Opinion
Les massacrés de
Hama interdits de télés françaises
Louis
Denghien
Ces
cadavres-là sont décidément inmontrables
sur nos petits écrans
Mercredi 3 août 2011
Les journaux télévisés et chaines
d’info continue françaises continuent
imperturbablement leur couverture des
événements de Syrie selon la ligne
manichéenne anti-Bachar et
pro-opposition qui est la leur depuis le
début des troubles à la mi-mars.
Apparemment sans états d’âme malgré les
preuves croissantes d’actes de cruauté
émanant de certains opposants, notamment
à Hama, et de l’existence de groupes
armés en action au moins à Hama et à
Homs.
Mardi soir 2 août, le journal de
France 2
donnait dans l’émotionnel et même dans
le lacrymal, avec son
blogueur-démocrate-syrien-en-exil
pleurant devant son écran à l’annonce de
nouvelles statistiques de tués (fournies
certainement par l’OSDH et son efficace
réseau de correspondants). On avait
également droit à une douzaine de
manifestants anti-Bachar à Paris et,
bien sûr, au traditionnel décompte de
victimes de la répression bachariste sur
fond d’images de protestataires à mains
nues. Au même moment sur
TF1 un
journaliste du
Figaro explique comment Bachar et
les siens s’appuient pour garder le
pouvoir sur la minorité alaouite
sur-représentée dans l’armée et la garde
républicaine. Nous avons pris ce journal
en route, mais il ne semble pas que M.
Figaro ait expliqué que 1) la minorité
alaouite – 10% de la population – ne
suffirait pas à elle-seule à garantir la
survie du régime, qui peut compter sur
le soutien global de toutes les
minorités, notamment chrétienne et
druze, mais aussi de pas mal de sunnites
qui n’ont pas envie de vivre selon la « saoudian
way of life » plus ou moins
développés par les Frères musulmans et
2) les Alaouites, une des minorités les
plus défavorisées de Syrie, ne sont pas
tous ministres, généraux, gouverneurs,
businessmen…
Mercredi 3 juillet à 13 heures, le
journal de la chaîne d’info continue
BFM nous
ressert, par la voix d’un correspondant
arabe, le mélodrame habituel : Hama « à
feu et à sang« , avec malgré tout
des cortèges « immenses »
de manifestants bravant les chars du
régime à coup de slogans et de
téléphones portables. Pour illustrer ce
propos, on a droit à une colonne de
fumée dans le ciel de Hama, à un homme
en civil gisant sur le sol et aussi,
c’est vrai, à des blindés en position
dans un paysage urbain. Mais rien qui
montre que les troupes ont affaire sur
place à des opposants qui, à défaut de
disposer de blindés, sont bien équipés
en armement léger et automatique.
C’est finalement l’autre chaîne
d’info continue
I-Télé – annexe de
Canal+ – qui fait, par rapport à
ses consoeurs, montre d’un – relatif –
« pluralisme » de l’information en
diffusant un extrait du journal de la
télévision d’Etat syrienne : l’occasion
de voir pendant une minute des émeutiers
armés en action à Hama, les techniciens
de la télé syrienne ayant même pris soin
de cercler en rouge des fusils d’assaut
ou à pompe pourtant bien visibles.
Censure démocrate
Mais pas question, pas plus pour
I-Télé que pour
la concurrence, de montrer les images
atroces et parlantes de cadavres
ensanglantés balancés dans l’Oronte,
depuis un pont d’Hama, par des émeutiers
hurlant « Allah o
Akbar ! » selon le mode islamiste.
Pourtant, les journalistes français en
charge du dossier syrien ont forcément
connaissance de cette vidéo. Alors
pourquoi ne la diffusent-ils pas ? Parce
qu’il y a des doutes sur
l’identification précise des événements
? On fait montre de moins de
prudence quand il s’agit de présenter
des bouts de manifs filmées sur portable
comme la protestation de tout un peuple
! Le caractère « difficile » de
ces images ? Mais nos médias n’ont
jamais rechigné à montrer des victimes
réelles ou supposées de la répression,
exhibant notamment le corps décomposé du
jeune Hamza pour faire croire à des
tortures.
La raison la plus probable de cet
« embargo », c’est que ces images ne
vont pas dans le sens souhaité par
l’establishment politico-médiatique
français – et, au-delà, occidental – qui
veut à tout prix que s’impose, sans
restriction, sa lecture, disons
américano-sioniste et
quasi-hollywoodienne, de la crise
syrienne. En un mot, ces
cadavres-là ne sont pas géopolitiquement
corrects ! Nos journalistes
avaient d’ailleurs eu les mêmes
réticences devant les cadavres d’une
centaine de policiers ou soldats tués
mi-juin à Jisr al-Choughour dans
l’assaut du QG de la police par des
groupes d’activistes armés : contraints
malgré tout de montrer quelques uns de
ces corps en uniforme, beaucoup de
commentateurs s’étaient empressés de
relayer la version ‘hautement crédible »
des cyber-opposants, selon laquelle ces
malheureux auraient été tués – pour
avoir refusé de tirer sur des civils
- par d’autres militaires fidèles au
régime. Chez nous, que voulez-vous, on
n’aime que les victimes estampillées
« démocrates », « pacifistes »,
« libérales », en un mot
« occidentales », c’est comme ça !
C’est aussi cette forme de pudeur
« démocratique » qui explique que les
nombreux et – vraiment – impressionnants
rassemblements de soutien au régime
aient été aussi peu montrés ou commentés
par nos journaux télévisé : quelques
centaines ou milliers de manifestants
d’opposition à Hama, Homs ou Deir Ezzor
pèsent plus lourd, dans les balances du
Paysage Audiovisuel Français, que les
centaines de milliers de bacharistes
manifestant à Damas et dans toutes les
villes du pays.
Un
opposant pacifiste armé est caché sur
cette capture d'écran :
ami lecteur et/ou journaliste français,
sauras-tu le retrouver ?
Vous avez dit
« déontologie » ?
Bref, on est conduit à penser que
nos médias – qui en leur temps ont
relayé sans ciller les bidonnages de
Timisoara, nous ont « vendu » la
propagande américaine sur les armes
secrètes et la puissance globale de
l’armée de Saddam Hussein, qui nous
ont expliqué que Kadhafi allait
s’effondrer en quelques jours –
pèchent gravement contre leur
déontologie professionnelle sur le
dossier syrien…
1) en reprenant systématiquement,
sans le moindre réserve, les
arguments et les chiffres d’une
cyber-opposition rien moins que
transparente sur son organisation,
ses buts et ses subsides. Et en
s’abstenant d’ailleurs de la moindre
enquête sur ces cyber-activistes,
dont le fameux Rami Abdel Rahmane ;
2) en passant sous silence les
éléments n’allant pas dans le sens
de leur analyse : existence de
groupes d’opposants armés, nature
idéologique de type islamiste des
secteurs les plus influents et
organisés de cette opposition
radicale (Frères musulmans, groupes
djihadistes), crime commis par les
opposants ;
3) en s’abstenant de toute
projection ou prospective, même les
plus évidentes : si les Frères
musulmans renversaient le régime
baasiste, les libertés civiles et
religieuses n’y gagneraient
probablement rien, au contraire ce
serait la porte ouverte à une
situation à l’irakienne, avec guerre
civile larvée et exode des
minorités, notamment la chrétienne ;
la déstabilisation de la Syrie
entraînerait immanquablement celle
de toute la région, du Liban à
l’Irak en passant par la Jordanie ;
4) en passant complètement sous
silence des données fondamentales
comme le projet – « bushiste » mais
pas remisé dans les cartons par
l’administration Obama – de
« reformatage » du Proche-Orient,
dans le sens des intérêts de
Washington et de son allié
privilégié israélien ;
5) en simplifiant, d’une manière
générale, à des fins
sensationnalistes ou idéologiquement
correctes, des situations complexes
: Bachar al-Assad n’est pas son père
; la Syrie multi-confessionnelle
n’est ni la Suisse ni la France ; il
y a plusieurs oppositions et des
revendications très diverses dans la
société syrienne.
On peut faire le pari
que, dans quelques mois, ou quelques
années, des essayistes, spécialistes
du Proche-Orient ou des médias
français, viendront nous expliquer,
dans ces mêmes médias, que ceux-ci
se sont fait manipuler par des
officines ou des puissances
étrangères, qui les ont
« intoxiqués » sur la situation en
Syrie, comme ils les avaient
intoxiqués sur l’Irak, l’Iran, la
Libye, le Kosovo ou la Georgie.
Et on lira des éditoriaux comme quoi
les « professionnels de la
profession » doivent faire preuve de
prudence et d’un professionnalisme
redoublé pour éviter à l’avenir
manipulations et désinformations.
Entre-temps, la Syrie aura peut-être
plongé dans une guerre civile…
Publié le 3 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
Le
dossier Syrie
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