ou des Tacite,
qui n'ont pas eu recours à l'appareil de prise de vues
panoptique qu'eût été la notion de déclin de l'empire qui
éclairera les Montesquieu, les Gibbon, les Toynbee, les
Spengler?
Considérons un
instant la tragédie de l'Italie verrouillée sur les planches de
l'histoire de son immoralité et le renforcement des menottes
qu'elle porte aux poignets, tandis que résonnent en tous lieux
les patenôtres d'une liberté démocratique théatralisée. En 2011,
le quartier général américain de Naples sera transféré de
Bagnoli à Lago Patria, dont le quartier général s'étendra sur
quatre- vingt cinq mille mètres carrés. Toute la scène des
figurants sera desservie par deux mille cinq cents prétoriens
assistés de trois cent cinquante domestiques. Le système
d'espionnage électronique le plus puissant de la planète, celui
de Sigonella, étendra ses tentacules et en assortira le réseau
de l'appoint des hélicoptères de combat stationnés à Pise.
Les quelques milliers de bombes nucléaires de l'après-guerre que
l'empire des Atlantes a entreposées et disséminées dans toute
l'Europe depuis 1949 seront rassemblées et soigneusement
entretenues sur la base démesurée de la 173e Brigade aéroportée,
appelée Army Africa. Depuis la base logistique non moins
titanesque de Camp Darby jusqu'à celle de Sigonella - il s'agit
des deux centres d'approvisionnement les plus gigantesques de la
flotte de guerre des Etats-Unis - on verra rayonner les feux et
les signaux des trois principales stations de télécommunication
spatiales de l'empire. Quant à la base de Niscemi, elle
permettra de mettre en activité les systèmes les plus récents de
télécommunication par satellites entre les mille deux cents
bases militaires, qui concrétisent l' espace planétaire des
forces navales du vainqueur de 1944.
De l'Afghanistan à la Géorgie, de l'Irak au Liberia, du Congo à
Haïti, l'Italie engagera ses guerriers dans les vingt-sept
opérations qu'on montera sur la scène internationale afin de
tester sur le terrain les nouveaux systèmes d'armement, dont le
redoutable chasseur F35, spécialement conçu pour porter les
forces américaines hors de leur zone d'intervention autorisée
par les statuts de l'OTAN. L'argent public, donc l'impôt dont la
péninsule acquittera le tribut contribuera pour vingt cinq
milliards d'euros annuels à la domestication de feu le peuple
des Quirites. Mais pourquoi armer les citoyens romains jusqu'aux
dents contre un adversaire non seulement inexistant, mais
construit sur le modèle d'une fantasmagorie de type manichéen,
et tout cela sans que le règne d'un César de cette démiurgie à
la fois mondiale et imaginaire ait produit un seul
simianthropologue averti, tellement l'inconscient théologique de
la capitale du christianisme demeure impénétrable à la postérité
intellectuelle et politique des Tacite et des Suétone? Voilà ce
qui désarme la raison historique traditionnelle, voilà ce qui
exige de Clio une révolution du regard de l'humanisme de demain
sur notre espèce, voilà ce qui ridiculise d'avance le globe
oculaire de la France scolaire qu'illustrera la Maison de
l'histoire de la nation.
4 -
Caligula et le cheval Incitatus
Puisque l'expansion, aussi spectaculaire qu'invisible à tous les
regards de l'empire militaire et théologique américain décidée à
Lisbonne n'a attiré l'attention de personne au sein de la classe
dirigeante mondiale, ni en Italie, ni dans le reste de l'Europe,
la science du passé ne saurait demeurer réflexive, donc
explicative si elle renonçait tout soudainement à se poser la
question centrale de la méthode introspective qu'appelle la
postérité philosophique du XVIIIe siècle français. Pourquoi le
régime démocratique, qui, à l'instar de toutes les autres formes
de gouvernement, se fonde sur le principe élémentaire de la
sauvegarde de la souveraineté des peuples et des nations,
pourquoi la forme républicaine des Etats, dis-je, se
révèle-t-elle plus incapable que la monarchie ou le despotisme
de préserver les patries de leur vassalisation sous le sceptre
d'un empire étranger? La science contemporaine de la mémoire
va-t-elle tenter de se mettre à l'école d'une pesée
anthropologique de l'encéphale onirique du genre humain afin de
tenter de comprendre ce qu'elle se raconte dans l'inconscient?
Car enfin, si les vrais documents historiques sont devenus
cérébraux et s'il faut des accoucheurs nouveaux de la lucidité
politique pour ouvrir les yeux des derniers singes parlants,
voilà une question anthropologique que le musée des colifichets
exposés à la "Maison de l'histoire de la France" devra
apprendre à expliciter. Comment exposer des évènements
psychiques sous vitrine, comment faire débarquer dans l'histoire
visible une science des aveuglements de la servitude?
Pour cela, il
faudra se décider à placer le récit censé explicatif d'autrefois
sous les feux d'une intelligence historique éclairée par la
connaissance du passé zoologique de notre espèce. Mais toute
narration ne demeurera-t-elle pas désespérément locale par
nature et par définition? Comment donner au récit un statut
cérébral et trans-territorial?
5 -
L'Europe aux yeux crevés
Si des
fourmilières apprenaient soudainement qu'elles se trouvent
malencontreusement placées sur un chantier d'immeubles en
construction et qu'elles vont fatalement se trouver broyées par
de gigantesques pelleteuses, elles ne seraient pas en mesure,
pour autant, de lever le siège et de fuir en toute hâte un
ennemi invisible à leurs yeux.
En est-il de même
des démocraties aux yeux crevés, en est-il de même d'une Europe
assiégée par un maître dont l'anneau de Gigès est puissamment
vassalisateur, parce que messianisé à l'école du mythe de la
Liberté? Dans ce cas, la prétendue souveraineté des peuples
démocratiques et la faillibilité avérée du suffrage universel
qui soutient leurs idoles du langage comme la corde soutient le
pendu ne seraient que des fantasmes sur lesquels trônerait un
monarque sans regard; et la classe des élus du peuple ne
servirait que de tentacules et de myriapodes aux nations
bêtement asservies par leur classe dirigeante domestiquée. Voyez
la pieuvre des notables assis à la table de l'étranger : ils
illustrent l'animalité politique naturelle et inévitable d'une
population au cerveau vide. Mais imagine-t-on un historien de
l'amorphe dont le regard porterait de haut et de loin sur les
démocraties privées d'yeux et d'oreilles, imagine-t-on un Tacite
de la fatalité qui placerait l'inertie des élites européennes
sous la livrée des serviteurs d'un empereur d'au-delà des mers?
Comment un historien de ce type délivrerait-il son récit du
poids d'une masse sourde et muette ? La science historique en
tant que telle déserterait-elle alors les repères de la
condition simiohumaine? Mais dans ce cas, où trouvera-t-elle les
déchiffreurs de ses jalons?
Si Tacite avait
raconté la chute de l'empire romain - j'y reviens - une histoire
heuristique, donc anthropologique de son époque aurait permis à
ses contemporains de comprendre, par exemple, la signification
semi-animale de l'élévation du cheval Incitatus au rang de
consul par Caligula ; car la simianthropologie démontre qu'un
cheval mécanique suffit à piloter les rouages et les ressorts
d'un empire déclinant. Mais alors, un prix Nobel de la Paix
serait le nouveau cheval consulaire de Caligula dont la
machinerie alimenterait mille deux cents bases militaires
américaines sur la surface entière du globe terrestre.
6 - Le
poids du glaive
Comment l'Europe vassalisée débarquerait-elle dans le XXIe
siècle si la réflexion politique des chefs d'Etat et des plus
hauts responsables politiques ignore le poids, le sens et la
portée de la puissance militaire dans les rapports entre les
nations? Le 10 décembre 2010, Le Monde a publié
une interview de M. Helmut Schmidt, ancien Chancelier
d'Allemagne et de M. Jacques Delors, ancien Président de la
Commission de Bruxelles. L'un et l'autre ont dénoncé la myopie
et le manque de force de jugement des dirigeants actuels du
Vieux Monde; mais ni l'un ni l'autre n'a osé seulement soulever
la question centrale du renvoi pur et simple dans leur pays des
quelque quatre cents garnisons militaires américaines incrustées
en Europe; et Mme Alliot-Marie, Ministre des affaires étrangères
de la France, s'est félicitée de ce que l'Europe ait obtenu au
sein de l'OTAN un commandement illusoire par définition, mais
que sa servitude convoitait en vain. Naturellement, un Continent
désarmé par la monnaie et le glaive d'un empire lointain et
ambitieuse seulement de renforcer le sceptre sous lequel il se
blottit est d'ores et déjà éjecté de l'histoire du monde.
Les répercussions de cette dérision sont les suivantes. A
gauche, la soufflerie de l'utopie politico-religieuse a perdu
son enracinement dans deux millénaires de l'évangélisme
chrétien, parce que la chute du mur de Berlin en 1989 a sonné le
glas du vieux rêve d'un débarquement du ciel sur la terre auquel
le prophète Karl Marx avait rendu des couleurs. A droite un
capitalisme aveuglé par sa victoire sur les séquelles du royaume
des nues n'est plus qu'un champ de ruines. Quant à sa majesté,
le suffrage universel, cet Alexandre des démocraties "réagit"
seulement et toujours trop tard aux désastres qu'un seul regard
sur l'histoire suffit à prévoir. Et voici que M. Nicolas Sarkozy
attend avec impatience que le capitalisme se porte à lui-même le
coup fatal ou se lézarde avec suffisamment de rapidité pour lui
permettre de jouer in extremis les pompiers pyromanes.
7 - Une
vieille artillerie de campagne
Que faire quand
il n'y a plus de roue de secours à faire débarquer sur la terre
de feu le mythe du salut ? Les boulets des pièces d'artillerie
de la dernière guerre n'ont aucune chance d'atteindre le
quartier général de l'empire américain. Certes, la France est à
la tête du G8 et du G20. De plus, on se frotte les mains de ce
qu'un Français dirige le FMI et de ce qu'un autre se trouve à la
tête de la banque centrale européenne.
Le Président de la République se propose donc de réformer
dare-dare le système monétaire international, donc le règne du
dollar. Les trois bouches à feu dont il dispose feront 'affaire
en moins de temps qu'il ne faut pour le dire? Quelles sont
les armes méthodologiques et intellectuelles d'une science
historique française décérébralisée? Leurs prouesses
embryonnaires permettront-elles d'alimenter un feu nourri sur la
forteresse de Bretton Woods, qui trône au cœur de la planète du
naufrage des exploits économiques des démocraties? L'histoire
événementielle et l'histoire à expliquer d'une nation se sont
inextricablement emmêlées, et nous ne disposons ni de
spectrographies du déclin, ni de radiographies de l'encéphale
bi-polaire du simianthrope, ni de science du sacré pour
réapprendre à déchiffrer le temps des nations.
Un simple survol
du terrain en rase mottes nous offre un spectacle pathétique.
Que d'interdits et de tabous à profaner! M. Nicolas Sarkozy n'a
même pas réussi à mener à bien son modeste projet d'alliance des
pays riverains de la Méditerranée, parce que ses conseillers ont
négligé de l'informer de l'impossibilité d'imposer aux
dirigeants arabes la présence d'Israël dans leurs rangs - une
présence dictatoriale, il va sans dire, puisqu'un accord de ce
genre, s'il avait seulement été sérieusement envisageable,
aurait été soumis au préalable onirique par nature de légitimer
la ferme volonté du peuple hébreu de reconquérir les armes à la
main le royaume de Juda qu'il a perdu depuis Vespasien.
8 - La
déclaration de guerre entre Israël et le reste du monde
De toutes façons, notre trajectoire entre Sirius et la terre
présente à nos regards une configuration de la planète des
pouvoirs et des songes dont le paysage se modifie à la vitesse
de la lumière. Primo le télescope de la simianthropologie
politique prend acte de ce que M. Barack Obama a été mis knock
out debout par M. Benjamin Netanyahou, comme je l'avais annoncé
sur ce site le 4 avril 2010. En conséquence, feu l'Amérique
d'Abraham Lincoln et de Thomas Jefferson a légitimé, au nom des
principes immortels de la démocratie, le droit immémorial
d'Israël de conquérir la Cisjordanie et de l'annexer
définitivement à son territoire.
Un dialogue
imaginaire, donc sérieux, entre M. Barack Obama et M.
Benjamin Netanyahou,
4 avril 2010
Que peut-on faire? Que peut-on faire?
Que peut-on faire? Que peut-on faire? Que peut-on faire?
(Bernard Kouchner, Assemblée Nationale le 24 mars 2010)
Secundo, la
discipline scientifique que j'ai tenté de porter sur les fonts
baptismaux de Clio depuis dix ans fait connaître aux spectateurs
qu'une guerre planétaire a commencé entre Israël et le reste de
l'humanité et que son champ de bataille principal n'est plus
souterrain, parce que l'Assemblée de Nations Unies a enfanté au
grand jour et sans tarder vingt-cinq résolutions qui prennent le
contrepied de l'accord conclu entre les deux prédateurs.
Tertio, l'observatoire de l'évolution cérébrale et morale de
l'Europe, si vassalisée qu'elle paraisse, prend acte de ce que
le chimpanzé mutant actuellement campé sur cette région
relativement resserrée du globe terrestre s'est néanmoins rallié
à l'unanimité aux décisions de la sus-dite Assemblée générale
des Nations Unies et qu'elle demande, elle aussi, à Israël le
retour des Palestiniens chassés de leur terre, la reconnaissance
d'un Etat arabe souverain, le confinement définitif des légions
du conquérant dans ses frontières de 1967 et le partage de
Jérusalem entre les deux Etats. Quarto, la science de
l'évolution accélérée du capital psychogénétique du simianthrope
enregistre que vingt-six anciens hommes politiques européens,
dont l'ex-chancelier d'Allemagne, M. Helmut Schmidt, ont
proclamé solennellement leur refus de reconnaître les nouveaux
accords de Munich que Washington et Tel- Aviv ont conclus entre
eux. Quinto, la connaissance psychobiologique de
l'évolution cérébrale du genre simiohumain relève que Mme
Ashton, Ministre des affaires étrangères de l'Europe, a pris une
position sur les Sudètes d'aujourd'hui qui tranche radicalement
avec celle de l'Angleterre et de la France de 1938. Sexto,
que les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne
se sont réunis en hâte pour exprimer leur entier accord avec
l'assemblée des Nations Unis, avec Mme Ashton et avec la
phalange des vingt-six lanciers du Bengale, mais aucun homme
politique en activité n'a osé élever la voix.
9 - La
contre-offensive mondiale d'Israël
En prévision de
la coalition mondiale des démocraties de notre temps, Israël a
adopté depuis plusieurs semaines une stratégie à la fois
offensive et secrète. Des sondages d'opinion mystérieux ont
soudain jailli des profondeurs de la France. Tous exprimaient
subitement le désir ardent de l'immense majorité des Français de
l'hexagone et d'Outre-mer de porter un illustre banquier
alsacien à la tête de la République. Puis le second étage de la
fusée a été rapidement allumé par MM. Fabius et Elkabbach, qui
ont testé à la télévision la passivité de la presse et de
l'opinion face au lancement du géant dans l'arène. Puis M.
Cohn-Bendit a rappelé à Mme Aubry et à Mme Royal que M. Strauss
Kahn possédait le cerveau le plus puissant de la France. Puis,
M. Fottorino, directeur du Monde, a trouvé le temps,
vingt-quatre heures seulement avant son limogeage, de souligner
que le trio Strauss-Kahn, Aubry et Royal se trouvait
officiellement placé sur la trajectoire présidentielle - mais il
était d'ores et déjà évident que les deux fillettes de cire
n'étaient plus là que pour la galerie et que le grand financier
ne ferait qu'une bouchée de ces figurines.
Quant à la scène
internationale, il fallait interdire le rapprochement
diplomatique de la Russie et de l'Europe, qui s'esquissait
depuis trois ans et qui, à chaque étape, avait fait jaillir MM.
B.H.L. ou M. Glucksman comme des diablotins de leur boîte. Alors
l'auteur du plus gigantesque hold-up du siècle M. Khodorkovsky,
qui avait pillé l'Etat et placé ses milliards entre les mains de
ses co-religionnaires de Londres et du Texas s'est trouvé
crédité au fond de sa geôle du même quotient intellectuel que le
fabuleux de M. Strauss-Kahn: il fallait donc l'élire au plus
vite à la tête de la Russie.
10 - M.
Strauss-Kahn et la France
Naturellement,
une offensive aussi planétaire d'Israël était trop
spectaculairement cousue de fil blanc pour jamais aboutir. Mais
comment la question du statut politique des citoyens
bi-nationaux pourrait-elle ne pas se trouver soulevée en 2012?
Supposons que le
président de la République française soit, de surcroît, un
ressortissant de la Lituanie, de Monaco, d'Andorre ou de la
Croatie. Dans ce cas, la difficulté politique de soumettre son
élection au verdict du suffrage universel ne serait pas
insurmontable. Mais Israël n'est autre que l'axe central de la
politique internationale, Israël est devenu le pivot de la
géopolitique contemporaine, Israël est le Titan qui tient au
bout de sa laisse le Président actuel des Etats-Unis, Israël est
le souverain qui a mis le locataire de la Maison Blanche à
genoux. Quelle serait la position de M. Strauss-Kahn à l'Elysée
s'il avait à choisir chaque jour et même à chaque heure entre
Israël et la France?
A son habitude,
M. Nicolas Sarkozy a tenté un instant de jouer sur les deux
tableaux. Face au refus du monde entier de prendre le relais de
la capitulation de l'Amérique face au géant de Tel-Aviv, le chef
de l'Etat ne pouvait isoler la France sur la scène
internationale. On sait qu'il a seulement envoyé Mme
Alliot-Marie en mission auprès du Congrès des sionistes
européens convoqué par le CRIf à Paris afin qu'elle y renouvelle
solennellement l'entier soutien diplomatique de la France à
Israël. Mais comment M. Strauss-Kahn couperait-il longtemps la
poire en deux, comment sauverait-il durablement la face, comment
donnerait-il le change pendant un quinquennat ? De toutes
façons, le gouffre qui sépare Israël du reste de l'humanité
depuis Pompée - donc bien avant les Vespasien et les Titus - et
qui semblait définitivement comblé en 1945, s'est rouvert comme
jamais, tout simplement parce que les juifs en grand nombre qui
ont occupé la fonction de Président du conseil de la IIIe et de
la IVe République n'incarnaient pas une fracture de l'identité
de la nation aux yeux de leurs concitoyens, puisque le peuple
d'Israël n'existait pas encore sur la carte, tandis que, depuis
1947, il était prévisible que l'heure sonnerait tôt ou tard où
la question du statut de l'Etat juif au sein des patries
débarquerait inévitablement dans la politique intérieure et
étrangère de toutes les nations de la terre.
Pourquoi Freud,
le grand démythologue du peuple hébreu, se sentait-il juif à
titre chromosomique? La simianthropologie se demande quelle
mutation génétique a bien pu interdire à Israël, plus de quinze
siècles avant le reste de l'humanité, d'adorer des idoles de
bois, de pierre ou de fer. Tacite raconte comment Ptolémée
réussit à prix d'or et après trois ans d'efforts diplomatiques à
faire venir de Sinope le dieu Sérapis, qui avait des bras et des
jambes comme tous les dieux dignes de ce nom, parce que, disait
le monarque des bords du Nil, ce géant du ciel illustrerait la
grandeur d'Alexandrie, qui manquait encore d'une divinité digne
de sa gloire et de sa puissance.
On voit quel est le ressort politique du sacré: les peuples se
donnent la musculature de leurs idoles. On voit également que le
Jahvé invisible d'Israël a abandonné le bois, le fer et la
pierre, mais non le glaive qui lui donnera la Judée. Qu'en
est-il de l'étrange animal qui se pare d'interlocuteurs
fantastiques dans le vide du cosmos et qui se prosterne devant
eux? Aussi longtemps que l'animalité proprement cérébrale de
notre espèce demeurera énigmatique, il n'y aura ni
intelligibilité de l'évolution de notre matière grise, ni
science historique digne de ce nom, ni compréhension réelle du
politique.
11 - Une
impasse anthropologique
Comment les Etats
modernes vont-ils sauver le sel de la terre si, à l'heure du
choix, les juifs les plus isaïaques basculent à leur tour dans
le bercail du mythe semi-animal qui berce leur encéphale?
Ni M.
Strauss-Kahn, ni M. Nicolas Sarkozy ne sauraient choisir
résolument entre deux allégeances patriotiques et religieuses
incompatibles entre elles par nature. Et puis, se voudraient-ils
des nationalistes loyaux au sein de leur patrie d'adoption,
comment lutteraient-ils d'un seul cœur et de toutes leurs forces
contre leur propre groupe de pression à Washington, dont
l'omnipotence et l'omniprésence sont tellement écrasantes
qu'elles mettent désormais tous les jours et sous les yeux du
monde entier le Président des Etats-Unis dans une incapacité
aussi totale que ridicule de faire reculer Jahvé d'un pouce en
Cisjordanie. Mais le dollar est bel et bien entré en agonie.
Assis à son chevet, la Russie et la Chine ont commencé leur
veille funèbre; et elles ont décidé, du moins dans leurs
échanges commerciaux entre eux seuls, de se passer de la monnaie
de réserve encore souveraine pour quelque mois sur cette
planète. L'Inde, la Turquie, le Brésil, rôdent autour du lit de
mort du Crésus de papier. Déjà ces nations se présentent en
noyau dur du monde de demain.
Il est devenu impossible à l'histoire réfléchie de la planète de
se donner à comprendre hors du champ nouveau du regard qu'impose
une interprétation d'avant-garde des évènements internationaux ;
mais il demeure non moins impossible de se donner sur l'heure et
sans coup férir les instruments de la réflexion qu'un torrent
nouveau de l'histoire impose à Clio. Si nous ne disposons pas
d'une anthropologie critique en mesure de scanner les alliances
du temporel avec le sacré nous n'éclairerons pas l'inconscient
religieux du chimpanzé introspectif.
-
Benjamin Netanyahou et l'héritage
d'Esdras, Qu'est-ce qu'un personnage historique2?
12décembre
2010
-
Le Saint Siège et Israël -
Qu'est-ce qu'un personnage historique 1 ?
5 décembre
2010
Mais la science des théologies qui pilotent encore le capital
psychogénétique de notre 'espèce demeure frappée d'un puissant
interdit. Qui se livrera au sacrilège de décrypter le songe
schizoïde de l'incarnation de la "vérité" démocratique ? Qui
commettra le blasphème de décoder le mythe de la
transsubstantiation béatifiante des principes de 1789 en pain et
en vin de l'histoire de la "Liberté"?
12 - La
science historique de demain
On voit que le drame qui frappe la science historique du XXIe
siècle est cérébral; il résulte de ce que la raison moderne a
bel et bien fait éclater le corset trop serré de la
compréhensibilité seulement profane des Thucydide, des
Tite-Live, des Tacite, des Tocqueville, des Hippolyte Taine, des
Braudel et même des Darwin et des Freud. Mais les secrets de la
vie onirique des évadés de la zoologie ne sont pas encore
décryptés, parce qu'au cœur de la science de la mémoire des
nations, seule une simianthropologie de l'animal eucharistique
tend ses clés à une vraie science de l'histoire de la bête
messianisée.
J'ai évoqué l'épouvante dont une science historique encore en
promenade dans son jardin d'enfants deviendra la proie au cours
de la descente de l'Europe au sépulcre. La voici condamnée à se
précipiter tantôt dans le néant, tantôt dans la brèche
salvatrice ouverte devant elle par l'anachronisme agressif de la
Maison de l'histoire de France. Il n'est que d'observer
les tressautements effrayés et les sautillements prometteurs de
cette discipline aux abois pour comprendre qu'elle n'a plus
d'autre choix que de se trouver réduite à la lecture d'une bande
dessinée à l'usage des adultes ou de se jeter dans un vide à
l'écoute des haut-parleurs de la mort.
Mais, encore une fois, si l'empire ancien de la science
historique se rapetisse à ne plus raconter que ses villages ou à
camper sur la peau de chagrin des "lieux de mémoire" dans la
postérité du bucolisme rousseauiste, libre à elle de quitter le
tragique de la pensée rationnelle pour un sentimentalisme
champêtre: il existe une poétique des âmes que les anciens
connaissaient fort bien, eux qui évoquaient le "génie du lieu"
et qui vous plantaient un dieu de bois sur tous leurs arpents.
Mais alors, que Clio cesse de se proclamer une science, qu'elle
se résigne à dresser des constats muets sur tous ses lopins,
qu'elle se reconnaisse pour une gardienne muette de ses archives
et une sentinelle silencieuse de ses tombeaux, mais non pour une
narratrice du destin de l'espèce qui voulait devenir cogitante,
comme les philosophes rêvent d'entrer un jour dans un royaume de
la pensée.
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