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Opinion
Un crime contre le
peuple algérien :
Les essais nucléaires français dans le Sahara algérien
Ginette Hess Skandrani
Essai nucléaire français près de Reggan dans le sud de
l'Algérie,
photo prise dans les années 60 (Photo: AFP)
Samedi 12 juin 2010
Au moment où les vétérans de l’armée coloniale en Algérie
exigent des dédommagements pour avoir été exposés aux radiations
en Algérie, nous demandons que les populations présentes sur le
sol alentour soient également dédommagées pour les
contaminations subies.
En ressortant ces interviews réalisés par mon amie Solange
Fernex, présidente de " Femmes pour la Paix" , membre
co-fondatrice des "Verts", députée européenne de 1989 à 1992,
décédée il y a deux ans, je voulais lui rendre hommage pour le
travail qu'elle avait entrepris afin que "Femmes pour la Paix" ,
l'association dont j’étais la vice-présidente, puisse dénoncer
le crime contre l'humanité qu'ont été les essais nucléaires
français en Algérie comme en Polynésie.
Je voulais également profiter des recherches qui sont faites
actuellement sur le lien entre retombées radioactives et cancers
à Mururoa et Fangataufa. L'histoire des essais nucléaires est
une histoire criminelle, un crime des Etats contre les
populations, surtout quand elles sont colonisées et ne peuvent
que subir ce terrible empoisonnement.
En France, le programme nucléaire militaire a débuté par la
décision en 1954, tenue secrète, d'avoir des bombes atomiques.
La première explosion eut lieu à Reggane, dans le désert
algérien le 13 février 1960. 4 essais atmosphériques furent
effectués sur le site ainsi que 13 essais souterrains. Puis à
l'indépendance de l'Algérie, la France a acquis les atolls de
Fangataufa et Mururoa dans le Pacifique Sud où ont été effectués
175 essais dont 44 en atmosphère, tout en continuant à les faire
en Algérie jusqu'en 1966.
Après avoir bien irradié le sol, le sous-sol, et toutes les
espèces vivantes, l'Etat français a continué à effectuer ses
essais criminels en Polynésie.
Certains essais ont été extrêmement puissants, d'autres ont été
faits sans précaution vis à vis des populations. C'est
uniquement le "secret défense" qui entoure ces expériences qui a
fait croire à une population mal informée et soumise par le
colonisateur que les dégâts étaient minimes alors que les
interviews des bédouins présents lors des essais nucléaires en
Algérie prouvent le contraire. Nous savons depuis les
bombardements atomiques d' Hiroshima et de Nagasaki que
l'irradiation des populations amène toutes sortes de maladies
génétiques, dont les cancers et les leucémies. Et l'accident de
Tchernobyl, en 1985, nous a prouvé que les nuages ou
champignons nucléaires ne connaissaient ni l'espace, ni les
frontières, qu'ils traversaient facilement les montagnes, les
fleuves et les mers.
Ces interviews ont été diffusées par Solange au parlement
européen et envoyées dans différents ministères et organisations
politiques français ou algériens par "Femmes pour la Paix".
Malheureusement, "La Muette" avait bien couvert tous les secrets
qui touchaient à la bombe atomique française et empêché la
diffusion de ce document.
J'ai pensé qu'au moment où les militaires irradiés en Polynésie
ainsi qu’en Algérie déposaient leurs dossiers afin que leurs
maladies soient reconnues comme maladie professionnelle pour
qu'ils puissent profiter d'une rente pour le peu d'années qu'il
leur reste à vivre... le temps serait certainement venu, 50
années plus tard, d'indemniser également les populations
algériennes. Nous leur devons bien cela, puisqu'elles ont servi
de cobayes à l’armée française.
Ginette Hess Skandrani
Vice-présidente de "Femmes pour la Paix"
membre co-fondatrice des "Verts" exclue en 2006 pour avoir exigé
"Un seul Etat démocratique et pluriel pour tous en Palestine/israël".
Interviews réalisés par Solange
Fernex, en juin 1992 sur les Essais nucléaires en Algérie
ESSAIS NUCLEAIRES EN ALGERIE
Interviews des nomades algériens, voisins de l’endroit où ont eu
lieu ces essais.
Enquête réalisée en 1992
Interview n°I
- Mohamed
- A son avis, il y a eu deux essais nucléaires avant 1962 et
plus après.. Cependant, il sait que les Français sont restés
jusqu’en 1966.
- Selon lui, les essais ont eu lieu dans le Hoggar. Il se
rappelle que lorsque des experts de la SONEC (recherches
minières) sont allés sur le site pour repérer l’uranium, l’un
d’eux a été gravement contaminé et a été transporté pour être
opéré en France. Il a vu, en survolant la région par avion, de
grands cratères couleur cendre (gris blanc)
- Selon lui, la région de Reggane est devenue actuellement une
grande région agricole, donc, selon lui, c’est la preuve qu’il
n’y a pas de danger car ils n’auraient pas permis cela !
Interview n°2
- Moustapha d’Im Amguel
- Il a travaillé plusieurs années comme infirmier dans la région
d’Im Amguel, qui se trouve dans le Hoggar, à 150 km de
Tamanrasset. C’est sous la montagne (Mont Tourirt) qu’ont été
faits les essais. « Il me semble qu’à Reggane, il y a eu un
essai en 1958. Je me souviens qu’à l’époque, je me trouvais à
Goa, au mali et on a entendu l’explosion. En fait, on a senti la
terre trembler et comme un bruit sourd. Le bruit s’est entendu
jusqu’à Tessalit ;
- On m’a dit qu’à ce moment, il y a des caravanes qui ont péri
dans le désert, mais je n’ai pas de précisions de cela ;
- J’ai vu l’endroit à Reggane. Ils ont creusé une cave en
dessous de petits rochers de rien du tout. Ce sont les
militaires français qui ont creusé ; Les gens de Reggane
faisaient les travaux les plus lourds.
- Après l’explosion, ils ont fermé le site avec des barbelés et
l’ont abandonné comme cela.
- Mais la plupart des barbelés ont été arrachés par les
trafiquants de cuivre qui viennent du côté de Béchar et l’ont
vendu au Maroc. Ils ont volé les installations électriques
irradiées pour récupérer le cuivre.
- Ils avaient utilisé de gros câbles (de 20 cm de diamètre). Il
me montre l’épaisseur (note de l’interviewer). Tout le monde
arrachait cela. Depuis les installations électriques
souterraines de Reggane jusqu’au site, pendant environ 40 km, je
pense.
- Je connais des vieux à In Amguel, de gros commerçants qui
viennent jusqu’à Béchar. Ils remplissent les citernes d’essence
de cuivre pour avoir des camions de transport. Ils les amènent à
Adrar et Béchar pour les revendre aux commerçants marocains.
- à Im Amguel, les Français avaient des bases très importantes.
- A Attakor Mies, il y a la base vie. Ils ont une autre base à
Ekar, près des montagnes, où ils font exploser la bombe. Il y a
40 km entre les bases et il y a les conduites électriques
souterraines pour éclairer les bases.
- Jusqu’en 68, il y a des gens qui viennent voler le cuivre et
chargent les chameaux. Je connais beaucoup de ces gens qui sont
morts :
- X, un type très actif très connu par tous les commerçants. Il
avait plusieurs chameaux.
- Y, son intermédiaire pour les commerçants.
- Ils sont tous les deux décédés.
- A, à côté de Tamanrasset, B, C, tous les trois décédés.
- J’en connais beaucoup qui ne vivent plus. La plupart étaient
jeunes. Je ne peux pas te dire de quoi ils sont morts. J’en
connais aussi beaucoup qui sont malades. Je connais un certain D
qui est toujours malade.
- J’ai mon frère qui s’est marié et a travaillé un peu avec.
Avant qu’il ne travaille avec eux, il a eu un premier enfant.
Après il n’a jamais pu avoir d’enfants .
- Je connais beaucoup d’hommes au Hoggar qui ont travaillé avec
eux et n’ont jamais pu avoir d’enfants.
- Quand je travaillais là-bas, on nous envoyait souvent des
femmes de Tam qui faisaient des fausses couches. Je ne peux pas
te dire si c’est lié à ça ou non.
- Les militaires ont creusé des caves sous cette montagne.
Chaque fois qu’il doit y avoir une explosion, ils déplacent le
chantier loin, par hélicoptère. On donne parfois des dosimètres
aux gens. On les développe , mais on ne donne jamais les
résultats.
- On ne dit rien aux gens. On leur donne des dosimètres, des
combinaisons. Ils disent aux gens de ne pas avoir peur, ils
s’occupent de tout.
- Un manœuvre était payé de 300FF à 400FF. Ils établissaient des
contrats en roulement de trois mois. Après 3 mois, ils en
prenaient d’autres. En tant qu’infirmier, je gagnais 350FF.
- J’ai un ami à Reggane qui a essayé de faire un jardin à 10 km
du site. Rien n’a poussé. Finalement il a laissé tomber.
- J’ai aussi un ami E. qui a fait le trafic de cuivre. Il n’a
jamais eu d’enfants et est très malade actuellement. Sa femme a
fait plusieurs fausses couches.
- Je me souviens aussi que les militaires ont acheté des animaux
pour les conduire dans la pente de l’endroit où ils faisaient
des essais. Ils avaient engagé des bergers. Un de ces types F,
et puis deux autres, et puis H, n’ont jamais eu d’enfants.
- Après ils ont égorgé les animaux pour les analyser. Mais je ne
connais pas les résultats.
- La plupart des prisonniers du FIS sont actuellement à In
Amguel dans la base militaire abandonnée. C’est assez éloigné du
site.
- J’ai un ami français (I) qui travaillait comme médecin et que
je revois. Maintenant il est en France. Comme j’ai une maison à
Ekar, je lui ai dit que je voulais y aller après ma retraite. Il
m’a dit que surtout je n’aille pas là. Cet ami non plus n’a
jamais eu d’enfants.
- A In Amguel, les militaires français appelaient la population
qui travaillait dans leurs chantiers les PLO ( Populations
Laborieuses des Oasis). La base militaire de Takormiasse
s’appelait CEMO ( Centre d’Expérimentation Militaire des Oasis).
- J’ai constaté que dans le Hoggar, les gens ont très peu
d’enfants. Je ne sais pas si c’est dû à cela. Mais je l’ai
constaté.
Interview n°3 (interview par
traducteur)
- Ahmed a 40 ans. Il est né en 1943. Il a trafiqué le cuivre. Il
récupérait les câbles des installations électriques dans les
caves où ils mettaient les bombes. Ils guettaient les militaires
français pendant leur travail.
- Une fois, la bombe a éclaté, ils coupaient l’électricité. Les
trafiquants intervenaient à ce moment pour démonter. Une fois
la bombe éclatée, les militaires abandonnaient tout.
- Les trafiquants étaient une équipe de 60 personnes. C’était
pour eux la seule source pour avoir un peu d’argent. Après 1963,
les Touaregs chassés du Mali se retrouvaient en Algérie, sans
ressource. Parfois, ils enlevaient le cuivre avant que le
courant ne soit coupé et ils le débranchaient eux-mêmes. Ils
trouvaient la boîte de dérivation. Ils avaient souvent des
décharges.
- Ahmed s’est marié 8 fois pour avoir des enfants. Ses femmes
avortent le plus souvent. Parmi ses deux premières femmes, la
première a eu un enfant qui a vécu 6 mois. La seconde a eu un
enfant qui a vécu un an avant de mourir. Après il n’a plus eu
d’enfants. Il a divorcé. La troisième a eu deux avortements,
puis il l’a laissée. La 4è a aussi eu deux avortements. Les 3
autres n’ont pas eu d’enfants avec lui, mais ont eu des enfants
avec d’autres maris. Sa 8 e femme a déjà eu 2 avortements.
- La plupart de ses amis qui ont travaillé avec lui n’ont jamais
eu d’enfants. (J.K.L.M.N.). Il en connaît aussi d’autres qui
sont décédés jeunes :
- O, décédé à l’âge de 32 ans, P, décédé à l’âge de 38 ans, Q,
décédé à l’âge de 45 ans, R, décédé à l’âge de 50 ans. S, décédé
à l’âge de 31 ans.
-
- Il y a un vieux qui se trouve à l’hôpital ici et qui est
toujours malade. Je connais aussi T, environ 50 ans et qui est
toujours malade.
- Ahmed lui même , est toujours malade. Son frère aussi est
toujours malade.
- Il y a une cave qu’on appelait E4. C’était presque le dernier
essai. Quand ils ont remarqué qu’ils enlevaient beaucoup de
câbles, ils l’ont fait sauter et ils l’ont entouré d’un barbelé.
Il y avait toujours un brouillard qui se dégageait de cette
cave. Je ne sais pas à quoi c’est dû.
- Il a commencé le trafic du 4è mois 1964 jusqu’en 1967. Il y a
plusieurs sortes de câbles. Ils enlevaient uniquement des câbles
utilisés pour faire exploser la bombe. Il y a un grand tunnel de
50 km où même les voitures passent dedans.. Ils enlevaient les
câbles. Les plus gros avaient 10 cm. Ils les roulaient puis les
brûlaient pour éliminer le plastique. Après ils les
transportaient à dos de chameaux. Ils allaient les brûler plus
loin pour ne pas se faire repérer. L’endroit où ils enlevaient
les câbles s ‘appelle Tin Eker. La montagne s’appelle Taourart
et Takournias et Wazizdi.
- L’endroit où ils brûlaient les câbles s’appelle Tikaraten.
C’est au fond de la montagne C’est là où les Arabes venaient
acheter le cuivre. Ils vendaient 1 kg de cuivre 20DA, le même
prix jusqu’en 1967.
- Ils ont eu des problèmes avec les Arabes. Ils étaient
recherchés pour les mettre en prison. Plusieurs ont été arrêtés.
Lui a échappé. Un hélicoptère les a recherché. Ils ont trouvé
les traces des chameaux. Les hommes se sont enfuis. Ils ont tué
les 30 chameaux. Ils ont cherché les gens, mais ont trouvé les
câbles et un homme qui a été arrêté. Il a dit qu’il était
berger. Ils ont vérifié. La nuit ils ont arrêté 63 personnes.
Elles ont fait 6 mois de prison à Tam. Elles ont été frappées
jusqu’au coma. Les autres se sont échappés. Mon petit frère a
été arrêté et battu à mort.
- Ceux qui ont réussi à s’échapper ont aussi souffert, car ils
n’avaient rien, ni eau, ni nourriture.
- Quand il est malade, il a des maux de ventre et des
courbatures, surtout dans le dos. Il ne peut jamais manger de
choses lourdes. Avant, il était très fort. Il n’est pas vieux
mais c’est la maladie qui l’a vieilli.
- Avant il avait des poils partout. Avant il était poilu comme
un singe. Mais maintenant il a tout perdu, même les poils sous
les aisselles.
- Les autres ont la même maladie. Son petit frère n’a jamais eu
d’enfants. Il a fait presque 10 femmes sans avoir d’enfants.
- Les Français avaient des masques. Eux savaient que c’était
dangereux, mais ils ne mesuraient pas vraiment les conséquences.
- Il y a des populations proches, mais je ne sais pas s’ils ont
cette maladie ou pas. Il n’y a jamais personne qui m’a posé des
questions comme toi, ou qui a fait une enquête.
- Les médecins d’ici ne font rien et ne disent rien. Ils ne font
que prendre la tension et c’est tout. Chaque fois que sa femme
tombe enceinte, elle fait une fausse-couche. Dans nos coutumes,
c’est très inquiétant, un homme qui vieillit sans avoir
d’enfants. Je me souviens aussi que plusieurs chameaux sont
morts. Les femmes ont eu des saignement fréquents.
Interview de A :
Il a été chef de chantier dans les années 62 à 65 à IN AMGUEL
dans les chantiers PLO du CEMO à TARKOMINASS.`
« Tu lui poseras la question s’il se rappelle de plusieurs
familles ISSAKMARANE qui ont été décimées à IMIDER, il y a
quelques années de cela. Elles transhumaient lors des explosions
dans les environs de TAOURIRT TAN-MAYNADJ où l y a les trous «
E4 » et « E6 » (m’avait-on dit).
A, a très peur pendant l’interview. Il se méfie et ne veut rien
dire. Selon lui il n’y a aucun problème. Avant chaque explosion,
on avertissait les gens des risques qu’ils encouraient. Il dit
que les gros problèmes étaient surtout à Reggane où il y a eu
beaucoup de malades.
Selon lui, plus de 1000 personnes travaillaient sur le chantier.
Les personnes travaillaient par équipes. Quand la bombe
explosait, on entendait très fort le bruit jusqu’à Tam
(Tamanrasset).
Il se souvient d’une manifestation en 1964 des habitants de
Tamanrasset pour réclamer l’arrêt des essais. Les essais ont
continué jusqu’en 1967. Il ne se rappelle pas combien d’essais
il y a eu. Il sait qu’il y a des trafiquants qui récupéraient le
cuivre après l’explosion de la bombe.
Dans la base, les Français et les Algériens étaient séparés. Ils
avaient chacun leur logement, leur nourriture etc. Eux, les
Algériens voulaient des animaux égorgés selon la tradition.
Donc, ils élevaient les animaux sur place et les égorgeaient
eux-mêmes, sinon ils n’avaient pas confiance.
Avant les essais, un hélicoptère survolait la région et
prévenait les gens du danger.
Interview de B.
Mohamed a travaillé deux ans, jusqu’à la fin du chantier. Il a
travaillé dans « E4 ». C’est un long tunnel. On a beaucoup
travaillé dans le tunnel. Ils ont installé l’électricité. Ils
creusaient en faisant exploser des mines. Après les mines, ils
enlevaient les cailloux qui étaient entassés sur des chariots
qu’ils poussaient à la main sur les rails. Ils ramassaient les
petits cailloux avec une pelle et les grands à la main.
Il a commencé en 1965. Il travaillait dans la montagne TAOURIRT
? Dans cette montagne, ils ont creusé un tunnel entre les deux
pans de montagne. Avant l’explosion de la bombe, on fermait tout
au béton armé. Après le chantier était abandonné.
Il a honte de parler devant son fils (C’est C qui parle) et
quelqu’un demande à son fils de sortir. Une fois son fils sorti,
il reprend la parole :
Avec ma 1e femme, j’ai eu 3 enfants, avec ma 2 femme, j ‘ai eu
2 enfants, avec ma 3e, j’ai eu 4 enfants, avec ma 4e, j’ai eu 1
enfant , avec ma 6e, je n’ai pas eu d’enfants.
Ma dernière femme a eu 2 fausse-couche. Je me suis marié à 19
ans. Maintenant j’ai 62 ans. J’ai encore eu des enfants après le
chantier.
Mais j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont jamais
eu d’enfants et d’autres qui ont eu des enfants avant de
travailler au chantier et qui n’en ont plus eu après.
J’ai mon grand frère qui a travaillé avec moi. Il n’a jamais eu
d’enfants. Chaque fois que sa femme était enceinte, elle perdait
son enfant.
Moi aussi j’ai eu 2 femmes après le chantier et elles n’ont pas
eu d’enfant
Je suis souvent malade. J’ai une maladie au ventre (il me montre
le bas du ventre côté droit). Je suis allé plusieurs fois voir
des médecins, mais ils ne m’ont pas donné des médicaments.
La plupart des gens qui sont tombés malades sont ceux des
campements qui habitent la montagne. Il y a un petit village,
IN-EKER, à côté de la montagne. Il y a aussi des nomades qui
vivent dans la montagne (voir la carte : TAKORMIAS : base
militaire française. Montagne TAOURIRT).
On ne nous faisait pas porter de badge. C’est seulement les «
Ikoufar » (infidèles, terme utilisé par les Touaregs pour
désigner les Français) qui portaient des badges. Les temporaires
(c’est à dire, nous) n’avaient pas de badge. Les permanents en
avaient.
Même les responsables français ne leur donnaient pas leurs
droits. Ils étaient poussés par les Arabes. Les chefs du
personnel étaient arabes. Les chefs de camps ne voulaient pas
embaucher les Tamacheks (Touaregs, ceux qui parlent la langue
tamachèque).
Je gagnais 400 à 500 DA par mois quand je travaillais dans la
montagne. Avec les heures supplémentaires, j’étais mieux payé.
On n’a jamais passé de visite médicale, ni avant, ni après. On
n’a jamais vu un médecin, sauf un infirmier, si quelqu’un était
blessé. Il y avait beaucoup de blessés, même des morts. Il y
avait beaucoup d’ accidents de travail. Il y avait beaucoup de
médecins français, mais on ne les voyait jamais.
Interview de C.
Je me souviens qu’il y avait des morts à IMIDER. Je crois qu’il
y a une famille où 7 personnes sont mortes. Une famille, 3
morts, une autre famille, 5 morts.
Il y a des gens qui sont malades encore maintenant. Il y a des
malades de la poitrine. Ils sont tous malades. Ils toussent et
ont des maux de tête. Ils soignent la tête dans la brousse, mais
ils continuent à avoir la poitrine malade. Ils toussent jusqu’à
cracher du sang. Parfois ils tombent et ils restent quelques
jours et puis ça va.
Il y a beaucoup de gens du Mali qui travaillent là dans les
oasis. Il y a beaucoup de Touaregs qui sont restés habiter près
des montagnes, parce qu’ils sont très pauvres. Ils n’ont rien.
Quand ils sont malades, ils ont peur. Alors ils partent dans la
brousse. Il y en a beaucoup qui sont morts de maladie et qui ne
sont plus revenus. J’ai travaillé depuis 1961 à 1966 et demi,
puis j’ai quitté.
J’étais chef d’équipe. On cassait la montagne puis on
goudronnait la route. Chaque équipe avait 30 personnes. Il y
avait beaucoup de bases. Je travaillais dans la 3è compagnie. Il
y avait beaucoup d’ouvriers et un chef d’équipe pour 30
personnes. On ne travaillait pas le dimanche. Seuls, les hommes
vivaient là-bas.
Avant l’indépendance, tout le monde avait peur et était dans la
montagne. Petit à petit les Français ont recruté. On était à 7
Km de l’explosion. Les Français expliquaient que c’était
dangereux, mais les gens ne comprenaient pas le danger. Ils ne
voyaient rien.
Le jour de l’explosion de la bombe, à 15 heures, tout le grand
caillou de la montagne, à côté de nous, on l’a vu descendre. Les
Français disaient de s’éloigner de la bombe, sinon nous serons
malades. Tous les gens qui étaient dans la montagne, ils sont
morts ou malades. Il y avait des gens dans toute la montagne.
Je suis né vers 1940. j’ai huit enfants. Je me suis marié
plusieurs fois avec 12 femmes, sans avoir d’enfants. Je me suis
marié la première fois et j’ai eu 8 enfants. Après 1967, je me
suis marié 12 fois et je n’ai pas eu d’enfants. J’ai des
problèmes d’yeux et d’estomac. Je suis très nerveux maintenant
alors qu’avant j’étais calme.
Je gagnais 250 à 300 DA par mois.
Je connais plusieurs personnes qui travaillaient avec nous, qui
sont malades :
Mon frère, il est malade jusqu’à maintenant. D’abord c’était
les poumons, ensuite son sang a été contaminé. Il a été dans
tous les hôpitaux et il n’a plus aucun espoir maintenant.
Deux autres personnes ont travaillé là et tombent souvent
malades
Il y a quelqu’un d’autre, je ne sais pas s’il est encore vivant
ou pas.
Si je réfléchis bien, je peux en trouver. Tous ces gens en ont
marre d’être malades.
Un autre a perdu ses cheveux. Tous ces gens là, ont perdu
leurs cheveux. Lorsqu’ils tombent malades, ils partent au Ténéré
(le Sahara, le désert, la brousse) et ils boivent du lait
jusqu’à ce qu’ils aillent mieux.
Tous ces gens ont aussi des enfants qui tombent malades jusqu’à
ce qu’ils meurent.
Actuellement il n’y a pas d’enfants anormaux. Mais, s’ils
naissent, ils meurent tout de suite, ou bien les femmes font des
fausses couches à 5 ou 6 mois.
Ce que j’ai vu, tous les gens qui tombaient malades en ce temps,
ils quittaient le travail et allaient dans le Ténéré. Ils
croyaient que les médecins faisaient seulement de la chirurgie
pour les blessés et qu’ils ne connaissaient pas les maladies
d’intérieur. C’est pour cela qu’ils n’ont pas été chez les
médecins.
Entre nous on savait que ce sont les explosions qui faisaient
ces effets. On prévenait les amis, mais on ne disait rien aux
Français. En cas d’accident de travail, on allait se faire
soigner par les infirmiers. Mais pas pour les maladies
d’intérieur.
Ceux qui se soignaient au temps du lait (le printemps) allaient
mieux. Les autres pas. Ils partaient et ne rentraient plus.
Lorsqu’ils ont compris les conséquences de ce travail, ils sont
venus en ville, pour essayer de trouver quelqu’un qui pourrait
s’intéresser à leur cause.. En ce temps, ils ne croyaient qu’au
destin et pas au docteur.
Nous étions nomades et nous ne savions pas même pas ce qui se
passait en ville.
Dans ce temps, nous avions tellement confiance dans les
Français.
La France ne nous a rien laissé, même pas la santé. Toute notre
santé, toute notre vie c’est le bétail, le troupeau… et on a
tout perdu…
Evacuation des tribus :
Dans l’oued Adenek et l’oued Abezou et dans d’autres petits
oueds dont je ne me rappelle pas le nom, on a évacué les
tribus pour les amener dans la gorge de Mertouteh au Nord-Est de
l’explosion. On les a évacués en hélicoptère avec leurs animaux
et plusieurs véhicules. Cela a duré deux ou trois jours. Je me
rappelle aussi une fille qui s’était cachée dans la montagne
avec ses animaux. Il a fallu toute une journée pour les
récupérer.
Les gens pensaient que les Français voulaient s’approprier leurs
pâturages. Ils ne pensaient pas que les explosions auraient un
effet sur cette montagne. En effet, les évacués revenaient tout
de suite après l’explosion. C’étaient des oueds qui étaient les
meilleurs du point de vue des Touaregs pour leurs pâturages.
En 1965, l’évacuation a duré 7 jours. Ils ont évacué toute la
population qui travaillait jusqu’à l’Assekram et les autres
jusqu’à Mertoutek. Je pense que c’était en janvier, car il
faisait très froid. Je me rappelle de cela, car on m’a volé
toutes mes photos pendant cette évacuation …
Il y avait un gros camion, comme une espèce de maison. C’était
une chambre pleine de douches avec des jets d’eau à très forte
pression. On faisait passer les gens plusieurs fois sous la
douche. C’était pour les gens qui travaillaient dans la montagne
où l’on faisait les explosions, qui devaient passer à la douche.
Mais seulement après certaines explosions, pas après toutes.
Je me souviens en particulier de deux explosions de bombes :
- la première en octobre 1963. je sais qu’il y a eu des
fissures, car tous les généraux se sont barrés. Seuls les
appelés sont restés.
- La seconde en janvier 1964. L’eau est certainement contaminée
là-bas.
Normalement il devrait y avoir des contrôles réguliers. Il
faudrait vérifier. Les militaires buvaient de l’eau en
bouteilles. Mais nous, les Touaregs, nous buvions de l’eau du
puits de Bachy, dans l’oued d’Im Amguel, à 15 Km de la base du
CEMO.
Personnel en service :
Il y avait environ 2500 militaires et 2500 travailleurs PLO
(Population Laborieuses des Oasis).
Quand il y avait une explosion, il y avait plus de 9000
personnes sur le site.
Au CEMO il y avait 6 médecins (des appelés), de médecins de
carrière, 1 vétérinaire.
Lors de chaque explosion, il y avait des renforts de médecins et
savants, plus d’une vingtaine de médecins de spécialités
différentes.
A l’Oasis 2, il y avait un service médical avec infirmiers et
médecins civils.
Tribus éteintes :
La tribu des Essakamara, des Kel Imider et Kel Abend ont
toujours nomadisé dans l’oued Abezou avec leurs troupeaux.
L’oued Abezou passe juste à la limite de la montagne Taourirt,
Tan Tarami et Tan Maynard. C’est là qu’ont eu lieu la plupart
des explosions, dans les lieux E3 et E6.
Les noms de ces chefs de tribu sont bien connus ; Hadj Allamine,
père d’une grande famille de peut-être 12 personnes, Hadj Tayeb,
bien connu, aussi père d’une grande famille, également Hadj Mada.
Toutes ces familles sont mortes.
Avant leur départ, les Français ont enterré dans le sable les
camions et les ambulances. Je l’ai vu de mes yeux. Mais il y a
encore beaucoup de matériel sur le site.
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