Iran
La bataille de la
hawza de Nadjaf
Gilles
Munier
Gilles
Munier
Vendredi 1er juin
2012
(Afrique Asie
– juin 2012)
Les candidats à la
succession du Grand ayatollah Ali al-Sistani,
âgé 81 ans et malade, ont sorti les
couteaux. Le régime de Téhéran ne veut
pas rater l’occasion d’imposer l’un des
siens à la tête du centre religieux le
plus influent du monde chiite
duodécimain.
A Najaf, en mars
dernier, une bombe a explosé devant le
domicile du Grand ayatollah Ali al-Sistani,
âgé de 81 ans, tuant deux pèlerins
iraniens. Puis les 22 et 24 avril, les
bureaux des Grands ayatollahs Ishaq al-Fayadh
et Bachir al-Najafi - respectivement
de nationalité afghane et pakistanaise
- ont été la cible d’attentats à la
bombe. Ces deux marjas – plus hautes
autorités du chiisme duodécimain -
sont idéologiquement proches de Sistani,
de nationalité iranienne mais
imperméable à l’activisme religieux du
régime de Téhéran. Quelques jours plus
tôt, le ministère de l’Intérieur dont le
Premier ministre Nouri al-Maliki s’est
approprié l’intérim depuis les dernières
élections législatives, avait réduit le
nombre des agents de sécurité sous
prétexte qu’ils étaient trop nombreux.
Ces attentats font
suite à un lancer de grenade sur le
tombeau de Mohamed Baqr al-Hakim -
ayatollah assassiné mystérieusement à
Nadjaf en août 2003 -, à l’explosion
d’un IED (engin explosif improvisé)
près de l’école religieuse de Mohamed
Taqy al-Mudarissi à Kerballa, et à de
violentes échauffourées, le 17 février à
Nassiriya, entre partisans du Grand
ayatollah Ali al-Sistani et de Mahmoud
al-Hasani al-Sharkhi, Grand ayatollah
autoproclamé se présentant depuis
l’invasion d’avril 2003 comme «
anti-américain, anti-iranien et
anti-sunnite ». Il conteste
l’autorité religieuse de la hawza
de Nadjaf – principal séminaire
chiite – tout en se déclarant
favorable au velayat-e al-faqih,
principe khomeyniste accordant la
prééminence au religieux sur le
politique. Condamné à mort sous Saddam
Hussein, puis à la prison à vie, Sharkhi
a dirigé une Armée de Hussein qui
concurrençait l’Armée du Mehdi de
Moqtada al –Sadr. Le nombre de ses
miliciens était alors estimé à plus de
30 000.
Source d’imitation
Ces événements
inquiétants ont lieu au moment où l’Iran
tente d’imposer le Grand ayatollah
Mahmoud Hashemi Shahroudi comme
successeur possible de Sistani, toujours
vénéré, mais très éloigné des
aspirations des militants de base
extrémistes qui réclament une direction
religieuse dynamique pour contrer la
montée de l’islamisme sunnite, du genre
Frères Musulmans ou Al-Qaïda.
Agé de 63 ans, né à Nadjaf de parents
iraniens déclarant descendre du Prophète
Mohammad, Shahroudi « Eraghi »,
c'est-à-dire… l’Irakien, est membre des
Gardiens de la révolution et
proche du Guide iranien Ali Khamenei qui
l’a nommé, en 2009, à la tête du système
judiciaire du régime des mollahs. Il a
pour principaux partisans des membres de
l’ancien Conseil suprême de la
révolution islamique en Irak et des
Brigades Badr, fondés à Téhéran
en 1982 par l’ayatollah Khomeiny. Ce
groupe d’opposants anti-Saddam, aux
activités duquel il participait, a été
recyclé à Bagdad, en 2007, en Conseil
suprême islamique en Irak. Ses
membres infiltrent l’appareil d’Etat et
ne cachent pas leur hostilité envers le
Parti Al-Dawa de Nouri al-Maliki,
trop nationaliste irakien à leur goût.
Le décès, en juillet 2010 au Liban, de
l’ayatollah Mohammad Hussein Fadlallah
qui se permettait de critiquer le
monolithisme de la révolution iranienne,
oblige le courant d’Al-Dawa se
réclamant de lui à rentrer
progressivement dans les rangs. Confiant
dans sa destinée, le Grand ayatollah
Shahroudi a ouvert un bureau à Najaf et
des affiches à sa gloire fleurissent sur
les murs du quartier Sadr City, à
Bagdad. Ses adeptes disent de plus en
plus que le décès de Sistani n’est pas
nécessaire pour lui trouver un
successeur. Il suffirait qu’il soit
déclaré trop vieux pour guider ses
adeptes.
Les jeux ne sont pas
faits
Outre Shahroudi,
les postulants à la direction de la
hawza de Nadjaf ne manquent pas. Le
successeur de Sistani pourrait d’abord
être un des quatre autres grands
ayatollahs qui la compose : Mohammad al-Fayyad
et Bashir al-Najafi, les plus souvent
cités, ont – pour cela - été
visés par les attentats d’avril dernier.
Les deux autres : Mohammad Yacoubi et
Mohammad Saïd al-Hakim, sont moins
connus. Un sondage de popularité
désignerait sans nul doute Moqtada al-Sadr,
mais il poursuit ses études religieuses
d’ayatollah à Qom, en Iran. Un de ses
mentors, le Grand ayatollah Kazim al-Haeri,
iranien expulsé d’Irak à la fin des
années 70, auteur de plusieurs fatwas
contre les forces d’occupation
américaines, a aussi des chances non
négligeables. Reidar Visser, spécialiste
reconnu du chiisme irakien, avance
encore les noms de jeunes oulémas arabes
de terrain piaffant d’impatience, «
comme Asa al-Din al-Ghuraayfi, Qassem
al-Taie, Saleh al-Taie, Muhammad Shubayr
al-Khaqani, Hussein al-Sadr et Chamsudin
al-Waesi ». Tous se disent Grands
ayatollahs ! Les jeux ne sont donc pas
faits, mais dit Visser : si Mahmoud
Shahroudi l’emporte, la loyauté à son
égard « se traduira automatiquement
en loyauté à la révolution iranienne ».
Appendice
Du sang près du
tombeau de l’imam Ali
La ville de Nadjaf
est un enjeu géostratégique depuis la
redécouverte du tombeau de l’imam Ali
par le calife Haroun al-Rachid à la
suite d’une « intuition
providentielle ». Quatrième ville
sainte de l’islam, après La Mecque,
Médine et Jérusalem, à 100 kilomètres au
sud de Bagdad, Nadjaf est le siège d’une
hawza, un séminaire religieux
fondé en 1056, où ont enseigné les plus
grands dignitaires du chiisme
duodécimain. Qui tient Nadjaf – la
hawza - tient la communauté chiite
irakienne duodécimaine, ou tout du moins
exerce une influence primordiale dans le
pays, et bien au delà. En envahissant
l’Irak, en avril 2003, les Occidentaux
ne manipulaient pas seulement le
Congrès national irakien (CNI)
d’Ahmed Chalabi – qui s’est révélé
ensuite être un agent double au service
de l’Iran – mais entendaient imposer
un de leurs partisans au sein de la
hawza : l’ayatollah Abdul Majid al-Khoei,
40 ans, réfugié à Londres où il
dirigeait la Fondation Al-Khoei.
Arrivé en Irak dans les fourgons de
l’armée américaine, le religieux -
fils du Grand Ayatollah Abul-Qassim al-Khoei
(1899 – 1992), prédécesseur iranien
d’Ali al-Sistani - est mort,
poignardé près du sanctuaire de l’imam
Ali le 10 avril 2003, lendemain de la
chute de Bagdad. Il était considéré
comme un agent du MI6, service secret
britannique. La famille Al-Khoei a
accusé Moqtada al-Sadr d’avoir
commandité le meurtre parce qu’il le
considérait comme un rival. Le mandat
d’arrêt lancé contre lui n’a jamais été
exécuté. L’affaire est aujourd’hui
enterrée.
En août de la même
année, un attentat à la voiture piégée a
tué Mohamed Baqr al-Hakim, président du
SCRII (Conseil supérieur de la
révolution islamique en Irak) et une
centaine de personnes près du tombeau
d'Ali, alors qu’il tentait de
réconcilier différents groupuscules
chiites. L’opération n’a jamais été
revendiquée. Hassan Nasrallah, chef du
Hezbollah libanais, a estimé qu’étant
donné la sophistication de la bombe,
l’attentat devait être l’oeuvre d’Israël
ou des partisans de Saddam Hussein. Ce
dernier, alors dans la clandestinité, a
condamné le meurtre. Aujourd’hui,
nombreux sont ceux qui pensent que les
Iraniens soupçonnaient Mohamed Baqr
al-Hakim d’entretenir des relations
particulières avec les Etats-Unis et
qu’ils l’ont éliminé.
© G. Munier/X.
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Publié le 1er juin 2012 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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