Libye
Libye : mission
risquée pour Mohamed al-Megaryef
Gilles Munier
Gilles
Munier
Mardi 4 septembre
2012
(Afrique Asie – septembre 2012)
La situation
intérieure en Libye est toujours aussi
chaotique. Un an après l’entrée des
towars de Zenten dans Tripoli, les
conflits tribaux sanglants, les
mitraillages, les attentats, les
assassinats ciblés et les enlèvements se
succèdent sans que personne ne puisse y
mettre un terme. Si la
«
guerre humanitaire » de l’Otan se
solde par un désastre… humanitaire, le
secteur pétrolier, lui, se porte à
merveille. La production libyenne
dépasserait 1,55 million de
barils/jours, à peu près l’équivalent de
celle enregistrée avant la chute du
colonel Kadhafi. Alors, mission
accomplie ?
Pour Alexander Graf
Lambsdorff, chef de la mission
d’observateurs de l’Union européenne aux
élections législatives du 7 juillet, la
«
démocratie » se porte bien : 62% des
électeurs incrits se sont rendus
normalement aux urnes. Il lui importe
peu que les partisans de l’ancien régime
aient été rayés des listes électorales
et que les milliers de déplacés
intérieurs et de réfugiés n’aient pu
voter. L’important pour les Occidentaux
est que les islamistes -
que tout le monde donnait gagnants -
aient été
«
laminés ». Le
Parti de la justice et de la
construction (PJC) de Mohammed Sawan
- émanation des
Frères Musulmans - n’a obtenu que 17
sièges, et le
Parti Watan d’Ali al-Sallabi… deux
seulement. Abdelkarin Belhaj,
ex-commandant militaire de Tripoli et
figure emblématique de l’opposition
islamiste à Kadhafi, a été battu.
Posture anti-qatarie
Les
«
libéraux » de l’Alliance
des forces nationales (AFN),
coalition d’une quarantaine de partis
dirigée par Mahmoud Jebril –
ancien n°2 du CNT – ont emporté la
majorité des sièges alloués aux
candidats des partis politiques. Leur
victoire relative –
39 sièges sur 200 - s’explique par
les moyens mis à leur disposition par
les pétroliers occidentaux. Normal, leur
leader étant – selon un télégramme
d’ambassade US diffusé en 2009 par
WikiLeaks -
«
un interlocuteur sérieux comprenant la
position américaine ». Les
communicants engagés par l’équipe Jebril
ont présenté leur candidat comme un bon
musulman de rite malékite, compétent, un
homme de caractère n’acceptant les
responsabilités et les honneurs
qu’accompagnés des prérogatives s’y
rapportant. Alors qu’il avait été poussé
à la démission par des manifestations
populaires à Benghazi et à Misrata, sa
démission de la présidence de l’exécutif
du CNT, le 23 octobre 2011, et son refus
de diriger le premier gouvernement
post-Kadhafi, ont été transformés en
posture nationaliste anti-qatarie !
N’avait-il pas déclaré en public à
Zenten, le 20 novembre suivant, qu’il ne
tolérait pas que des avions qataris
décollent et atterrissent
«
à longueur de journée » sur la base
militaire de Miitigua
(près de Tripoli), sans que le
gouvernement sache ce qu’ils
transportent ? Aux centaines de milliers
de Libyens, victimes de l’OTAN et des
milices, il a dit qu’il ne pouvait plus
accepter que des organisations
internationales l’informent de cas
concrets de torture, sans avoir de
réponse à leur donner.
Le 8 août dernier,
la passation de pouvoir entre le CNT et
le
Congrès national général s’est
déroulée sans anicroche, si ce n’est
l’interdiction faite par Mustapha
Abdeljalil à une jeune journaliste
libyenne
«
non voilée et maquillée » de rendre
compte de la cérémonie… Personne ne
savait alors vers qui iraient les voix
des parlementaires, notamment celles des
120 indépendants, les
«
libéraux » et les
Frères Musulmans ne présentant pas
de candidat pour –
selon leurs dires - ne pas créer de
tensions au sein de l’assemblée. Après
un deuxième tour de scrutin, Mohammed
Megaryef, ancien dirigeant du
Front national pour le salut de la Libye
(FNSL), devenu
Parti du Front national -
3
sièges aux législatives - a été élu
président du congrès, totalisant 113
voix, face à Ali Zidane qualifié
d’islamiste modéré.
« Chiens errants »
A la différence
d’Abdeljalil et de Jibril, Mohamed
Megaryef, 72 ans, originaire de
Benghazi, n’est pas un opposant de la
dernière heure. Ancien président de la
Cour des comptes libyenne, puis
ambassadeur en Inde, il a fait défection
en 1980, époque où le colonel Kadhafi
faisait
«
liquider les ennemis de la révolution à
l’étranger », qualifiés de « chiens
errants » - par des unités
spéciales. Il a maintenant un an pour
rédiger une nouvelle constitution et
organiser un nouveau scrutin. Ses
relations avec Mahmoud Jebril
s’annoncent déjà problématiques : le
chef des
«
libéraux » voudrait que le comité de
60 membres –
20 par régions - chargé de la
constitution soit élu et non nommé comme
l’a annoncé Megaryef pour gagner du
temps.
Son gouvernement
devra surtout désarmer les milices.
Selon un rapport de l’université de
Harvard, il y aurait à Misrata plus
d’armes que d’habitants ! Il lui faudra
résoudre la question des 35 000 déplacés
intérieurs, des exilés, des milliers de
migrants africains parqués dans des
camps de rétention insalubres, lutter
contre le racisme et les châtiments
sauvages dont sont victimes les Libyens
à peau noire de Tawergha, créer une
forces armée nationale, lutter contre la
corruption … etc… etc… Mohamed Megaryef
a du pain sur la planche. Il lui faudra
beaucoup de diplomatie pour remettre sur
pied la Libye en restant, comme il l’a
déclaré,
«à l’écart de toutes les considérations
politiques, régionales et tribales »…
et des injonctions de l’OTAN.
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Bye-Bye Addeljalil !
Fortune faîte,
Mustapha Abdeljalil, président du
Conseil national de transition (CNT),
a annoncé qu’il prenait sa retraite.
Quelques jours plus tôt, à Al-Bayda, il
avait chiffré à 2 milliards de dollars
la somme dépensée par le Qatar pour
renverser Kadhafi. Tous les Libyens se
rendant à Doha se voyaient octroyer une
somme d’argent, a-t-il ajouté. Certains
la remettaient au CNT, d’autres la
gardaient pour eux… Abdeljalil n’est pas
allé jusqu’à révéler le montant l’
«
aide » personnelle qui lui a été
allouée, ni ce qu’il en a fait. Mais on
dit, à Benghazi, qu’il possède
maintenant deux luxueuses villas en
Turquie.
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L’attaque de Bab Al-Aziziyah et la fuite
de Kadhafi
Le
Front national pour le salut de la Libye
(FNSL), que dirigeait Mohamed
Megaryef, a tenté a plusieurs reprises
de prendre le pouvoir en Libye. La
tentative la plus retentissante a été
l’attaque, le 8 mai 1984, de la caserne
Bab Al-Azizyah, PC du colonel Kadhafi en
plein Tripoli.
Un commando, formé
au Soudan, devait assassiner Kadhafi
lors d’une visite prévue au centre
international d’exposition de Tripoli.
Par petits groupes, ses 18 membres
avaient passé clandestinement la
frontière tuniso-libyenne et attendaient
l’heure H à Tripoli, dans des
appartements loués par des opposants.
Ils durent changer leur plan à l’annonce
que leur chef –
Ahmed Howass – devant arriver le
dernier, avait été tué en entrant en
Libye. Tentant le tout pour le tout,
trompant la vigilance des gardes, sept
d’entre eux pénétrèrent dans la caserne
Bab Al-Azizyah, cachés dans une benne à
ordures. Ils parvinrent au bureau du
colonel Kadhafi qui, entendant les coups
de feu, s’enfuit par un tunnel.
Pourchassés, les attaquants furent tous
tués.
Mohamed Megaryef,
devenu ennemi n°1 du régime, a échappé à
plusieurs tentatives d’attentats : à
Rome en 1981, à Casablanca en 1984, et à
Madrid en 1985. Ses frères, restés en
Libye, ont été emprisonnés à plusieurs
reprises. Selon Abderrahmane Chalgham,
ancien ministre des Affaires étrangères,
les services secrets libyens ont fait
exploser le DC-10 d’UTA Brazaville-Paris,
le 17 septembre 1989 -
170 morts - parce qu’ils pensaient
que Megaryef était à bord.
© G. Munier/X.
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Publié le 4 septembre avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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