Opinion
Syrie: pourquoi
Moscou et Pékin disent non
Louis
Denghien
Marins
soviétiques de la base de Tartous en
Syrie :
Moscou ne laissera jamais la
Méditerranée devenir un lac américain
Mardi 2 août 2011
Il nous a paru
nécessaire de revenir sur les raisons du
soutien actuel, notamment au sein du
conseil de sécurité de l’ONU, de la
Russie de de la Chine à Damas.
La Russie – qui, du temps de l’URSS,
était déjà un « parrain » géopolitique
de la Syrie, et qui conserve aujourd’hui
une importante base navale sur le
littoral syrien – n’a pas les mêmes
relations historiques que la Chine avec
ce pays. Pourtant tous deux se
retrouvent, avec des nations plus
qu’émergentes comme le Brésil et l’Inde,
pour faire bloc face aux manoeuvres des
Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni
et de l’Allemagne au sein du conseil de
sécurité.
A cela plusieurs raisons.
- D’abord, Moscou – et Pékin,
de façon plus discrète – ne croient plus
aux arguments et aux promesses des
Occidentaux. La Fédération de
Russie a pu constater naguère que les
révolutions « oranges » d’Ukraine et de
Georgie, qui devaient aboutir à
l’éloignement et même à l’hostilité
ouverte vis-à-vis de Moscou d’anciennes
républiques associées, devaient beaucoup
aux subsides et aux conseils de la
Maison Blanche. Et que, sous couvert de
« soutien à la démocratie », les
Américains et l’OTAN – déjà installés à
demeure dans les anciens « pays de
l’Est » – étaient en train de
s’implanter dans le « pré carré » russe,
et de resserrer l’étau autour de Moscou
– les Américains avaient, dans le même
but, favorisé le « changement » en
Ouzbekistan, autre ex-territoire
soviétique, et avaient naguère écrasé la
Serbie, nation frère de la Russie,
favorisant l’ »indépendance »
d’Etats-croupions comme le Kosovo et le
Montenegro. Et ils campaient aussi en
Afghanistan.
Au Proche-Orient, les Russes ont pu
voir aussi de quoi Washington était
capable : dévaster et diviser une nation
arabe comme l’Irak, naguère puissance
régionale échappant à l’influence
américaine et menaçant, au moins
virtuellement, Israël, ce en usant de
prétextes à la fois mensongers et
« démocratiques ».
Le « lumineux » exemple
libyen
Beaucoup plus près de nous, l’exemple
libyen n’a pu qu’achever de convaincre
Moscou, Pékin et d’autres, du cynisme et
de la mauvaise foi des Etats-Unis et,
hélas, de la France et des principales
puissances européennes : en avril
dernier une intervention militaire
d’abord franco-britannique démarrait,
sous le couvert d’une résolution de
l’ONU et sur intervention directe d’un
histrion comme B.H. Lévy, théoriquement
pour protéger des populations – en
Cyrénaïque insurgée - d’un éventuel
massacre par l’armée de Kadhafi.
Soutenus par un Obama officiellement –
et habilement – en retrait dans cette
affaire, les Franco-Anglais et l’OTAN
ont très vite débordé du cadre fixé par
les Nations-Unies et de la
protection de « civils désarmés » on est
assez vite passés à une tentative pure
et simple de subversion politique,
les Occidentaux armant les insurgés et
reconnaissant officiellement leur
« conseil de transition », bombardant
quotidiennement Tripoli et exigeant le
départ de Kadhafi qui, en dépit de ses
revirements, demeurait assez largement
incontrôlable par Washington.
Ce « détournement de résolution »
onusienne a achevé de convaincre
Medvedev et Poutine que Washington, en
dépit de ses déboires militaires et
politiques en Irak et en Afghanistan –
et de sa situation économique précaire –
n’avait pas renoncé, avec l’aide d’une
Europe alignée et de quelques clients
arabo-musulmans, à dominer la planète.
Récemment encore, Washington a salué
l’ »indépendance » du Sud-Soudan, dont
la fonction géopolitique principale est
d’amoindrir un « Etat voyou » (traduisez
par « non aligné sur Washington »).
Bref, depuis au moins dix ans, Moscou
a le sentiment de vivre avec le rival
américain inquiet de la renaissance
russe une véritable « guerre tiède ». On
sait que l’efficace binôme
Medvedev-Poutine a su mettre en échec la
stratégie américaine en Georgie, et
aussi, de façon plus indirecte, en
Ukraine. Moscou s’est également beaucoup
rapproché de Pékin et de Téhéran,
constituant ainsi un « ‘contre-pouvoir
international » efficace à l’hégémonisme
américain. Et Moscou a resserré les
rangs avec Damas, apparemment nouvelle
cible des déstabilisateurs du
Département d’Etat. Pas question pour
les Russes de renoncer à leur base
navale de Tartous sur la côte syrienne,
et de laisser l’OTAN faire, grâce au
renversement du régime de Bachar et de
celui de Kadhafi, de la Méditerranée le
« Mare nostrum
» de l’OTAN. Et puis les Russes
savent très bien que la situation
intérieure syrienne a peu à voir avec le
scénario hollywoodien et manichéen qu’en
donnent politiques et journalistes
occidentaux : ils savent que la Syrie
peut connaître le sort peu enviable de
son voisin irakien, pour les mêmes
raisons communautaristes , et par la
faute des mêmes incendiaires.
Le cas particulier de la
Chine
L’attitude chinoise a pu paraître,
par rapport à la russe, plus en retrait,
sur la Syrie comme sur d’autres sujets.
La Chine, qui est un continent en soi,
défend d’abord ses intérêts
géostratégiques et économiques ; sûre de
sa force croissante, elle a eu tendance
à jouer « cavalier seul », s’implantant
efficacement en Afrique, et devenant le
créancier principal des Etats-Unis :
belle revanche symbolique pour un pays
toujours officiellement marxiste, mais
aussi arme politique à double
tranchant, Pékin ne pouvant se permettre
de heurter trop frontalement une
puissance qui lui doit tant d’argent, au
risque de remettre en cause son
exponentielle croissance économique.
Reste que les dirigeants
chinois semblent avoir compris qu’une
confrontation – au moins politique –
avec les Etats-Unis – avec qui ils sont
déjà « au contact » dans le Pacifique –
devenait inévitable à plus ou moins long
terme. Et qu’ils ne gagneraient
donc rien à laisser le champ libre à la
diplomatie et aux armées de Washington.
D’autant que l’argument des droits de
l’homme qui a si bien servi aux
Américains contre l’Irak, la Libye, la
Serbie, le Soudan pourraît être employé
par eux, un jour, contre la Chine.
A l'ONU,
sur la Syrie, la Chine veut donner un
"feu rouge" à Washington
C’est très certainement cette prise
de conscience qui explique le veto
qu’ils ont agité au conseil de sécurité
à propos du cas syrien. Et l’analyse des
dirigeants indiens, brésiliens et
sud-africains sur ce sujet ne devait pas
être très différente. L’hégémonisme et
le cynisme des occidentaux commencent à
devenir vraiment insupportables à pas
mal de monde. Moscou ne veut plus s’en
laisser compter par les postures morales
de l’axe euro-américain. Pékin et
d’autres non plus, semble-t-il…
Publié le 2 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
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