Opinion
ONU : Tout ça pour
ça...
Louis
Denghien
Jeudi 4 août 2011
Le Conseil de sécurité de l’ONU,
théâtre depuis trois ou quatre semaines
d’un combat feutré mais intense entre
adversaires américano-centrés de la
Syrie et défenseurs de celle-ci,
regroupés derrière la Russie, a
finalement accouché, mercredi 3 août,
d’un de ces « moyens termes »
diplomatiques qui permettent de sauver
des faces sans déboucher sur grand chose
d’effectif : une « condamnation »
– à ne surtout pas confondre, dans le
vocabulaire onusien, avec une « résolution« .
Le texte, adopté à l’unanimité du
Conseil, condamne donc l’usage de la
force contre les manifestants par les
autorités syriennes et appelle en
conséquence les dites autorités à « mettre
fin immédiatement aux violences » –
encore faudrait-il que messieurs les
activistes islamistes cessent le feu de
leur côté – et à « respecter
pleinement les droits de l’homme et
leurs obligations au regard du droit
international » – comme cela se
fait ordinairement en Israël et en
Arabie Saoudite.
Le texte ajoute que « les
responsables des violences doivent
rendre des comptes« . Et pourquoi
pas si l’on n’oublie pas de compter
parmi ces responsables les hommes armés
qui ont ou font encore régner terreur et
insécurité à Jisr al-Choughour, Homs ou
Hama. Cette phrase est en tout cas
l’élément le plus « agressif » de la
condamnation onusienne. Mais parlons
clair : tout ceci relève du symbolique,
de la déclaration d’intention.
Concrètement, aucune sanction
internationale – autre que celles déjà
décrétées unilatéralement par les
Américains et leurs petites mains
européennes – ne devrait frapper la
Syrie.
Un os à ronger pour Juppé &
co
Cessons là l’exégèse de ce texte.
La Russie – et la Chine – ont
accepté de donner un os à ronger aux
Occidentaux. Ils ne donneront pas plus
sur le dossier syrien. A noter
qu’au Conseil de sécurité les Russes et
d’autres pays « non alignés » (sur les
exigences de l’axe « du Bien »
Washington-Londres-Paris) ont longtemps
réclamé, au cours des deux jours de
discussions préparatoires, que la
violence des manifestants d’opposition
soit condamnée au même titre que celle
du pouvoir. Sans obtenir finalement gain
de cause, mais tout le monde sait
désormais, à l’ONU, que le schéma
manichéen cher au camp euro-yankee est
une imposture. Que l’ambassadeur russe
aux Nations-Unies, Vitali Tchourkine,
ait jugé la dernière mouture du texte « équilibrée »
indique assez que cette condamnation
constitue pour le camp américain une
« victoire à la Pyrrhus », c’est-à-dire
un échec sur le fond.
Alain Juppé, ministre français des
Affaires étrangères et gaulliste
atlantiste, peut bien, avec une
solennité burlesque, saluer « un
tournant dans l’attitude de la
communauté internationale »
vis-à-vis de la Syrie, tout le
monde sait bien que cette condamnation
enterre définitivement le projet de
résolution que lui et ses collègues
européens s’acharnent depuis des
semaines à « vendre » au Conseil de
sécurité. Le texte adopté
mercredi est, répétons-le, un lot de
consolation pour une diplomatie
occidentale qui sait qu’en dépit de ses
moyens et de sa jactance elle a perdu en
Afghanistan, qu’elle a échoué à isoler
complètement et efficacement la Syrie,
après l’Iran, et qu’elle se ridiculise
chaque jour un peu plus en Libye.
Et puisque nous parlons du monde
arabo-musulman, on se doit de souligner
l’abstention hautement symbolique du
Liban sur le texte de condamnation. Le
Liban, membre non permanent du Conseil,
mais seul Etat arabe siégeant – eh oui !
– dans le dit Conseil, a refusé de
prendre part au vote : on sait que son
gouvernement est favorable à Damas – au
fait encore un échec du camp
franco-américain qui n’avait pas ménagé
ses efforts pour arrimer, par Hariri
interposés, le pays du Cèdre à l’ »axe
du Bien » !
On peut toujours regretter le
caractère symbolique de cette
condamnation onusienne – et être plus
qu’agacés par le battage médiatique qui
l’accompagne. Parce
qu’effectivement elle est injuste, car
elle ne dit au mieux que la moitié des
choses sur la situation syrienne, et
reflète cette sempiternelle éthique du
« deux poids-deux mesures »
consubstantielle à l’Occident
américano-centré – quid d’une
condamnation d’Israël, de l’Arabie
Saoudite ou des dictatures yéménite et
bahreïnie, cette dernière sauvée
in extremis, en
mars dernier, par l’intervention brutale
des troupes de Ryad ?
Mais on doit garder à l’esprit qu’en
concédant cette déclaration à Hillary
Clinton et à Alain Juppé, la diplomatie
russe a sauvé l’essentiel, qui est la
non ingérence effective dans les
affaires intérieures syriennes. Celles
ci seront traitées par les Syriens,
c’est-à-dire l’actuel gouvernement – qui
vient de promulguer une loi autorisant
la création de nouveaux partis – et tous
les Syriens de bonne volonté, baasistes
ou opposants – responsables – au
baasisme.
Publié le 4 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
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