Opinion
MM. de Libération
et du Quai d'Orsay, votre coup est
vraisemblablement raté !
Louis
Denghien
Les
militaires se retirent de Deir Ezzor,
acclamés par les civils
Mercredi 17 août 2011
Mardi 16 août, les unités militaires
qui avaient investi Deir Ezzor, ont
entamé leur retrait de cette importante
ville de l’est syrien, non loin de la
frontière irakienne, la situation étant
normalisée. Début août, les opposants,
du moins les plus extrémistes d’entre
eux, y avaient lancé un processus de
guérilla urbaine, qui a entraîné des
victimes de part et d’autre (voir
notre article « L’Express
nous refait le coup de Hama« , mis
en ligne le 8 août).
Ce retrait de l’armée syrienne était
dûment médiatisé, puisque quelque 70
journalistes de la presse
internationale, arabe ou non, avaient
été conviés pour la circonstance. En
France, on a pu voir sur des chaînes
d’information continue comme
I-Télé de
brèves images de véhicules blindés
salués par des civils. Les reporters et
correspondants de presse ont pu
recueillir des témoignages d’habitants
de Deir sur l’action – et les exactions
– de groupes d’opposants armés. On doit
rappeler que les chefs de tribu de la
région avaient publiquement appelé à une
intervention de l’armée à Deir Ezzor.
Voici une semaine, l’armée avait
opéré pareil retrait officiel de Hama,
point fort de la contestation la plus
radicale depuis des semaines, mais aussi
d’Idleb, ville du nord-ouest. Depuis,
les groupes armés semblent avoir
disparu, les manifestations ont cessé et
les services municipaux et les commerces
fonctionnent à nouveau. Bien sûr, les
raisons du mécontentement – très
diverses selon les villes et communautés
– demeurent. Nous verrons si cette paix
civile perdure, mais, pour l’heure,
le mouvement de contestation
radicale du régime connaît un reflux
net.
Les espoirs déçus de la
presse – et de la diplomatie –
françaises
En France, et certainement ailleurs
en Occident, on prend ces nouvelles avec
des pincettes – ou un air pincé : c’est
que la reprise en main par le régime de
points chauds comme Hama, Homs, Deir
Ezzor ou Deraa, après, fin juin, la
région frontalière avec la Turquie,
contrarie quelque peu les rêves de
renversement de Bachar et de
« printemps » – ou plutôt d’ »été
démocratique syrien » caressé depuis
près de 5 mois par la totalité de nos
éditorialistes. On a déjà beaucoup
écrit, sur ce site, sur les raisons de
ce regard « franco-occidental »
simplificateur, manichéen et,
apparemment, imperturbable. La
crise syrienne, après d’autres, aura
démontré le peu d’honnêteté, de courage,
d’indépendance ou de simple
professionnalisme de la presse française,
dont les journalistes se recopiaient les
uns les autres, recyclant tous les mêmes
données fournies par une source
quasi-unique et non clairement
identifiée comme l’OSDH, et appliquant
servilement à la Syrie « la ligne
éditoriale » souhaitée par la
Maison-Blanche et Sarkozy-Juppé.
Ces derniers jours, les mêmes ont
reporté tous leurs espoirs sur la ville
de Lattaquié, inventant – pour relancer
l’intérêt ou l’indignation des lecteurs
– un pilonnage du quartier de par la
marine syrienne, déformant une péripétie
survenue dans un camp de réfugiés
palestiniens pour enfoncer un coin entre
l’OLP et le régime baasiste – un des
plus fermes soutiens de la cause
palestinienne et un des grands
hébergeurs de réfugiés depuis 40 ans… La
situation serait d’ailleurs en train de
revenir sous contrôle à Lattaquié.
Reste qu’on a le sentiment très
net, à la lecture des journaux français
et de leurs sites, de journalistes
partisans ou sensationnalistes acharnés
à exploiter – et déformer – le moindre
événement susceptible d’accréditer la
fable – hollywoodienne – d’un peuple
syrien unanimement dressé contre un
dictateur et sa famille. Quitte
à retomber dans le jeu des manipulateurs
d’images et d’infos, américains et
autres, comme au bon vieux temps des
guerres du Golfe ou de Yougoslavie.
Quitte à décrédibiliser un peu plus leur
profession en recourant à des sources
invérifiables autant que partisanes – cf
les « cyber-résistants » et autres
« opposants Facebook » qui ont développé
une nouvelle forme de propagande plutôt
que de journalisme, même « citoyen ».
Le gouvernement français n’est pas en
retrait de « sa » presse, qui a
multiplié, par la bouche solennelle
d’Alain Juppé, voire de François Fillon,
les « avertissements » et « mises en
garde » au pouvoir de Damas,
empruntant des mots et un ton qu’il
n’avait manifestement pas su trouver
pour stigmatiser le bombardement et le
blocus de Gaza, la poursuite de la
colonisation juive dans les territoires
occupés, la répression saoudienne de la
révolte du Bahrein ou les innombrables
entorses aux droits de l’homme et à la
justice commises pendant des années par
son ami Ben Ali et son allié Moubarak,
et toujours tranquillement perpétrés,
jour après jour, par ses clients ou
fournisseurs saoudiens, qataris ou
émiratis ! Tout récemment, les
autorités françaises ont apporté leur
contribution à la stratégie de la
tension américano-centrée en
recommandant aux ressortissants français
présents en Syrie de quitter le pays,
selon un scénario déjà testé naguère du
côté de Bagdad ou de Belgrade. Et il
faudrait parler des mesures de rétorsion
économique qui font cyniquement le pari
d’aggraver le mécontentement social en
mettant à genoux l’économie syrienne…
Damas a repris la main
La crise n’est pas finie en Syrie.
Mais il semble bien que le gros temps
soit – au moins pour un temps – passé :
-La contestation est retombée dans la
plupart des villes qu’elle avait
touchées, il n’est pas certains que les
exactions – bien réelles – commises par
les éléments radicaux – aient servi la
cause de la révolte au sein de la
population, même à Hama. Même si
des mouvements se reproduisent ça et là,
il n’auront sans doute pas l’ampleur des
premiers temps, trop de gens en Syrie
ont vu se profiler l’ombre des barbus
derrière les manifestants Facebook. Trop
de gens ont intérêt à ce que le régime
demeure en place, quitte à se réformer.
Et puis Bachar est plus populaire que le
régime dont il a hérité.
-Le gouvernement a promis des
réformes importantes et a donné un
commencement d’exécution à certaines
d’entre elles, notamment en ce qui
concerne le pluralisme démocratique (voir,
entre autres, notre article « Le
premier des nouveaux partis« , mis
en ligne le 16 août).
-A l’extérieur, en dépit d’un ton des
plus agressifs depuis trois mois, le
gouvernement turc vient de prendre
position contre une intervention
militaire étrangère en Syrie, au grand
dam des bellicistes de Washington, Tel
Aviv et Saint-Germain-des-Prés : ces
jours-ci, des soldats turcs viennent de
tomber sous les coups de séparatistes
kurdes, dont la légitimité et les
effectifs seraient renforcés si la Syrie
basculait dans le chaos. Obama, qui a
déjà fort à faire pour éviter la
faillite de son pays et gérer le fiasco
d’Afghanistan, en est désormais réduit
- voir
la déclaration d’Hillary Clinton en
date du 16 août – à espérer
qu’Ankara et Ryad accentuent leur
pression diplomatique sur Damas.
-Dans le même temps, la Syrie
n’a perdu, contrairement à ce que
racontent les perroquets médiatiques,
aucun de ses alliés traditionnels et
essentiels : ni la Russie, ni
l’Iran, ni le Liban, ni même l’Irak ou
le Venezuela, ou de grandes nations
siégeant au conseil de sécurité de l’ONU
comme l’Afrique du Sud, le Brésil et
l’Inde n’ont retiré leur appui à Bachar
al-Assad et à son programme de réformes.
Qu’est-ce que ça veut dire pour les
Syriens « être
lâchés par les monarchies du Golfe »
quand ces pays, vassaux des Américains,
ont été, via al-Jazeera
ou al-Arabya,
les premiers relais de la propagande
anti-Bachar ? Ca a à peu près autant de
sens que si l’on disait que le régime
syrien est « lâché » par Israël ou les
Etats-Unis !
Bref, messieurs de la presse
« d’information démocratique
française », il va peut-être falloir
vous faire une raison : les faits sont
têtus et le peuple syrien aussi, qui
n’aime pas, pour sa très grande
majorité, qu’on lui dicte sa conduite et
lui impose un gouvernement !
Publié le 17 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
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