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Blog Julien Salingue
La situation en
Palestine :
exposé réalisé lors de l'Université d'été de la LCR-NPA
Julien Salingue
Vendredi 3 octobre 2008
Cet exposé a pour objet d’essayer de saisir les dynamiques
actuelles dans les territoires palestiniens, du point de vue du
projet sioniste mais aussi et surtout de celui de la société et
des forces politiques palestiniennes, et donc de comprendre ce
qui se passe en Palestine pour mieux pouvoir agir. 2008 marque
le soixantième anniversaire de la création de l’Etat d’Israël.
Je reviendrai donc dans un premier temps sur les événements de
1948, révélateurs de la vraie nature et du sens du projet
sioniste, et fondateurs de la lutte du peuple palestinien. Il
sera impossible ici de couvrir les 60 années qui se sont
écoulées depuis. J’ai donc choisi de m’attarder, dans un second
temps, sur un moment révélateur, la victoire électorale du Hamas
en janvier 2006, son sens et ses conséquences. Enfin, je
tenterai de donner des éléments de réflexion quant à la
situation de la « résistance palestinienne », tant du point de
vue des conditions concrètes dans lesquelles les Palestiniens
tentent de résister que des initiatives actuellement prises dans
les territoires occupés.
I) Le vrai visage du projet sioniste et les fondements de la
question palestinienne : 1948
1) Un projet colonial et raciste
Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l’indépendance de
l’Etat d’Israël, quasi-immédiatement reconnu par les puissances
impérialistes. La « Communauté internationale » confère ainsi,
de manière décisive, une légitimité à un projet colonial et
raciste, le projet sioniste d’établissement d’un Etat juif en
terre de Palestine, auparavant sous mandat britannique.
Un projet colonial car il repose sur l’implantation d’une
population très majoritairement européenne sur une terre arabe.
En 1948, les Arabes palestiniens représentent plus des 2/3 de la
population de la Palestine mandataire.
Un projet raciste car il opère une stricte distinction entre
Juifs et non-Juifs, la judéité étant le critère déterminant de
la citoyenneté et de la pleine jouissance des droits politiques,
économiques et sociaux dans l’Etat d’Israël.
2) Nettoyage ethnique
Il existe une contradiction essentielle dans le projet sioniste
: la Palestine est une terre majoritairement peuplée d’Arabes
non-juifs et l’Etat d’Israël devra, pour bénéficier du soutien
international, préserver les apparences d’une démocratie. La
seule solution, pour les dirigeants sionistes, qui souhaitent
intégrer à l’Etat juif le plus de territoire possible, est donc
de chasser les Palestiniens de leur terre. Ils pourront ainsi
affirmer qu’Israël est un « Etat juif et démocratique », malgré
l’apparente contradiction dans les termes.
Entre 1947 et 1949, plus de 800 000 Palestiniens, soit 80% de
ceux qui résidaient à l’intérieur du territoire sur lequel
Israël proclame son indépendance, sont expulsés et deviennent
des réfugiés. Ce ne sont pas des victimes « collatérales » de la
guerre de 1948, mais les victimes d’un plan d’expulsion
minutieusement établi, le Plan Daleth, dont l’objectif était
simple : le plus de terre et le moins d’Arabes possible sous
juridiction israélienne.
L’Etat juif était né, non pas d’un miracle, comme l’a encore
récemment déclaré le Premier Ministre britannique Gordon Brown,
mais du nettoyage ethnique, au terme duquel moins d’1/3 de la
population s’attribue 78% de la superficie de la Palestine du
Mandat. Pour les Palestiniens, c’est la Nakba, la Catastrophe,
moment fondateur de leur lutte d’émancipation nationale. Le
peuple palestinien est aujourd’hui encore très largement un
peuple de réfugiés : selon les dernières statistiques, 7
millions sur une population totale de 10 millions, soit 70%
d’entre eux.
3) Israël, au service des puissances impériales
Israël se construit une double légitimité, idéologique et
politique, qui va progressivement conduire l’ensemble des
grandes puissances à soutenir de façon quasi-inconditionnelle la
politique expansionniste et guerrière de l’Etat juif.
- Une légitimité idéologique : les dirigeants sionistes, non
contents de voler la terre, vont également voler la mémoire. La
mémoire du génocide juif et des 6 millions de morts, en
installant progressivement l’idée que la constitution de l’Etat
d’Israël et l’ensemble de ses décisions politiques ne sont que
la conséquence logique et la seule réponse possible aux horreurs
perpétrées par les Nazis. Il s’agit de jouer sur la culpabilité
européenne tout en ne froissant pas les gouvernements et les
populations, la faute commise étant payée par les Palestiniens,
pourtant totalement étrangers aux événements tragiques de la
deuxième Guerre Mondiale. L’escroquerie intellectuelle est la
suivante : l’existence passée des camps de concentration
justifie l’existence éternelle des camps de réfugiés.
- Une légitimité politique : dès ses origines le projet sioniste
s’est affirmé comme un auxiliaire des puissances impériales. Le
père fondateur du sionisme, Theodor Herzl, écrivait dès la fin
du 19ème siècle que « l’Etat juif sera[it] un rempart de la
civilisation contre la barbarie »… Il n’est guère étonnant dès
lors que, dans le contexte post-deuxième Guerre Mondiale, qui
est notamment celui du développement des luttes d’émancipation
nationale contre les puissances coloniales, ces dernières aient
vu d’un œil bienveillant l’implantation d’un Etat ami dans une
région aux enjeux économiques et géostratégiques majeurs.
C’est ainsi qu’en 1956, lorsque le dirigeant égyptien Nasser
nationalise le Canal de Suez, Israël est partie prenante de
l’opération franco-britannique visant à reprendre le contrôle du
Canal. Israël s’adapte progressivement aux changements qui
s’opèrent dans les rapports de force entre puissances impériales
et fait preuve de son allégeance à l’impérialisme qui devient
dominant, l’impérialisme états-unien : en juin 1967, l’armée
israélienne écrase, lors de la Guerre des 6 jours, les armées
arabes et notamment celles de deux adversaires déclarés des
Etats-Unis, l’Egypte et la Syrie. Israël porte un coup fatal au
nationalisme arabe, qui ne se relèvera jamais de cette défaite,
montre son rôle de précieux auxiliaire régional, s’assurant
ainsi du soutien quasi-indéfectible des Etats-Unis, tout en
conquérant, entre autres, la Cisjordanie et la Bande de Gaza,
achevant de la sorte la conquête de l’ensemble de la Palestine
⇒ Trois points essentiels sont à retenir :
- Le caractère colonial et raciste de l’Etat d’Israël n’est
pas accidentel mais structurel : établir un Etat juif sur une
terre majoritairement peuplée d’Arabes non-juifs signifie
guerres, expulsions, colonisation et répression de tout
mouvement d’émancipation nationale.
- Le fondement de la lutte de libération nationale
palestinienne est l’expulsion de 1947-49 : les Palestiniens sont
très majoritairement des réfugiés aspirant à revenir sur leurs
terres et aucune « solution » à la question palestinienne ne
pourra faire l’impasse sur la revendication du droit au retour.
Au contraire, cette revendication est la substance même de la
cause palestinienne.
- Le rôle d’Israël dans le système impérialiste est un rôle
fonctionnel : l’Etat juif a, sans discontinuer depuis 60 ans,
joué le rôle de sous-traitant des puissances impériales,
principalement des Etats-Unis, au Moyen-Orient. Aujourd’hui sa
tâche est de neutraliser les deux facteurs qui déstabilisent le
plus la région : le peuple palestinien et la résistance
libanaise, notamment le Hezbollah. Et demain, l’Iran ?
II) La victoire du Hamas lors des élections de janvier 2006
et ses suites : révélateur et accélérateur des dynamiques et des
contradictions dans les territoires palestiniens
1) Que signifie, en janvier 2006, la victoire du Hamas aux
élections législatives ?
- La défaite logique de la direction sortante de l’Autorité
Palestinienne (AP) : le groupe dirigeant de l’AP se compose
quasi-exclusivement de cadres de l’Organisation de Libération de
la Palestine (OLP) exilés à Tunis, qui sont revenus dans les
territoires palestiniens en 1994, suite à la signature des
Accords d’Oslo. Ils ont une base sociale très limitée et n’ont
été acceptés par la population que dans la mesure où ils
promettaient la fin de l’occupation et la satisfaction des
droits nationaux du peuple palestinien. Mais c’est le contraire
qui se passe au cours de la deuxième moitié des années 90 et au
début des années 2000 : impasse politique, extension de la
colonisation, poursuite de la répression…
Ils multiplient en outre multiplient les pratiques autoritaires,
s’enrichissent grâce à la corruption et au détournement des
aides, développent de véritables réseaux mafieux… et collaborent
avec Israël : arrestation de centaines de résistants, dont une
partie sont remis aux autorités israéliennes, mais aussi
contrats économiques pour le moins « douteux ». C’est ainsi que
Jamil Tarifi, plusieurs fois ministre, empoche de juteux
bénéfices en construisant les routes reliant les colonies ou
qu’Ahmed Qoreï, à une époque Premier Ministre et aujourd’hui
encore principal négociateur palestinien, fournit du ciment pour
la construction de certaines colonies et même, selon une
commission parlementaire palestinienne, pour le Mur.
- La victoire logique du Hamas : ce courant s’est développé et
est apparu comme « l’autre voie », en alliant soutien matériel à
la population (hôpitaux, écoles, aides financières directes…),
critique virulente du Processus d’Oslo et poursuite de la
résistance contre Israël. Les organisations de gauche (Front
Populaire de Libération de la Palestine, Front Démocratique de
Libération de la Palestine, Parti du Peuple Palestinien),
considérablement affaiblies par la chute de l’URSS et suivistes,
pour ne pas dire opportunistes, vis-à-vis de l’AP et d’Oslo, ne
sont pas apparues comme une alternative crédible.
- Le sens du vote de 2006 est clair : il s’est agi d’exprimer un
refus de la capitulation et de la collaboration, un refus de se
soumettre aux « solutions » parrainées par les impérialistes et
une volonté de poursuivre la lutte, par tous les moyens
nécessaires, contre l’occupation et pour la satisfaction de
l’ensemble des droits du peuple palestinien.
Ce vote est un vote politique et non un vote « religieux ». Le
Hamas a été majoritaire dans des zones à forte majorité
chrétienne, comme à Béthléem, dans lesquelles on ne peut guère
soupçonner la population de souhaiter l’établissement d’un «
Etat islamique » ou, pour reprendre une expression en vogue en
Israël et dans certaines capitales occidentales, un « Hamastan
». C’est précisément parce que ce vote était un vote politique,
une véritable Intifada électorale, que les puissances
impérialistes et Israël ont décidé, dès les résultats proclamés,
d’en faire payer le prix à la population.
2) Du boycott au putsch
Dès les premières semaines qui suivent le vote, un boycott
économique, politique et diplomatique se met en place, qui va
considérablement renforcer l’isolement international des
Palestiniens et aggraver leurs conditions de vie. Ce boycott est
organisé conjointement par l’Union européenne, les Etats-Unis,
Israël et la plupart des régimes arabes, et sera doublé à l’été
2006 d’une offensive israélienne contre la Bande de Gaza,
place-forte du Hamas. Il s’agit d’isoler ce dernier et de le
désigner comme responsable de la dégradation de la situation,
afin d’encourager la population à se soulever contre lui. Mais
la manœuvre échoue puisque la popularité du Hamas, loin de
diminuer, a tendance à s’accroître.
Israël et ses alliés passent donc au « Plan B » : renverser
militairement le Hamas en s’appuyant sur une fraction de la
direction sortante de l’AP, prête à tout pour revenir aux
affaires. Un plan est élaboré à Washington, par le Département
d’Etat, la CIA, les services israéliens et la fraction
pustchiste de l’AP, dirigé par le député Fatah Mohammad Dahlan,
qui bénéficie du soutien implicite du Président Abbas. Il
s’agit, en armant et en formant plusieurs centaines d’hommes de
Dahlan en Egypte et en Jordanie, en les introduisant
progressivement dans la Bande de Gaza et en armant les milices
de Dahlan déjà implantées sur place, de renverser militairement
le Hamas et de rendre le pouvoir aux « amis » des Etats-Unis et
d’Israël. En juin 2007, le Hamas, qui a pressenti la menace,
décide de prendre les devants et inflige en à peine 48 heures
une défaite aux putschistes qui sont contraints de fuir la Bande
de Gaza.
C’est à la lumière de cette tentative de putsch avortée et de
ses conséquences immédiates que l’on peut comprendre la
situation chaotique que connaissent aujourd’hui les territoires
palestiniens.
3) Toujours pas d’Etat mais deux gouvernements
- Débarrassé des milices de Dahlan, le Hamas assure son emprise
sur l’ensemble de la Bande de Gaza. Ce contrôle exclusif du
territoire va s’accompagner de mesures répressives
(arrestations, interdiction de journaux, fermeture de stations
de radio…) à l’égard des autres forces politiques et d’un refus
de partager le pouvoir, y compris avec les organisations
déterminées à poursuivre la résistance. En Cisjordanie le Hamas
renonce à se battre pour quelques zones autonomes en réalité
sous contrôle israélien, se met en retrait et doit, qui plus
est, faire face à la répression conjointe d’Israël et de l’AP.
Au début de l’été 2008, les termes de la trêve signée avec
Israël semblent indiquer que le Hamas a fait de ce qui pouvait
apparaître comme une réponse excessive à la tentative de putsch
une véritable orientation : la trêve, et c’est une première, ne
concerne que la Bande de Gaza et elle a été négociée par les
seuls représentants du Hamas. Décidées à faire respecter le
cessez-le-feu, les forces de sécurité du Hamas ont arrêté
plusieurs combattants du Jihad ou du FPLP qui, considérant
qu’Israël ne tenait pas compte de la trêve, avaient repris les
tirs de roquettes.
- Après le putsch avorté de Gaza, le Président Abbas (Abu Mazen)
décrète l’état d’urgence et nomme un Cabinet dirigé par Salam
Fayyad. Ancien Ministre des Finances, Fayyad a fait une carrière
de haut fonctionnaire à la Banque Mondiale et au FMI et
bénéficie de la confiance des Etats-Unis et de l’Union
européenne. Il avait présenté une liste lors des législatives et
obtenu moins de 2% des sièges. Mais l’essentiel n’est pas là :
avec le gouvernement Fayyad, les aides économiques reprennent
et, à la fin de l’année 2007, ce sont 7 milliards de dollars qui
sont promis à l’AP lors d’une conférence à Paris.
Mais ce retour des aides n’est pas sans contrepartie. Les
donateurs exigent qu’Abu Mazen et Fayyad participent à la mise
en place ce que l’on peut appeler un Plan « silence contre
nourriture » : le retour des aides internationales est
conditionné au désarmement de la résistance en Cisjordanie et à
l’adoption d’un certain nombre de mesures permettant
l’adaptation définitive de l’économie palestinienne aux
principes du capitalisme néo-libéral et la normalisation totale
des relations économiques avec Israël.
Les forces de sécurité sont réformées, les cadres ayant un passé
militant sont mis à l’écart ou à la retraite et remplacé par des
« professionnels » du maintien de l’ordre, souvent formés par
les Etats-Unis, l’Egypte ou la Jordanie, tout comme les milliers
de nouvelles recrues chargées de rétablir l’ordre dans les Zones
autonomes palestiniennes de Cisjordanie. Des centaines
d’arrestations ont lieu, entre autres au cours d’opérations de «
restauration de l’ordre » dans des villes comme Jénine ou
Naplouse. Le chaos régnait dans ces villes et la population
devait faire face à la loi des gangs et des mafias, mais l’AP en
a profité pour traquer et arrêter les derniers combattants armés
du Jihad, du Hamas ou même du Fatah. La totalité d’entre eux
sont aujourd’hui désarmés et/ou en prison.
Sur le plan économique, c’est un véritable Plan d’Ajustement
Structurel qui est mis en place : réduction de la dépense
publique, privatisations, gel des salaires des fonctionnaires,
coupes franches dans les budgets sociaux (pour la période
2008-2010, les budgets « Santé » et « Education » additionnés
équivalent au budget « Sécurité »)… Fayyad multiplie en outre
les projets économiques conjoints avec Israël (Zones
industrielles, projets touristiques…) et accélère la
normalisation des relations économiques avec l’occupant, la fin
de l’occupation n’étant pas posée comme préalable à la mise en
place de ces projets. Cette normalisation des relations est sans
aucun doute le prélude à la normalisation des relations
économiques d’Israël avec le reste des pays arabes.
⇒ La situation dans les territoires palestiniens est donc
doublement contradictoire :
- Il existe tout d’abord une contradiction majeure entre les
aspirations de la population, telles qu’elles se sont exprimées
lors des élections de 2006 et telles que chacun peut les
entendre dans la rue palestinienne, et la direction de l’AP,
reconnue comme « seule légitime » par les pays occidentaux et
par Israël. Tandis que la conquête sioniste se poursuit, avec le
siège de Gaza, l’enfermement quasi-achevé des Palestiniens dans
des cantons entourés de murs et l’annexion, de fait, de plus de
50% de la Cisjordanie à Israël, Abu Mazen et Fayyad plient
doucement l’échine et obéissent quasiment sans protester à
Israël et à ses alliés.
- Il existe également une contradiction entre le « mandat »
du Hamas et son orientation effective. Tout indique qu’une
fraction significative de la direction du Hamas, socialement
identifiable comme membre de la petite bourgeoisie commerçante
et intellectuelle, est disposée à trouver sa place au sein des
projets états-Uniens pour le Moyen-Orient. Ils tentent en effet
de faire preuve de leur bonne volonté, notamment avec la
signature et le respect de la trêve, qui n’est pourtant pas
respectée par Israël, et de démontrer leur capacité à faire ce
que l’AP n’avait pas réussi à faire par le passé : neutraliser
la résistance et contrôler les zones incontrôlables pour Israël,
comme la Bande de Gaza. Le mouvement Hamas est en pleine
évolution, des fissures sont de plus en plus visibles en son
sein et si la direction prise est maintenue, nul doute qu’il
devra faire face à la colère de la population et d’une partie de
sa base. Pour la première fois des dirigeants du Hamas ont
critiqué, cet été, la politique du mouvement à Gaza.
III) Dans ces conditions, quelle résistance palestinienne ?
1) Les effets de l’occupation israélienne
- L’isolement de la Bande de Gaza et la fragmentation de la
Cisjordanie en plusieurs dizaines d’entités territoriales
séparées les unes des autres par des points de contrôle
israéliens réduisent considérablement toute activité économique,
sociale et politique. Cela confronte tous ceux et toutes celles
qui souhaitent, d’une façon ou d’une autre, poursuivre la
résistance, à une difficulté majeure : non seulement les
situations varient selon les zones autonomes, mais surtout il
est de plus en plus difficile, dans ces conditions, de
développer un projet politique « national ». Difficulté pour se
déplacer, pour se réunir, pour mener des actions en commun sur
l’ensemble du territoire… Autant de facteurs qui handicapent
considérablement quiconque tente d’organiser une résistance
unifiée sur l’ensemble des territoires palestiniens.
- La répression israélienne se poursuit et s’est même
considérablement accentuée au cours de l’année 2008 : les
incursions, bombardements, assassinats extra-judiciaires… ont
causé plus de morts depuis le début de 2008 qu’au cours des 18
mois précédents. Il y a aujourd’hui en outre près de 12 000
détenus palestiniens dans les prisons israéliennes, et malgré
quelques médiatiques libérations ce nombre ne cesse de
s’accroître. A titre de comparaison, rapporté au nombre
d’habitants, c’est comme s’il y avait en France 200 000
prisonniers politiques…
- L’asphyxie économique conduit la quasi-totalité des habitants
des territoires palestiniens à se préoccuper davantage de leur
survie que de la lutte d’émancipation : le chômage endémique et
la hausse des prix (nombre de produits de première nécessité ont
vu leurs prix doubler en l’espace d’un an…) affectent l’ensemble
de la société palestinienne et ont pour une conséquence une
dichotomie de plus en plus importante entre problématiques du
quotidien et lutte de libération nationale, ainsi qu’une montée
des idéologies et des comportements individualistes.
- Enfin, cette situation entraîne des dégâts psychologiques
majeurs. Prisonniers du quotidien, prisonniers dans leur « Zone
autonome », les Palestiniens ont de plus en plus de difficultés
à se projeter dans le temps et dans l’espace, ce qui a deux
conséquences majeures : un repli sur la ville, le village, le
camp, la famille… et l’impossibilité de penser des projets sur
le moyen ou le long terme. Des conditions qui pénalisent
grandement celles et ceux qui tentent de repenser un projet de
libération collectif qui implique nécessairement une vision
débarrassée des contingences du quotidien et de toute forme de
repli local et/ou familial.
2) Des interrogations majeures, un débat désorganisé
La « Deuxième Intifada » est bien finie. Elle se solde par une
défaite majeure, sur le plan militaire, politique et
idéologique. Nombre de questions se posent de manière ouverte,
qui reposent, de fait, la question nationale palestinienne à la
lumière des événements de 1948 et de tout ce qui s'est passé
depuis, dans la société et chez nombre de militants et de forces
politiques. On pourrait résumer ces interrogations en 5
questions génériques même si le débat n’est pas organisé et
clairement formulé, mais plutôt diffus dans l’ensemble des
territoires palestiniens :
- Que signifie aujourd’hui la revendication de l’Etat
palestinien indépendant aux côtés d’Israël, même à titre
transitoire ? La Cisjordanie a été intégrée à Israël,
économiquement, politiquement, démographiquement. Dans ces
conditions quelle pertinence a la revendication de l’Etat
indépendant qui, pour Israël, n’a jamais signifié autre chose
que quelques cantons isolés, encerclés par des Murs, sans aucune
viabilité ?
- Quelle articulation entre résistance populaire, impliquant
l’ensemble de la société palestinienne, le mouvement syndical et
associatif, les forces politiques… et résistance armée ?
- Comment réunifier l’ensemble du peuple palestinien ? Le peuple
palestinien est en effet fortement divisé : Palestiniens
résidant en Israël (1.2 million), en Cisjordanie (2.3 millions),
à Gaza (1.4 millions), dans les autres pays arabes (4.8
millions, dont 3.1 millions en Jordanie), division à laquelle
s’ajoute celle entre réfugiés (7 millions) et non-réfugiés (3
millions).
- Quel cadre politique pour le Mouvement de libération nationale
? La division du mouvement affaiblit considérablement la lutte
et la constitution d’un cadre commun, au-delà de la vieille OLP,
posant la question de la résistance et du combat pour
l’émancipation, et pas celui de la gestion des Zones autonomes
allouées par Israël est, même si ce n’est qu’à un stade
relativement peu avancé, ouvertement posée.
- Quels liens développer avec le mouvement de solidarité
internationale, afin que cette solidarité soit politique et non
caritative, efficace et pas seulement symbolique ? Et comment,
notamment, faire reprendre à l’ensemble du mouvement de
solidarité le mot d’ordre le plus consensuel dans le mouvement
associatif, syndical et politique palestinien, celui du boycott
total (économique, politique, diplomatique, académique,
culturel…) d’Israël, qui a fait ses preuves lors du combat
contre le régime d’Apartheid en Afrique du Sud ?
3) Résister aujourd’hui en Palestine
Le projet sioniste porte en lui la négation et donc la
destruction de la société et de l’identité palestiniennes. La
défaite de la « Deuxième Intifada », la faillite de l’AP, le
cours suivi par le Hamas… réduisent considérablement les marges
de manœuvre de ceux qui veulent encore résister, envers et
contre tout et tous. Autour, notamment, de militants ou
d’anciens militants du FPLP ou du Fatah, nombre d’initiatives
sont néanmoins prises, surtout dans les camps de réfugiés, dans
lesquels se trouvent ceux qui n’ont rien à gagner à une trêve
débouchant sur un accord partiel. Leur objectif est double :
Maintenir, coûte que coûte, les revendications essentielles du
peuple palestinien, et notamment celles du droit au retour des
réfugiés. Cela passe par l’organisation d’expositions, de
rencontres entre les plus jeunes et les anciens, autrefois
chassés par les milices sionistes, de manifestations de rue… qui
visent à transmettre l’héritage et à continuer de rendre visible
cette revendication.
Au-delà, il s’agit tout simplement de résister à l’entreprise
sioniste de sociocide, en redonnant son sens à l’action
collective, en luttant contre les replis individualistes, en
maintenant et en reconstruisant l’esprit de résistance dans une
période de reflux : associations de femmes, coopératives
agricoles, syndicats indépendants de l’AP, comités de familles
de prisonniers, comités de village, centres culturels dans les
camps de réfugiés… Il s’agit, souvent au-delà des clivages
politiques, de pallier la déroute de l’AP et des partis
politiques, de sauver ce qui reste à sauver de la société
palestinienne et de reconstruire ainsi, progressivement,
l’esprit de résistance, mais aussi de préparer les générations
futures à la lutte.
Chacun sait en effet que, dans une société où plus de 50% de la
population a moins de 15 ans, la réalité aura rapidement raison
des promesses de lendemains qui chantent et que ce sont pas les
flics de l’AP ou les forces de sécurité du Hamas qui empêcheront
une nouvelle génération de se soulever contre ses oppresseurs,
israéliens mais aussi, le cas échéant, palestiniens.
Quand cela se produira-t-il ? Nul ne peut le dire précisément.
Mais il est certain que la population n’attendra pas la refonte
du mouvement national, de son programme et de sa stratégie ou un
accord entre les forces palestiniennes pour se révolter à
nouveau. C’est en revanche de ces derniers facteurs, ainsi que
du succès des initiatives décrites plus haut, que dépendront, en
grande partie, le visage et l’issue de ce soulèvement.
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