Opinion
La France, la
Turquie et le «détail» algérien
M.
Saadoune
Massacres
du 8 mai 1945
Jeudi 22 décembre
2011
Quand on veut jouer
les redresseurs de torts, il faut avoir
les moyens de sa politique. Les hommes
politiques français, de gauche comme de
droite, examinent une proposition de loi
«pénalisant la négation du génocide
arménien», et la Turquie riposte avec
véhémence en renvoyant la France à son
histoire algérienne.
Il est clair que cette démarche tout
comme le transfert des restes du
tortionnaire Bigeard aux Invalides est
destinée à flatter l'électorat
franco-arménien organisé en lobby
influent. C'est du 100% électoral.
L'électorat franco-turc ne pèse pas
beaucoup ; quant à l'électorat
franco-musulman, il est inconnu et n'est
pas organisé. Et d'ailleurs, l'un des
objectifs de la stigmatisation
permanente des Arabo-musulmans en France
est d'en entraver toute forme
d'organisation au nom d'une lutte, à
géométrie très variable, contre le
communautarisme.
La contradiction n'existant pas dans le
champ politico-médiatique français sur
cette question du génocide arménien,
c'est l'Etat turc qui la prend en
charge. Avec la force d'un Etat qui
monte en puissance et qui entend se
faire respecter. Les Turcs rappellent
aux hommes politiques français qui
lorgnent vers l'électorat arménien que
l'économie française aura beaucoup à
perdre d'une défiance généralisée des
consommateurs turcs. Le ministre turc
des Affaires européennes, Egemen Bagis,
a expliqué que le peuple turc est
«émotif» et qu'il saura répondre en
faisant ses courses.
En France, certains prennent la mesure
du dérapage électoraliste de Nicolas
Sarkozy. Le ministre français des
Affaires étrangères, Alain Juppé, serait
mécontent, selon certains journaux
français. C'est qu'au plan de
l'histoire, la France est la moins bien
placée pour faire le procès de la
Turquie. A juste titre, l'Etat turc
renvoie la France à son «glorieux» passé
en Algérie. Que M. Guaino, avec une
suffisance remarquable, a pratiquement
réduit, dans une intervention dans une
télévision française, à un «détail», à
quelques «erreurs».
Le discours des responsables français en
direction des Turcs est étonnant. Il
consiste à leur dire : laissez-nous vous
berner sur le terrain de l'histoire et
faire des gains électoraux à votre
détriment. Et en même temps, ils font
mine d'être froissés que les Turcs
évoquent le «gros détail» algérien avec
ses massacres, ses enfumades et la
torture systématique. Pourquoi donc les
Turcs se priveraient de rappeler
l'histoire des méfaits coloniaux dans
une bataille symbolique où ils estiment
que leur dignité nationale est attaquée
? En quoi l'histoire française de
l'Algérie devrait-elle être occultée par
les Turcs ?
A moins qu'au fond d'eux-mêmes, les
responsables français continuent de
penser que la colonisation n'a été que
«bienfaits». En provoquant les Turcs sur
le terrain de l'histoire, la France
officielle ne peut que ramener le débat
sur l'histoire coloniale. Même si l'Etat
algérien ne paraît plus, pour des
raisons politiques, vouloir revenir sur
ce débat, les Turcs n'invoquent pas
l'Algérie par un seul souci de riposte.
Le fait que l'histoire coloniale, et
celle de ses méfaits en Algérie en
particulier, soit si présente n'est pas
seulement un système de défense, qui
d'ailleurs est fondé. Il montre surtout
le caractère incontournable de
l'histoire algérienne dans le rapport de
la France au monde arabo-musulman et
même à l'Afrique.
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