Opinion
Assassinat du comte Bernadotte en 1948 :
C’était bien un crime d’Etat
Gilles Munier
Gilles
Munier
Dimanche 20 octobre 2013
L’écrivain Göran
Burén a effectué des recherches dans les
archives nationales suédoises
déclassifiées en 2000. Il révèle dans
The Washington
Report on Middle East Affairs (1)
que le comte Folke Bernadotte, médiateur
de l’ONU pour la Palestine en 1948, a
bien été assassiné à Jérusalem avec la
complicité du gouvernement israélien.
En 1948, le comte
Bernadotte –
neveu du roi de Suède - tentait
d’instaurer un cessez-le-feu entre les
troupes arabes de libération et l’ex-Haganah,
milice sioniste devenue
Armée de défense d’Israël, nouvel
Etat créé par les Nations unies,
quelques mois plus tôt, sur le
territoire palestinien
(2). Il condamnait
« le pillage sioniste à grande échelle
et la destruction de villages sans
nécessité militaire apparente» (3)
et proposait un plan de partage du
territoire palestinien qui ne convenait
pas aux dirigeants israéliens de
l’époque et encore moins aux groupes
sionistes extrémistes
Lehi et
Irgoun.
Les colons juifs
n’ont rien à voir avec les Hébreux de la
Bible
Le groupe
terroriste juif
Lehi -
plus connu sous le nom de Groupe Stern
- avait décidé de tuer Bernadotte. Rien
ne l’arrêtait : en 1944,
il n’avait pas hésité à assassiner Lord
Moyne, Haut-commissaire britannique en
Egypte, qui avait déclaré à la Chambre
des Lords que les colons juifs n’avaient
rien à voir avec les Hébreux de la Bible
et n’avaient en conséquence aucun droit
légitime sur la Palestine
(4). On sait moins que le
Lehi
(acronyme pour Lohamei Herut LeIsrael,
c’est-à-dire : Combattants pour la
liberté d'Israël), a aussi éliminé
Moyne pour montrer à Hitler ce dont
l’organisation était capable. Abraham
Stern, son fondateur - tué en février
1942 par un des policiers britanniques
qui l’avait arrêté - avait proposé à
Werner von Hentig, diplomate allemand en
poste à Beyrouth, d’aider le 3ème
Reich à conquérir la Palestine en
échange de la création d’un Etat juif
(5).
En 1948, quand fut
programmé l’assassinat de Bernadotte, le
Lehi était dirigé par un triumvirat
comprenant Yitzhak Shamir, futur Premier
ministre d’Israël, interné en 1941 pour
« collaboration avec les nazis ».
C’est lui qui avait organisé l’attentat
contre Moyne. En 1946, évadé d’un camp
de détention britannique en Erythrée, il
avait regagné Israël via Djibouti et la
France qui lui avait accordé l’asile
politique.
Le terroriste Yitzhak Shamir
n’a jamais été inquiété
Le 17 septembre
1948, une embuscade fut tendue au
médiateur de l’ONU dans le secteur juif
de Jérusalem. Ce jour-là, le comte était
accompagné par le colonel français André
Sérot, héros de la Première guerre
mondiale, chef des observateurs de l’ONU
à Jérusalem. Leur véhicule est bloqué
par une vraie-fausse jeep de l’armée
israélienne. Trois hommes du
Lehi en uniforme de la Haganah en
descendent. L’un d’eux –
Yehoshoua Cohen - passe le canon de
sa mitraillette par la fenêtre arrière
entrouverte, et vide son chargeur sur
les deux occupants. A l’annonce de la
mort de Bernadotte, son adjoint,
l’Américain Ralph Bunche, télégraphia à
Moshe Sharett, ministre des Affaires
étrangères israélien, que Tel-Aviv
devrait assumer l’entière responsabilité
du meurtre. L’Intelligence
Service était persuadée que l’ordre
était venu de Moscou, car depuis la fin
de la Première guerre mondiale, le
Lehi lorgnait vers Staline et
cherchait à adhérer au Kominform !
Pour calmer
l’émotion suscitée dans le monde par la
mort de Folke Bernadotte et du colonel
Sérot, David Ben Gourion –
Premier ministre d’Israël – accusa
le
Lehi de provocation et annonça sa
dissolution. Nathan Yalin-Mor, un des
membres du commando, fut arrêté et
jugé, mais pas pour assassinats : pour
« appartenance à un groupe terroriste »…
et amnistié deux semaines plus tard. On
apprit plus tard que Yehoshoua Cohen –
le tireur - était devenu le garde du
corps personnel de Ben-Gourion
(6). Yitzhak Shamir n’a jamais été
inquiété. S’il se garda bien de mettre
les pieds en Grande-Bretagne, il exerça
ses talents sans problème à Paris au
début des années 60 comme officier du
Mossad, d’où il dirigeait des équipes de
tueurs professionnels
(7). A sa mort fin juin 2012, à
l’âge de 96 ans, le président François
Hollande rendit sans gêne hommage à sa
« forte personnalité » et à son« courage
exemplaire » !
Affaire classée
Une commission
d’enquête suédoise, dirigée par le
procureur-général Heuman, fut envoyée
sur les lieux. En 1950, elle remit au
gouvernement suédois un rapport
accablant. L’enquête, côté israélien,
avait été bâclée. Aucun témoin de
l’attaque n’avait été interrogé, des
indices négligés. Dov Joseph gouverneur
militaire de Jérusalem, qui aurait dû
fournir à Bernadotte une escorte armée,
comme lors d’un précédent voyage, ne
l’avait pas fait. Au fait des rumeurs
d’attentat qui couraient dans quartier
juif, il craignait pour la vie du
diplomate. Les dirigeants suédois
autorisés à lire le rapport en
conclurent, sans se forcer, que
Bernadotte avait été assassiné avec
l’accord au moins tacite du gouvernement
israélien.
Très embarrassée
par ces informations, en totale
opposition avec l’image donnée d’Israël
par les médias, la Suède promit à
Tel-Aviv de classer l’affaire si les
Israéliens expliquaient de façon
« acceptable » ce qui s’était passé,
et s’excusaient pour les manquements
signalés en matière de sécurité. En
1950, Israël remit au gouvernement
suédois le
Rapport Agranat
(8), une version des faits
« acceptable » pour qui voulait bien
s’en persuader,mais si peu crédible
qu’ordre fut donné de ne pas le rendre
public. Israël ayant présenté ses
excuses –
en la circonstance, c’était bien la
moindre des choses - l’affaire fut
classée
top secret jusqu’en 2000 dans les
Archives nationales.
Sans doute en
raison de sa rédaction en langue
suédoise, il semble que le
Rapport Heuman, déclassifié depuis
13 ans, n’avait été consulté par aucun
chercheur .jusqu’à ce que Göran Burèn
l’exhume pour les besoins de son enquête
sur le meurtre du comte Bernadotte. Il
aura fallu plus de 50 ans pour que soit
confirmé ce que de nombreux observateurs
subodoraient depuis 1948 : l’attentat
monté par le
Groupe Stern est un des premiers
crimes d’Israël en tant qu’Etat.
(1)
Swedish national archive documents shed
new light on Bernadotte assassination,
par Gören Brurèn (The
Washington Report on Middle East Affairs
– septembre 2013).
(2) U.N. Document A. 648, p. 14,
déposé le 16 septembre 1948.
(3) Par le feu et par le sang, par
Charles Enderlin (Ed.
Albin Michel, Paris, 2008)
(4)
Cité par
Isaac Zaar,
Rescue and Liberation: America's part
in the birth of Israel
(N.Y. Bloc Publishing Cy, 1954).
(5) Les espions de l’or noir, par
Gilles Munier
(Ed. Encre d’Orient, Paris, 2011).
(6) Folke Bernadotte et la première
feuille de route (au Moyen-Orient), par
Louis Farshee
http://www.ism-france.org/analyses/Folke-Bernadotte-et-la-premiere-feuille-de-route-au-Moyen-Orient--article-1497
(7)
Shamir Ran Mossad Hit Squad, Paper Says
(Los Angeles Times - 4/7/92)
http://articles.latimes.com/1992-07-04/news/mn-1072_1_hit-squad
(8) Ne pas confondre avec le Rapport
Agranat rédigé sous la présidence du
même juge après la guerre d’octobre
1973, pour expliquer pourquoi l’armée
israélienne a été surprise par l’attaque
des troupes égyptiennes et syriennes
dans le Sinaï et le Golan occupés.
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 20 octobre 2013 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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