Opinion
Arafat Jaradat :
Un crime d'Etat
Gilles
Devers
Lundi 25 février
2013 La mort du jeune Palestinien Arafat Jaradat est un crime d’Etat. La première
main est celle des bourreaux, qui ont
tué sous la torture ; la seconde, qui
est la principale responsable, est celle
des dirigeants politiques qui organisent
cette gestion du sereine du crime.
1/ Regardons les faits
La vie
Arafat Jaradat était un Palestinien âgé
de 30 ans, père de deux enfants : Yara,
4 ans, et Mohammed, 2 ans.
Il vivait à Hébron, dans le sud de la
Cisjordanie, territoire de Palestine
occupée. Il était en bonne santé.
C’était un militant du Fatah.
L’arrestation
Il a été arrêté par
les services israéliens le 18 février, à
la suite d’incidents du 18 novembre
2012, où des heurts avaient eu lieu près
de la colonie de Kiryat Arba, à
proximité d'Hébron. Un Israélien avait
été blessé par des jets de pierre.
L’épouse d’Arafat, Dalal, a déclaré à
l'agence
Ma’an
que l’officier du renseignement
israélien avait ramené son mari un
moment à son domicile, juste après son
arrestation, et qu’il lui avait
dit de dire adieu
à ses enfants :
« Pour cette raison, j’étais très
inquiète. Mon mari a été arrêté
plusieurs fois auparavant, mais cette
fois, l’agent israélien du renseignement
a parlé d’une façon étrange ».
Le transfert en
Israël
Il a été
emmené à la prison d’al-Jalama, dans le
Nord de la Cisjordanie, avant d’être
transféré à la prison Megido en Israël.
Il était sous le contrôle du Shin Bet,
le service de la sécurité intérieure
israélien.
La mort
Il est décédé dans
cette prison samedi 23.
La preuve de la
torture
Le
corps d’Arafat Jaradat a été autopsié
dimanche au Centre national médico-légal
d'Israël. Selon le Shin Bet, le jeune
homme a été « victime d'un malaise »
samedi après le déjeuner.
Le ministère israélien de la Santé a
estimé que les premières constatations
n'étaient « pas suffisantes » pour
déterminer la cause de la mort.
Une autopsie a été
pratiquée par un collège médical au
retour du corps en Palestine. Issa
Qaraqaë, le ministre palestinien des
prisonniers, a divulgué des détails de
l'expertise, mentionnant des blessures
et des contusions sur le dos et à la
poitrine, des traces de torture sur le
haut de l'épaule gauche ainsi que deux
côtes cassées. « Les résultats de
l'autopsie prouvent qu'Israël l'a
assassiné », a déclaré le ministre.
2/ Que dit
le droit ?
L’occupation et la
résistance
La Cisjordanie est un
territoire palestinien sous occupation
militaire israélienne depuis 1967. La
Palestine est un pays souverain, et
l’occupation militaire légitime la
résistance. C’était valable pour la
France de Jean Moulin, c’est valable
pour la Palestine et c’est valable pour
toutes les occupations militaires.
La violation de la
IV° Convention de Genève
Le droit est bien
connu, car c’est celui défini par la 4°
Convention de Genève de 1949. Sur tous
les points en cause dans cette affaire,
le texte reprend des règles existantes
depuis le Règlement de la Haye de 1907,
précisées par le Protocole additionnel
de 1979, reposant sur maintes décisions
de justice, et reprises dans le Statut
de la CPI. Ces règles sont tellement
sûres qu’elles sont considérées comme
faisant partie de la coutume
internationale, laquelle est opposable
aux Etats n’ayant pas ratifié les
traités.
Israël n’avait pas
le droit de transférer
Arafat Jaradat sur son territoire
La puissance militaire occupante ne peut
arrêter, juger et emprisonner les
ressortissants de la puissance occupée
qu’à condition de rester sur le
territoire occupé.
C’est l’article 49
de la 4° Convention de Genève : « Les
transferts forcés, en masse ou
individuels, ainsi que les déportations
de personnes protégées hors du
territoire occupé dans le territoire de
la Puissance occupante ou dans celui de
tout autre Etat, occupé ou non, sont
interdits, quel qu'en soit le motif ».
Tout transfert de prisonnier est
illicite et constitue un crime de guerre
(CPI,
art. 8, 2, b, viii).
Or, c’était le cas pour Arafat Jaradat,
mais c’est le cas pour les 5000
prisonniers, ce qui rend toutes ces
détentions irrévocablement illégales et
désigne les dirigeants politiques comme
principaux responsables.
Israël n’avait pas
le droit de confier les interrogatoires
au Shin Bet
C’est le Shin Bet, le service de la
sécurité intérieure israélien, qui
interrogeait Arafat Jaradat, et qui a
annoncé son décès. Cela signifie que
l’arrestation, la détention et
l’accusation se joue sans le contrôle
d’un juge. Or, même en temps
d’occupation, la privation des règles du
procès équitable est un crime de guerre.
(CPI,
art. 8, 1, a, vi).
C’est une règle de
jus cogens, indérogeable
(CEDH Golder ; CIADH,
Goiburú ;
TPIY, Tadic).
Le Shin Bet n’a aucun droit de recourir
à la torture
La torture comme cause de la mort est
établie par l’autopsie pratiquée en
Palestine, et elle est la seule cause
possible. Il faut un cynisme infini pour
évoquer un malaise après le déjeuner… La
torture des prisonniers est interdite,
comme tous les traitements inhumains, et
aucun fait ne peut justifier le recours
à la torture. C’est en toutes
circonstances un crime
(Art. 3
commun aux quatre conventions de Genève;
CPI, art. 8, 1, a, ii ; TPIY, Furundzija,
1998 ; CEDH, Selmouni, 1999).
La France peut juger les faits grâce à
un régime de compétence universelle
(CEDH, Ould Dah,
2009). En
Israël, c’est une méthode d’enquête
reconnue, ce qui engage la
responsabilité des responsables
politiques, dont le ministre de la
défense, compétent pour les prisons
israéliennes où sont détenus les
Palestiniens.
Les dirigeants israéliens n’avaient
aucun droit de procéder à une autopsie
Les services israéliens n’ayant aucun
droit pour transférer Arafat Jaradat
chez eux, tout ce qu’ils ont pu faire,
dont l’autopsie, est illicite. De même,
ils ne pouvaient procéder d’autorité à
l’autopsie sans demander l’avis de la
famille, et sans processus judiciaire
respectant les principes du droit. C’est
une violation du cadavre (CPI, art.
8, 2, b, xxi).
* * *
Arafat Jaradat
sera inhumé ce
lundi matin dans son village natal de
Sa'ir, à côté d'Hébron.
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