Promenades d'un économiste solitaire
Euro : la fin de
la récréation
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Dimanche 8 avril
2012
Depuis le début de la première
semaine d’avril, les opérateurs des
marchés financiers signifient à tout le
monde que la crise de l’Euro n’est pas
terminée, loin s’en faut.
Le mercredi 4 avril, l’Espagne a
placé avec beaucoup de difficultés un
emprunt d’un peu plus de 2,5 milliards
d’Euros (elle espérait 3,5 milliards)
avec des taux qui sont passés de 3,38% à
4,42%. La décote sur le marché
secondaire de cet emprunt implique un
taux d’intérêt de revente de ces titres
à 4,8%. Encore ne s’agit-il que de
titres à court terme. Les obligations à
10 ans espagnoles, qui étaient tombées
au début du mois de mars à 5%, sont
aujourd’hui à 5,7%.
Les difficultés financières dans
lesquelles se débat le pays sont la
cause de cette situation.
Bien entendu, la contagion est
immédiatement apparue. Les taux à 10 ans
italiens qui étaient redescendus à 4,8%
au début du mois de mars sont
aujourd’hui remontés à 5,4%.
En fait, le phénomène de baisse
générale des taux que l’on observait
depuis le début janvier, et qui était le
produit de l’injection massive de
liquidités par la Banque Centrale
Européenne au profit des banques
commerciales (489 milliards en décembre
2011 et 529 milliards en mars, à 1%
d’intérêt) s’est arrêté. La BCE a accru
son bilan de 30% en quatre mois, mais
pour un résultat des plus limités. Le
mouvement de hausse des taux a repris.
Les
inquiétudes du marché des changes
Un des signes les plus sûrs de la
dégradation de la situation est le
renouveau des tensions sur le Franc
Suisse. On le sait, ce dernier est une
valeur-refuge classique. La Banque
Nationale de Suisse (Banque Centrale de
la Confédération Helvétique ou SNB) a
fixé un cours-plafond au Franc Suisse à
1,20 FS pour un Euro à la suite de la
forte réévaluation de la devise
helvétique, qui s’était même approchée
de la parité (avec 1,04 FS contre 1
Euro) le 9 août 2011. Cette réévaluation
brutale faisait planer une menace
directe sur l’économie suisse, ce qui
explique le « plafond » alors fixé.
Depuis janvier dernier le cours du
Franc n’a cessé de monter et celui de
l’Euro de descendre. Le voici qui frappe
à la porte de la barre des 1,20 FS pour
1 Euro (1,201 le 6 avril 2012). En fait,
le Franc Suisse s’est réévalué de 7,7%
depuis l’annonce de la création de ce
plafond, et l’indication très claire
d’un engagement de la Banque Centrale de
le défendre à tout prix. Dans ce
dessein, elle vend des francs suisses et
achète des dollars. La Banque Nationale
de Suisse a donc dû acheter massivement
des dollars au mois de mars pour
ralentir ce mouvement, comme en a
témoigné la hausse des réserves avec 258
milliards de Dollars au 1er avril contre
246,8 milliards au 1er mars soit plus de
11 milliards en un mois. Lors de la
création du plafond, la BNS avait
d’ailleurs dû acheter plus de 19
milliards de Dollars pour défendre ce
dernier.
Un des membres du Comité de Direction
de la SNB, Jean-Pierre Danthine, a
d’ailleurs récemment déclaré que le
Franc Suisse était toujours surévalué.
Mais la Banque Centrale devra soit se
résoudre à continuer à vendre
massivement des francs suisses, soit se
résoudre à instaurer un contrôle sur les
mouvements de capitaux, ce qui serait
une véritable révolution pour la Suisse.
Cette dégradation du cours de l’Euro se
constate aussi par rapport aux autres
monnaies, le Dollar Américain ou le Yen
Japonais.
Dégradation du taux de change de l’Euro
durant mars 2012
|
Début janvier 2012 |
Début mars 2012 |
6 avril 2012 |
US Dollars pour 1 Euro*
|
1,27
|
1,35
|
1,308
|
Yen Japonais pour 1 Euro** |
98,3 |
110,35 |
106,7 |
* Au 6 janvier et 28 février
respectivement.
** Au 12 janvier et au 19 mars
respectivement.
La
permanence de la crise
À cela, il y a plusieurs raisons.
La crise que l’Espagne et l’Italie
connaissent, avec, bien entendu, la
Grèce et le Portugal, n’est pas une
simple crise de liquidité mais bien une
crise de solvabilité. Pour la résoudre,
il faudrait que ces pays retrouvent le
chemin de la croissance. Mais ils en
sont bien loin.
L’Espagne a une dette publique encore
relativement réduite (69% en 2011) ;
mais elle voit son économie s’effondrer.
Une contraction de -1,7% de la
production est annoncée, mais il ne fait
guère de doute que celle-ci soit plutôt
comprise entre -2,5% et 3,0%. Le chômage
y atteint 23,6% de la population active
au 1er mars 2012. Ceci a provoqué une
contraction des recettes budgétaires. Le
déficit sera donc en 2012 très supérieur
au 6% annoncé. L’Espagne est donc dans
l’incapacité d’atteindre ses objectifs
de déficit budgétaire. Pire, elle n’a
limité à 8% son déficit pour 2011 qu’au
prix d’impayés qu’il lui faudra soit
consolider dans son budget (d’où un
déficit supplémentaire) soit laisser
courir, mais avec le risque que ces
impayés ne provoquent à leur tour des
impayés sur les impôts de la part des
entreprises.
L’Italie est avant tout malade de sa
dette accumulée (120 % du PIB). Même
avec de faibles taux moyens sur cette
dette, elle doit débourser tous les ans
une part importante de son PIB. La
croissance étant en berne (les
prévisions pour le PIB de 2012 indiquent
-1,7% et -1% pour 2013), il est clair
que les recettes seront moindres que
prévues. Le budget italien sera donc
encore en déficit pour de nombreuses
années et ce quels que soient les
efforts du Premier ministre, M. Mario
Monti.
Ensuite, les crédits accordés par la
BCE n’ont eu aucun effet. Les banques
continuent de mettre en œuvre une forte
contraction du crédit pour les
particuliers et les entreprises.
L’argent à bon marché obtenu auprès de
la BCE leur a servi à acheter des titres
d’États, qu’elles se sont empressées
d’apporter à la « prise en pension » à
cette même la BCE. Le bilan de cette
dernière a à la fois fortement augmenté,
mais s’est aussi qualitativement
détérioré. En fait, avec plus de la
moitié de son actif (2687 milliards
d’Euros) constitué des mauvaises dettes,
la BCE s’est transformée en une immense
caisse de défaisance. Enfin, on constate
désormais que les effets de ces
injections de crédit sur les dettes
souveraines sont terminés. Les
conditions d’un nouvel accès de fièvre
dans la crise de l’Euro sont donc
réunies.
*Jacques Sapir est un
économiste français, il enseigne à
l'EHESS-Paris et au Collège d'économie
de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des
problèmes de la transition en Russie, il
est aussi un expert reconnu des
problèmes financiers et commerciaux
internationaux.
Il est l'auteur de nombreux
livres dont le plus récent est La
Démondialisation (Paris, Le Seuil,
2011).
© 2011
RIA Novosti
Publié le 9 avril 2012
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