Opinion
De Damas à Homs,
la mission arabe sous tension
Louis
Denghien
Recueillement à la mosquée des
Omeyyades, devant les cercueils de
victimes des attentats de vendredi à
Damas. Des milliers de Syriens ont
défilé en marge de ces obsèques et
brandi des portraits du président Bachar
al-Assad. (Reuters)
Mardi 27 décembre
2011
La réponse des Damascènes
au double attentat à la voiture piégée
du vendredi 23 décembre a été rapide,
massive et assez déterminée : samedi 24
décembre, ils étaient des dizaines de
milliers – des milliers concèdent les
agences de presse occidentales – à avoir
transformé les obsèques de plusieurs des
quelque 44 victimes officiellement
dénombrées en manifestation pro-Assad et
anti-Ligue arabe. La foule scandait des
slogans pro-Bachar et faisait comme une
immense garde d’honneur aux dizaines de
cercueils drapés du drapeau national et
alignés dans la grande mosquée des
Omeyyades, certains portant pour toute
identification la mention «
inconnu ».
Le CNS,
la Ligue arabe et le Qatar conspués
Vivante illustration de la
tolérance religieuse maintenue tant bien
que mal en Syrie, des dignitaires
chrétiens et musulmans assuraient la
dimension religieuse de l’événement,
sous l’autorité de l’imam sunnite Saïd
al-Bouti. Lequel a nommément mis en
cause le CNS, émanation politique de
l’opposition radicale hébergée par la
Turquie, et son président en titre,
Burhan Ghalioun, accusé d’être à
l’origine du sanglant «
cadeau
» de Noël fait aux Syriens par les
terroristes : «
Est-ce que
les délégués de la Ligue arabe ont
écarté les voiles qui leur couvraient
les yeux afin de voir qui est le
meurtrier et qui est la victime ? »
a ainsi lancé le dignitaire sunnite, qui
a ajouté, répondant ainsi aux
divagations de l’opposition sur
l’origine gouvernementale des différents
attentats : «
Qu’ils
sachent que l’armée syrienne ne peut pas
faire sauter d’oléoducs, qu’elle ne peut
pas tuer les siens !« . De lourdes
pierres lancées dans le jardin de
l’organisation pan-arabe dont la
première mission d’observation, dirigée
par le général soudanais Moustafa al-Dabi,
est arrivée à Damas la veille de
l’attentat.
Plus particulièrement visé
à ces obsèques nationales était le Qatar
dont le ministre des Affaires étrangères
Hamad Ibn Djassim al Sani a été
nommément pris à partie par des proches
de victimes. Le gouvernement syrien a
attribué l’attentat à al Qaïda, mais
nombre de Syriens savent le rôle
déterminant joué par l’émirat, via sa
diplomatie et la chaîne
al-Jazeera,
dans le soutien à la rébellion armée qui
ensanglante le pays, et aussi bien sûr
dans la campagne de diffamation
internationale menée depuis des mois
contre le régime de Bachar al-Assad.
Mais le Qatar est aussi,
bien sûr, un des principaux maîtres d’oeuvre
du « plan
de paix » arabe pour la Syrie, qui
s’est vite transformé en acte
d’accusation permanent contre Damas,
jusqu’à ce qu’un accord intervienne le
19 décembre. Bref, cette mission dirigée
par le général soudanais al-Dabi
démarrre dans des conditions pour le
moins « électriques » : outre l’émotion
suscitée par ce double attentat à la
voiture piégée, une forme de terrorisme
devenue banale en Irak voisin mais qui
avait jusque-là épargné la Syrie,
l’arrivée de la mission arabe
préparatoire, forte d’une cinquantaine
de personnes, militaires, juristes et
fonctionnaires, intervient alors que les
affrontement reprennent à Homs : une
trentaine de «
civils
» tués selon l’OSDH lundi 26 décembre et
275 en une semaine à travers tout le
pays, plus 150 tués dans les combats
opposant l’armée régulière aux
soit-disant déserteurs et vrais
guérilléros de l’ASL et des groupes
radicaux.
Homs ou
l’épreuve de vérité
Evidemment, le tout premier
test de la crédibilté de la mission
arabe sera sa visite à Homs, coeur de la
violence depuis des semaines, où des
groupes armés tiennent certains
quartiers comme Bab Amr en coupe réglée,
et d’où l’armée tente de les déloger en
limitant la « casse ». L’OSDH, les CLC
et la cyber-opposition en général,
devenus très suspicieux ces derniers
temps à l’égard de la Ligue arabe, ont
réclamé à corps et à cris que ses
observateurs quittent Damas pour Homs le
plus vite possible, assurant que les
forces de Bachar al-Assad sont en train
de faire un forcing militaire avant
l’arrivée des premiers observateurs.
Pour une
fois, nous sommes pleinement d’accord
avec l’OSDH & consorts : la mission
arabe doit se rendre dès que possible à
Homs et recuellir un maximum
d’impressions et de témoignages.
Parce que, si elle le fait vraiment,
honnêtement, elle ne pourra que
constater que la version médiatique
occidentale des faits est inexacte et
même mensongère. Maintenant, la question
reste posée de l’honnêteté des
émissaires arabes :
peuvent-ils vraiment dire ce qu’ils ont
vraiment vu, vraiment entendu, ne
serait-ce que partiellement, sans
remettre en cause justement
l’interprétation manichéenne et
pro-opposition des événements,
qui est jusqu’à présent non seulement
celle des Euro-Américains – dont il n’y
a, hélas, rien à attendre en matière
d’objectivité – mais aussi – et c’est
quand même plus regrettable – celle de
la Ligue à direction « golfiste » ?
Quoi qu’il en soit, nous
pensons que le gouvernement syrien a eu
raison, quitte à obtenir un minimum de
garanties politiques sur le déplacement
des observateurs, d’autoriser la mission
arabe à venir en Syrie, à Homs mais
aussi à Idleb, Alep, Deraa et Hama :
chacun va devoir
prendre ses responsabilités, et les
quelque 150 »observateurs » arabes les
premiers, qui sont obligés d’ »observer
», justement, les faits et méfaits des
groupes armés. Et ce, en
principe, dans l’espace d’une unique
semaine. A suivre de très près, donc.
Général
soudanais Mustapha al-Dabi,
chef de la mission d'observation de la
Ligue arabe en Syrie
Publié le 29 décembre
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
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