Opinion
Les iPhone
interdits en Syrie ?
Regard sur un média-mensonge
Luc
Chevalier
La pièce à
conviction dans l’affaire des iPhones
interdits.
Une simple photocopieuse suffit
désormais à monter une campagne de
presse internationale,
à condition
d’avoir de son côté la BBC et l’AFP.
Mardi 10 janvier
2012
A l’heure où
internet met chacun en capacité de
vérifier par lui même l’information,
ceux qui ont intérêt à la guerre ont
trouvé une parade efficace. Elle
consiste à noyer les citoyens sous un
déluge de fausses nouvelles, que
personnes n’aura plus le temps de
décrypter. Si certains de ces
média-mensonges paraissent anodins, il
ne faut pas s’y tromper. Associés les
uns aux autres et accumulés dans le
temps, ils finissent par constituer le
décor d’un univers virtuel, coupé de la
réalité, mais favorable aux projets de
l’Empire. Celui-ci fait ainsi accepter
ses guerres à des populations
occidentale désormais passives alors
qu’elles s’étaient mobilisée massivement
contre l’intervention en Irak.
« Nous sommes un empire maintenant.
Lorsque nous agissons, nous
créons notre propre réalité. Et
pendant que vous étudiez cette
réalité, judicieusement comme
vous le souhaitez, nous agissons
à nouveau et nous créons
d’autres réalités nouvelles, que
vous pouvez étudier également,
et c’est ainsi que les choses se
passent. Nous sommes les acteurs
de l’histoire. Et vous, vous
tous, il ne vous reste qu’à
étudier ce que nous faisons.
»Karl Rove [1]
Le 2 décembre 2012, le site
de la BBC révélait que les
iPhone étaient désormais
interdits en Syrie. Cette
imputation était relayée en
France par Le Monde et
l’AFP le 5 décembre [2].
Quelques jours plus tard la
nouvelle avait fait le tour de
la planète.
Cette nouvelle fracassante
est révélatrice de la nature de
l’information fournie par la
presse mainstream aux
citoyens occidentaux . Elle est
invérifiée, absurde et pourtant
complaisamment relayée.
D’abord, une simple
observation. Quiconque est
actuellement présent en Syrie
pourra facilement constater que
les possesseurs de smartphones
et d’iPhone sont nombreux et ne
s’en cachent pas. Vouloir
empêcher « la captation de la
répression » serait d’autant
plus voué à l’échec qu’avec les
innovations technologiques,
n’importe quel téléphone ou
appareil photo est susceptible
de capter des vidéos et de les
télécharger immédiatement sur le
net. Il est impossible pour
quelque régime que se soit
d’empêcher la propagation
d’images compromettantes sur la
toile.
Pourquoi alors faire croire
que les iPhone sont interdits ?
Cette fable vise à influencer
l’opinion publique
internationale, face à l’absence
d’images établissant la preuve
des accusations faites au
gouvernement Syrien.
Alors que les mêmes images de
chars d’assaut, de soldats et
d’explosions servent à illustrer
de nombreux sujets télévisés
différents, celles-ci ne
prouvent finalement rien. Bien
qu’elles soient généralement
utilisées dans un contexte où
l’on induit le spectateur à
penser que ces armes et cette
violence sont déployées contre
des civils, aucune image
n’établit le lien de causalité
entre ces armements et une
possible répression.
En réalité, on trompe les
téléspectateurs en leur cachant
que l’armée syrienne doit
actuellement faire face à des
commandos autonomes armés,
s’attaquant à la population dans
le but de faire accroire au
déclenchement d’une guerre
civile. Ainsi, alors qu’on a
érigé des blindés en symbole
même de l’oppression, ceux
ci-sont placés dans les villes à
la demande pressante des civils,
afin de dissuader les escadrons
de la mort d’agir, comme l’ont
récemment raconté plusieurs
journalistes de la presse belge
et internationale. [3]
Depuis la levée de l’état
d’urgence, les manifestations
pacifiques contre le
gouvernement sont libres.
Cependant, dans le contexte de
la déstabilisation armée, elles
ne mobilisent ici que quelques
centaines de personnes tout au
plus, bien loin d’un soulèvement
de masse dont personne n’a
aucune trace, n’en déplaise à
Londres ou à Paris.
Si des images de soldats
tirant sur une foule pacifique
ne sont pas disponibles, il n’y
a que deux explications
possibles. Soit les événements
que les médias décrivent ne se
déroulent pas de la même façon
qu’ils l’insinuent, voire
n’existent pas, soit le régime a
confisqué l’ensemble des
appareils susceptibles de filmer
des vidéos et de prendre des
photos, ce qui est totalement
impossible.
Et pourtant une dépêche de
l’Agence de Presse Allemande
(DPA) va lancer cette rumeur en
la présentant comme une
information. Le caractère
absurde de cette histoire ne
semble pas gêner les agences de
presse occidentales.
Elles n’ont pas été gênées
non plus par le fait que cette
décision aurait été “apparemment”
annoncée par le ministre des
Finances syrien, et non pas par
son homologue de l’Information
et des Communications.
Elles n’ont pas été gênées
par le fait que la seule preuve
matérielle présentée était une
photo de mauvaise qualité d’un
supposé mémo gouvernemental
fourni par le site libanais
El-Nashra [4]
Celui-ci ne fournissant aucune
élément permettant de valider
l’authenticité de sa "preuve"
ni aucune explication quant à la
manière dont il l’aurait
obtenue.
Mal à l’aise face à la
faiblesse des éléments factuels
dans cette affaire, plusieurs
éléments sont mis au
conditionnels dans l’article
original publié par la BBC.
Cependant le titre lui n’est pas
du tout nuancé puisqu’il affirme
: « la Syrie ’interdit les
iPhones’ à cause des images de
manifestation ». [5]
Par conséquent, lorsque cette
dépêche sera reprise par les
autres médias, il ne sera plus
du tout question de
conditionnel, mais bel et bien
d’un fait établi. Partant du
principe que si tout le monde
répète que les iPhones sont
interdits en Syrie, c’est que
cela doit être vrai.
De la même façon, sont
relayées systématiquement les
estimations de victimes fournies
par l’« Office Syrien des Droits
de l’Homme » sans jamais exercer
le moindre travail de
vérification, ni sur les
chiffres fournis, ni sur cet
autoproclamé « office » basé à
Londres. [6]
Cette désinvolture face à la
vérification des sources peut
surprendre ceux qui croient au
professionnalisme des
journalistes et à leur
déontologie. Pourtant il ne
s’agit pas dans là d’illustrer
un dysfonctionnement du système
médiatique, mais au contraire
d’en révéler la véritable
nature.
Maîtrisant les rouages de la
diffusion « virale » pour
lesquels sont élaborés ce type
de média-mensonges, une
information, bien que fausse,
est en quelques heures diffusée
via des dizaines de milliers de
site à travers de monde.
L’opération de guerre
psychologique est alors réussie.
En effet il s’agit avant tout
d’installer dans l’esprit du
public le paysage mental qui
convient. Lui rendre
progressivement crédible l’idée
que l’État syrien est un «
régime » qui oppresse ses
citoyens, et par suite, par
glissements successifs, de lui
faire accepter l’idée d’une
intervention humanitaire
militarisée visant à « libérer »
cette même population du joug du
tyran.
Tout au long de la chaîne de
reprise et de circulation de la
nouvelle erronée, aucun
journaliste ne prendra la peine
ni de vérifier la source de ces
allégations, ni de venir la
vérifier sur place ou même d’en
demander la confirmation au
gouvernement Syrien. Seul compte
l’avis de l’« opposition
syrienne » même quand celle si
se trouve à Beyrouth, à Paris ou
à Londres. Présenter un seul
point de vue dans un article ou
un dépêche est devenu normal,
même quand les accusations sont
graves.
Cette affaire illustre
l’incapacité des médias
occidentaux à fournir des
informations vérifiées au public
quand cela implique de
contredire l’OTAN, et révèle
leur place au sein d’un
dispositif qui vise à imposer
une conception particulière du
monde. Un monde où la guerre
doit devenir non seulement
quelque chose d’acceptable mais
de souhaitable.
Le rôle des journalistes et
des médias n’est alors plus
d’informer, c’est à dire de
relater des faits et de les
rendre accessibles et
intelligibles, mais de relayer
différentes histoires. Le
critère pour la diffusion d’une
information n’est désormais plus
qu’elle soit vérifiée, mais
qu’elle soit utile à un projet
politique. Car ensuite il
suffira que information soit
répétée pour qu’elle paraisse
vraie.
Dans un contexte où les
puissances occidentales et leurs
alliés dans la région évoquent
explicitement la possibilité de
frapper militairement la nation
Syrienne, relayer ce type de
nouvelles sans la vérifier,
c’est participer à une campagne
d’intoxication ayant pour issue
une guerre.
Combien de blogueurs ayant
relayé l’histoire des iPhone
bannis en Syrie réalisent qu’il
se sont fait les complices du «
storytelling » de l’OTAN ?
À ce jour, la recherche "iPhone
ban Syria" donne 5 millions de
résultats sur Google.
Luc Chevallier
[1]
Christian Salmon ,
Storytelling,
p.171, La Découverte, 2007.
[2]
«
Les iPhone
interdits en Syrie
», Le Monde,
5 décembre 2011.
[3]
«
A Homs, la grande
presse belge n’a pas vu la même chose
que sa consoeur française
»,
InfoSyrie.fr,
29 novembre 2011.
[4]
Elnashra.com.
[5]
«
Syria ’bans
iPhones’ over protest fortage
», BBC News,
2 décembre 2011.
[6]
«
Manifestations en
Syrie : Qui compte les morts ?
», par Julie Lévesque,
Mondialisation.ca,
25 novembre 2011.
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