Opinion
Hugo Chávez, homme
de Renaissance du 21e siècle
James
Petras
Mardi 16 avril 2013
Alors que le peuple du Venezuela vient
d’élire Nicolas Maduro comme successeur
d’Hugo Chavez, le philosophe James
Petras revient ici sur le bilan du
leader bolivarien. Son texte, qui hésite
entre l’analyse et le témoignage,
cherche à lui rendre hommage pour
l’ensemble de son œuvre.
Introduction
Le président Hugo Chávez était unique
dans de multiples domaines de la vie
politique, sociale et économique. Il a
fait d’importantes contributions à
l’avancement de l’humanité. La
profondeur, la portée et la popularité
de ses réalisations marquent Chávez
président comme le « Président de la
Renaissance au 21e siècle ».
De nombreux auteurs ont noté l’une ou
l’autre de ses contributions historiques
en soulignant sa législation
anti-pauvreté, son succès en remportant
les élections populaires avec des
majorités retentissantes et sa promotion
de l’éducation publique gratuite et de
l’assurance santé pour tous les
Vénézuéliens.
Dans cet essai, nous mettrons en
évidence les contributions historiques
mondiales uniques que le président
Chávez a réalisées dans les domaines de
l’économie politique, l’éthique et le
droit international et dans la
redéfinition des relations entre les
dirigeants politiques et les citoyens.
Nous allons commencer par sa
contribution au développement durable de
la culture civique au Venezuela et
au-delà.
Hugo Chávez :
le Grand-maître des valeurs civiques
Dès ses premiers jours au pouvoir,
Chávez s’est engagé dans la
transformation de l’ordre
constitutionnel afin que les dirigeants
politiques et les institutions soient
plus sensibles à l’électorat populaire.
Grâce à ses discours Chávez a clairement
et soigneusement informé l’électorat des
mesures et des lois améliorant leurs
moyens de subsistance. Il a invité les
commentaires et les critiques avec son
style qui était d’engager un dialogue
constant, en particulier avec les
pauvres, les chômeurs et les
travailleurs. Chávez a si bien réussi
dans l’enseignement des responsabilités
civiques à l’électorat vénézuélien que
des millions de citoyens des bidonvilles
de Caracas se sont levés spontanément
pour évincer la junte militaire et
financière compradore qui avait
enlevé leur président et fermé la
législature. En 72 heures —un temps
record— les citoyens à l’esprit civique
ont restauré l’ordre démocratique et la
primauté du droit au Venezuela, rejetant
complètement la défense des putschistes
par les médias et leur bref régime
autoritaire.
Chávez, comme tous les grands
éducateurs, a appris de cette
intervention démocratique de la masse
des citoyens que les défenseurs les plus
efficaces de la démocratie se trouvaient
parmi les travailleurs —et que ses pires
ennemis se trouvent chez les élites
économiques et militaires liées à Miami
et à Washington—.
La pédagogie civique de Chávez a
souligné l’importance des enseignements
historiques et des exemples des pères
fondateurs, comme Simon Bolivar, dans
l’établissement d’une identité nationale
et d’Amérique latine. Ses discours ont
rehaussé le niveau culturel des millions
de Vénézuéliens qui avaient été élevés
dans la culture aliénante et servile
impériale de Washington et les
obsessions consuméristes des centres
commerciaux de Miami.
Chávez a réussi à inculquer une
culture de solidarité et de soutien
mutuel entre les exploités, en insistant
sur les liens « horizontaux »
plutôt que sur la dépendance
clientéliste verticale entre les riches
et puissants. Son succès dans la
création de la conscience collective a
fait pencher la balance de manière
décisive éloignant du pouvoir politique
les dirigeants corrompus des partis
politiques et des syndicats, en
favorisant de nouveaux mouvements
socialistes et des syndicats de classe.
Plus que toute autre chose, l’éducation
politique de Chávez de la majorité
populaire au sujet de leurs droits à la
gratuité des soins et à celle de
l’enseignement supérieur, des salaires
décents et au plein emploi a suscité la
colère hystérique des Vénézuéliens
riches et leur haine impérissable envers
un président qui avait créé un sentiment
d’autonomie, de dignité et de «
pouvoir de classe » via l’éducation
publique mettant une fin aux siècles de
privilège d’élite et d’omnipotence.
Surtout, les discours de Chávez, en
s’inspirant autant de Bolivar que de
Karl Marx, ont créé un profond et
généreux sentiment de patriotisme et de
nationalisme et un profond rejet d’une
élite prosternée devant leur suzerain de
Washington, les banquiers de Wall Street
et les dirigeants des compagnies
pétrolières. Les discours
anti-impérialistes Chávez ont trouvé
leur écho parce qu’il parlait dans la
langue du peuple et élargissait leur
conscience nationale pour s’identifier
avec l’Amérique latine, en particulier
la lutte de Cuba contre les
interventions et les guerres
impérialistes.
Les
présidents latino-américains lors du
Sommet de l’ALBA
Relations internationales : La
Doctrine Chávez
Au début de la décennie précédente,
après le 11-Septembre, Washington a
déclaré une « guerre contre le
terrorisme ». Il s’agissait d’une
déclaration publique d’une intervention
militaire unilatérale et de guerres
contre les nations souveraines, des
mouvements et des individus jugés comme
des adversaires, en violation du droit
international.
Presque tous les pays se sont soumis
à cette violation flagrante des Accords
de Genève, sauf le président Chávez, qui
a fait la plus profonde et simple
réfutation contre Washington : « On
ne combat pas le terrorisme avec le
terrorisme d’État ». Dans sa défense
de la souveraineté des nations et de la
jurisprudence internationale, M. Chávez
a souligné l’importance des solutions
politiques et économiques aux problèmes
sociaux et aux conflits - répudiant
l’utilisation de bombes, de la torture
et de la mutilation. La doctrine Chávez
a souligné le commerce Sud-Sud et les
investissements et la diplomatie plutôt
que les solutions militaires. Il a
confirmé les accords de Genève contre
l’agression coloniale et impériale, tout
en rejetant la doctrine impériale de la
« guerre contre le terrorisme »,
qualifiant le terrorisme d’État
occidental comme l’équivalent pernicieux
du terrorisme d’Al-Qaïda.
Théorie et
pratique politique : le Grand
Synthétiseur
L’un des aspects les plus profonds et
les plus influents de l’héritage de
Chávez est sa synthèse originale de
trois grands volets de pensée politique
: le christianisme populaire, le
nationalisme et l’intégration régionale
bolivarienne et la pensée politique,
sociale et économique marxiste. Le
christianisme de Chávez a informé son
profond attachement à la justice et à
l’égalité des personnes, ainsi que sa
générosité et le pardon des adversaires
comme ceux engagés dans un violent coup
d’État, un lock-out paralysant, ou qui
avaient ouvertement collaboré et reçu un
financement des agences de renseignement
ennemis. Alors que partout ailleurs dans
le monde, les agressions armées et les
coups d’État aboutiraient à des longues
peines de prison, voire des exécutions,
sous Chávez la plupart de ses
adversaires violents ont échappé aux
poursuites et même rejoint leurs
organisations subversives. Chávez a
démontré une profonde croyance en la
rédemption et le pardon. Le
christianisme de Chávez a informé son «
option pour les pauvres », la
profondeur et l’ampleur de son
engagement à éradiquer la pauvreté et sa
solidarité avec les pauvres contre les
riches.
La profonde aversion de Chávez et son
opposition efficace à l’impérialisme
états-unien et européen et au
colonialisme brutal israélien ont été
profondément enracinées dans sa lecture
des écrits et de l’histoire de Simon
Bolivar, le père fondateur de la nation
vénézuélienne. Les idées bolivariennes
sur la libération nationale ont de loin
précédé toute exposition à Marx, Lénine
ou les écrits plus contemporains de
gauche sur l’impérialisme. Son soutien
indéfectible et puissant et à
l’intégration régionale et à
l’internationalisme a été profondément
influencé par Simon Bolivar qui
proposait « Les États-Unis d’Amérique
Latine » et son activité
internationaliste à l’appui des
mouvements anticoloniaux.
L’incorporation par Chávez des idées
marxistes dans sa vision du monde a été
adaptée à sa philosophie populaire de
longue date qui était internationaliste,
chrétienne et bolivarienne. L’option de
Chávez pour les pauvres a été
approfondie par sa reconnaissance de la
centralité de la lutte des classes et la
reconstruction de la nation bolivarienne
par la socialisation des « hauteurs
dominantes de l’économie ». La
conception socialiste de l’autogestion
des usines et des conseils
communautaires populaires via
l’autonomisation a reçu une légitimité
morale par la foi chrétienne de Chávez
en un ordre moral égalitaire.
Alors que Chávez était respectueux et
écoutait attentivement les points de vue
des universitaires et qu’il faisait
souvent l’éloge de leurs écrits, ils
n’ont pas reconnu ou, pire, ont
délibérément ignoré l’originalité de la
synthèse historique, religieuse et
marxiste du Président. Malheureusement,
comme c’est souvent le cas, des
universitaires de gauche ont, dans leur
posture complaisante, présumé être les
tuteurs de Chávez et lui ont conseillé
sur toutes les questions de la «
théorie marxiste ». Il s’agit d’une
sorte de colonialisme culturel de
gauche, qui critiquait puérilement
Chávez pour ne pas suivre leurs recettes
toutes faites, publiés dans leurs revues
littéraires politiques à Londres, à New
York et à Paris.
Heureusement, M. Chávez a pris ce qui
était utile des universitaires
d’outre-mer et des ONG financées par les
stratèges politiques, tout en rejetant
les idées qui n’ont pas su tenir compte
des spécificités historico-culturelles,
de classe et de rentiers du Venezuela.
Chávez a légué aux intellectuels et
aux militants du monde un mode de pensée
qui est globale et spécifique,
historique et théorique, matérielle et
éthique et qui englobe l’analyse de
classe, de la démocratie et une
résonance transcendante spirituelle avec
la grande masse de l’humanité dans une
langue que toute personne peut
comprendre. La philosophie et la
pratique (plus que n’importe quel «
discours Chávez » rapporté par les
amateurs experts des forums sociaux) ont
démontré que la technique de formulation
des idées complexes dans un langage
simple peut amener des millions de gens
à « créer l’histoire, et pas
seulement à l’étudier ».
Vers des alternatives concrètes
au néolibéralisme et à l’impérialisme
Peut-être la plus grande contribution
de Chávez dans la période contemporaine
a été de démontrer, par des mesures
concrètes et des initiatives politiques,
que bon nombre des plus grands défis
politiques et économiques contemporains
peuvent être résolus avec succès.
Réforme
radicale d’un État Rentier
Rien n’est plus difficile que de
changer la structure sociale, les
institutions et les attitudes d’un
pétro-État rentier avec ses politiques
profondément enracinées dans le
clientélisme, la corruption endémique
parti-État et une psychologie de masse
profondément enracinée dans le
consumérisme. Mais Chávez a largement
réussi là où d’autres régimes pétroliers
ont échoué. L’administration Chávez a
commencé avec des changements
constitutionnels et institutionnels afin
de créer un nouveau cadre politique,
puis il mit en œuvre des programmes
d’impact social, qui ont approfondi les
engagements politiques chez la majorité
active, qui, à son tour, a
courageusement défendu le régime contre
la violence d’un coup d’État
militaire-business. La mobilisation de
masse pour le soutien populaire, à son
tour, a radicalisé le gouvernement
Chávez et a ouvert le chemin à une
profonde socialisation de l’économie et
à une mise en œuvre de la réforme
agraire radicale. L’industrie pétrolière
a été socialisée ; les paiements de
redevances et de taxes ont produit des
fonds pour les dépenses sociales
massivement élargies au profit de la
majorité des Vénézuéliens.
Presque chaque jour, Chávez préparait
clairement de compréhensibles discours
éducatifs sur des sujets sociaux,
éthiques et politiques liés aux actions
de redistribution de son régime en
mettant l’accent sur la solidarité
sociale plutôt que sur le consumérisme
individualiste acquisitif. Les
organisations de masse et de la
communauté et les mouvements syndicaux
ont fleuri ; une nouvelle conscience
sociale a émergé prête et disposée à
faire avancer le changement social et à
confronter les riches et les puissants.
La défaite par Chávez du coup d’État
soutenu par les États-unis et les
lock-out des patrons et son affirmation
de la tradition et de l’identité
bolivarienne du Venezuela souverain ont
créé une conscience nationaliste
puissante qui a érodé la mentalité de
rentier et renforcé la poursuite de «
l’économie équilibrée » avec un
portefeuille diversifié. Cette nouvelle
volonté politique et la conscience
nationale productive était un grand bond
en avant, même si les principales
caractéristiques d’une économie
rentière-dépendant des produits
pétroliers persistent. Cette transition
extrêmement difficile a commencé et est
un processus continu. Les théoriciens de
gauche d’outre-mer qui critiquent le
Venezuela (« corruption », «
bureaucratie ») ont profondément
ignoré les énormes difficultés de la
transition d’un État rentier à une
économie socialisée et les énormes
progrès réalisés par Chávez.
Crise
économique sans austérité capitaliste
Partout dans le monde ravagée par la
crise capitaliste, les gouvernements des
travailleurs, les sociaux-démocrates,
les régimes libéraux et conservateurs
ont imposé « des programmes
d’austérité » régressive comportant
des réductions brutales des dépenses
sociales, de la santé et de l’éducation
sociale et les licenciements massifs des
travailleurs et des employés tout en
distribuant des subventions de l’État et
des généreux plans de sauvetage aux
banques défaillantes et aux entreprises
capitalistes. Chantant leur slogan
thacherien, « il n’y a pas
d’alternative », les économistes
capitalistes justifient l’imposition de
la charge de « la relance capitaliste
» sur la classe ouvrière tout en
permettant au capital de recouvrer ses
bénéfices pour investir.
La politique de Chávez a été le
contraire : au milieu de la crise, il a
conservé tous les programmes sociaux, a
rejeté les licenciements massifs et a
effectué une augmentation des dépenses
sociales. L’économie vénézuélienne est
sortie de la crise mondiale et elle a
récupéré avec un robuste taux de
croissance de 5,8 % en 2012. En d’autres
termes, M. Chávez a démontré que
l’appauvrissement de masse est un
produit du système capitaliste et de sa
« formule » spécifique pour la
récupération. Il a montré une autre
approche, alternative positive à la
crise économique, qui a taxé les riches,
promu les investissements publics et
maintenu les dépenses sociales.
Transformation sociale dans une «
économie mondialisée »
De nombreux commentateurs, de gauche,
de droite et du centre, ont fait valoir
que l’avènement d’une « économie
mondialisée » exclu une
transformation sociale radicale.
Pourtant, le Venezuela, qui est
profondément globalisée et intégrée dans
le marché mondial par le biais du
commerce et des investissements, a fait
de grands progrès en matière de réforme
sociale. Ce qui importe vraiment par
rapport à une économie mondialisée est
la nature du régime politique,
économique et ses politiques qui dictent
la façon dont les gains et les coûts du
commerce international et
l’investissement sont distribués. En un
mot, ce qui est décisif, c’est le «
caractère de classe du régime » qui
gère sa place dans l’économie mondiale.
Chávez n’a certainement pas «
décroché » de l’économie mondiale,
mais plutôt il a rebranché le Venezuela
d’une manière nouvelle. Il a redirigé le
commerce et l’investissement du
Venezuela vers l’Amérique latine, l’Asie
et le Proche-Orient - en particulier
vers les pays qui n’intervienne pas en
imposant des conditions réactionnaires
aux transactions économiques.
L’anti-impérialisme au temps d’une
offensive impérialiste
Au moment d’une virulente offensive
impérialiste UE-US impliquant des «
guerre préventives », des
interventions de mercenaires, de la
torture, des assassinats et de la guerre
de drones en Irak, au Mali, en Syrie, au
Yémen, en Libye et en Afghanistan, des
sanctions économiques brutales contre
l’Iran et des sabotages, des expulsions
coloniales israéliennes de milliers de
Palestiniens financés par les États-Unis
et des révolutions avortées par des
marionnettes en Égypte et en Tunisie, le
président Chávez, seul, s’est dressé
comme le défenseur des principes de la
politique anti-impérialiste.
L’engagement profond de Chávez envers
l’anti-impérialisme est en contraste
frappant avec la capitulation des
soi-disant « intellectuels marxistes
» de l’Ouest qui prononcent des
justifications de brutes pour leur
soutien aux bombardements de l’OTAN en
Yougoslavie et en Libye, à l’invasion
française du Mali et au financement et à
l’armement « monarcho-socialiste par
l’Arabie-française » des mercenaires
islamistes contre la Syrie. Ces mêmes «
intellectuels » de Londres, de
New York et de Paris, qui affichent une
attitude condescendante envers Chávez,
qu’ils traitent comme un simple «
populiste » ou « nationaliste » et qui
ont affirmé qu’il aurait dû écouter
leurs discours et lire leurs livres,
avaient bassement capitulé sous la
pression de l’État capitaliste et des
médias en soutenant les «
interventions humanitaires »
(autrement dit les bombardements de
l’OTAN) ... et avaient justifié leur
opportunisme dans la langue de sectes
gauchistes obscures. Chávez a confronté
les pressions et les menaces de l’OTAN,
ainsi que la subversion de
déstabilisation de ses adversaires
intérieurs et il a courageusement énoncé
les principes les plus profonds et
significatifs marxistes du 20e et du 21e
siècle : le droit inviolable à
l’autodétermination des nations
opprimées et d’opposition
inconditionnelle aux guerres impériales.
Alors que Chávez a parlé et agi pour la
défense des principes
anti-impérialistes, beaucoup dans la
gauche européenne et aux États-Unis ont
consenti aux guerres impériales. Il n’y
avait pratiquement pas de manifestations
de masse, des mouvements «
anti-guerre » ont été cooptés ou
moribonds, le Parti des travailleurs «
socialistes » britanniques a
défendu les bombardements massifs de
l’OTAN en Libye, les « socialistes
» français ont envahi le Mali avec le
soutien du Parti anticapitaliste.
Pendant ce temps, le « populiste
» Chávez avait formulé une compréhension
beaucoup plus profonde et raisonnée de
la pratique marxiste, certainement
au-delà de ses soi-disant tuteurs
marxistes à l’étranger.
Aucun autre dirigeant politique ou
d’ailleurs, académique de gauche n’a
développé, approfondi ni étendu les
principes fondamentaux de la politique
anti-impérialiste à l’époque de la
guerre impérialiste mondiale avec plus
d’acuité que Hugo Chávez.
Transition de
l’échec de l’état néo-libéral vers un
état providence dynamique
La reconfiguration complète et
pragmatique du Venezuela par Chávez,
allant d’un régime échec désastreux et
néo-libérale à un État-providence
dynamique est un jalon important dans
l’économie politique des 20e et 21e
siècles. La réussite du renversement des
institutions et des politiques
néo-libérales, ainsi que sa
renationalisation des hauteurs qui
dominent l’économie ont démoli le dogme
néolibéral dérivé de l’ère
Thatcher-Reagan consacré dans le slogan
: « Il n’y a pas d’alternative »
à la brutalité des politiques
néolibérales, ou, en anglais : TINA («
There is no alternative »).
Chávez a rejeté la privatisation - il
a renationalisé les industries clé du
pétrole, socialisé des centaines
d’entreprises capitalistes et réalisé un
vaste programme de réforme agraire, y
compris la redistribution des terres à
300 000 familles. Il a encouragé les
organisations syndicales et le contrôle
ouvrier des usines - même en dépit des
gestionnaires publics et même de ses
propres ministres. En Amérique latine,
Chávez a ouvert la voie en définissant
avec plus de profondeur et avec des
changements sociaux plus compréhensifs,
l’époque post néo-libérale. Chávez a
envisagé la transition entre le
néo-libéralisme et le nouvel
État-providence socialisé comme un
processus international et il a fourni
un financement et un soutien politique
pour les nouvelles organisations
régionales comme l’ALBA, Petrocaribe, et
l’UNASUR. Il a rejeté l’idée de
construire un État-providence dans un
pays unique et il a formulé une théorie
de la transition post-néo-libérale basée
sur la solidarité internationale. Les
idées originales de Chávez et ses
politiques concernant la transition
post-néo-libérale ont échappé aux
marxistes pantouflés et aux
globe-trotters du Forum social et
experts d’ONG qui ont réussi
principalement à obtenir du financement
des fondations impériales.
Chávez a démontré à travers la
théorie et la pratique que le
néolibéralisme était en effet réversible
- une avancée politique majeure du 21ème
siècle.
Au-delà du
libéralisme social : La définition
radicale du post-néo-libéralisme
Les régimes néo-libéraux avancés par
les États-Unis et l’Union Européenne se
sont effondrés sous le poids de la pire
crise économique depuis la Grande
dépression. Le chômage massif conduit à
des soulèvements populaires, de
nouvelles élections et l’avènement de
régimes de centre-gauche dans la plupart
des États d’Amérique latine, qui ont
rejeté ou du moins qui prétendent
répudier le « néo-libéralisme ».
La plupart de ces régimes a promulgué
des directives législatives et
exécutives pour financer des programmes
contre la pauvreté, la mise en œuvre des
contrôles financiers et pour faire des
investissements productifs, tout en
augmentant le salaire minimum et en
stimulant l’emploi. Cependant quelques
entreprises lucratives ont été
effectivement renationalisées. Remédier
aux inégalités et à la concentration de
la richesse ne faisait pas partie de
leur ordre du jour. Ils ont formulé leur
stratégie de collaboration avec les
investisseurs de Wall Street, les
exportateurs locaux d’agro-minéral et
avec les syndicats cooptés.
Chávez a posé une alternative
profondément différente à cette forme de
« post-néolibéralisme ». Il a
nationalisé les industries des
ressources, excluant les spéculateurs de
Wall Street et limitant le rôle des
élites agro-minérales. Il a posé un
État-providence socialisé comme une
alternative à l’orthodoxie
social-libérale régnante des régimes de
centre-gauche, alors que lui-même a
travaillé avec ces régimes en faisant la
promotion de l’intégration
latino-américaine et en s’opposant aux
coups d’états soutenus par les
États-uniens.
Chávez était à la fois un chef de
file définissant une alternative plus
socialisée à la libération sociale et la
conscience mettant la pression sur ses
alliés pour qu’ils continuent à
progresser.
-
Socialisme et
Démocratie
Chávez a ouvert une voie nouvelle
extraordinairement originale et complexe
au socialisme basé sur des élections
libres, sur la rééducation des
militaires à respecter les principes
démocratiques et constitutionnels, et
sur le développement des médias et de la
communauté. Il a mis fin aux monopoles
des médias capitalistes et il a renforcé
la société civile en tant que
contrepoids aux élites paramilitaire et
de cinquième colonne parrainées par les
E. Us., provocatrices de la
déstabilisation de l’État démocratique.
Aucun autre président d’un pays
socialiste démocratique n’avait résisté
avec succès aux campagnes de
déstabilisation impériales - ni Jagan en
Guyane, ni Manley en Jamaïque, ni
Allende au Chili. Dès le début Chávez a
vu l’importance de créer un solide cadre
juridique et politique pour faciliter la
haute direction et promouvoir les
organisations populaires de la société
civile afin de gêner la pénétration de
l’appareil d’État (armée et police) par
les États-Unis. Chávez a mis en œuvre
des programmes radicaux d’impact social
qui ont assuré la loyauté et
l’allégeance active des majorités
populaires et affaibli les leviers
économiques du pouvoir politique
détenues longtemps par la classe
capitaliste. En conséquence les
dirigeants politiques du Venezuela, des
soldats et des officiers fidèles à sa
constitution et des masses populaires
ont écrasé un sanglant coup de droite,
un lock-out écrasant et un référendum
financé par les États-Unis et ont
commencé à mettre en œuvre de plus
radicales réformes socio-économiques
dans un long processus de socialisation
cumulatif.
L’originalité de Chávez était sa «
méthode expérimentale ». Sa
compréhension et sa réponse aux
attitudes et aux comportements de la
population étaient profondément
enracinées dans l’histoire du Venezuela
de l’injustice raciale et sociale et de
la rébellion populaire. Plus que tout
autre leader socialiste précédent, M.
Chávez a voyagé, parlé et écouté les
classes populaires du Venezuela sur des
questions de la vie quotidienne. Sa «
méthode » était de traduire cette
micro-connaissance en changements
programmés à grande échelle. Dans la
pratique, il est l’antithèse du
je-sais-tout des intellectuels locaux et
étrangers qui parlent littéralement «
de haut » au peuple et qui se
considèrent comme les « maîtres du
monde » ... au moins, dans le monde
des micro-milieux universitaires de
gauche, des conférences socialistes et
des monologues égocentriques. La mort
d’Hugo Chávez a été profondément
regrettée par des millions au Venezuela
et des centaines de millions de gens à
travers le monde parce que sa transition
vers le socialisme était leur chemin, il
a écouté leurs revendications et il a
agi sur eux efficacement.
La
social-démocratie et la sécurité
nationale
Chávez était un président socialiste
depuis plus de 13 ans faisant face à une
opposition violente et au sabotage
financier à grande échelle et à long
terme de Washington, de l’élite
économique locale et des bosses des
médias. Chávez a créé la conscience
politique qui a motivé des millions de
travailleurs et assuré la loyauté
constitutionnelle de l’armée pour
vaincre un coup d’état sanglant soutenu
par les États-uniens en 2002. Chávez a
tempéré les changements sociaux,
conformément à une évaluation réaliste
de ce que l’ordre politique et juridique
pourrait soutenir. D’abord et avant
tout, M. Chávez a assuré la loyauté de
l’armée en mettant fin aux missions «
de conseil » états-uniennes et à
l’endoctrinement impérial d’outre-mer en
substituant des cours intensifs sur
l’histoire du Venezuela, la
responsabilité civique et le lien
essentiel entre les classes populaires
et les militaires dans une mission
nationale commune.
Les politiques de sécurité nationale
de Chávez sont basées sur des principes
démocratiques, ainsi que sur une
reconnaissance claire des menaces graves
à la souveraineté du Venezuela. Il a
réussi à sauvegarder la sécurité
nationale et les droits démocratiques et
les libertés politiques de ses citoyens,
un exploit qui lui a valu l’admiration
du Venezuela et l’envie d’avocats de
droit constitutionnel et des citoyens
des États-Unis et de l’Union européenne.
En contraste flagrant, le président
Barack Obama a assumé le pouvoir
d’assassiner ses concitoyens, basé sur
des informations secrètes et sans procès
à la fois à l’intérieur et à l’extérieur
des États-Unis. Son administration a
effectué ces assassinats « ciblés
» des citoyens états-uniens et de leurs
enfants, en a emprisonné d’autres sans
procès et maintient des "fichiers"
secrets sur plus de 40 millions de
compatriotes. Chávez n’a jamais assumé
ces pouvoirs et n’a jamais assassiné ou
torturé un seul Vénézuélien. Au
Venezuela, la douzaine de prisonniers
dont la condamnation pour des actes de
violence et de subversion est issue de
procès ouverts devant les tribunaux
vénézuéliens, contrastent fortement avec
les dizaines de milliers de musulmans et
les immigrés latino-américains
emprisonnés secrètement et sans procès
valable avec fausses preuves aux
États-Unis. Chávez a rejeté la terreur
d’État, tandis que Barack Obama dispose
d’équipes spéciales d’assassinat sur le
terrain dans plus de 70 pays. Obama
soutient les invasions policières
arbitraires des maisons des citoyens et
des lieux de travail basé sur des «
preuves secrètes ». Chávez a même
toléré les activités les partis
d’opposition financés par les services
secrets US. En un mot, Obama utilise la
« sécurité nationale » pour
détruire les libertés démocratiques
tandis que Chávez a confirmé les
libertés démocratiques et a imposé des
limites constitutionnelles à l’appareil
de sécurité nationale.
Chávez a cherché la résolution
pacifique des conflits diplomatiques
avec les pays voisins hostiles, tels que
la Colombie, qui accueille sept bases
militaires américaines - tremplins
potentiels à une intervention
états-unienne. D’autre part, M. Obama
s’est engagé dans une guerre ouverte
avec au moins sept pays et a poursuivi
des actions hostiles secrètes contre des
dizaines d’autres.
Conclusion
L’héritage de Chávez est à
multiples facettes. Ses
contributions sont originales,
théoriques, pratiques et
universellement applicables. Il a
démontré dans la théorie et la
pratique comment un petit pays peut
se défendre contre l’impérialisme et
maintenir les principes
démocratiques et passer à la mise en
œuvre des programmes avancés
sociaux. Sa poursuite de
l’intégration régionale et la
promotion de normes éthiques dans la
gouvernance d’une nation fournissent
des exemples profondément pertinents
dans un monde capitaliste croulant
sous les politiciens corrompus qui
sabrent le niveau de vie des peuples
tout en enrichissant les
ploutocrates.
Le rejet par Chávez de la
doctrine Bush-Obama du «
terrorisme d’État pour combattre le
terrorisme », son affirmation
que les racines de la violence sont
l’injustice sociale, le pillage
économique et l’oppression politique
et sa conviction que la résolution
de ces problèmes sous-jacents est le
chemin de la paix, est comme le
guide éthico-politique pour la
survie de l’humanité.
Face à un monde de violence
impériale de contre-révolution, il
résolut de se tenir aux côtés des
opprimés du monde. Hugo Chávez entre
dans l’histoire du monde comme un
leader politique complet, avec la
stature du chef le plus humain et
multivalent de notre époque : une
figure de Renaissance pour le 21e
siècle.
Traduction
Roger Lagassé
James Petras
Professeur émérite de sociologie à
l’université Binghamton de New York.
Dernier ouvrage publié en français :
La Face cachée de la mondialisation :
L’Impérialisme au XXIe siècle,
(Parangon, 2002). Dernier ouvrage publié
en anglais :
The Arab Revolt and the Imperialist
Counter Attack, (Clarity Press,
2011).
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