Opinion
Le projet de
Nouvel Ordre Mondial trébuche
sur les
réalités géopolitiques
Imad Fawzi Shueibi
Maximilien
de Béthune, Duc de Sully (1559-1641)
Mercredi 8 août
2012
Voici quatre
siècles que des leaders politiques
tentent de créer un ordre international
qui régisse les relations entre les
Nations et prévienne les guerres. Si le
principe de souveraineté des États a
donné des résultats, les organisations
intergouvernementales ont surtout
reflété les rapports de force d’un
moment. Quant à l’ambitieux projet US de
Nouvel Ordre Mondial, il est en train de
se fracasser sur les nouvelles réalités
géopolitiques.
La lente formation d’un ordre
international
idée d’un ordre
mondial, ou international, apparaît dès
le XVIIe siècle, même si l’expression «
ordre mondial » n’a été introduite que
récemment dans le discours politique.
Elle a été discutée chaque fois que se
présentait une occasion d’organiser et
de pérenniser la paix.
C’est en 1603 que le roi de France
Henri IV fit élaborer par son ministre,
le duc de Sully, un premier projet. Il
s’agissait de constituer une république
chrétienne incluant tous les peuples
d’Europe. Elle aurait garanti la
préservation des nationalités et des
cultes et aurait été chargée de régler
les problèmes entre eux.
Ce Grand Dessein stipulait la
une redéfinition des frontières des
États pour équilibrer leur puissance, la
création d’une Confédération européenne
à 15, avec un Conseil supranational
disposant d’un pouvoir d’arbitrage, et
une armée capable de protéger la
confédération face aux Turcs.
-
Cependant ce rêve fut interrompu par
l’assassinat d’Henri IV et ne ressurgit
qu’à l’issue des guerres déclenchées par
Louis XIV. L’abbé de Saint-Pierre lança
son Projet pour rendre la paix
perpétuelle entre les souverains
chrétiens.
Ce plan, qui a été présenté au
Congrès d’Utrecht (1713), consistait à
adopter intégralement toutes les
décisions prises dans ladite conférence
comme base définitive en matière de
tracement des frontières entre les pays
belligérants, et la mise en place d’une
ligue des nations européennes (une
fédération internationale) ayant pour
mission de prévenir les conflits.
Indépendamment de cette utopie, le
plus important à cette époque fut, bien
entendu, les Traités de paix de
Westphalie, signés en 1648. Ils
interviennent à l’issue d’un guerre de
Trente ans, conduite sous bannières
religieuses, donnant lieu à une
accumulation de haine et à
l’anéantissement de 40 % de la
population.
Les négociations durèrent quatre ans
(1644-1648). En définitive, elles
consacrèrent une égalité dans les
négociations entre toutes les parties
belligérantes, qu’elles soient
catholiques ou protestantes,
monarchiques ou républicaines.
Les Traités de Westphalie posaient
quatre principes fondamentaux :
1. La souveraineté absolue de
l’État-nation, et le droit fondamental à
l’autodétermination politique.
2. L’égalité juridique entre les
États-nations. Le plus petit État est,
de ce fait, égal au plus grand, quelque
soit sa faiblesse ou sa force, sa
richesse ou sa pauvreté.
3. Le respect des traités, et
l’émergence d’un droit international
contraignant.
4. La non ingérence dans les affaires
intérieures des autres États.
Certes, ce sont des principes
généraux qui ne déterminent pas une
souveraineté absolue, mais il n’y en a
jamais eu. Toutefois ces principes
délégitimaient toute action susceptible
d’abolir cette souveraineté.
Les philosophes politiques ont tous
soutenu ces projets. Rousseau a vivement
appelé à constituer un unique État
contractuel regroupant tous les pays
européens. Kant a publié en 1875 Vers
la Paix perpétuelle. Pour lui, la
paix est une construction juridique qui
exige de codifier une loi générale
applicable à tous les États.
L’utilitariste anglais Bentham a
stigmatisé la diplomatie secrète en ce
qu’elle s’exonère du droit. Il a appelé
également à créer une opinion publique
internationale pouvant contraindre les
gouvernements à se soumettre aux
résolutions internationales ainsi qu’à
l’arbitrage.
Signature
d’un des Traités de Westphalie
La création des
institutions régulatrices
internationales
-
Clément-Wenceslas de
Metternich (1773-1859)
L’idée d’un ordre international n’a
cessé de progresser au fur et à mesure,
et toujours sur la base des règles de la
souveraineté adoptées par les Traités de
Westphalie. Elle a donné naissance à la
Sainte Alliance proposée par le
Tsar Alexandre Ier en 1815, ainsi qu’au
projet de Concert européen
proposé par le chancelier autrichien
Metternich au XIXème siècle visant à
prévenir « la révolution » qui signifie
dans le langage rationnel politique, le
chaos.
C’est à partir de ce moment que les
États commencèrent à tenir des sommets
pour résoudre des problèmes en dehors
des guerres, en privilégiant l’arbitrage
et la diplomatie.
C’est dans cette perspective que la
Société des Nations (SdN) fut fondée à
l’issue de la Première Guerre mondiale.
Mais elle n’était que la concrétisation
des rapports de force du moment, au
service des puissances victorieuses de
cette guerre. Ses valeurs morales
étaient donc relatives. Ainsi, malgré
son objectif affiché de régler les
différents entre nations par l’arbitrage
plutôt que par la guerre, elle se
déclarait compétente pour la supervision
des peuples sous-développés ou colonisés
-politiquement, économiquement, et
administrativement- jusqu’à leur
autodétermination. C’est ce qui a
conduit naturellement à la légitimation
des mandats. En tenant une telle
position, la Société des Nations a
incarné la réalité coloniale.
Le caractère artificiel de cette
organisation s’est révélé lorsqu’elle
s’est trouvée incapable de faire face à
de graves événements internationaux
comme la conquête de la Mandchourie par
le Japon, celle de l’Abyssinie (Éthioipie)
et l’annexion de Corfou (Grèce) par l’italie,
etc.
La Société
des Nations réunie à Genève
Malgré le fait que l’idée de la SdN,
concue par Léon Bourgeois, ait été
promue par le président des États-Unis
Woodrow Wilson, Washington n’y a jamais
adhéré. Mis en cause, le Japon et
l’Allemagne s’en sont retirés. De sorte
que l’institution s’est trouvée sans
valeur.
Successeur de la SdN, l’ONU était le
reflet de la
Charte de l’Atlantique, signée par
les États-Unis et le Royaume-Uni, le 4
août 1941, et de la déclaration de
Moscou, adoptée par les Alliés le 30
octobre 1943, annonçant la création d’«
une organisation générale fondée sur le
principe d’une égale souveraineté de
tous les États pacifiques ». Le projet
fut développé lors de la Conférence de
Dumbarton Oaks tenue à Washington du 21
août au 7 octobre 1944.
Les principes de la Charte de
l’Atlantique ont fait ainsi l’objet
d’une approbation pendant la conférence
de Yalta (4-12 Février 1945), avant
d’être consacrés par la conférence de
San Francisco (25 et 26 Juin 1945).
L’idéologie mondialiste s’est alors
incarnée dans l’ONU qui, dès sa
création, a prétendu établir un système
de sécurité collective pour tous, y
compris pour les États qui n’en étaient
pas membres. En réalité, l’ONU n’est pas
plus que la SdN une société
contractuelle entre égaux, mais le
reflet des rapports de force du moment
au profit des vainqueurs du moment.
Cela dit, le monde entier s’inclina
devant cette volonté.
Le Conseil
de sécurité des Nations Unies
Cette organisation, qui se voulait
mondiale, n’était en pratique que
l’expression de la volonté de domination
des puissances victorieuses au détriment
de la volonté des peuples qui n’était
pas prise en compte.
Cette réalité géopolitique a été
confirmée lors de la création du Conseil
de sécurité formé de cinq grandes
puissances (les vainqueurs) en qualité
de membres permanents, et d’autres
membres, non permanents, mais élus selon
des critères géographiques, donnant lieu
à une sous-représentation de l’Afrique
et de l’Asie.
La défaillance de ce système est
apparue durant la Guerre froide. Le
conflit entre les deux grandes
puissances s’est imposé aux petites qui
en ont supporté toutes les conséquences
sur les plans locaux ainsi que
régionaux.
Cette structuration des rôles était
évidente dans le fonctionnement de l’ONU
que ce soit à l’égard des demandes
d’adhésion que pour le traitement des
conflits, comme on l’a vu à propos de la
Palestine, de la Corée, de la
nationalisation du pétrole iranien, de
la crise du Canal de Suez, des
occupations israéliennes, du Liban etc.
L’ONU a été créée en proclamant « la
foi dans les droits fondamentaux de
l’homme, dans la dignité et la valeur de
la personne humaine, dans l’égalité de
droits des hommes et des femmes, ainsi
que des nations, grandes et petites, à
créer les conditions nécessaires au
maintien de la justice et du respect des
obligations nées des traités et autres
sources du droit international ».
Cependant, le système de veto a privé
les autres nations du droit d’être
acteurs en toute égalité.
En définitive, les institutions
internationales ont toujours illustré
l’équilibre des puissances, loin de
toute idée de justice au sens
philosophique ou moral.
Le Conseil de sécurité est un
directoire mondial (dans la
continuation de celui installé par
Metternich). Il réserve la capacité
d’imposer des résolutions aux seuls
Alliés, vainqueurs de la Seconde Guerre
mondiale, et non à ceux qui recherchent
la paix.
Après la dissolution de l’Union
Soviétique, il était crucial de changer
le système international.
Le remodelage des
relations internationales par les
États-Unis
-
-
Leo Strauss (1899-1973)
C’est à ce moment que les disciples
de Leo Strauss ont triomphé aux
États-Unis avec l’aide des journalistes
néoconservateurs. Selon eux, la société
est divisée en trois castes : les sages,
les seigneurs et le peuple. Les sages
détiennent seuls la vérité et n’en
révèlent qu’une partie aux politiciens
(les seigneurs), tandis que le peuple
doit se soumettre à leurs décisions. Ils
n’ont cessé de promouvoir leurs idées et
d’appeler à l’abrogation des principes
des Traités de Westphalie, à savoir le
respect de la souveraineté des États et
la non ingérence dans leurs affaires
intérieures. Pour imposer l’hégémonie
occidentale, ils ont évoqué un « droit
d’ingérence humanitaire », et une «
responsabilité de protéger », incombant
aux sages, exécutée par les seigneurs,
et imposée aux peuples. Révisant le
vocabulaire de la Seconde Guerre
mondiale, ils ont aussi appelé à
remplacer la « Résistance » par des
négociations.
En 1999, les appels des
néoconservateurs ont été relayés dans
plusieurs pays occidentaux, notamment au
Royaume-Uni et en France. Tony Blair
présenta l’attaque du Kosovo par l’OTAN
comme la première guerre humanitaire de
l’Histoire. Dans un discours prononcé à
Chicago, il affirma que le Royaume-Uni
ne cherchait pas à défendre ses
intérêts, mais à promouvoir des valeurs
universelles. Sa déclaration fut saluée
aussi bien par Henry Kissinger que par
Javier Solana (qui était alors
secrétaire général de l’OTAN et pas
encore de l’UE). Peu après, Bernard
Kouchner était nommé par l’ONU
administrateur du Kosovo.
Tony Blair
énonce sa doctrine (Chicago, 22 avril
2009)
Il n’y a pas de différence notable
entre la théorie des straussiens et
celle des nazis. Dans Mein Kampf,
Adoph Hitler stigmatisait déjà le
principe de souveraineté des États
affirmé par le Traité de Westphalie.
Au plan économique, cette vision des
choses a déjà triomphé avec le FMI, la
Banque mondiale et l’OMC. Dès leur
création, ces institutions ont cherché à
s’ingérer dans les politiques
économiques, budgétaires et financières
des États, surtout les plus pauvres et
vulnérables. Certains États arabes ont
été victimes de leurs conseils en
matière de libéralisation économique, de
privatisation du secteur public, de
braderie des ressources naturelles.
Washington a hésité sur la conduite à
tenir après la disparition de l’URSS.
Progressivement les États-Unis se sont
affirmés comme super-puissance unique,
comme « hyper-puissance » selon
l’expression d’Hubert Védrine. Dès lors,
ils ont considéré que le système onusien
hérité de la Seconde Guerre mondiale
était dépassé. Il ne se sont pas
contentés de se désintéresser de l’ONU,
ils ont alors cesser de remplir leurs
obligations financières, ils n’ont pas
ratifié le Protocole de Kyoto, ils ont
refusé d’adhérer à la Cour pénale
internationale, et ont humilié l’Unesco
à plusieurs reprises.
Les concepts issus de la Seconde
Guerre mondiale ont été balayés par les
attentats du 11 septembre 2001. La
Stratégie nationale de sécurité des
États-Unis d’Amérique, publiée par
le président George W. Bush, le 20
septembre 2002, proclame un nouveau
droit, « l’action militaire préventive
conte les États voyous ».
La stratégie US s’est accompagnée
d’un bouleversement conceptuel.
La notion de Résistance, issue de la
Résistance française à l’occupation
nazie, a été délégitimée au profit d’une
exigence de résolution des conflits par
la négociation, indépendamment des
droits inaliénables des parties. De
même, la notion de terrorisme -jamais
définie en droit international- a été
utilisée pour délégitimer tout groupe
armé en conflit avec un État, quelles
que soient les causes de ce conflit.
Abrogeant les lois de la guerre,
Washington a remis au goût du jour les «
assassinats ciblés » qu’il avait
abandonnés après la guerre du Vietnam et
qu’Israël pratique depuis plus d’une
décennie. Selon leurs juristes, il ne
s’agirait pas à proprement parler d’«
assassinats », mais de « meurtre en
légitime défense », alors même qu’il n’y
a ni nécessité pour se protéger, ni
concomitance de la menace et de la
réaction, ni proportionnalité de la
riposte.
L’ingérence humanitaire, ou la
responsabilité de protéger ont été
placés au dessus de la souveraineté des
États.
Enfin, la notion d’États voyous a fait
son apparition.
-
Bernard Lewis (1916 - )
Ces États sont définis par quatre
critères qui relèvent largement de la
supputation et du procès d’intention :
Leurs dirigeants oppriment leur
population et pillent leurs biens.
Ils ne respectent pas les lois
internationales et constituent une
menace permanente pour leurs voisins.
Ils soutiennent le terrorisme.
Ils haïssent les États-Unis et leurs
principes démocratiques.
C’est avec une décennie de retard par
rapport à la disparition de l’URSS que
les États-Unis ont lancé leur remodelage
des relations internationales.
Concernant le Proche-Orient, le
philosophe néoconservateur Bernard Lewis
et son disciple Fouad Ajami ont énoncé
les principaux objectifs : mettre fin au
nationalisme arabe en frappant les
régimes tyranniques qui ont cimenté la
mosaïque tribale, confessionnelle, et
religieuse. La destruction et le
dépeçage des États de cette région
conduiront au « Chaos constructeur »,
une situation incontrôlable dans
laquelle disparaît toute cohésion
sociale et où l’homme est renvoyé à
l’état de nature. Ces sociétés
retourneront alors à un stade
pré-national, voire pré-historique, d’où
surgiront des micro-États ethniquement
homogènes et, par la force des choses,
dépendants des États-Unis. L’un des
leaders straussiens, Richard Perle,
assurait que les guerres en Irak et au
Liban seraient suivies d’autres en
Syrie, en Arabie saoudite, et finiraient
en apothéose en Égypte.
Trois étapes
Quoi qu’il en soit, la construction
de ce Nouvel Ordre Mondial a traversé
plusieurs étapes.
1. 1991-2002 fut une étape
d’indétermination. Washington hésita à
s’affirmer comme unique super-puissance
et à décider unilatéralement du sort du
monde. Même si cette période s’est
étendue sur plus d’une décennie, elle ne
représente qu’un bref moment de
l’histoire.
2. Au cours des années 2003-2006,
Washington a tenté d’appliquer à tout
prix la théorie du « Chaos constructeur
» pour étendre son hégémonie. Il a mené
deux guerres, l’une avec ses propres
troupes en Irak, l’autre par procuration
au Liban. La défaite israélienne de 2006
a momentanément interrompu ce projet. La
Russie et la Chine utilisèrent alors par
deux fois leur veto au Conseil de
sécurité (à propos du Myanmar et du
Zimbabwe) comme pour manifester
timidement leur retour sur la scène
internationale.
3. Dans la période qui va de 2006 à
aujourd’hui, le système unipolaire a
cédé la place à un monde non-polaire. La
puissance est dispersée. La Chine, l’UE,
l’Inde, la Russie, et les États-Unis,
représentent à eux seuls plus de la
moitié des habitants du monde, ils
détiennent 75 % du PIB mondial et
effectuent 80 % des dépenses militaires.
Cet état de fait justifie jusqu’à un
certain point un fonctionnement
multipolaire du fait de la compétition
persistante entre ces pôles.
La nébuleuse d’un monde
non-polaire
-
Surtout, ces puissances doivent
affronter des défis provenant aussi bien
de dessus (les organisations régionales
et mondiales) que de dessous (les
milices, les ONG, les entreprises
multinationales). La puissance est
partout et nulle part, en plusieurs
mains, en plusieurs lieux.
Outre les six grandes puissances
mondiales, il existe quantité de
puissances régionales. On peut évoquer
en Amérique latine le cas du Brésil,
plus ou moins l’Argentine, le Chili, le
Mexique, le Venezuela. En Afrique, le
Nigeria, l’Afrique du Sud, ainsi que
l’Égypte. Au Proche-Orient, l’Iran,
Israël, l’Arabie Saoudite. Le Pakistan,
dans le sud-est de l’Asie. L’Australie,
l’Indonésie, la Corée du Sud, en Asie
orientale et dans le Pacifique
occidental.
De nombreuses organisations
intergouvernementales s’inscrivent sur
cette liste de forces : le FMI, la
Banque mondiale, l’OMS et l’ONU en tant
que telles. Des organisations régionales
comme l’Union africaine, la Ligue arabe,
l’ASEAN, l’UE, l’ALBA, etc. Sans oublier
des clubs comme l’OPEP.
Il faut encore ajouter certains États
à l’intérieur des États-Nations comme la
Californie ou l’Uttar Pradesh [ État
d’Inde le plus peuplé ], et encore des
villes comme New York ou Shanghai.
Il y a aussi les entreprises
multinationales, notamment celles de
l’énergie et des finances. Et les médias
globaux comme Al-Jazeera, BBC, CNN. Et
les milices comme le Hezbollah, l’Armée
du Mehdi ou les Talibans. Il faut
ajouter des partis politiques, des
mouvements et institutions religieuses,
des organisations terroristes, des
cartels des drogues, des ONG et
fondations. La liste est interminable.
World
Economic Forum (Davos)
Les États-Unis restent la principale
concentration de puissance. Leurs
dépenses militaires annuelles sont
estimées à plus de 500 milliards de
dollars. Ce chiffre peut atteindre 700
milliards, si nous prenons en compte le
coût des opérations en cours, à la fois
en Irak et en Afghanistan. Avec leur PIB
annuel, estimé à 14 trillions de
dollars, ils sont classés première
économie dans le monde.
Toutefois, la réalité de la puissance
états-unienne ne doit pas masquer son
déclin à la fois en valeur absolue et
relativement aux autres États. Comme l’a
fait remarquer Richard Haass, le
président du Council on Foreign
Relations, la progression de pays comme
la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite
et les Émirats atteint 1 trillion de
dollars par an. Cela est dû bien sûr au
marché de l’énergie. Vu l’explosion de
la demande chinoise et indienne, ce
montant continuera à croître. La
faiblesse du dollar face à la livre
sterling et à l’euro n’entrainera pas
seulement une dépréciation de sa valeur
face aux monnaies asiatiques, mais une
possible transformation du marché du
pétrole qui se payera avec un panier de
devises, voire en euros.
Et lorsque le dollar ne sera plus la
monnaie des échanges pétroliers,
l’économie états-unienne se trouvera
vulnérable à l’inflation et aux crises
monétaires.
Deux mécanismes fondamentaux ont
soutenu le monde non polaire :
Nombre de flux financiers ont trouvé
leur chemin en dehors des voies légales
et à l’insu des gouvernements. Ce qui
tend à montrer que la mondialisation
affaiblit l’influence des puissances
principales.
Ces flux ont été largement utilisés par
les États pétroliers pour financer
secrètement des acteurs non-étatiques.
Par conséquent, dans un système non
polaire, le fait d’être l’État le plus
puissant du monde ne garantit pas le
monopole de la force. Toutes sortes de
groupes, voire d’individus, peuvent
accumuler de l’influence.
Selon le professeur Hedley Bull, les
relations internationales ont toujours
été un mélange d’ordre et de chaos. Si
l’on suit sa théorie, le système
non-polaire livré à lui-même se
complexifie. Et c’est ce qui s’est
passé.
En 2011, l’exacerbation des tensions
autour de la Libye a montré que le
système non polaire n’était plus viable.
Deux orientations concurrentes se sont
fait jour.
La première est états-unienne. Elle
vise à construire un Nouvel Ordre
Mondial correspondant à la stratégie de
Washington. Elle suppose l’abolition de
la souveraineté des États, instaurée
depuis les Traités de Westphalie, et son
remplacement par l’ingérence humanitaire
à la fois comme légitimation rhétorique
et comme cheval de Troie de l’American
Way of Life.
-
-
Brésil + Russie + Inde +
Chine = BRIC
La seconde, soutenue par
l’Organisation de coopération de
Shanghai et les BRICS, est sino-russe.
Elle réclame le maintien des principes
du Traité de Westphalie, sans pour
autant envisager un retour en arrière.
Il s’agit de déterminer une nouvelle
règle du jeu. Quelque chose basé autour
de deux noyaux autour desquels pivotent
un certain nombre de pôles.
De toute évidence, le contrôle des
ressources, notamment les énergies
renouvelables, est le passage idéal vers
la création d’un nouveau système, dont
l’émergence est bloquée depuis 1991.
Il est clair aussi que le contrôle du
gaz et des voies du transport, est le
centre du conflit à propos de la Syrie.
Sans aucun doute, la polarisation des
puissances sur ce sujet dépasse
certainement les causes internes, et
surpasse la question d’accès aux eaux
chaudes, ou l’intérêt logistique de la
base navale de Tartous.
L’impératif énergétique
La bataille de l’énergie était la
grande affaire de Dick Cheney. Il l’a
conduite de 2000 à 2008 en confrontation
nette avec la Chine et la Russie. Depuis
cette politique a été poursuivie par
Barack Obama.
Pour Cheney, la demande d’énergie
progresse plus vite que l’offre ce qui
conduit à terme à une situation de
pénurie. Le maintien de la domination US
passe donc prioritairement par le
contrôle des réserves restantes de
pétrole et de gaz. En outre, de manière
plus générale, si les relations
internationales actuelles sont
structurées par la géopolitique du
pétrole, c’est l’approvisionnement d’un
État qui détermine son ascension ou sa
chute. D’où son plan en quatre points :
Encourager, quel que soit le coût, toute
production locale par des vassaux de
manière à réduire la dépendance des
États-Unis vis-à-vis de tout fournisseur
non ami, de manière à augmenter la
liberté d’action de Washington.
Contrôler les exportations de pétrole
depuis les États arabes du Golfe, non
pas pour se les accaparer, mais pour les
utiliser comme moyen de pression à la
fois sur les clients et sur les autres
fournisseurs.
Contrôler les voies maritimes en Asie,
c’est-à-dire l’approvisionnement de la
Chine et du Japon non seulement en
pétrole, mais aussi en matières
premières.
Encourager la diversification des
sources d’énergie utilisées en Europe
afin de réduire la dépendance des
Européens vis-à-vis du gaz russe et de
l’influence politique que Moscou en
tire.
Dick
Cheney (1941 -)
Or, les Étasuniens ont fixé comme
objectif principal leur indépendance
énergétique. C’était le sens de la
politique élaborée par Dick Cheney après
des consultations approfondies avec les
géants de l’énergie, en mai 2001. Elle
passe par une diversification des
sources : pétrole local, le gaz
domestique, et charbon, énergie
hydroélectrique et nucléaire. Et par un
renforcement des échanges avec les pays
amis de l’hémisphère occidental,
notamment le Brésil, le Canada, et le
Mexique.
L’objectif secondaire est le contrôle
des flux de pétrole dans le golfe arabe.
Ce fut la principale raison pour
déclencher Tempête du désert (1991),
puis l’invasion de l’Irak (2003).
Le plan Cheney s’est concentré sur le
contrôle des voies maritimes : le
détroit d’Ormuz (par où transite 35 % du
commerce mondial de pétrole), ou le
détroit de Malacca. À ce jour, ces voies
maritimes restent essentielles à la
survie économique de la Chine, du Japon,
de la Corée du Nord, et même de Taiwan.
Ces corridors, permettent l’acheminement
des sources d’énergie et des matières
premières vers les industries
asiatiques, puis l’exportation des
produits manufacturés vers les marchés
mondiaux. En les contrôlant, Washington
se garantit à la fois la loyauté de ses
principaux alliés asiatiques et la
restriction de la montée en puissance de
la Chine.
La mise en œuvre de ces objectifs
géopolitiques traditionnels a conduit
les États-Unis à renforcer leur présence
navale dans la zone Asie-Pacifique, et à
conclure un réseau d’alliances
militaires entre le Japon, l’Inde et
l’Australie. Toujours pour contenir la
Chine.
Washington a toujours considéré la
Russie comme un compétiteur
géopolitique. Il a profité de chaque
occasion pour réduire sa puissance et
son influence. Il craignait en
particulier la dépendance croissante de
l’Europe occidentale au gaz naturel
russe, ce qui pourrait nuire à sa
capacité d’opposition aux mouvements
russes en Europe orientale et dans le
Caucase.
Pour offrir une alternative,
Washington a poussé les Européens à
s’approvisionner dans le bassin de la
mer Caspienne, en construisant de
nouveaux gazoducs à travers la Géorgie
et la Turquie. Il s’agissait de
contourner la Russie, avec l’aide de
l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du
Turkménistan, en évitant d’utiliser les
gazoducs de Gazprom. D’où l’idée de
Nabucco.
Pour renforcer l’indépendance
énergétique de son pays, Barack Obama
s’est soudain transformé en nationaliste
autarcique. Il a encouragé
l’exploitation du pétrole et du gaz de
l’hémisphère occidental, quels que
soient les dangers des forages dans des
zones écologiquement fragiles, comme le
large de l’Alaska ou le Golfe du
Mexique, et quelque soient les
techniques utilisées, comme le craquage
de l’eau.
-
Dans son discours sur l’état de la
Nation 2012, le président Obama a
fièrement déclaré :
« Au cours des trois dernières années,
nous avons ouvert des millions d’acres
de terres à explorer pour le pétrole et
le gaz. Ce soir, j’ai demandé à
l’administration d’ouvrir plus de 75 %
des ressources pétrolières et gazières
offshore. Maintenant, en ce moment, la
production étasunienne du pétrole est la
plus élevée depuis huit ans. C’est vrai.
Depuis huit ans. Et ce n’est pas tout.
L’année dernière, notre dépendance au
pétrole étranger a reculé, et a atteint
le niveau le plus bas depuis seize ans »
[1].
Il a évoqué, avec un enthousiasme
particulier, l’extraction du gaz naturel
par craquage des schistes bitumineux : «
Nous avons des réserves de gaz
naturels qui préservent l’Amérique pour
une centaine d’années » [2].
En mars 2011, Washington a accru ses
importations du Brésil pour se sevrer du
pétrole du Moyen-Orient.
En fait, Washington n’a jamais cessé
d’assurer le contrôle étasunien des
voies maritimes vitales qui s’étendent
du détroit d’Ormuz jusqu’à la mer
méridionale de Chine, et de construire
un réseau de bases et d’alliances qui
encerclent la Chine —la puissance
mondiale émergente— sous forme d’un arc
allant du Japon à la Corée du Sud,
l’Australie, le Vietnam et les
Philippines dans le Sud-Est, puis en
Inde, dans le Sud-Ouest. Le tout
couronné par un accord avec l’Australie
visant à construire une installation
militaire à Darwin, sur la côte nord du
pays, près de la mer de Chine
méridionale.
Washington tente d’inclure l’Inde
dans une coalition de pays de la région
hostiles à la Chine pour arracher New
Delhi aux mains du BRICS ; une stratégie
d’encerclement de la Chine qui provoque
une très vive inquiétude à Pékin.
Des études ont fait apparaître
une répartition inattendue des
réserves de gaz mondiales. La Russie
vient au premier rang avec les 643
trillions de pieds cube de Sibérie
occidentale. En seconde position,
l’Arabie, incluant le gisement du
Ghawar, avec 426 trillions de pieds
cube. Puis, en troisième, la
Méditerranée avec 345 trillions de
pieds cube de gaz auxquels il
convient d’ajouter 5,9 milliards de
barils de gaz liquide, et encore 1,7
milliards de barils de pétrole.
Concernant la Méditerranée,
l’essentiel se trouve en Syrie. Le
gisement découvert à Qara pourra
atteindre 400 000 mètres cubes par
jour, ce qui fera du pays le
quatrième producteur de la région,
après l’Iran, l’Irak et le Qatar.
Le transport du gaz depuis la
ceinture de Zagros (Iran) vers
l’Europe doit passer par l’Irak et
la Syrie. Il a complètement renversé
les projets états-uniens et a
consolidé les projets russes (South
Stream et Nord Stream). Le gaz
syrien a échappé à Washington, il ne
lui reste qu’à se rabattre sur le
gaz libanais.
La guerre continue…
Traduction
Said Hilal Alcharifi
[1]
“Over the
last three years, we’ve opened millions
of new acres for oil and gas
exploration, and tonight, I’m directing
my administration to open more than 75
percent of our potential offshore oil
and gas resources. (Applause.) Right now
— right now — American oil production is
the highest that it’s been in eight
years. That’s right — eight years. Not
only that — last year, we relied less on
foreign oil than in any of the past 16
years”.
[2]
“We have a
supply of natural gas that can last
America nearly 100 years.”
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