Opinion
S'opposer à la
politique de la canonnière
Li Qingsi
Jeudi 23 février
2012
Le veto chinois au
Conseil de sécurité n’est pas une tocade
influencée par la Russie, mais
l’aboutissement d’une longue et
douloureuse expérience. Il est
principalement motivé par le souci de
faire respecter les normes du droit
international. Le professeur Li Qingsi
replace cette préoccupation dans son
contexte historique immédiat (les
changements de régime orchestrés en
Afrique du Nord) et dans la longue
période (l’occupation de la Chine par
les Occidentaux et les difficiles
relations sino-US).
Après que la
Russie et la Chine eurent mis leur
véto à la résolution du Conseil de
sécurité de l’ONU le 4 février,
l’Assemblée générale des Nations
Unies a approuvé une résolution
condamnant la violence en Syrie.
Bien que non contraignante, elle va
accroître encore d’avantage la
pression sur le gouvernement syrien,
et ouvre la porte à une intervention
extérieure dans le futur.
Les conflits sectaires, les
facteurs géopolitiques, et surtout
la politique du « diviser pour mieux
régner » menée par l’Occident ont
permis l’émergence d’intenses
contradictions au sein du Monde
arabe, et les affrontements internes
en Syrie ont fournis une excuse à
l’Occident pour s’immiscer.
La crise actuelle en Syrie n’a
pas simplement pour objet la
protection des Droits de l’homme
ainsi que le prétendent les
Occidentaux. Ils veulent renverser
le gouvernement actuel et le
remplacer par un autre qui soit
pro-occidental. La Syrie est
considérée comme un problème pour la
stratégie moyen-orientale de
l’Occident du fait de ses liens
étroits avec l’Iran et le Liban,
tous deux hostiles aux États-Unis.
Afin de jouer un rôle au
Proche-Orient, la Ligue arabe est
prête à soutenir la stratégie
occidentale dans la région. À n’en
pas douter, après avoir résolu le
problème syrien d’une façon non
pacifique, la cible suivante serait
l’Iran.
Le véto chinois ne signifie pas
que Beijing se range aux cotés du
gouvernement syrien, ou qu’il est
aveugle aux affrontements sanglants,
mais qu’il ne veut pas que la Syrie
suive le même chemin désastreux que
la Libye, qui a abouti à une
situation de guerre civile
généralisée.
En tant que membre permanent du
Conseil de sécurité de l’ONU, la
Chine a la responsabilité et
l’obligation de défendre la
Charte des Nations Unies, source
du droit et code de conduite
international, et donc doit rejeter
toute résolution qui viole cette
Charte et ses principes.
Si la Chine se rend compte qu’une
résolution est à même de menacer la
souveraineté d’un État et va à
l’encontre de la justice, et qu’elle
ne fait rien, il s’agirait là d’une
faute grave.
La réponse furieuse de l’Occident
aux vétos russe et chinois montre
que ceux-ci ont dévoilé le véritable
objectif des Occidentaux – essayer
de dominer le Moyen-Orient et
monopoliser l’Organisation des
Nations Unies – qu’ils avaient pris
soin de masquer derrière leurs
nobles revendications de défense des
droits de l’homme en Syrie.
Le monde a été témoin de trop
d’invasions d’États souverains et de
trop de meurtres de civils innocents
au nom de l’ingérence humanitaire.
Les interventions militaires depuis
la fin de la Guerre froide montrent
que l’Occident, pendant qu’il
brandit l’étendard de la protection
des Droits de l’homme, ne fait en
réalité que rechercher ses propres
intérêts stratégiques globaux et
régionaux.
Que cela soit les pays envahis
après les attaques terroristes du 11
septembre 2001, ou encore certains
pays musulmans qui ont subi des «
révolutions colorées » l’an
passé, le fait est que, à l’inverse
de la protection des Droits de
l’homme, ces invasions et ces «
révolutions » ont entrainé la
détérioration de la stabilité
intérieure et de la situation
humanitaire.
L’expérience montre que, depuis
la Guerre froide, quelles que
puissent être les divergences qui
existent entre eux, les pays
occidentaux se serreront les coudes
quand ils sont en conflit avec un
pays non occidental. Même à l’ère de
la globalisation, il existe toujours
une ligne de démarcation claire
entre l’Occident et le reste du
monde.
Pour des raisons à la fois
historiques et pratiques,
l’équilibre du pouvoir entre
l’Ouest, particulièrement les
États-Unis, et le monde
non-occidental, est inégal. De la
même façon qu’un pouvoir absolu sans
surveillance ou restrictions a pour
conséquence la corruption au sein
d’un État, un pouvoir sans
contrepoids dans la communauté
internationale deviendra lui aussi
impérieux et sans pitié, devenant de
ce fait une menace pour la stabilité
du monde entier.
Après la Guerre froide, les
États-Unis ont réussi à « avoir
une emprise ferme sur l’ONU pour
opprimer la communauté
internationale » pendant que les
pays petits ou moyens n’osaient pas
exprimer leur mécontentement.
La réaction hystérique des
États-Unis au véto chinois montre
qu’ils n’ont pas compris l’évolution
de la Chine. À un moment où la
politique de la canonnière est
remise au goût du jour, une approche
modeste et auto-disciplinée de la
diplomatie semble peut-être un peu
démodée.
Si la Chine et les États-Unis
peuvent coexister pacifiquement, il
s’agirait d’un accomplissement sans
précédent. Mais l’histoire des
relations sino-étatsuniennes montre
qu’une telle coopération ne peut
être atteinte par le compromis ou la
simple requête, et qu’il ne faut
espérer aucune relation
gagnant-gagnant par le simple
truchement de nos bonnes volontés.
La lutte sans rupture des relations
ne doit pas être la base de
l’attitude chinoise envers les
États-Unis, car seulement quand nous
serons prêts à payer le prix de la
rupture, alors nous serons à même de
lutter sans nous déchirer.
Quelle que soit la difficulté de
la situation à l’extérieur, la Chine
ne va pas arrêter son développement.
Pas avant que les diplomates ne
cessent de faire appel à notre bon
cœur. Ni tant qu’il sera facile de
fouler au pied les sentiments de 1,3
milliard de Chinois, et pas avant
que la Chine ne soit en capacité de
défendre la Charte et les normes des
Nations Unies ainsi que la paix et
la justice dans le monde par des
actes et non plus des mots.
En tant que membre permanent du
Conseil de Sécurité, la Chine se
doit d’assumer la grande
responsabilité de préserver la paix
mondiale. Afin de préserver l’unité,
la Chine a été contrainte à faire
usage de son véto.
Parce qu’elle est membre de la
communauté internationale, la Chine
est consciente qu’elle ne peut
réaliser ses propres intérêts sans
coopération avec le monde extérieur.
Mais la Chine sera également
attentive à ces pays occidentaux qui
vont trop loin. Ayant par le passé
été envahie par les puissances
occidentale, la Chine comprend la
souffrance qui en résulte. Ainsi la
Chine qui s’éveille ne reproduira
pas les mêmes erreurs, parce que le
peuple chinois croit que ce que vous
ne vous voulez pas que l’on vous
fasse, il ne faut pas le faire subir
aux autres.
Li Qingsi, Professeur à
la Faculté de relations internationales
de l’Université Renmin de Chine.
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