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Entretien
« Il y a un vrai ménage à faire
dans le Fatah »
Julien Salingue
Flayer de la Shabiba aux élections
de l'Université de Bethléem
Ala Saadi, 27 ans, est le Vice-Président de l’organisation
de jeunesse du Fatah, Shabiba, en Cisjordanie. Il est également
l’un des secrétaires du Fatah pour la ville de Jénine. Dans cet
entretien il revient sur les élections étudiantes en Cisjordanie
et sur la campagne de la Shabiba. Il expose ensuite sa vision
des choses quant aux nécessaires changements, tant stratégiques
qu’organisationnels, qui devraient s’opérer au sein du Fatah.
Quel bilan tires-tu des résultats des élections étudiantes
dans les Universités de Cisjordanie ?
Pour Shabiba c’est une victoire importante. Pour la première
fois depuis bien longtemps nos listes sont arrivées en tête dans
l’ensemble des Universités 1. Cela montre que nous
avons su faire une bonne campagne et que les étudiants nous ont
fait confiance.
Justement j’ai eu l’occasion de me rendre dans plusieurs
Universités à l’occasion des élections. J’ai trouvé que le
matériel de campagne et les mots d’ordre de Shabiba étaient
particulièrement radicaux et offensifs vis-à-vis d’Israël. Ce
qui m’a en partie surpris étant donné qu’Abu Mazen conduit
actuellement des négociations avec le gouvernement israélien…
Je vois de quoi tu parles. Je sais que tu étais notamment à
Béthléem 2 et à Hébron au moment des élections. A
Béthléem nous avons choisi trois figures du Fatah pour illustrer
notre campagne : Abu Jihad 3, Marwan Barghouthi
4 et Abu Ammar [Yasser Arafat].
Nous avons choisi Abu Jihad car c’est une figure très populaire
de l’histoire de la lutte du peuple palestinien et que les
élections se déroulaient au moment de l’anniversaire de son
assassinat par Israël. C’était donc un moyen non seulement de
rappeler ce qu’est le Fatah mais aussi de se souvenir d’un de
ses grands dirigeants.
C’est pour le même genre de raison que nous avons décidé de
mettre en avant Marwan Barghouthi. Lui aussi est une figure de
notre lutte et il a été arrêté à peu près 6 ans jour pour jour
avant les élections à Béthléem. C’est aujourd’hui le leader
palestinien le plus populaire, notamment chez les jeunes.
Quant à Abu Ammar… Pas besoin de t’expliquer que c’est la figure
du combat pour l’indépendance, que les Palestiniens n’oublieront
jamais.
A Hébron nous avons choisi de mettre, sur nos affiches et nos
tracts, uniquement des drapeaux palestiniens et des images de
l’Intifada, qui symbolisent aussi, mais d’une autre façon, notre
combat.
Peut-être aussi que les « grandes figures » du Fatah ne sont
pas aussi populaires dans une ville ou le Hamas a remporté 9
sièges sur 9 lors des élections législatives de 2006…
Ecoute : une des forces de notre campagne est justement d’avoir
su nous adapter aux réalités locales et de changer notre image
et notre discours selon le moment où se déroulaient les
élections et le lieu où elles se tenaient. A l’Université d’Abu
Dis nous avons mis en avant la figure de Fayçal al-Husseini
5. Il a été un des leaders de l’OLP à Jérusalem, or
l’Université d’Abu Dis est proche de cette ville et de nombreux
étudiants y résident. Donc c’est une figure très populaire chez
eux.
C’est justement parce que nous avons su avoir une bonne image,
un bon discours, et que nous nous sommes adaptés selon les
Universités, que les gens nous ont entendu et que nous avons pu
emporter les élections en battant le Hamas.
Le Hamas ne s’est pas présenté partout : à Béthléem, Abu Dis
et Jénine ils n’ont pas déposé de listes car ils craignaient des
pressions sur leurs candidats, voire des arrestations.
Oui, je sais qu’ils racontent ça. Mais ce sont des mensonges.
Nous leur avons dit et répété qu’ils n’auraient aucun problème
et qu’ils pourraient faire leur campagne sans souci.
La vraie raison est autre. Le Hamas a une stratégie politique,
un projet, une vision. Ils sont même, de ce point de vue, mieux
organisés que le Fatah. Ils veulent être l’organisation
majoritaire chez les Palestiniens. Et pour eux il n’est pas
question de perdre des élections universitaires en Cisjordanie
et d’avoir l’air d’être plus faible que le Fatah. En disant
qu’ils craignent d’être arrêtés, ils espèrent au contraire
attirer la sympathie des gens.
Les Universités où ils ne se sont pas présentés sont les
Universités dans lesquelles ils savaient qu’ils allaient perdre.
Ils ont organisé des enquêtes d’opinion et se sont présentés
dans les Universités d’Hébron et de Bir Zeit, où ils étaient
majoritaires dans les sondages. Mais même là ils n’ont pas
gagné. Et ils ont été très surpris. S’ils avaient vraiment
craint d’être arrêtés, pourquoi se seraient-ils présentés dans
ces Universités ? C’est de la propagande, rien de plus.
Je comprends bien ce que tu veux dire mais tout de même, des
arrestations ont eu lieu : en avril près d’une centaine de
militants du Hamas ont été arrêtés en Cisjordanie, dont
plusieurs dizaines de jeunes et d’étudiants… Et le lendemain des
élections de Bir Zeit, c’est Murad As-Sanuri, la tête de liste
du Hamas, qui a été interpellé à la sortie de l’Université…
Je suis au courant de certaines de ces arrestations mais je ne
pense pas qu’elles étaient liées aux élections étudiantes. Et
puis il ne faudrait pas oublier qu’à Gaza le Hamas a une
attitude totalement anti-démocratique vis-à-vis du Fatah…
Revenons à votre campagne : Abu Jihad, Marwan Barghouthi, des
images de l’Intifada… Tout cela suggère que l’orientation de la
Shabiba est très combative. Ce sont des symboles forts : la
lutte, voire même la lutte armée. Pourtant cela ne semble pas
être aujourd’hui la ligne politique de la direction du Fatah et
du Président Abu Mazen (qui ne figurait sur aucune de vos
affiches), qui prônent seulement la négociation…
Tu dois savoir qu’il n’y a pas eu d’élections dans le Fatah
depuis plus de 20 ans. Les leaders n’ont en réalité pas changé
depuis plus de 40 ans. C’est un vrai problème. Aujourd’hui il y
a plein de jeunes cadres, une nouvelle génération de leaders, à
qui on n’a jamais donné sa chance. Ce sont des gens qui sont
actifs, qui réfléchissent, et qui proposent des stratégies
permettant de combiner le combat politique, la lutte armée et
les négociations.
Il faudrait que les choses changent et que cette nouvelle
génération puisse réellement prendre part aux décisions dans le
Fatah, en étant notamment intégrés à ses instances dirigeantes.
Tu as fait remarquer qu’Abu Mazen ne figurait pas sur nos
affiches. C’est tout simplement parce qu’il n’est pas aussi
populaire que ceux que nous avons choisis. Abu Mazen n’a par
exemple rien à voir avec Abu Ammar. Quand on allait lui demander
de l’aide ou un service, Abu Ammar était toujours disponible, à
l’écoute, et il aidait les gens. Abu Mazen est quelqu’un que
l’on ne peut pas rencontrer, il met des semaines à envoyer des
réponses, écrites, et en général négatives.
Marwan Barghouthi est un leader qui s’adresse aux gens, qui
regarde vers le « bas ». Abu Mazen ne regarde que vers le « haut
». Il fait de la politique et du business. Il travaille
seulement avec et pour le groupe qui l’entoure, qui représente
les riches Palestiniens, la bourgeoisie. Pas pour le peuple.
Tu fais donc partie de ces gens du Fatah qui sont très
critiques vis-à-vis de la direction de l’Autorité Palestinienne…
Attention je t’arrête… Je ne suis pas comme ces vieux dirigeants
du Fatah qui dénoncent l’Autorité Palestinienne pour prendre
leur place et faire la même chose. Crois-moi il y en a beaucoup.
Il y a un vrai ménage à faire dans le Fatah, et c’est à la jeune
génération de s’en charger et de prendre des responsabilités. Je
vais te donner un exemple : il y a deux ans la campagne de la
Shabiba pour les élections universitaires à Abu Dis avait coûté
500 000 shekels [90 000 euros]. Nous soupçonnions un responsable
du Fatah, influent dans la Shabiba à Abu Dis et donc en charge
du suivi de la trésorerie de la campagne, d’avoir détourné de
l’argent. Cette année je me suis moi-même rendu à Abu Dis pour
m’occuper des dépenses : la campagne nous a coûté 160 000
shekels, soit trois fois moins ! Et nous avons fait plus de
voix…
Comme quoi c’est possible, si les jeunes prennent des
responsabilités, d’en finir avec un certain nombre de pratiques
qui ont fait beaucoup de tort au Fatah et à l’Autorité
Palestinienne et qui ont été exploitées par le Hamas.
Outre ce renouvellement dont tu parles, quels autres
changements souhaiterais-tu voir survenir dans le Fatah ?
Il faut que nous redevenions une vraie organisation politique.
La défaite aux élections législatives a eu au moins un effet
positif : le Fatah a découvert qu’il ne pouvait se confondre
avec l’Autorité Palestinienne.
L’Autorité Palestinienne, c’est le Gouvernement, la Présidence…
C’est donc quelque chose qui doit représenter tous les
Palestiniens. Le Fatah est un parti politique, qui doit se
distinguer de l’Autorité. Nous devons avoir notre propre
direction, notre propre programme, notre propre stratégie,
distincte et surtout indépendante de l’Autorité Palestinienne.
Je risque de me répéter mais de tels changements ne seront
possibles que si les nouvelles générations sont associées à la
direction. Ce sera d’ailleurs l’un des enjeux et l’un des débats
principaux lors de notre Congrès qui va enfin avoir lieu, dans
quelques mois, à la fin de l’été ou à l’automne.
Une dernière question : depuis sa prison Marwan Barghouthi a,
il y a quelques semaines, appelé à arrêter les négociations car
elles ne menaient nulle part. Est-ce une nouvelle orientation
politique ou une opération concertée avec Abu Mazen ?
Plutôt ta deuxième proposition… Enfin disons qu’il s’agit de
réagir à ce qui s’est passé lors de la visite d’Abu Mazen aux
Etats-Unis en avril. Il avait demandé au Président Bush de faire
pression sur Olmert lors de sa visite en Israël pour les
commémorations de l’Indépendance. Abu Mazen voulait que Bush
mentionne le problème des colonies et parle de l’Etat
palestinien dans son discours à la Knesset. Bush a refusé.
Marwan [Barghouthi] a alors réagi en disant que dans
ces conditions cela ne servait à rien de négocier. Mais il ne
s’agit pas de dire que les négociations sont abandonnées. Il
s’agit plutôt d’essayer de « faire pression », avec nos moyens
car nous sommes très isolés, et de dire que nous ne sommes pas
prêts à accepter n’importe quoi.
Nous verrons comme les choses évoluent et si cette « menace »
fonctionne. Si ce n’est pas le cas il sera peut-être alors temps
d’aller au-delà des mots.
Notes
1. Au moment de l'entretien :
Béthléem, Abu Dis, Bir Zeit, Jénine, Hébron. A noter que par la
suite, à Bir Zeit, le Fatah, arrivé en tête des élections (25
sièges) a été mis en minorité au Conseil par un bloc constitué
du Hamas (19 sièges), du FPLP (5 sièges), du Jihad Islamique (1
siège) et du PPP (1 siège).
2. Voir mon article sur les élections de Béthléem sur
http://juliensalingue.over-blog.com/article-18842294.html
3. Abu Jihad, de son vrai nom Khalil al-Wazir, membre fondateur
du Fatah, ancien n°2 de l'OLP, responsable de son aile
militaire, assassiné par Israël le 16 avril 1988.
4. Marwan Barghouthi, un des fondateurs de la Shabiba, dirigeant
du Fatah en Cisjordanie, inspirateur des Brigades des Martyrs
al-Aqsa, arrêté par Israël en avril 2002 et condamné à la prison
à vie.
5. Fayçal al-Husseini, membre de l’OLP, important acteur de la
Première Intifada, membre du Commandement National Unifié du
soulèvement, nommé au Haut Commandement du Fatah en 1994,
représentant de l’OLP à Jérusalem (à la Maison de l’Orient) à
partir de 1996, décèdé en mai 2001.
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