Opinion
Autonomie de la
Cyrénaïque :
nouveau pas vers la déstabilisation du
Maghreb ?
Gilles Munier
Gilles
Munier
Samedi 7 avril 2012
(Afrique Asie –
avril 2012)
La déclaration de
semi autonomie de la Cyrénaïque et, sans
doute bientôt, celle du Fezzan ne
surprend que les lecteurs des médias
prenant pour argent comptant les
communiqués militaires de l’Otan et du
Qatar.
Six mois après
l’assassinat de Kadhafi, comme il
fallait s’y attendre, le Conseil
national de transition libyen (CNT)
se révèle incapable de gouverner le
pays, d’enrayer sa somalisation. La
situation économique est catastrophique.
Les accrochages sanglants entre tribus
et les meurtres par vengeances sont
quotidiens. Dans la région de Koufra,
les Toubous – ethnie nomade noire
- se battent contre la tribu arabe al-Zwia,
avec la bénédiction du CNT. En jeu : la
surveillance des frontières avec le
Tchad, le Niger et le Soudan,
c'est-à-dire le trafic des armes, de la
drogue et des migrants africains.
Pire, le «
Printemps arabe » libyen débouche
maintenant sur la création d’une région
autonome. La proclamation de la semi
autonomie de la Cyrénaïque – Barqa
pour les Arabes - par près de 3000
chefs de tribu et de milices, a pris de
cours Moustapha Abdeljalil, président du
CNT, alors qu’il allait dévoiler la
charte nationale devant servir de modèle
à la future constitution. Déstabilisé et
furieux, il a accusé des « pays
frères » - le Qatar et les Emirats
Arabes Unis, sans les nommer - de
soutenir financièrement « la sédition
», selon lui « pour ne pas être
contaminés par la révolution ». En
d’autres termes, celui que les Libyens
surnomment Abou Nato (Otan)
reconnaissait n’être qu’une marionnette
au service d’intérêts occidentaux qui le
dépassent…
« Abou Nato »
et la Senoussiya
Aux menaces
d’intervention militaire proférées par
Abdeljalil contre Ahmed Zoubayr
al-Senoussi, membre du CNT élu président
du Conseil suprême de Cyrénaïque - un
cousin du roi Idris 1er renversé par les
Officiers libres en 1963 - le
colonel Hamid al-Hassi, nommé commandant
militaire de la nouvelle entité a
répondu qu’il est prêt à défendre sa
région et à occuper les champs
pétroliers, si nécessaire. Un autre
dirigeant du CNT, Abdelmadjid Seif al-Nasr,
a annoncé que la proclamation de
l’autonomie du Fezzan était une question
de jours.
Pour l’instant, la
Tripolitaine n’est pas en position pour
réclamer quoi que ce soit. Tripoli vit
au rythme des desiderata d’une centaine
de milices venue razzier les habitants,
ne rendant de comptes qu’à leurs chefs.
A Abou Walid, fief kadhafiste situé au
sud-est de la capitale, les Warfalla –
principale tribu libyenne - ont
élu leur propre CNT, obligeant celui
désigné par Abdeljalil à siéger dans un
village voisin, dans une sécurité toute
relative.
Le port de Misrata,
3ème ville du pays, se comporte de facto
en cité-Etat depuis qu’a été élu un
conseil municipal remplaçant celui
désigné par le CNT. Les crimes de guerre
commis en Tripolitaine par sa milice
mettent en danger de mort, et pour de
nombreuses années, ses commerçants ou
ses chauffeurs de poids lourds
s’aventurant sur les territoires de
tribus victimes de leurs exactions.
La ville
arabo-berbère de Zenten, accolée au
Djebel Nefoussa à 160 kms au sud-ouest,
n’en fait qu’à sa tête. Elle détient en
otage Seif al-islam Kadhafi, contrôle la
frontière avec la Tunisie et s’est
emparée de l’aéroport international de
Tripoli. Conciliant, un des chefs de
guerre a déclaré qu’il en remettrait les
clés au CNT… quand ce dernier sera à
même d’en assurer la sécurité. Les
milices de Misrata et de Zenten,
surarmées par l’Otan, le Qatar, et par
les pillages de casernes, peuvent tenir
tête à n’importe quelle attaque de
l’armée libyenne.
L’instabilité
perdurera
Penser que la
confrérie de la Senoussiya peut
réunifier le Libye est une vue de
l’esprit. C’est compter sans la
Tidjaniya, sa concurrente soufie, les
djihadistes du Mouvement islamique
libyen pour le changement (MILC, ex
Groupe islamique de combat libyen),
et les Frères Musulmans constitués en
Parti Justice et Construction. Le cheikh
Youssouf al-Qaradawi ayant dénoncé, du
Qatar, la déclaration de semi autonomie
de la Cyrénaïque, des milliers de
manifestants sont descendus dans les
rues des grandes villes le 9 mars en
scandant : « Avec notre sang et notre
âme, nous sauverons Benghazi! ».
Mais les salafistes du MILC et les
Frères Musulmans qui jouent la carte de
l’unité de la Libye, ne disposent pas de
forces armées suffisantes pour empêcher
la Cyrénaïque d’élire son propre
gouvernement, un parlement, de prendre
en charge son économie et de gérer à sa
guise 80% des ressources pétrolières du
pays. Plusieurs dirigeants du CNT,
craignant d’être tués, résident
désormais dans l’île de Malte.
L’élection de
l’assemblée constituante prévue le 23
juin risque d’être reportée ou
sérieusement boycottée par les habitants
de Cyrénaïque qui n’ont pas digéré de
n’avoir que 60 parlementaires à élire,
alors que la Tripolitaine en a 102. On
voit mal aussi, d’ici là, qui pourrait
contraindre les milices à déposer leurs
armes, surtout depuis qu’une décision
imbécile retire le droit de vote aux
towars – révolutionnaires - qui
intégreront l’armée.
La partition de la
Libye n’est peut-être pas inéluctable,
mais l’instabilité y perdurera encore
longtemps. Les compagnies pétrolières
étrangères en sont à se demander s’il va
leur falloir renégocier leurs contrats
avec de nouvelles entités. Quand on
disait que l’accord secret signé en 2011
par Nicolas Sarkozy avec ses complices
du CNT, attribuant à la France un tiers
du pétrole libyen, en remerciement de
son soutien à la rébellion, n’était
qu’un chiffon de papier…
Près de deux millions
de réfugiés libyens ?
Une conférence sur
la situation humanitaire en Libye, co-organisée
par le bâtonnier tunisien Béchir Essid,
président du Comité international des
juristes pour la défense des Libyens
opprimés et exilés et par l’Association
des Libyens exilés, s’est tenue le 10
mars à Tunis, en dépit d’une
intervention du CNT réclamant son
interdiction. Selon des intervenants, il
y aurait actuellement près de deux
millions de réfugiés libyens dont 400
000 en Tunisie, 800 000 en Egypte.
Certains erreraient, dans le dénuement
le plus total, à travers le Maghreb,
l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Les
participants ont dénoncé le silence des
médias internationaux sur le drame qui
frappe une partie de la population
libyenne, les crimes, les tortures, les
mutilations, les viols et la chasse à
l’homme dont la population noire
libyenne est victime. En Libye, il
suffit parfois d’être dénoncé comme
kadhafiste pour disparaître à jamais. Un
des juristes présents a également
dénoncé l’attitude de la France qui «
enseigne les droits de l’homme et
désigne ceux qui sont bons et ceux qui
sont mauvais, tous n’étant pas des
hommes dignes d’être secourus ».
© G. Munier/X.
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Publié le 7 avril 2012 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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