Syrie
La triple alliance
contre la Syrie
James Petras
Quelques-unes des armes saisies lors de
la libération du quartier de Baba Amr à
Homs.
Samedi 31 mars 2012
Alors que l’aile
médiatique du dispositif pour la guerre
en Syrie conforme sa version des
événements au storytelling de l’OTAN, la
réalité documentée sur le terrain est
toute autre. Pour le professeur James
Petras, il ne s’agit pas d’une guerre
civile, mais d’une attaque coordonnée
menée par une coalition internationale.
Le gouvernement syrien ne réprime pas
des manifestants pacifiques, mais combat
les groupes armés des mercenaires
d’Al-Qaïda.
L'indignation exprimée
par les politiciens occidentaux, les
États du Golfe ainsi que par les médias
au sujet du « massacre des citoyens
syriens manifestant pacifiquement contre
l’injustice » est cyniquement conçue
pour couvrir les rapports établis sur la
conquête violente de quartiers, de
villages et de villes entières par des
bandes armées, brandissant des fusils
d’assaut et semant des bombes le long
des routes.
L’assaut contre la Syrie est soutenu
par des fonds, des armes et un
encadrement étrangers. Du fait du manque
de soutien à l’intérieur du pays, une
intervention militaire directe provenant
de l’extérieur sera de toute façon
nécessaire pour assurer le succès de
l’opération. C’est dans cette
perspective qu’une immense campagne de
diplomatie et de propagande a été mise
en place afin de diaboliser le
gouvernement légitime en Syrie.
L’objectif est d’imposer un régime
fantoche et de renforcer le contrôle
impérial de l’Occident au Moyen-Orient.
À court terme, cela permettra d’isoler
l’Iran en prévision d’une attaque par
Israël et les États-Unis et, à long
terme, on élimine de nouveau un
gouvernement laïque, indépendant, et
proche de la Chine et de la Russie.
Afin de mobiliser l’opinion publique
mondiale derrière ce coup de force des
Occidentaux, d’Israël et des États du
Golfe, plusieurs stratagèmes de
propagande ont été utilisés, justifiant
une nouvelle fois la violation flagrante
de la souveraineté d’un pays, dans le
prolongement des destructions réussies
des gouvernements laïcs d’Irak et de
Libye.
Le contexte général :
agressions en série
Bernard
Henry Lévy en compagnie de Laurent
Fabius et Bernard Kouchner,
respectivement prédécesseur et potentiel
successeur du ministre des Affaires
étrangères français Alain Juppé, lors
d’un meeting pour une Syrie «
démocratique », le 4 juillet 2011.
Absent, le leader centriste François
Bayrou avait enregistré un message. Le
lobbyiste était parvenu à cette occasion
à faire prêter serment pour une «
démocratisation » de la Syrie sur le
modèle libyen à une assemblée comptant
par ailleurs la responsable du parti
écologiste Cécile Duflot.
La campagne actuelle de l’Occident
contre le gouvernement indépendant d’Assad
fait partie d’une série d’attaques
contre les mouvements pro-démocratie et
les régimes indépendants dans toute
l’Afrique du Nord jusqu’au Golfe
Persique. La réponse de l’Empire au
mouvement démocratique égyptien qui
renversa la dictature de Moubarak fut de
soutenir la prise en main du pouvoir par
la junte militaire, accompagnée d’une
campagne meurtrière qui conduisit à
l’emprisonnement, à la torture ou à
l’assassinat de plus de 10 000
manifestants.
Face à des mouvements pro-démocratie
similaires à ceux du monde arabe, les
dictateurs autocrates du Golfe soutenus
par l’Occident ont écrasé les
soulèvements à Barhein, au Yemen et en
Arabie Saoudite. Cette agressivité s’est
prolongée jusqu’au gouvernement laïque
de Libye, où les puissances de l’OTAN
ont lancé un bombardement aéronaval
massif pour appuyer les bandes de
mercenaires, participant à
l’anéantissement de l’économie et de la
société libyenne. Le déchaînement de ces
gangs armés a conduit au saccage des
zones urbaines et à la dévastation de la
campagne. Les forces de l’OTAN ont
éliminé le gouvernement laïque de
Kadhafi, faisant torturer et assassiner
celui-ci par leurs mercenaires. L’OTAN à
supervisé l’emprisonnement, la torture
et l’élimination de dizaines de milliers
de fonctionnaires, de civils et de
partisans de Kadhafi. L’OTAN a soutenu
le régime factice quand celui-ci s’est
lancé dans un pogrom sanguinaire contre
les Libyens d’ascendance sub-saharienne
et les travailleurs immigrés du Sud-sahara,
des groupes qui avaient jusque là
bénéficié des programmes sociaux
généreux de Kadhafi. La politique
impériale du « Ruiner et Régner »
est devenu le « modèle » pour la
Syrie : créer les conditions d’un
soulèvement de masse dirigé par les
fondamentalistes musulmans, financés et
entrainés par des mercenaires
occidentaux et des États du Golfe.
La voie sanglante de
Damas à Téhéran
La
secrétaire d’État Clinton en compagnie
des ses homologues des Affaires
étrangères Sheikh Abdullah bin Zayed al-Nahyan
des Émirats Arabes Unis, William Hague
du Royaume-Uni et Ahmet Davutoglu de
Turquie, appelant à une intervention «
humanitaire » lors de la conférence des
« amis de la Syrie » le 24 février 2012.
Selon le Département d’État, « le
chemin vers Téhéran passe par Damas
» : l’objectif stratégique de l’OTAN est
de détruire le principal allié de l’Iran
au Moyen-Orient ; pour les monarchies
absolues du Golfe, le but est de
remplacer une république laïque par une
dictature théocratique vassale ; pour le
gouvernement turc, il s’agit de
favoriser un régime soumis au dictat de
la version d’Ankara du capitalisme
islamique ; pour Al-Qaïda et ses alliés
salafistes et wahhabites un régime
théocratique sunnite, débarrassé des
syriens laïques, des alaouites et des
chrétiens servira de tremplin dans le
monde islamique ; et pour Israël, une
Syrie divisée et ensanglantée permettra
d’assurer son hégémonie régionale. Ce
n’est pas sans une certaine clairvoyance
prophétique que le sénateur
ultra-sioniste états-unien Joseph
Lieberman déclara quelques jours après
les attaques du 11 septembre 2001 par «
Al-Qaïda », avant même d’examiner les
véritables auteurs des attentats : «
d’abord nous devons nous attaquer à
l’Iran, à l’Irak et à la Syrie ».
Les forces armées anti-syriennes
représentent un large spectre de
perspectives politiques contradictoires,
unies seulement par leur haine commune
pour ce régime laïque, nationaliste et
indépendant qui a gouverné la complexe
société multi-ethnique syrienne depuis
des décennies. La guerre contre la Syrie
est la rampe de lancement principale
d’une future résurgence du militarisme
occidental depuis l’Afrique du Nord
jusque au Golfe « Persique », le tout
soutenu par une campagne de propagande
systématique proclamant la mission
démocratique, humanitaire et «
civilisatrice » de l’OTAN au nom du
peuple syrien.
Le chemin de Damas est
pavé de mensonges
Combattants de l’Armée « syrienne »
libre (ASL). Composée principalement de
mercenaires et de fanatiques, financée
par le Qatar, armée par la Turquie et
encadrée par la France et la
Grande-Bretagne, celle-ci n’est ni
syrienne, ni libre.
Une analyse politique et sociale
objective de la plupart des combattants
armés en Syrie réfute toute tentative
visant à convaincre que l’insurrection a
pour but la démocratie pour la
population de ce pays. Des guerriers
fondamentalistes autoritaires forment
l’épine dorsale de l’insurrection. Les
États du Golfe finançant ces voyous sont
eux même des monarchies absolues. Cet
Occident qui impose un gouvernement de
brutes mafieuses en Libye ne peut en
aucun cas se réclamer d’une prétendue «
intervention humanitaire ».
Les groupes armés infiltrent les
villes et utilisent les foyers de
population comme des boucliers d’où ils
lancent leurs attaques contre les forces
gouvernementales. ils procèdent en
forçant des milliers de citoyens à
quitter leurs habitations, leurs
magasins et leurs bureaux, qu’ils
utilisent alors comme avant-postes
militaires. La destruction du quartier
de Baba-Amr à Homs est un exemple
typique de l’utilisation de civils comme
boucliers humains par des gangs armés et
comme support de propagande pour
diaboliser un gouvernement.
Ces groupes armés de mercenaires
n’ont aucune crédibilité nationale
auprès de la masse syrienne. Une de leur
principale unité de propagande est
située au cœur de Londres, le soi-disant
« Observatoire Syrien des Droits de
l’Homme », agissant en étroite
coordination avec les services secrets
britanniques pour élaborer
d’épouvantables histoires d’horreurs
visant à attiser le sentiment en faveur
d’une intervention de l’OTAN. Les rois
et les émirs des États du Golfe, eux,
financent les combattants. La Turquie
fournit des bases militaires et assure
le contrôle du flux des armements à
travers la frontière, ainsi que les
déplacements des dirigeants de la
soi-disant « Armée Syrienne Libre ». Les
États-Unis, la France et l’Angleterre
fournissent les armes, l’entrainement et
le dispositif diplomatique.
Les « jihadistes » fondamentalistes
en provenance de l’étranger, incluant
des combattants d’Al-Qaïda venant de
Libye, d’Irak et d’Afghanistan, sont
engagés dans le conflit. Il ne s’agit
pas d’une « guerre civile » : il s’agit
d’un conflit international opposant une
triple alliance contre nature des
impérialistes de l’OTAN, des despotes
des États du Golfe et des
fondamentalistes musulmans, à un régime
nationaliste, indépendant et laïque.
L’origine étrangère des armes, du
dispositif de propagande et des
combattants mercenaires révèle la sombre
nature impériale et « multinationale »
du conflit. En fait, le soulèvement
violent contre l’État syrien est une
campagne impériale de renversement d’un
allié de l’Iran, de la Russie et de la
Chine, au prix de la destruction de
l’économie syrienne et de sa société,
fragmentant le pays et déclenchant des
guerres sectaires d’extermination contre
les minorités alaouite et chrétienne et
les partisans de la laïcité.
Les morts et les fuites de réfugiés
ne sont pas la conséquence d’une
violence gratuite commise par un État
assoiffé de sang. Les milices soutenues
par l’Occident ont capturé des quartiers
entiers par la force des armes,
détruisant les oléoducs, sabotant les
transports et faisant sauter des
bâtiments gouvernementaux. Du fait de
ces attaques, les services de bases à la
population syrienne furent bloqués, dont
l’éducation, l’accès aux soins médicaux,
la sécurité, l’eau, l’électricité et les
transports. Ce sont eux qui portent la
responsabilité du « désastre
humanitaire » (celui-là même que
leurs alliés impériaux ainsi que les
officiels des Nations-Unies imputent a
l’armée et aux forces de sécurité
syrienne). Les forces de l’ordre
syriennes combattent pour préserver la
souveraineté d’un État laïque, pendant
que l’opposition armée déchaîne sa
violence au nom de leurs donneurs
d’ordres de l’étranger, à Washington,
Riyad, Tel-Aviv, Ankara et Londres.
Conclusions
Le projet
de réforme constitutionnelle soumis à
référendum par Bachar el-Assad a été
approuvé à près de 90 % des suffrages
exprimés. 57,4 % des électeurs se sont
rendus aux urnes, soit plus de 8
millions de Syriens. C’est le taux de
participation à un scrutin le plus
important depuis plus de 60 ans.
Le referendum organisé par le
régime Assad le mois dernier a
attiré des millions d’électeurs
syriens, au mépris des menaces
impérialistes occidentales et des
appels au boycott des terroristes.
Cela indique clairement qu’une
majorité de Syriens préfère un
règlement pacifique et négocié, et
rejette la violence des mercenaires.
Le « Conseil National Syrien »,
soutenu par l’Occident et l’« Armée
Syrienne Libre » armée par la
Turquie et les États du Golfe,
rejette les appels russes et chinois
au dialogue et à la négociation
alors que le gouvernement d’Assad
les a acceptés. L’OTAN et les
dictatures du Golfe poussent leurs
pions à soutenir un changement de
régime violent, une politique qui a
déjà entrainé la mort de milliers de
Syriens. Les sanctions économiques
des États-Unis et de l’Union
Européenne ont pour objet de casser
l’économie syrienne, avec l’espoir
que les privations aiguës conduiront
une population appauvrie dans les
bras de leurs brutaux exécutants.
Dans ce qui est une répétition du
scénario libyen, l’OTAN propose de «
libérer » le peuple syrien par la
destruction de son économie, de sa
société civile et de l’État laïque.
Une victoire militaire
occidentale en Syrie ne ferait
qu’alimenter davantage la frénésie
militariste. Cela encouragerait
l’Occident, Riyad et Israël à
provoquer une nouvelle guerre civile
au Liban. Après avoir démoli la
Syrie, l’axe
Washington-Bruxelles-Riyad-Tel-Aviv
se dirigera vers une confrontation
encore plus sanglante avec l’Iran.
L’horrible destruction de l’Irak,
suivie par l’effondrement de l’après
guerre en Libye, fournissent un
tableau terrifiant de ce qui attend
la population syrienne : un
écroulement accéléré de son niveau
de vie, l’éclatement de son pays, le
nettoyage ethnique, le règne de
gangs sectaires fondamentalistes, et
l’insécurité totale pour les biens
et les personnes.
De la même façon que « la
gauche » et les «
progressistes » avaient présenté
le saccage de la Libye comme le «
combat révolutionnaire de démocrates
insurgés » puis s’en étaient
allés, se lavant les mains des
conséquence sanglantes de la
violence ethnique contre les Libyens
noirs, ils reprennent a présent les
mêmes slogans pour une intervention
militaire contre la Syrie. Ces mêmes
libéraux, progressistes, socialistes
et marxistes qui appellent
l’Occident à intervenir dans la «
crise humanitaire » depuis leurs
cafés et leurs bureaux a Manhattan
et Paris, auront perdu tout intérêt
dans l’orgie sanguinaire qui
succéderait à la victoire de leurs
mercenaires une fois Damas, Alep et
les autres villes syriennes soumises
par les bombes de l’Otan.
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