Opinion
Vont-ils extrader
Mourad Dhina le 21 mars ?
Gilles Munier
Gilles
Munier
Samedi 17 mars 2012
Au moment où on
célèbre en France le cessez-le-feu du 19
mars 1962, Mourad Dhina, un opposant
algérien non-violent, risque d’être
extradé vers l’Algérie où l’attend la
salle de torture du DRS (police
politique).
Mourad Dhina a
expliqué à plusieurs reprises que pour
panser les blessures causées par le coup
de force militaire de janvier 1992
contre le président Chadli Bendjedid et
la « sale guerre » contre le
Front islamique du salut (FIS) – au
moins 200 000 morts – il convenait
d’organiser une « Commission Vérité
et Justice » qui ferait la lumière
sur les crimes et violences qui se sont
produites, de part et d’autre.
J’assisterai à
l’audience qui se tiendra le 21 mars, à
14 heures au Palais de Justice de Paris,
car au-delà de la décision qui sera
prise, il y va de l’avenir de l’Algérie
et de la paix et la sécurité et
Méditerranée. Rien moins.
Extrait d’une
lettre adressée par Mourad Dhina à son
entourage (6/3/12)
(…) je me
présenterai à l'audience du 21 mars 2012
suite à laquelle les magistrats français
rendront leur avis sur la demande
d'extradition formulée par le régime
algérien. J'ai toujours agi dans la
légalité et ceci me procure une
conscience tranquille devant la justice
d'un Etat de droit. Cela fait presque
deux décennies que le pouvoir algérien -
à travers son aile la plus radicale
- s'emploie à me diaboliser en vue de me
neutraliser. Ce pouvoir s'est fait aider
dans son entreprise par ses relais à
l'étranger et je ne dois à ce jour mon
salut qu'à la seule providence divine.
Pérennisation
d’un pouvoir politique dévoyé
Ce pouvoir a fait
usage de moult manipulations et
amalgames abusant des étiquettes «
islamiste » et « terroriste »
pour faire passer au rouge tous les
voyants chez ceux qui étaient - et
sont encore - censés garder un œil
sur moi, notamment les divers services
de sécurité de pays occidentaux. Mais,
paradoxalement, c'est cette même
surveillance qui montre que je n'ai rien
commis d'illégal dans ces pays ! Je sais
cependant que je reste « mal vu »
par certains de ces services, notamment
ceux ayant un agenda interventionniste
et qui n'apprécient guère mes vues
politiques et mon intransigeance quant à
l'indépendance de mon pays.
Ce procès sera
l'occasion pour moi de rappeler les
raisons de mon opposition au pouvoir
algérien. Il s'agit principalement de ce
qui suit.
1) Mon refus du
coup d'Etat de janvier 1992 et le fait
qu'aujourd'hui encore la conception et
la pratique du pouvoir en Algérie
restent ancrées dans la matrice qui a
généré ce coup d'Etat. On ne pourra s'en
défaire qu'une fois que deviendra
effective la souveraineté populaire
librement exprimée par le suffrage
universel et que sera assuré le contrôle
démocratique des moyens de coercition de
l'Etat, notamment l'armée et les
services secrets.
2) Mon
opposition à la politique dite de «
réconciliation » qui ne fait qu'imposer
amnésie, impunité et pérennisation d'un
ordre politique dévoyé. Je considère en
effet, loin de tout esprit de vengeance,
que seuls les devoirs de vérité, de
mémoire et d'un minimum de justice
permettront aux Algériennes et Algériens
de faire leur deuil, de prendre
pleinement conscience de ce qu'il leur
est arrivé, pour enfin dire « plus
jamais ça » et repartir tous ensemble
pour un véritable Etat de droit garant
de la dignité de tous ses citoyens.
3) Mon refus de
voir mon pays courir vers l'abîme à
cause de la mégalomanie, la corruption,
l'incompétence et le clientélisme. La
raison de cet état de fait est si
clairement résumée par Abu Hamed Al
Ghazali (11e siècle) pour qui la
corruption de la société vient de celle
du prince, qui elle-même provient de la
corruption de l'élite causée par sa
cupidité.
Torture
systématiquement pratiquée
Extrait de la
lettre adressée parHuman Rights
Watch
à François Fillon
(12/3/12)
(…) La Cour suprême
du Royaume-Uni, dans un jugement émis le
7 mars 2012 sur une affaire impliquant
des Algériens faisant appel d’une
décision de les déporter vers l’Algérie,
a énoncé qu’il existait « un
consensus [devant la Commission spéciale
d’appels relatifs à l’immigration], dans
un certain nombre d’affaires, sur le
fait que l’Algérie est un pays où la
torture est systématiquement pratiquée
par le DRS (Département du renseignement
et de la sécurité) et qu’aucun agent du
DRS n’a jamais été poursuivi pour cela
» (W (Algeria) (FC) and others versus
Secretary of State for the Home
Department, [2012] UKSC 8,
paragraphe 4).
Selon Human
Rights Watch, il existe suffisamment
de preuves qui appuient notre
affirmation que si la France extradait
M. Dhina vers l’Algérie, elle violerait
la Convention contre la torture, qui
énonce dans son article 3 :
1 - Aucun État
partie n'expulsera, ne refoulera, ni
n'extradera une personne vers un autre
État où il y a des motifs sérieux de
croire qu'elle risque d'être soumise à
la torture.
2 - Pour
déterminer s'il y a de tels motifs, les
autorités compétentes tiendront compte
de toutes les considérations
pertinentes, y compris, le cas échéant,
de l'existence, dans l'État intéressé,
d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme,
graves, flagrantes ou massives.
(1) Lettre
de prison de Mourad Dhina (6/3/12)
http://fr.alkarama.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1084:mourad-dhina-lettre-de-prison&catid=185:flash-news
(2)
Lettre d’Human Right Watch (12/3/12)
http://www.hrw.org/fr/news/2012/03/12/alg-riefrance-lettre-adress-e-au-premier-ministre-fran-ais-concernant-l-extradition-
Sur le même sujet,
lire aussi :
L’arrestation de
Mourad Dhina et les élections
législatives en Algérie
http://0z.fr/4mUOl
La décision absurde
d’arrêter l’opposant algérien Mourad
Dhina
http://0z.fr/vuI4C
Le sommaire de Gilles Munier
Les dernières mises à jour
|