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Oumma.com
A qui profitent les révélations de
Wikileaks ?
Hicham Hamza
Julian Assange
Mardi 30 novembre 2010
Psychodrame international. Dimanche, le
site Wikileaks a commencé à dévoiler des centaines de milliers
de rapports diplomatiques, la plupart classés confidentiels. En
ligne de mire : les Etats-Unis mais aussi, et surtout, l’Iran,
la Turquie et le Pakistan. Retour sur une divulgation
unanimement critiquée par les chefs de gouvernement à travers le
monde, à l’exception d’un seul qui l’a salué aujourd’hui : le
Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Des potins sur les grands de ce monde : c’est ce
qui ressort de la couverture médiatique initiale au sujet des
250000
mémos diplomatiques en cours de
publication par le site
Wikileaks et son porte-parole,
Julian
Assange, déjà interrogé précédemment
par
Oumma. Aucun secret d’Etat n’est dévoilé. Sarkozy en
« empereur nu, autoritaire et susceptible », Angela Merkel
surnommée « Teflon », Berlusconi en amateur de
« parties sauvages », Kadhafi et son « infirmière
ukrainienne, blonde et voluptueuse » et Poutine vu comme un
« mâle dominant » : la géopolitique abordée sous l’angle
people. Plus intéressantes sont les révélations, dignes d’un
thriller d’espionnage, sur la propension des diplomates
américains à recueillir
tout élément d’information (y compris l’ADN) au sujet
d’individus jugés intéressants par le Département d’Etat. De
même, une rumeur stupéfiante, autrefois envisagée avec dédain
par les zélateurs de Washington, est désormais confirmée : les
Etats-Unis ont proposé de réaliser un
« troc » entre prisonniers de Guantanamo et avantages
diplomatiques en tout genre à des pays divers tels la Belgique
et la république insulaire de Kiribati. D’autres informations
sont plus anecdotiques comme celle relative au vice-président
afghan, Ahmed Zia Massoud, transportant 52 millions de dollars
en cash aux Emirats arabes unis. Un autre secret de polichinelle
est aussi confirmé : la prépondérance de notables saoudiens dans
le financement d’Al Qaida. Plus compromettante pour les
Etats-Unis est la divulgation d’un mémo indiquant les
intimidations des Américains à l’encontre de l’Allemagne
pour ne pas poursuivre en justice la CIA, responsable de la
séquestration en Afghanistan d’un
citoyen allemand confondu avec un terroriste.
L’embarras touche aussi le Moyen-Orient :
l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Bahreïn se révèlent être
des partisans vindicatifs d’une attaque américaine contre
l’Iran. Autre source de gêne, la position du président yéménite,
exprimée en janvier dernier, à l’égard des victimes de
bombardements américains dans son propre pays : non seulement il
ne condamne pas ceux-ci mais il s’est explicitement engagé à
occulter la responsabilité américaine en revendiquant
lui-même les attaques contre les groupes islamistes. Inquiet des
trafics d’armes et de drogues, le président yéménite, Ali
Abdullah Saleh, précise au passage, à l’attention du général
américain David Petraeus, se soucier davantage que le whisky
arrive à bon port, « pourvu qu’il soit bon ».
La France, nain politique
Qu’en est-il de la France ? La confirmation de
ce que l’on savait déjà :
l’hostilité des diplomates de l’Elysée, dont le premier en
tête, Jean-David Levitte, à l’endroit de l’Iran, cet Etat
« fasciste » ou du Venezuela, pays dirigé par ce « fou »
de Hugo Chavez. Plus singulière est la révélation
relative à l’ancien ministre de la Défense,
Hervé Morin : lors d’un entretien effectué en février
dernier avec son homologue américain, le président du Nouveau
Centre a fait preuve d’une certaine résistance aux desideratas
américains, critiquant l’opportunité d’un nouveau système de
défense anti-missiles sous l’égide de l’Otan ou la mise à
distance de la Russie dans des transactions d’équipements
militaires. Au passage, le mémo révèle une chose étonnante : le
désaveu du ministre par ses propres subalternes qui ont fait
savoir aux Américains que son « opinion » ne reflétait
que la sienne. Il est aussi question dans ce rapport
confidentiel de l’envoi secret de forces spéciales françaises
pour tenter de libérer les journalistes de France 3 détenus en
Afghanistan ou de l’engagement du secrétaire américain à la
Défense de ne pas embarrasser les Français, sur la question
délicate du renfort militaire, au cours de la campagne des
élections régionales.
Pour le plus grand bonheur de Tel Aviv
« Ces [révélations] n’affectent pas du
tout Israël, peut-être même est-ce le contraire », a reconnu
Giora Eiland, général israélien à la retraite et ancien
conseiller d’Ariel Sharon. Ces documents, précise-t-il,
« montrent que des pays arabes tels que l’Arabie saoudite
s’intéressent bien plus à l’Iran qu’au conflit
israélo-palestinien, par exemple ». Le Premier ministre est
encore plus
enthousiaste : « Pour la première fois dans l’histoire,
il y a un consensus pour dire que l’Iran est la menace ».
Lyrique, Benjamin Netanyahu veut s’afficher comme un pacifiste :
« Si la divulgation amène les dirigeants de la région à parler
ouvertement contre Téhéran, alors les révélations auront
contribué à la paix dans le monde »,
ajoute-t-il. Priez de ne pas sourire : les documents
révélés pas Wikileaks, décrivant une menace nucléaire croissante
de la part de l’Iran, les liens de la Turquie avec Al Qaida en
Irak, le danger pakistanais et la discorde au sein de la Ligue
arabe font les délices de Tel Aviv qui œuvre, comme chacun le
sait, pour « la paix dans le monde ». Gideon Lévy,
chroniqueur au quotidien Haaretz, ne s’y est pas trompé : fin
octobre, dans un
éditorial satirique, il avait félicité, au nom d’Israël,
Wikileaks pour avoir démontré au reste du monde que les
exactions de guerre commises par les Américains étaient bien
plus graves que celles effectuées en 2009 par l’armée
israélienne dans la bande de Gaza. De là à suspecter que
Wikileaks est une habile opération psychologique sous-traitée
par des services secrets, notamment
israéliens, c’est une
hypothèse, déjà populaire
sur
Internet, que rien de substantiel ne permet à ce jour
d’étayer. Une chose demeure pourtant évidente : en 2010, les
révélations du site ont davantage embarrassé les Etats-Unis, ses
alliés au Moyen-Orient et l’Iran qu’elles n’ont gêné d’autres
puissances régionales comme la Chine, l’Inde et Israël.
Evidemment, parmi les documents divulgués,
certains peuvent titiller quelque peu les alliés traditionnels
de Tel Aviv : ainsi en va-t-il de
celui relatif au Maroc. Après avoir qualifié le président
Kadhafi d’« émotif » et déploré le danger islamiste au
sud de l’Algérie, Meir Dagan, l’ancien directeur du Mossad (qui
vient justement de
quitter ses fonctions après huit ans de bons et loyaux
services
en
tout genre), avait fait savoir en 2007 aux diplomates
américains que le Maroc, confronté au terrorisme, s’en sortait
plutôt bien, « en dépit de son roi ». Sous-entendu : à
ses yeux, Mohammed VI n’aurait pas d’intérêt pour la gouvernance
du pays. Difficile, pourtant, de concevoir, à ce jour, une
réaction indignée de Rabat à l’endroit de Tel Aviv pour ce
propos peu amène.
Autre exemple d’un embarras tout relatif : la
révélation d’une inquiétude des autorités israéliennes à
l’encontre de l’Iran avant l’accession au pouvoir de Mahmoud
Ahmadinejad. En mars 2005, soit quelques mois avant l’élection
du maire de Téhéran à la présidence du pays, Ariel Sharon
redoutait déjà la prétendue menace nucléaire que constituerait
l’Iran à moyen terme. Dans l’opinion publique, le danger iranien
est surtout associé au tempérament provocateur de Mahmoud
Ahmadinejad . Le mémo de 2005 suggère pourtant que l’Iran, même
sous la direction du modéré Mohammad Kathami, était déjà perçu
comme la menace la plus importante après l’élimination opportune
de celle que représentait l’Irak.
The show must go on
La satisfaction publique d’un Benjamin Netanyahu
révèle l’identité du camp réjoui par les dernières révélations
de Wikileaks : non pas un quelconque « axe américano-sioniste »
mais plus précisément la frange dure des
néoconservateurs américains, israéliens et européens qui
propagent, depuis une quinzaine d’années, le fantasme d’un
« péril islamo-nucléaire » incarné par le Pakistan et l’Iran et
la nécessité, en corollaire, d’assurer la sécurité d’Israël par
tous les moyens nécessaires. Le mensonge et la ruse au besoin,
comme l’illustre le mythe, toujours impuni, des armes de
destruction massive en Irak.
Et le jeu de dupes continue. Dimanche, le
ministre italien des Affaires étrangères a qualifié la
divulgation opérée par Wikileaks de « 11-Septembre
diplomatique ». Peu s’en souviennent mais au lendemain des
attentats de New York et du Pentagone, un certain Benjamin
Netanyahu s’était publiquement
félicité de la tragédie, indiquant qu’il s’agissait d’une
« bonne chose pour Israël ». Neuf ans plus tard, le même
homme, qui a reconnu avoir
anticipé les révélations de Wikileaks, sait toujours
comment instrumentaliser positivement les
événements de son époque. Pourvu qu’ils soient nimbés de mystère
quant à l’identité réelle de leurs commanditaires.
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