Il y a cinquante ans
Kennedy, le lobby et la bombe
Laurent Guyénot
Mercredi 24 avril 2013
Il y a exactement cinquante ans
se jouait un épisode déterminant dans
l’histoire de la « démocratie
états-unienne » ; une lutte épique dont
le dénouement engagea l’avenir du monde
entier. Laurent Guyénot nous en rappelle
l’enjeu.
Kennedy et l’AIPAC
En mai 1963, le
Foreign Relations Committee du Sénat
des États-Unis ouvrait une enquête sur
les opérations clandestines d’agents
étrangers sur le sol américain, visant
particulièrement l’American Zionist
Council et la Jewish Agency for
Israel [1]
. L’enquête était motivée par un rapport
du président de cette commission
permanente, William Fulbright, rédigé en
mars 1961 (déclassifié en 2010),
indiquant : « Dans les années récentes,
il y a eu un nombre croissant
d’incidents impliquant des tentatives
par des gouvernements étrangers, ou
leurs agents, pour influencer la
politique étrangère américaine par des
méthodes sortant des canaux
diplomatiques normaux. » En évoquant ces
méthodes incluant des « activités
secrètes aux États-Unis et ailleurs »,
Fulbright faisait allusion à l’ «
Affaire Lavon [2]
» de 1953, où des juifs égyptiens
entraînés en Israël perpétrèrent contre
des cibles britanniques plusieurs
attentats à la bombe destinés à être mis
sur le compte des Frères musulmans et
ainsi décrédibiliser Nasser aux yeux des
Britanniques et des États-uniens.
L’enquête du Sénat mit à jour une
activité de blanchiment d’argent par
laquelle la Jewish Agency
(organisme indissociable de l’État
d’Israël, dont elle avait été le
précurseur) faisait parvenir des
dizaines de millions de dollars à l’American
Zionist Council, principal lobby
israélien aux États-Unis. Suite à cette
enquête, le Département de la Justice,
sous l’autorité de l’Attorney General
Robert Kennedy, exigea qu’en vertu de
son financement par l’État d’Israël, l’American
Zionist Council soit enregistré
comme « agent étranger », soumis aux
obligations du Foreign Agents
Registration Act de 1938, qui
impliquait une étroite surveillance de
ses activités.
Cette tentative de contrer le
parasitage grandissant de la politique
états-unienne par Israël recevait
l’appui du président, bien entendu. À
l’époque où il n’était encore qu’un
jeune journaliste couvrant la conférence
inaugurale des Nations Unies, John
Kennedy avait été troublé par la
capacité d’Israël d’acheter des
politiciens, et jusqu’au président
lui-même. En reconnaissant l’État
d’Israël le 15 mai 1948 (dix minutes
après sa procalamation officielle),
contre l’avis unanime de son
gouvernement, le président Harry Truman
n’acquit pas seulement une place dans
l’histoire biblique (« L’acte historique
de reconnaissance de Truman restera
gravé pour toujours en lettres d’or dans
les quatre mille ans d’histoire du
peuple juif [3],
» proclama l’ambassadeur isaélien) ;
Truman empocha également deux millions
de dollars pour relancer sa campagne de
réélection. « C’est pour ça que notre
reconnaissance d’Israël fut si rapide »,
confia Kennedy à son ami romancier et
essayiste Gore Vidal [4].
En 1960, John Kennedy reçut lui-même une
offre d’aide financière du lobby
israélien pour sa campagne
présidentielle. Il résuma ainsi à son
ami journaliste Charles Bartlett, la
proposition du mécène Abraham Feinberg :
« Nous savons que votre campagne est en
difficulté. Nous sommes prêts à payer
vos notes si vous nous laissez le
contrôle de votre politique au Moyen
Orient. » Bartlett se souvient que
Kennedy se promit que, « si jamais il
devenait président, il allait faire
quelque chose pour changer ça [5].
» En 1962-63, il soumit sept projets de
loi pour réformer le financement des
campagnes électorales du Congrès ;
toutes furent combattues avec succès par
les groupes d’influence qu’elles
visaient.
Tous les efforts du gouvernement pour
limiter la corruption de la démocratie
américaine par les agents d’Israël
furent stoppés net par l’assassinat de
Kennedy et le remplacement de son frère
à la Justice par Nicholas Katzenbach. L’American
Zionist Council échappa au statut
d’agent étranger en se dissolvant et se
renommant American Israel Public
Affairs Committee (AIPAC). Dix ans
plus tard (le 15 avril 1973), Fullbright
constatait sur CBS : « Israël contrôle
le Sénat américain. […] La grande
majorité du Sénat américain — autour de
80 % — soutient complètement Israël ;
Israël obtient tout ce qu’il veut [6].
» L’AIPAC poursuivit les mêmes
pratiques, en échappant même à toute
sanction lorsque ses membres furent pris
flagrant délit d’espionnage et de haute
trahison : en 2005, deux responsables de
l’AIPAC, Steven Rosen et Keith Weissman,
furent acquittés après avoir reçu d’un
membre de l’Office of Special Plans
au Pentagone, Larry Franklin, des
documents classés secret-défense et les
avoir transmis à un haut fonctionnaire
d’Israël. En 2007, John Mearsheimer et
Stephen Walt démontraient dans leur
livre sur Le Lobby pro-israélien et
la politique étrangère américaine
que l’AIPAC et les lobbies
pro-israéliens de moindre importance
étaient la principale cause de la guerre
d’Irak et, plus largement, le facteur
déterminant dans la politique étrangère
états-unienne au Proche-Orient. Étant
donné que rien n’a changé, il n’y a
aucune raison pour que le gouvernement
de Benjamin Netanyahou ne réussisse pas
à obtenir également des États-Unis la
destruction de l’Iran qu’elle ne cesse
de réclamer.
« Nous, le peuple juif, nous
contrôlons l’Amérique, et les
Américains le savent [7],
» aurait dit le Premier ministre
Ariel Sharon à son ministre des
affaires étrangères Shimon Peres le
3 octobre 2001, selon la radio
israélienne Kol Yisrael. Son
successeur Benjamin Netanyahou en
fit la démonstration le 24 mai 2011
devant le Congrès américain, où il
fut ovationné 29 fois par une salle
debout, notamment à chacune des
phrases suivantes : « En Judée et en
Samarie, les juifs ne sont pas des
occupants étrangers » ; « Aucune
distorsion de l’histoire ne peut
nier le lien vieux de 4 000 ans
entre le peuple juif et la terre
juive » ; « Israël ne reviendra pas
aux frontières indéfendables de 1967
» ; « Jérusalem ne doit plus jamais
être divisé. Jérusalem doit rester
la capitale unie d’Israël [8].
»
Kennedy, la
bombe et Dimona
Si Kennedy avait vécu, l’influence
d’Israël aurait très certainement été
contenue sur un autre front encore,
celui de l’armement nucléaire. Dès le
début des années 1950, David Ben Gourion,
qui cumulait les fonctions de Premier
ministre et de ministre de la Défense,
avait engagé son pays dans la
fabrication secrète de bombes atomiques,
en détournant de son objectif le
programme de coopération pacifique
Atom for Peace lancé naïvement par
Eisenhower. Informé par la CIA dès son
entrée à la Maison-Blanche de la
vocation réelle du complexe de Dimona,
Kennedy fera tout son possible pour
forcer Israël à y renoncer. Il exigea de
Ben Gourion des inspections régulières
de Dimona, d’abord de vive voix à New
York en 1961, puis par des lettres
officielles de plus en plus insistantes.
Dans la dernière, datée du 15 juin 1963,
Kennedy exigeait une première visite
immédiate suivie de visites régulières
tous les six mois, sans quoi «
l’engagement et le soutien de notre
gouvernement pour d’Israël risquent
d’être sérieusement compromis [9].
» La réception de ce message fut
surprenante : Ben Gourion démissionna le
16 juin, évitant ainsi de recevoir la
lettre. Dès que le nouveau premier
ministre Levi Eshkol entra en fonction,
Kennedy lui adressa une lettre
identique, datée du 5 juillet 1963.
Il ne s’agissait pas pour Kennedy de
frustrer Israël d’un pouvoir que se
réservaient les États-Unis et ses alliés
de l’OTAN. La démarche du président
s’inscrivait dans un projet beaucoup
plus ambitieux, qu’il avait annoncé dès
le 25 septembre 1961, neuf mois après sa
prise de fonction, devant l’Assemblée
Générale des Nations Unies : «
Aujourd’hui, chaque habitant de cette
planète doit contempler le jour où cette
planète ne sera peut-être plus
habitable. Chaque homme, femme et enfant
vit sous une épée de Damoclès nucléaire
accrochée à de fragiles fils qui peuvent
être coupés à tout moment par accident
ou erreur, ou par folie. Ces armes de
guerre doivent être abolies avant
qu’elles ne nous abolissent. […] Il est
donc dans notre intention de lancer un
défi à l’Union Soviétique, non pas pour
une course à l’armement, mais pour une
course à la paix — pour avancer
ensemble, pas à pas, étape par étape,
jusqu’à l’accomplissement du désarmement
général et complet [10].
» Le message avait été bien reçu par
Nikita Khrouchtchev, qui répondit
favorablement par une lettre
confidentielle de 26 pages datée du 29
septembre 1961, transmise par un canal
secret. Après la crise des missiles
cubains en octobre 1962, la guerre
nucléaire qu’ils évitèrent de justesse
par leur sang-froid rapprocha encore les
deux chefs d’État dans la conscience
d’une responsabilité partagée de libérer
l’humanité de la menace atomique.
Khrouchtchev envoya alors à Kennedy une
seconde lettre privée dans laquelle il
exprimait son espoir que, en huit ans de
présidence de Kennedy, « nous pourrions
créer de bonnes conditions pour une
coexistence pacifique sur terre, et cela
serait hautement apprécié par les
peuples de nos pays, ainsi que par les
autres peuples [11].
» En dépit d’autres crises, Kennedy et
Khrouchtchev poursuivirent cette
correspondance secrète, aujourd’hui
déclassifiée, qui comporte en tout 21
lettres, dans lesquelles le projet
d’abolir l’arme atomique tenait une
grande place.
En 1963, les négociations aboutirent
au premier traité de limitation des
essais nucléaires, qui interdisait les
essais nucléaires dans l’atmosphère et
sous l’eau, fut signé le 5 août 1963 par
l’Union Soviétique, les États-Unis et le
Royaume Uni. Six semaines plus tard, le
20 septembre 1963, Kennedy exprimait sa
fierté et son espoir devant les Nations
Unies : « Il y a deux ans, j’ai déclaré
devant cette assemblée que les
États-Unis avaient proposé et étaient
prêts à signer un traité limité
d’interdiction des essais. Aujourd’hui,
ce traité a été signé. Il ne mettra pas
fin à la guerre. Il ne supprimera pas
les conflits fondamentaux. Il n’assurera
pas la liberté à tous. Mais il peut être
un levier, et l’on rapporte
qu’Archimède, en expliquant le principe
du levier, déclara à ses amis :
‘Donnez-moi un endroit où prendre
position, et je déplacerai le monde.’
Mes chers co-habitants de cette planète,
prenons position ici dans cette
assemblée des nations. Et voyons si, en
notre temps, nous pouvons déplacer le
monde vers une paix juste et durable [12].
» Dans sa dernière lettre à Kennedy,
remise à l’ambassadeur états-unien Roy
Kohler mais jamais transmise à son
destinataire, Khrouchtchev se montrait
également fier de ce premier traité
historique, qui « a injecté un esprit
frais dans l’atmosphère internationale.
» Il avançait d’autres propositions, en
reprenant les termes de Kennedy : « Leur
implémentation déblaierait la route vers
le désarmement général et complet et,
par conséquent, vers la délivrance des
peuples de la menace de la guerre [13].
»
Pour Kennedy, l’arme nucléaire
était la négation de tous les
efforts historiques pour civiliser
la guerre en épargnant les civils. «
Je n’arrête pas de penser aux
enfants ; pas seulement mes gosses
ou les tiens, mais les enfants à
travers le monde, » disait-il à son
ami et assistant Kenneth O’Donnell
durant sa campagne en faveur du
Test Ban Treaty. Il le répéta
dans son allocution télévisée le 26
juillet 1963 : « Ce traité est pour
nous tous, et spécialement pour nos
enfants et nos petits-enfants, qui
n’ont pas de lobby ici à Washington
[14].
»
Dans les années soixante, le
désarmement nucléaire était un objectif
réaliste. Seuls quatre pays s’étaient
dotés de l’arme nucléaire. Il y avait
une chance historique à saisir, et
Kennedy était déterminé à ne pas la
laisser passer. « Je suis hanté par le
sentiment que, en 1970, si nous ne
réussissons pas, il y aura peut-être dix
puissances nucléaires au lieu de quatre,
et en 1975, quinze ou vingt [15],
» dit-il durant sa conférence de presse
du 21 mars 1963, de façon visionnaire.
Tandis que, derrière les USA et l’URSS,
tous les pays de l’OTAN et du bloc
communiste faisaient un premier pas vers
le désarmement nucléaire, Israël faisait
secrètement bande à part, et Kennedy
était décidé à l’en empêcher.
La mort de Kennedy quelques mois plus
tard relâcha la pression sur Israël.
Johnson choisit de fermer les yeux sur
les activités du complexe de Dimona.
John McCone, le directeur de la CIA
nommé par Kennedy, démissionna en 1965
en se plaignant du peu d’intérêt
manifesté par Johnson sur ce sujet.
Israël acquit sa première bombe vers
1967, sans jamais l’admettre. Nixon ne
s’en inquiéta pas davantage que Johnson,
tandis que son Conseiller à la Sécurité
Nationale Henry Kissinger exprimait en
privé sa satisfaction à l’idée d’avoir
en Israël une puissance nucléaire
alliée. Nixon, avec qui l’État profond
entre pour ainsi dire à la
Maison-Blanche, joua double jeu : en
même temps qu’il soutenait publiquement
le Traité de Non-prolifération de 1968
(qui n’était pas une initiative
états-unienne), il adressa un message
contraire à sa bureaucratie, par un
National Security Decision Memorandum
top-secret (NSDM-6) qui disait : « Il ne
doit y avoir aucun effort de la part des
États-Unis pour forcer d’autres pays […]
à appliquer [le traité]. Ce
gouvernement, dans sa posture publique,
doit refléter un ton optimiste que
d’autres pays signeront ou ratifieront,
tout en se désolidarisant de tout projet
de faire pression sur ces pays pour
qu’ils signent ou ratifient [16].
»
Selon les chiffres du SIPRI (Stockholm
International Peace Research Institute)
pour 2011, il y a aujourd’hui à travers
le monde environ 20 000 bombes
nucléaires possédant en moyenne une
puissance 30 fois supérieure à celle de
Hiroshima, ce qui équivaut en tout à 600
000 fois Hiroshima. Parmi ces bombes, 1
800 sont en état d’alerte, c’est-à-dire
prêtes à être lancées en quelques
minutes. Avec moins de 8 millions
d’habitants, Israël est la sixième
puissance nucléaire mondiale.
« Si on laissait faire le
Président, il y aurait une guerre
nucléaire chaque semaine [17],
» disait Kissinger. Dès les années
1950, Nixon avait recommandé à
Eisenhower l’usage de la bombe
atomique en Indochine et en Corée.
-
Il fallut attendre 1986, avec la
publication dans le Sunday Times
des photographies prises par le
technicien israélien Mordechai
Vanunu à l’intérieur de Dimona, pour
que le monde découvre qu’Israël
s’était doté en secret de la bombe
atomique. Après son enlèvement par
les services secrets israéliens,
Vanunu fut condamné pour « trahison
de secret d’État ». Il a passé 18
ans en prison, dont 11 à l’isolement
complet. Depuis sa libération en
2004, il lui est interdit de sortir
du territoire et de communiquer avec
l’étranger.
Johnson et le
USS Liberty
Kennedy n’a pas laissé à Tel Aviv
le souvenir d’un ami d’Israël. Outre
ses attaques contre le lobbying
outrancier d’Israël et contre ses
ambitions de puissance nucléaire,
Kennedy s’était engagé en faveur du
droit au retour des 800 000 réfugiés
palestiniens expulsés de leurs
quartiers et villages en 1947-48. Le
20 novembre 1963, sa délégation aux
Nations Unies appelait à
l’implémentation de la Résolution
194 à cet effet. Kennedy n’eut sans
doute pas le loisir de lire les
réactions scandalisées d’Israël dans
les journaux : deux jours plus tard,
il était mort. L’arrivée au pouvoir
de Johnson fut saluée avec
soulagement en Israël : « Il ne fait
aucun doute qu’avec l’accession de
Lyndon Johnson, nous aurons
davantage d’opportunité d’approcher
le Président directement si nous
trouvons que la politique
états-unienne va contre nos intérêts
vitaux [18],
» estimait le journal israélien
Yedio Ahoronot. Loin de rappeler
à Israël son nettoyage ethnique,
Johnson embrassa pleinement le mythe
de la « terre sans peuple pour un
peuple sans terre », allant même
jusqu’à comparer un jour, devant un
auditoire juif, « les pionniers
juifs se construisant une maison
dans le désert [19]
» à ses propres ancêtres colonisant
le Nouveau Monde — ce qui, au fond,
soulignait involontairement
l’équivalence entre le déni par
Israël de son nettoyage ethnique de
la Palestine, et le déni par les
États-uniens de leur propre histoire
génocidaire.
Tandis que Kennedy avait réduit
l’aide à Israël, Johnson la fit
passer de 40 millions à 71 millions,
puis à 130 millions l’année
suivante. Tandis que
l’administration Kennedy n’avait
autorisé que la vente de quelques
batteries de missiles défensifs à
Israël, sous Johnson plus de 70 % de
l’aide finança l’achat de matériel
militaire, dont 250 tanks et 48
avions offensifs Skyhawk.
L’aide militaire à Israël atteignit
92 millions en 1966, plus que le
total de toutes les années
précédentes cumulées. Inversement,
en les privant de l’aide US, Johnson
força l’Égypte et l’Algérie à se
tourner vers l’URSS pour maintenir
ses défenses à niveau. En juin 1967,
Johnson donna à Israël un « feu
orange » pour sa guerre prétendument
« préventive » contre l’Égypte, par
une lettre du 3 juin où il assurait
le premier ministre israélien Levi
Eshkol vouloir « protéger
l’intégrité territoriale d’Israël et
[…] fournir un soutien américain
aussi efficace que possible pour
préserver la paix et la liberté de
votre nation et de la région [20].
»
À la mort de Kennedy, le deuil
fut profond dans le monde arabe, où
son portrait ornait de nombreux
foyers. « Désormais, De Gaulle est
le seul chef d’État occidental sur
l’amitié de qui les Arabes peuvent
compter, » dira Abdul Gamal Nasser.
Tout en réduisant l’aide à Israël,
Kennedy avait fourni généreusement
du grain à l’Égypte dans le cadre du
programme Food for Peace. La
brève présidence de Kennedy n’aura
été, pour l’Égypte, qu’une
parenthèse enchantée, un rêve trop
vite brisé. Sous Eisenhower, en
1954, l’Égypte avait été la cible
d’actes terroristes sous fausse
bannière perpétrés par Israël, dans
le but de « briser la confiance de
l’Occident dans le régime égyptien
existant [et] d’empêcher l’aide
économique et militaire de
l’Occident vers l’Égypte [21],
» selon les mots même du chef du
Renseignement militaire (Aman)
Benjamin Givli, dans un télégramme
secret aujourd’hui déclassifié. La
détonation accidentelle d’un des
engins explosifs permit de démasquer
le complot, déclenchant le scandale
de « l’Affaire Lavon » (du nom du
ministre de la Défense Pinhas Lavon
tenu responsable), scandale vite
étouffé en Israël et aux États-Unis.
Le Premier ministre Moshe Sharett,
qui prônait un sionisme modéré
respectueux des règles
internationales, constata à cette
époque (mais en privé) la montée
irrésistible des extrémistes, parmi
lesquels il incluait le futur
président Shimon Peres, qui « veut
terroriser l’Occident pour l’amener
à souternir les buts d’Israël » et
qui « élève le terrorisme au niveau
d’un principe sacré [22].
»
La mort de Kennedy déshiniba à
nouveau ce terrorisme machiavélique
dont Israël s’est fait une
spécialité. Deux jours avant la fin
de la guerre des Six Jours, l’armée
israélienne lançait contre le navire
USS Liberty la plus fameuse
et la plus calamiteuse de ses
agressions sous fausse bannière. Par
la journée ensoleillée du 8 juin
1967, trois bombardiers Mirage
banalisés et trois bateaux
torpilleurs portant pavillon
israélien bombardèrent,
mitraillèrent et torpillèrent durant
75 minutes ce navire de la NSA (National
Security Agency) non armé,
stationné en eaux internationales et
facilement reconnaissable, avec
l’intention évidente de ne laisser
aucun survivant, mitraillant même
les canots de sauvetage. Ils ne
cessèrent qu’à l’approche d’un
navire soviétique, après avoir tué
34 membres de l’équipage, pour la
plupart ingénieurs, techniciens et
traducteurs. On suppose que, s’ils
avaient réussi à couler le navire
sans témoin, les Israéliens aurait
attribué leur crime à l’Égypte, de
sorte à entraîner les États-Unis
dans la guerre aux côtés d’Israël.
Selon Peter Hounam, auteur de
Operation Cyanide : Why the Bombing
of the USS Liberty Nearly Caused
World War III (2003), l’attaque
du Liberty avait été
secrètement autorisée par la
Maison-Blanche, dans le cadre du
projet Frontlet 615, « un
arrangement politique secret passé
en 1966 par lequel Israël et les USA
s’engageaient à détruire Nasser. »
Les ordres émis par la
Maison-Blanche ce jour-là, qui
retardèrent de plusieurs heures les
secours, suggèrent que Johnson n’a
pas seulement couvert les Israéliens
après-coup, mais a comploté avec
eux. Oliver Kirby, Deputy
Director for Operations à la NSA
à l’époque, a rapporté au
journaliste John Crewdson du
Chicago Tribune (2 octobre 2007)
que les transcripts des
communications des avions israéliens
interceptées par la NSA et transmis
à Washington immédiatement, ne
laissaient aucun doute sur
l’identité des attaquants, et sur le
fait que ces derniers avaient
identifié leur cible comme
états-unienne avant de l’attaquer :
« Je suis prêt à jurer sur une pile
de bibles que nous savions qu’ils
savaient [que le navire était
américain] [23].
» Démasqué, Israël invoqua une
erreur de cible et offrit ses
excuses, dont se contenta Lyndon
Johnson sous le prétexte que « Je ne
vais pas embrasser notre allié » [24]
Lorsqu’en janvier 1968, Johnson
reçut le premier ministre israélien
Levi Eshkol à Washington puis
l’invita dans son ranch du Texas,
les rapports furent chaleureux.
Israël en tirera une leçon
d’impunité dont l’influence sur son
comportement futur ne doit pas être
sousestimée : le prix à payer en cas
d’échec dans une opération sous faux
drapeau contre les États-Unis est
nul. En fait, l’échec est
impossible, puisque les États-uniens
se chargeront eux-mêmes de couvrir
le crime d’Israël. Mieux encore,
Johnson récompense Israël en levant
toute restriction sur le matériel
militaire : armes et avions US
affluent aussitôt vers Tel-Aviv,
faisant bientôt d’Israël le premier
client de l’industrie militaire
états-unienne.
[1]
The Senate Foreign
Relations Committee Investigates the
Israel Lobby.
[2]
«
In recent years
there has been an increasing number of
incidents involving attempts by foreign
governments, or their agents, to
influence the conduct of American
foreign policy by techniques outside
normal diplomatic channels. (...) there
have been occasions when representatives
of other governments have been privately
accused of engaging in covert activities
within the United States and elsewhere,
for the purpose of influencing United
States Policy (the Lavon Affair).
»
[3]
« Truman’s historic act of recognition
will remain forever inscribed in golden
letters in the 4000-year history of the
Jewish people. »
[4]
« That’s why our recognition of Israel
was rushed through so fast » (cité par
Gore Vidal, préface à Israel Shahak,
Jewish
History, Jewish Religion,
1994).
[5]
« We know your campaign is in trouble.
We’re willing to pay your bills if
you’ll let us have control of your
Middle East policy » ; « if he ever did
get to be President, he was going to do
something about it » (cité dans Seymour
Hersh, The
Samson option).
[6]
« Israel controls the U.S. Senate. […]
The great majority of the Senate of the
U.S. — somewhere around 80 percent — are
completely in support of Israel ;
anything Israel wants, Israel gets. »
[7]
« We, the Jewish people control America,
and the Americans know it, »
[8]
« in Judea and Samaria, the Jewish
people are not foreign occupiers » ; «
No distortion of history could deny the
4,000-year-old bond between the Jewish
people and the Jewish land » ; « Israel
will not return to the indefensible
boundaries of 1967 » ; « Jerusalem must
never again be divided. Jerusalem must
remain the united capital of Israel. »
[9]
« This Government’s commitment to and
support of Israel could be seriously
jeopardized » (cité dans Seymour Hersh,
The Samson
option).
[10]
« Today, every inhabitant of this planet
must contemplate the day when this
planet may no longer be habitable. Every
man, woman and child lives under a
nuclear sword of Damocles, hanging by
the slenderest of threads, capable of
being cut at any moment by accident or
miscalculation or by madness. The
weapons of war must be abolished before
they abolish us. […] It is therefore our
intention to challenge the Soviet Union,
not to an arms race, but to a peace race
— to advance together step by step,
stage by stage, until general and
complete disarmament has been achieved »
(cité dans James Douglass, JFK and the
Unspeakable).
[11]
« We could create good conditions for
peaceful coexistence on earth and this
would be highly appreciated by the
peoples of our countries as well as by
all other peoples » (cité dans James
Douglass,
JFK and the Unspeakable).
[12]
« Two years ago I told this body that
the United States had proposed and was
willing to sign, a limited test ban
treaty. Today that treaty has been
signed. It will not put an end to war.
It will not remove basic conflicts. It
will not secure freedom for all. But it
can be a lever, and Archimedes, in
explaining the principles of the lever,
was said to have declared to his friends
: ‘Give me a place where I can stand –
and I shall move the world.’ My fellow
inhabitants of this planet, let us take
our stand here in this Assembly of
nations. And let us see if we, in our
own time, can move the world to a just
and lasting peace » (cité dans James
Douglass,
JFK and the Unspeakable).
[13]
« Has injected a fresh spirit into the
international atmosphere » ; « Their
implementation would clear the road to
general and complete disarmament, and,
consequently, to the delivering of
peoples from the threat of war » (cité
dans James Douglass,
JFK and the
Unspeakable).
[14]
« I keep thinking of the children, not
my kids or yours, but the children all
over the world. » / « This treaty is for
all of us. It is particularly for our
children and our grandchildren, and they
have no lobby here in Washington » (cité
dans James Douglass,
JFK and the
Unspeakable).
[15]
« I am haunted by the feeling that by
1970, unless we are successful, there
may be ten nuclear powers instead of
four, and by 1975, fifteen or twenty »
(cité dans James Douglass,
JFK and the
Unspeakable).
[16]
« There should be no efforts by the
United States government to pressure
other nations […] to follow suit. The
government, in its public posture,
should reflect a tone of optimism that
other countries will sign or ratify,
while clearly disassociating itself from
any plan to bring pressure on these
countries to sign or ratify » (cite par
Seymour Hersh,
The Samson Option).
[17]
« If the President had his way, there
would be a nuclear war each week » (cite
dans Anthony Summers,
The Arrogance of
Power).
[18]
« There is no doubt that, with the
accession of Lyndon Johnson, we shall
have more opportunity to approach the
President directly if we should feel
that U.S. policy militates against our
vital interests. »
[19]
« The Jewish pioneers building a home in
the desert. »
[20]
« I want to protect the territorial
integrity of Israel […] and will provide
as effective American support as
possible to preserve the peace and
freedom of your nation and of the area.
»
[21]
« [Our goal] is to break the West’s
confidence in the existing [Egyptian]
regime. The actions should cause arrests,
demonstrations, and expressions of
revenge. The Israeli origin should be
totally covered while attention should
be shifted to any other possible factor.
The purpose is to prevent economic and
military aid from the West to Egypt »
(cite dans Livia Rokach,
Israel’s Sacred
Terrorism,
1980).
[22]
« He wants to frighten the West into
supporting Israel’s aims » ; « raises
terrorism to the level of a sacred
principle » (cité dans Livia Rokach,
Israel’s
Sacred Terrorism,
1980).
[23]
« I’m willing to swear on a stack of
Bibles that we knew they knew. »
[24]
« I will not embarrass our ally. »
Laurent Guyénot
Ingénieur (Ecole Nationale Supérieure de
Techniques Avancées, 1982) et médiéviste
(docteur en Études Médiévales à Paris
IV-Sorbonne, 2009). Il a publié
La mort féerique : Anthropologie
médiévale du merveilleux (XIIe-XVe
siècle) chez Gallimard et
La Lance qui saigne - Métatextes et
hypertextes du "Conte du Graal" de
Chrétien de Troyes chez
Champion. Il se consacre depuis trois
ans à l’histoire profonde des
États-Unis, où il a vécu cinq ans.
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