Syrie
Hillary Clinton à
la recherche d'hélicoptères
russes en Syrie
Konstantin Bogdanov
L'hélicoptère Mi-17 - © RIA Novosti.
Alexey Kudenko
Jeudi 14 juin
2012
La secrétaire d'Etat américaine
Hillary Clinton a trouvé une nouvelle
source de déstabilisation de la
situation au Proche-Orient.
Elle a évoqué l'épisode assez flou des
fournitures d'hélicoptères d'attaque
russes à la Syrie, ce qui n'a pas
manqué de susciter la perplexité de
certains observateurs. Le choix
précisément de ce moment opaque dans la
riche histoire de la coopération
militaire et technique entre la Russie
et la Syrie soulève bien des questions.
Le Pentagone
n'a pas couvert Clinton dans son jeu
"Nous sommes préoccupés par les
informations récentes concernant les
fournitures à la Syrie d'hélicoptères de
combat russes. Cela pourrait entraîner
une rapide escalade du conflit", a
déclaré Mme Clinton.
Toutefois, un peu plus tard, le
secrétaire américain à la Défense a
décidé d'atténuer les propos de Mme
Clinton. "Je n'ai pas eu connaissance
d'informations selon lesquelles la
Russie fournirait des hélicoptères
d'attaque à la Syrie. Tout ce que je
peux dire est que nous sommes en
consultations avec nos partenaires
russes et les appelons à soutenir la
pression économique internationale sur
la Syrie. On doit continuer d'exercer
cette pression. Mais je n'ai vu aucun
communiqué disant quels hélicoptères
exactement ont été fournis en Syrie", a
déclaré mardi lors d'un briefing le
porte-parole du Pentagone John Kirby.
Ce n'est pas la première fois que la
coopération militaire et technique russe
fait l'objet d'une attaque d'organismes
politiques de pays tiers (notamment de
ceux qui assument la responsabilité de
la sécurité internationale, tels que les
Etats-Unis).
En parallèle évolue le scandale
mettant en cause l'agence russe
d'exportation d'armements
Rosoboronexport concernant la fourniture
en Iran de technologies de missiles en
transgression des règles d'exportation.
Selon les experts, ce scandale n'est pas
du tout justifié et est très maladroit.
Essayons de comprendre si ces
hélicoptères existent, et si oui –
quelle est leur vocation.
Aucune raison
plus tangible?
La Syrie achète de l'armement russe
depuis quelques décennies, cela n'a rien
d'un scoop. A l'heure actuelle, le
carnet des commandes syriennes passées
auprès des entreprises militaires russes
dépasse 3,5 milliards de dollars. Et en
choisissant parmi les contrats plus ou
moins réalisables (courants ou
potentiels), les hélicoptères sont loin
d'être au premier plan (et on ignore
s'ils font même partie du tableau).
Damas s'approvisionne
traditionnellement en armements russes.
Même en prenant les contrats en vigueur
des dernières années, on trouve des
choses bien plus intéressantes qu'une
commande douteuse d'hélicoptères.
Par exemple, pour ses unités de
défense antiaérienne, la Syrie a
récemment commandé des systèmes de
moyenne portée (Bouk-M2E), ainsi que des
systèmes sol-air à courte portée Pantsir-S1.
Mais ce sont des systèmes purement
défensifs et ils sont donc
"intouchables" du point de vue du droit
international, bien qu'en 2011 la Russie
ait soutenu les sanctions du Conseil de
sécurité des Nations Unies contre
l'Iran, en gelant également par un
décret présidentiel les fournitures à
Téhéran de cinq groupes de systèmes
S-300 PMU-1 (qui formellement n'étaient
pas concernées par la résolution 1929).
Il existe également un contrat
portant sur 24 chasseurs MiG-29M/M2. Il
s'agit de la version terrestre des
chasseurs MiG revisités, présentés par
le constructeur russe comme un produit
de série depuis le début des années
2000. Le châssis de cette famille, qui
inclut également le chasseur MiG-35, est
conçu et finalisé à partir de la version
embarquée MiG-29K commandée par
l'aviation de la marine de l'Inde. Un
bon engin d'attaque, dont la fourniture
(réalisée ou prévue) est une cible bien
plus facile pour coller des étiquettes
que les hélicoptères hypothétiques.
Sans parler de la modernisation des
chars syriens T-72, mise en œuvre par
les spécialistes russes. Dans la guerre
civile en Syrie, le char T-72 est bien
plus largement utilisé que des
hélicoptères, et par conséquent il était
bien plus simple de trouver des causes
d'une "rapide escalade du conflit" dans
les contrats de modernisation d'environ
1.000 unités de blindés.
Il existe également un autre terrain
plus propice: la question de la
transmission à Damas des systèmes de
défense antinavires Bastion dotés de
missiles Yakhont. Selon les sources
ouvertes, ce projet se réalise très
activement depuis l'année dernière.
Cependant, les Yakhont supersoniques ne
sont pas très pratiques pour attaquer
les insurgés, et de ce fait les Bastion
préoccupent principalement Israël. Mais
le fait même de telles fournitures
aurait pu être également utilisé de
manière "créative", si on avait tant
voulu accuser la Russie de quoi que ce
soit.
Or, l'histoire des hélicoptères
d'attaque pose un problème. Ces derniers
temps la presse occidentale parle des
attaques d'hélicoptères contre des
troupes d'opposition – c'est
probablement la raison de l'accent porté
précisément sur ce thème. Toutefois, on
ne trouve aucune trace de ventes
récentes d'engins d'attaque à la Syrie.
Cette affaire est très douteuse.
Les experts en exportations
d'armements sont, pour une fois,
unanimes: même en supposant qu'il soit
question de fournitures réelles (au
moins d'un déplacement physique
d'appareils de la Russie vers la Syrie),
dans le meilleur des cas il s'agit du
retour à Damas de ses propres
hélicoptères Mi-25 après réparation
et/ou modernisation en Russie.
Que peut-on dire d'autres d'un sujet
tel que les fournitures d'hélicoptères
d'attaque au Proche- et Moyen-Orient?
Par exemple, l'Arabie saoudite reçoit
les hélicoptères d'attaque AH-64 Apache
des Etats-Unis, or l'armée saoudienne
s'est récemment distinguée pendant la
répression par la force des émeutes
chiites à Bahreïn. On parle bien de
l'Arabie saoudite, où on ne prend pas de
gants avec sa propre opposition ou ses
rebelles (ou serait-ce des "extrémistes
religieux et des terroristes"?).
Une astuce
traditionnelle
En quoi la Syrie a-t-elle tant
d'importance pour la Russie, pour qu'on
lance encore et encore de nouveaux
cycles d'intrigues internationales en
termes de commerce d'armements? Après
tout, c'est loin d'être le premier cas
d'attaque contre la coopération
militaire et technique entre la Russie
et la Syrie: au milieu des années 2000
Moscou a été forcé de faire
marche-arrière sous la pression de
Washington et de Tel-Aviv en renonçant à
vendre à Damas des systèmes tactiques de
missile Iskander.
La Syrie achète des armes russes en
quantité assez importante, et, ce qui
est le plus important, jusqu'à récemment
elle était prête à l'acheter pour de
l'argent comptant. Ces derniers temps,
la situation financière de Damas s'est
dégradée, néanmoins le gouvernement de
Bachar al Assad demeure un acheteur
d'armements russes.
De plus, on ne peut pas ignorer les
notions purement géopolitiques. Damas
était et demeure pratiquement le seul
partenaire plus ou moins fiable de
Moscou au Proche-Orient. Avec l'Algérie
(d'ailleurs, le plus grand partenaire
militaire de la Russie), la Syrie est
presque le dernier régime "militaire"
(ou "nationaliste", comme on l'appelle
par opposition à "islamiste") du Maghreb
et du Moyen-Orient, sans compter les
monarchies arabes "avancées", telles que
la Jordanie et le Koweït.
Dans le contexte de troubles du
printemps arabe, dont les bénéficiaires
finaux deviennent précisément les
milieux islamistes du Moyen-Orient,
Damas, avec toutes ses particularités
intérieures, se distinguait par la
cohérence de sa politique, aussi bien à
l'époque d'Assad Père, qu'à celle du
fils actuellement au pouvoir. Moscou ne
peut pas se permettre de perdre un
partenaire aussi important en annonçant
une stratégie régionale active.
Et la psychologie est la cerise sur
le gâteau syrien. Le gouvernement russe
est clairement déçu par les résultats de
la guerre coloniale en Libye en 2011,
dans laquelle Moscou a adopté une
position relativement ambivalente, ce
qui a été interprété par certains
milieux en Russie comme l'abandon du
régime de Mouammar Kadhafi.
Evidemment, cet abandon était un
mythe, car on ne peut abandonner qu'une
chose qu'on possède réellement, or,
contrairement à Damas et même à Alger
capricieux, le Tripoli de l'époque du
colonel ne se distinguait ni par un
excès de solvabilité (plus précisément
de volonté de mettre la main à la
poche), ni une politique prorusse
particulière.
Par conséquent, en Syrie Moscou a
clairement l'intention d'éviter le
scénario libyen en adoptant cette fois
une position intransigeante. On ignore
pour l'instant quel en sera le résultat
(autrement dit, sera-t-il possible de
protéger le régime d'Assad contre une
invasion étrangère), mais il faut bien
noter une chose.
Une telle obstination de la
diplomatie russe sera un tir à blanc si
au final elle ne se transforme pas en
une politique moyen-orientale
véritablement proactive, dont le besoin,
dans le contexte du printemps arabe et
des nuages qui s'assombrissent autour de
l'Iran, ne peut pas être surestimé.
Et la politique proactive s'appuyant
sur les gouvernements amicaux, implique
forcément une coopération militaire et
technique: c'est ainsi que le cercle se
referme. Ainsi, les hélicoptères
d'attaque russes peuvent encore arriver
en Syrie. Mais plus tard.
© 2012
RIA Novosti
Publié le 14 juin 2012
Le
dossier Syrie
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