Le Grand Soir
Brésil: comprendre
le mouvement des Sans Terre
João Baptiste Herkenhoff
Vendredi 6 novembre 2009
De notre point de vue, le Mouvement des
Travailleurs Ruraux sans Terre (MST) est le plus important
mouvement social du Brésil contemporain. Le MST est né en 1984,
à l’initiative de travailleurs ruraux liés à l’Église
Catholique. Selon des données de la Commission Pastorale de la
Terre (CPT), organe lié à un ensemble de d’Églises chrétiennes,
il existe actuellement, environ 300 mille familles vivant sous
des bâches en plastique au bord des routes. Les travailleurs
installés dans les campements ne font que révéler le visage
militant du cri de justice du MST. Mais si nous approfondissons
les statistiques existantes, la situation réelle est beaucoup
plus dramatique.
Le Brésil possède 600 millions d’hectares de
terre cultivables. Toutefois, 2% de propriétaires ruraux sont
propriétaires de 48% des terres cultivables. Des grands
propriétaires possèdent des extensions supérieures au territoire
de pays comme la Hollande et la Belgique.
Selon l’Atlas Agricole de l’Institut National
Colonisation et Réforme agraire (INCRA), « il existe 3.114.898
propriétés rurales enregistrées dans le pays, lesquelles
occupent 331.364.012 d’hectares. De ce total, les petites
propriétés représentent 62,2 % avec 7,9 % du secteur total des
terres. A l’autre extrémité on observe que 2,8 % des propriétés
sont des grandes propriétés qui occupent 56,7 % du secteur
total ».
Sur la base de cette information, la Commission
Pastorale de la Terre conclut : « Malheureusement, le Brésil
détient le triste record de la deuxième plus grande
concentration de la propriété agricole, dans toute la planète ».
Un tiers de la population brésilienne vit sous
la ligne de pauvreté, avec un revenu mensuel inférieur à 60
dollars. Un huitième de la population vit sous la ligne de
l’indigence, avec un revenu mensuel inférieur à 30 dollars.
Une grande partie de ces exclus ont été expulsés
de la terre :
a) Par la force des grands propriétaires qui
étendent leurs domaines ;
b) Suite aux barrages construits sans prêter la
moindre attention à ceux qu´on expulse de leurs terres ;
c) Enfin, en raison des extorsions des intérêts
bancaires qui transforment le petit propriétaire rural d’hier en
un être sans référence et sans horizon, condamné à déambuler
dans les rues de la ville, ou à renouer avec le rêve de vivre
dans les campements des travailleurs sans terre.
La Confédération Nationale de l’Industrie a mené
une enquête sur les sentiments de la population au sujet du MST.
Le degré d´acceptation et d´approbation du MST, au sein de
l’opinion publique, mérite notre attention :
85% des sondés soutiennent les occupations de
terre, réalisées sans violence ni décés ;
94% considèrent juste la lutte du MST pour la
réforme agraire ;
77% considèrent le MST comme un mouvement
légitime ;
88% disent que le gouvernement devrait
confisquer les terres improductives et les redistribuer aux
sans-terre.
Les marches du MST, à leur avis, sont des
marches de lutte par la Justice, des marches civiques pour le
salut national.
Alors que l´exode de la campagne vers la ville
surprend dans un pays qui, par son immense extension de terres,
possède une vocation agricole, le MST propose la migration de la
ville vers la campagne.
Je vois de grandes lignes de poésie dans ce
mouvement : migrer de ce qui ôte tout espoir à l’espoir, de
l’exclusion à l’inclusion, de la condition d’apatrides et
d’abandon social à la condition de constructeurs d´une mère
patrie, aimante, pour tous
Oui, nous devons briser l’image fausse qu´on
veut coller au MST. Celle d´un ’« ennemi social ». Refuser qu´on
fasse passer une lutte légitime, qui doit mériter notre appui et
notre sympathie, pour une mutinerie de rebelles.
De la même manière il est bon d´éclaircir cette
idée parfois généralisée, selon laquelle la réforme agraire ne
ferait que “redistribuer la pauvreté dans les campagnes”. Les
faits portent à des conclusions diamétralement opposées.
Le Forum National pour la Réforme agraire et la
Justice dans les Campagnes l´a clairement exprimé : « Malgré
tous les obstacles, l’agriculture familiale représente
aujourd’hui 80% de l’approvisionnement des produits qui
composent le panier alimentaire essentiel et emploie presque 90%
de la main d’oeuvre dans les campagnes.
« La petite propriété produit un emploi tous les
5 hectares tandis que la grande propriété a besoin de 223
hectares pour produire un emploi. (...) Quand on observe le
chômage et la détérioration de la qualité de la vie dans les
centres urbains brésiliens, vivre dans les villes est de plus en
plus indéfendable. Dans ce contexte, la réforme agraire est
l’élément central d’une nouvelle direction pour le développement
au Brésil ».
João Baptiste Herkenhoff,
enseignant de l’Université Fédérale de Espirito Santo et membre
émérite de la Commission Justice et Paix de l’Archevêché de
Victoria.
Source : Brasil de Fato
http://www.larevolucionvive.org.ve/spip.php?article606
Traduction : Thierry Deronne, pour
www.larevolucionvive.org.ve
© LE GRAND SOIR - Diffusion non-commerciale
autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
|